mercredi 17 mars 2010

J 26. Phnom Penh

Le réveil sonne tôt, à 5h 25, car nous prenons le bateau à 7h.
Le chauffeur et Thien accomplissent la fin de leur mission, nous guident une dernière fois jusqu’à un embarcadère que nous aurions bien été en peine de trouver. Deux employés du bateau se chargent de nos bagages et nous sommes les premiers clients à embarquer. Se joignent à nous une famille française d’origine asiatique, le grand père et la grand-mère, deux couples dont un mixte et quatre enfants. « Vous êtes français vous aussi » prononcé par le grand père nous réjouit. Nous sommes treize passagers en tout, plus le pilote et deux stewards dans le bateau effilé. Le grand père nous sert gentiment d’interprète, quelle peut être son histoire ?.
Les formalités de douane nous sont grandement facilitées par le steward : il a récupéré tous les passeports, rempli à l’avance tous les papiers, préparé les formulaires de visas pour le Cambodge et récupéré les dollars des visas.
Le poste frontière sur l’eau se situe à environ 1h 30 de Chau Doc. Nous attendons sur un ponton couvert avec bar et toilettes pendant que notre steward se dépatouille avec la douane vietnamienne. Suivant l’exemple du grand père, nous changeons 20€ (1€ = 5000 Riels). A peu de distance de bateau nous devons nous arrêter au poste frontière cambodgien installé dans un joli jardin, avec beaucoup de douaniers dont certains jouent aux cartes. Les autels ont changé d’allure respectant l’architecture khmère avec des toits terminés comme de faux ongles des danseuses d’ici. Le bateau repart sur le Bassac à vive allure pendant plus de deux heures et nous n’apercevons pas grand-chose sur les rives, sinon quelques îlots inondables de septembre à décembre. Peu à peu nous distinguons nos premières pagodes khmères, des cultivateurs et leur buffle. Comme dans les avions, on nous sert un petit déjeuner sur un plateau repas. Nous arrivons avec de l’avance, personne ne nos attend sur le ponton mais guides rabatteurs et chauffeurs de taxi, s’accrochent déjà à nous. Notre contact, chauffeur de Phoenix voyage ne tarde pas à apparaître avec son panneau « Bienvenue » avec nos noms. Il parle bien l’anglais et s’occupe déjà de l’horaire de départ pour Siem Reap après demain, avec un autre chauffeur. Il nous installe à l’hôtel FCC (Foreign Correspondants Club of Cambodgia), décharge nos bagages avec l’aide d’un policier en rangers. Notre chambre n’est pas encore prête, il nous faudra patienter jusqu’à 14h. Nous partons à la découverte de la capitale de un million d’habitants. Nous sommes surpris par la largeur de routes pratiquement désertes, peut être parce qu’aujourd’hui c’est dimanche. Nous sommes hélés constamment par les conducteurs de tuk tuk insistants. Nous devenons sourds. De gros 4X4 des ONG contrastent avec des gens d’un dénuement extrême, des mendiants handicapés et mutilés. Le dollar supplante la monnaie locale, tout est affiché en dollars dans les magasins et restaurants. Notre première promenade dans la ville passe par le palais royal , la pagode d’argent, le monument de l’indépendance, la rue Norodom et le quartier des ambassades où subsistent encore des maisons coloniales, protégées jusqu’à quand, et dans quelle mesure échapperont-elles à la corruption immobilière ?
Nous rentrons le long de la Ton Lay Sap river qui rejoint le Bassac et le Mékong , sur Le Preah Sisovath Quay, pour nous rapprocher de l’hôtel et casser une petite graine ; comme le restau que nous visons recommandé par le Petit Futé affiche complet, nous nous rabattons sur le bar de l’hôtel où les trois bières consommées équivalent à deux repas vietnamiens. Le bar n’accueille que des occidentaux. Aux murs des photos rappellent que l’hôtel était fréquenté par un club de reporters photographes étrangers. Nous découvrons, ravis, notre chambre à la salle de bain luxueuse, du nom d’un monument de Siem Reap : Péah Khan. Nous nous offrons sans vergogne un vrai café et des brownies au chocolat au café Fresco contigu à notre chambre accessible par une autre entrée que celle de la réception.Nous décidons de visiter le musée national abrité dans un bâtiment de style khmer et construit par les français en 1917. De couleur pourpre, il est gardé par deux magnifiques éléphants à la tête en bronze et au corps constitué d’arbustes. L’intérieur expose essentiellement des statues de dieux, de tailles différentes en bronze ou en grès, une cabine de jonque tout en bois et deux palanquins d’éléphants associant bois et ivoire. Des femmes vendent des bâtonnets de jasmin à déposer en offrande devant certaines statues. Un éclairage efficace met en valeur des œuvres de toute beauté et si ce n’était l’heure de la fermeture nous aurions aimé contempler encore ces trésors dans leur écrin bien adapté.
Nous avons pour objectif d’atteindre le marché central construit par les français, mais nous papillonnons au gré des surprises de la rue. Ce que nous prenons pour un mariage se révèle être une cérémonie de funérailles. Sur le trottoir, les cuisines en plein air, de l’autre côté de la rue, derrière des rideaux noirs et blancs, des invités mangent des fondues, alors que dans un magasin transformé pour l’occasion, des bonzes récitent des prières entrecoupées par un chant de femmes émouvant. Plus loin nous pénétrons, après avoir demandé la permission, dans un lieu clos qui comprend une pagode centrale et des bâtiments plus ou moins récents habités par des bonzes, qui accueillent des nécessiteux. Comme ailleurs dans la ville, un sourire déclenche un élan de sympathie ou un sourire en réponse. Il bruinasse par intermittence. Nous commençons à fatiguer et avant la ruée de nos semblables affamés, nous nous installons au restau « Fortune Phô » en face de notre chambre. Une panne d’électricité sûrement pas inhabituelle, nous permet de manger à la lumière romantique de la bougie : nems, croustini et noodle.
En récupérant notre clef et en discutant à la réception, un petit jeune homme souriant, qui s’exprime assez bien en français, nous propose ses services pour visiter les lieux de triste mémoire marqués par la sauvagerie de Pol Pot. Nous acceptons et prenons RDV pour demain midi.

mardi 16 mars 2010

Agiassos #2

"Tout droit je descendrai vers l'agora. Sous la voûte de feuilles rouges je boirai le café brûlant, très lentement. Je rêverai dans le sexe des feuilles écarlates. Silencieuse, j'enfanterai un chant en écho au saxo jamais vu qui joue pourtant sur les terrasses d'Agiassos. Saxo du Dieu caché.
Et puis il sera temps de filer ailleurs. »

C'est ici que le texte s'arrête, dit la jeune femme en décroisant ses bottes métallisées. Elle redresse son dos tandis que se meuvent ses beaux seins sous la combinaison souplement ajustée. Son compagnon allume une nouvelle cigarette sans la quitter des yeux.
- Tu ne lis plus...
- Il n'y a plus rien. Le carnet de ma grand-mère s'arrête là.

Le jeune homme se penche vers le sol, la fumée embrume les brodequins à semelles d'acier.
- Comment était-elle ?
- J'avais deux ans quand elle est morte. Sur les photos, elle est plutôt ordinaire. Elle avait la bougeotte. Ses carnets, elle me les a légués. Avant de partir en Grèce, elle a dit à mes parents que ses carnets, ses livres seraient pour moi. Bien brave ce pope du bas quartier d'avoir gardé les derniers carnets de grand-mère.
- Comment sont-ils tombés entre ses mains ?
- La police les lui a confiés et il a oublié de les renvoyer en France. Les popes ne sont pas riches...

La jeune femme caresse le casque anti U.V. posé sur la table de faux marbre. " Quel style ringard quand même !
- Je ne suis pas de ton avis, Electre, c'est une époque où il y avait encore des Grecs. Regarde autour de nous, regardons-nous. Qui sommes-nous dans nos armures de métal et de plastique ?

Le jeune homme se tait, il sourit un peu parce qu'il est amoureux. Ses bagues et ses bracelets lancent des feux agressifs. La lumière du crépuscule traverse la coupole de verre au-dessus de l'agora et des rues d'Agiassos. Elle se difracte, éclabousse les tenues brillantes des consommateurs. Il n'y a pas de musique aujourd'hui. L'Association Européenne des Oto-rhino a obtenu de Bruxelles la trêve d'une journée par semaine. Les coupoles, la climatisation autorisent les touristes à se découvrir. Les peaux roses et blanches sont de fragiles lumières dans la lumière du couchant. Le jeune homme repose son verre d'eau minérale deux fois recyclée :
- Tu ne trouves pas que l'humanité, ici, ressemble à un ramassis de vers blancs sous un bocal renversé ?
- Arrête, tu n'es pas drôle !
- Et ta ringarde de grand-mère faisait du vélo sans masque, sans scaphandre. Elle dormait à la belle étoile. Les étoiles elle les voyait, et le ciel de Grèce, toujours bleu l'été... C'est ce que disent les vieux guides...

Main dans la main les jeunes gens gravissent une des huit avenues de la cité. Les néons annoncent des spectacles pornographiques ou des films d'épouvante. Des garçons très maquillés, attirent les consommateurs à des tables minuscules. Des familles s'agglutinent aux vitrines des magasins : Bonbéton, Monkikian, Zony... Les lasers balafrent le ciel composant et décomposant les silhouettes de dieux et de héros helléniques.
Ils s'arrêtent devant le musée des arts et techniques. Sous un globe de verre un âne empaillé, gueule ouverte, oreilles dressées. Pour un Euro, on entend braire le dernier baudet de l'île décédé en 2008. Pour deux Euro supplémentaires on assiste à l'érection de son pénis, dit la pancarte. La mécanique est tombée en panne. Une petite fille s'obstine à appuyer sur le bouton, ce qui provoque le rire du père occupé à vider une boîte de bière. Un cinéma annonce des succés européens : "Quand l'ozone reviendra", "A nous, les petites mongoliennes", "Les Requins sont fatigués".
- Je me demande si on a eu une bonne idée de venir à Métylène...
- Et les carnets de ma Grand-mère ? On va y trouver une foule d'informations sur la faune... La pauvre elle n'était pas douée pour les prophéties... mais elle s'y connaissait en oiseaux...
- Ouais... "Rien ne change jamais à Agiassos..." Vaut mieux en rire...
- Allez, ne perd pas le moral. Nous irons travailler dans les mines d'eau douce au Spitzberg l'été prochain. Il paraît que trois mois de boulot là-bas, ça te donne de quoi vivre bio pendant un an. Trois ans si tu bouffes n'importe quoi !

Dans le parking souterrain l'air de la climatisation souffle comme un vent d'Odyssée. Les jeunes gens referment leurs tuniques, ils enfilent leurs gants. La moto bondit à l'extérieur du réseau couvert. Le jeune homme fait le plein à une pompe automatique tandis que le visage de la jeune femme soudain s'immobilise en direction du Mont Olympe brillant comme un os de seiche dans la nuit. Ce n'est pas la montagne qui brille, c'est un immense écran sur lequel un type aux yeux dégoulinants distribue des cadeaux à un couple obèse.
- Ecoute... Ne remets pas le moteur en marche... On dirait un saxo... quelqu'un joue du saxo... Tu n'entends pas ?
- Ton casque est mal vissé, Electre. Tu vas te prendre une giclée de saloperies. Si Pan a échappé à la syphillis et au sida, les U.V. et le plomb auront sa peau. En route, accroche-toi, y a douze virages dans la descente.

Au carrefour de Vassilika et d'Ipio, elle lui demande d'arrêter leur bolide. "C'est ici que Grand-mère s'est défoncé le crâne. Le pope a dit que sa bicyclette était irrécupérable. Mon oeil !
- Les popes sont pauvres, c'est toi qui l'as dit... Tu as les carnets et la sacoche de cuir... Qu'est-ce que tu ferais d'un vélo ?
- Rien. Mais j'aurais aimé le voir, na !
- Ton ancêtre savait couper les fils, prends en de la graine !

La moto fonce vers Molivos où se trouve un des camps des Jeunesses Ecologistes Européennes. On y élève des requins. Le requin métabolise le plomb et le mercure et ne développe pas de cancers. Les chercheurs du génie génétique espèrent greffer dans un avenir très prochain des gènes du squale sur les chromosomes humains. L'avenir est à ceux qui savent couper. La moto fonce.
Marie Treize

lundi 15 mars 2010

Fantastic Mr Fox

Roald Dahl, un des maîtres de la littérature enfantine sort enrichi par ce film d’animation de Wes Anderson. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut se retrouver dans la peau d’un renard, et c’est bien bon ! En tant que rédacteur de blog, comment ne pas s’identifier à cet élégant journaliste, bien qu’ayant un attribut notoire endommagé, qui se demande s’il est lu.
Et tout à l’avenant : la transmission, l’ai-je bien élevé ? Et ma jeunesse ? J’ai ri à bien des trouvailles crépitantes, d’un rat reconverti en agent de sécurité, été séduit par la façon d’envisager le temps qui passe, la belle vie dans un arbre, et notre société où la sauvagerie est intacte mais où l’authenticité s’efface. Le dernier toast porté dans le supermarché vide vaut bien des déclarations besogneuses de quelques pontifiants pas aussi finauds que Mr Fox.
(Pour les fidèles lecteurs : des ennuis d’écran et de carte graphique ont empêché les mises à jour quotidiennes pendant une semaine; cependant dans le dernier mois ce sont plus de 2000 pages qui ont été lues)

dimanche 14 mars 2010

Ciels.

Il faut déposer son manteau au vestiaire pour mieux pivoter sur les tabourets réservés au public au centre du dispositif. Une ambiance particulière s’installe et le pari théâtral est déjà gagné de nous étonner, de nous interroger, de nous embarquer. Tout au long des 2 h 30, une brillante mise en scène nous réserve des surprises, des moments forts. Le propos de Wajdi Mouawad est ambitieux, mêlant les histoires intimes tout en embrassant le siècle. L’art contemporain est sollicité et aussi quelques œuvres du patrimoine universel, avec une forte présence des outils informatiques et audio visuels, et la musique et le cinéma. Parfois un peu trop nourrissant, emphatique, mais un souffle passe avec des comédiens investis et de belles scènes sensibles entre un adolescent et son père. Le scénario est bâti autour d’une affaire d’espionnage où les connaisseurs retrouvent des manières du « Da Vinci Code » en ce qui concerne le décryptage sophistiqué et inattendu de messages envoyés au monde par des jeunes énigmatiques, alors que les chefs s’aveuglent à chercher des coupables du côté d’Ali l’alibi. La poésie va-t-elle sauver l’humanité ? Le conformisme accompagnant la compétition individuelle, est-il devenu si puissant qu’il faille crier pour appeler à la résistance, pour qu’émerge la vérité, l’authenticité ? Les spectateurs applaudissent debout.

dimanche 7 mars 2010

L’ébauche d’un portrait

Transposition sur scène du journal de l’écrivain et metteur en scène Jean Luc Lagarce par son collaborateur François Berreur. Les sept dernières années de l’auteur de théâtre contemporain, le plus joué avant sa mort du SIDA, sont les nôtres, avec le nom des disparus qui défile, elles sont des années intenses. La mort, l’écriture, la notoriété, la solitude, la tendresse, l’exaltation, les dernières fois, la lucidité, la survie, la province, la musique. Il faut un comédien remarquable : Laurent Poitrenaud pour que les deux heures passent en un éclair comme une vie belle et fragile. La mise en scène originale sans être tape à l’œil nous conduit au-delà de l’agréable moment de spectacle à considérer nos existences, en toute limpidité : fort et léger.
Et découvrir ce morceau d’Aragon en retrouvant la voix de Colette Magny :
« Vivre n’est plus qu’un stratagème
Le vent sait mal sécher les pleurs
Il faut haïr tout ce que j’aime
Ce que je n’ai plus donnez-leur
Je reste roi de mes douleurs
Le cœur peut s’arrêter de battre
Le sang peut couler sans chaleur
Deux et deux ne fassent plus quatre
Au Pigeon-Vole des voleurs
Je reste roi de mes douleurs
Que le soleil meure ou renaisse
Le ciel a perdu ses couleurs
Tendre Paris de ma jeunesse
Adieu printemps du Quai-aux-Fleurs
Je reste roi de mes douleurs »

samedi 6 mars 2010

« Réussir Ensemble Saint Egrève » est en train de se dissoudre.

RESE : C’était le nom de la liste qui regroupait le PS, Le PC, le PG et d’autres citoyens engagés à gauche lors des élections municipales. Nous avons été un certain nombre à vouloir poursuivre le travail sur le long terme pour éviter de nous retrouver, à la prochaine échéance, une fois encore, avec davantage de candidats, se réclamant de la même famille, que d’électeurs. Le dosage entre changement et continuité que nous pensions équilibrer, n’a pas été perçu par la population : nous portions essentiellement l’image de la dernière campagne.
Au moment, où pour la première fois des militants des trois listes concurrentes se retrouvaient, le chef de file des élus du groupe d’opposition démissionnait de notre association en empêchant désormais toute expression sur notre blog associatif.
Ces quelques gargouillis dans un verre d’eau plate ne concerneront qu’une poignée de militants. Nous avions fait le pari de dépasser les querelles enracinées depuis des années, elles ressurgissent, mitonnées par une machine à perdre toujours en pleine forme qui excelle à reproduire les échecs aux élections municipales alors que les votes sont favorables à la gauche à bien des scrutins. Le verbe "réussir" devient ironique.
Un de nos thèmes de campagne insistait sur la cohérence des choix au sein du bassin grenoblois. La posture d’opposant systématique adoptée au plan local est difficile à accorder avec la culture de gestion qui prévaut au sein des villes motrices de l’agglomération. Il fut un temps ou le terme de progressiste était synonyme du parti de la réforme; maintenant certains de nos camarades sont affublés du terme « conservateur ». L’absence de propositions en termes de politique pour la jeunesse, les réticences, par peur de se faire « piquer l’idée » émise bien timidement d’un chèque culture/sport pour les écoliers, justifient des appréciations défavorables, quant à notre manque de courage.
Nous étions pourtant arrivés à accorder nos paroles sur le thème inflammable de la sécurité - non pardon de la tranquillité publique - et puis des incendies récents ont radicalisé l’expression. Un développement concernant des propositions dans le domaine social tel que le micro- crédit vaudrait mieux que l’insistance sur les caméras de surveillance. Se contenter d’une protestation contre l’augmentation des impôts ou la remise en cause d’une salle culturelle prend à contre pied quelque tradition socialiste, et contredit certains choix à l’intérieur de la Métro.
Nous n’avons guère proposé pour une ambition urbaine à la hauteur des enjeux environnementaux à l’entrée Nord de l’agglomération.
1000 tracts, 15 présents à la réunion. Le découragement des militants peut se comprendre, quand tant d’heures de travail payent si peu. A vouloir faire revivre des démarches coopératives repeintes aux couleurs participatives, le constat est amer face au mur solide des susceptibilités et des calculs politiciens.
Le temps d’un congrès, le terme le plus usé est « rénovation », alors que l’archaïsme des pratiques, les stratégies les plus improbables assumées avec désinvolture, perdurent. Quel gâchis ! Notre projet politique est peu lisible, seuls restent exposés des individus. Les conditions d’une élaboration collective étaient devenues difficiles, les démissions sont venues s’accumuler au sein du groupe d’élus. Nos capacités à analyser et projeter pour la commune pouvaient être mises en doute quand à côté de soi les problèmes s’accumulaient et que leur gravité était niée. Pour tracer des perspectives d’avenir qui ne soient pas incantatoires, que des équipes nouvelles dans des dispositifs nouveaux se mettent au travail !

vendredi 5 mars 2010

Poil de Carotte

Je proposais régulièrement à mes CM2 un chapitre du livre de Jules Renard. Ils pouvaient partager l’injustice qui s’abattait sur un enfant à travers un texte du patrimoine à l’issue surprenante et au style efficace. Quelques adaptations télévisuelles de ce court roman ne m’avaient pas convaincu, alors quel plaisir de découvrir cette œuvre dans son intégralité ! Les productions d’aujourd’hui pour la jeunesse sont parfois noires mais n’arrivent pas à la cheville de la cruauté de madame Lepic. Ces temps là étaient sauvages; les lièvres saignent du nez à la cave et les griffes ne sont pas que pour les chats. Poil de Carotte lui-même mérite souvent les beignes qui lui pleuvent dessus, mais elles ne le feront plus pleurer, et il faut qu’il se fasse saigner les joues pour imiter un de ses camarades qui rosit facilement.
« D’ordinaire les habits de toute la famille accrochés au portemanteau l’impressionnent. On dirait des suicidés qui viennent de se pendre après avoir eu la précaution de poser leurs bottines, en ordre, là-haut sur la planche. »
La rudesse des conditions de vie est aggravée par cet amour sans espoir du petit qui use de la ruse et de paroles sentencieuses pour tenter de survivre. Afin de ne pas désespérer le lecteur, il faut savoir qu’une fois la mère se montrera magnanime, et une fois Poil de Carotte refusera une corvée.
C’est du brutal, mais de la littérature à son sommet, d’une sobriété essentielle :
« - Personne ne m’aimera, jamais, moi !
Au même instant madame Lepic, qui n’est pas sourde, se dresse derrière le mur, un sourire aux lèvres, terrible.
Et Poil de Carotte ajoute, éperdu :
- Excepté maman. »

Terrible, éperdu.