dimanche 17 janvier 2010

Sempé à New York, l’évidence.

Comment ne pas aimer les rites,quand à chaque Noël m’est offert un album de Sempé?
Cette année une longue interview du dessinateur bordelais permet de déguster son livre plus longuement et de retrouver dans ses mots, la fraîcheur, la rigueur, la fantaisie et l’humilité, l’évidence de ses dessins. Les couleurs de ces vues sur New York sont plus éclatantes qu’auparavant, mais nous sommes toujours rappelés à notre taille dérisoire en regard de nos désirs d’infinis, malgré les promesses de l’enfance. Lumineux, essentiel. Jamais son humour léger n’est méchant, il va chercher nos pathétiques espérances dans les coulisses des théâtres, en bord de mer, dans les parcs, sur le coin d’un trottoir ou et sur le balcon haut perché d’un escalier de secours ; la fantaisie du monsieur qui chasse les feuilles devant lui. Le subtil aquarelliste est séduit par les taxis jaunes de la ville verticale où quelques chats posent un regard filtrant, pas dupe des ambitions des hommes.

samedi 16 janvier 2010

« Le coup de grâce »

Le magazine trimestriel de la culture en Rhône Alpes s’il titre sur « Gérard Collomb : le petit Sarkozy de province » pour son abandon de l’Hôtel Dieu aux « forces de l’argent » est plutôt bienveillant avec la gestion de J.J. Queyranne à la région en citant René Rizzardo : « les régions jouent désormais un rôle irremplaçable de médiation politique entre les différents acteurs du champ culturel ».
Un entretien avec un mécène qui expose des œuvres dans sa PME, peut inspirer des vocations puisque son personnel peut dire : « on aura vu plus d’expositions que le Lyonnais moyen ». Nous pouvons mieux connaître quelques têtes d’affiche : Gamblin, le réalisateur du fils de l’épicier, Rachid Taha… et mettre un nom sur des rôles : madame Rosa d’après Romain Gary, c’est Myriam Boyer la mère de Clovis Cornillac. Découvrir la fondatrice de l’Université populaire de Lyon, il y en a une comme à Rouen avec Onfray. Suivre la chorale homo : « A voix et à vapeur ». Une maquette très soignée met bien en valeur le travail de la photographe écorchée Elinor Carucci et celui du peintre Jean Fussaro. Des rubriques habituelles donnent envie d’autres lectures, comme ce numéro de Médium de Régis Debray « Nous », en vente au Square. Bien sûr que cette publication s’adresse à ce quart de la population qui lit encore un quotidien (29% de la population en 2008 contre 37% en 1997), ce sont les mêmes qui portent un intérêt à la culture symétrique de la même proportion dont la relation à toute forme de culture est très lointaine. Chiffres tirés de « La scène » qui pose la question : « Le temps passé devant les écrans ne finira-t-il pas par remettre en cause la sortie culturelle au profit de pratiques plus autarciques et familiales? » Quand je vois certains des responsables près desquels j’ai pu défiler, renvoyer ces préoccupations à des activités superfétatoires, je m’inquiète. Yvon Deschamp qui est chargé de la culture à la région dit : « on ne peut vouloir changer la vie si on n’a pas une vision culturelle ». Il prend sa retraite.

vendredi 15 janvier 2010

Personne. Gwenaëlle Aubry

Quelle jubilation d’être en accord aussi intimement avec une écriture, un livre ! D’être présent à la lecture, alors que Gwenaëlle Aubry, philosophe romancière s’offre, nous offre le superbe cadeau du portrait de son père qui était absent à lui-même, fou. Elle a choisi des extraits des carnets intimes de cet ancien professeur de droit pour les entrelacer avec ses mots à elle. A travers les mystères d’une vie, c’est nos destins qu’elle met mieux à jour, qu’elle cherche à révéler avec sincérité, avec amour. Les chapitres correspondent à un classement alphabétique comme dans un dictionnaire qui une fois achevé tiendrait toute la vérité d’une vie, mais celle-ci s’échappe. Ce choix qui rend la lecture confortable correspond aussi à la multiplicité des facettes de ce père pirate, clown aux pieds nus.
Je cite une parenthèse seulement devant l’impossibilité de choisir dans ces pages denses et légères, lucides et chaleureuses, aux mots justes. « (ce sont les névrosés qui lisent des romans […] les psychotiques préfèrent la poésie et la philosophie, ils creusent plus loin dans le réel) »

jeudi 14 janvier 2010

Max Laigneau

Il a travaillé au quartier de l’Abbaye et à l’Hexagone de Meylan qu’il a dirigé, Max Laigneau, le peintre, expose ce mois de janvier dans les salles au décor raffiné du château Borel à l’Hôtel de ville de Saint Egrève. Et même si les éclairages ne sont pas toujours satisfaisants, la vivacité de ses couleurs éclabousse le visiteur. C’est l’été en Provence, et en bord de mer, face aux régates aux chatoyants embruns. Ces thèmes et leur traitement conviennent parfaitement pour des affiches. A regarder sur Internet, on constate que sa une notoriété va au-delà de sa région d’adoption, et il est probable que vous ayez croisé de ses fresques murales dont l’optimisme est bien nécessaire pour égayer certains lieux. J’ai moins apprécié ses masques vénitiens, on en a tellement vu ; j’ai préféré ses musiciens de plein air, ses paysages rêvés, énergiques, solaires, ses plages vives.

mercredi 13 janvier 2010

J 17. Lac Lak

La journée commence par un moment exceptionnel : les chutes d’eau de Dray Sap, époustouflantes ! Nous nous approchons, brumisés par les projections, assourdis par le tonnerre de l’eau, alors qu’un arc en ciel se dessine. Tin, notre nouveau guide local, discute un moment avec deux « braconniers » s’évertuant à déraciner un arbre. On a l’impression d’assister au matin du monde. Lorsque nous passons des nuées de papillons s’échappent des buissons, petite ribambelle délicate dans le décor sauvage. Pourtant nous voyons quelques champs brûlés indiquant une activité humaine à côté d’arbres majestueux à lianes et de bambous mangoustes. A Hanoï nous avions été frappé par la profusion anarchique des fils électriques, et c’est dans cet endroit où nous pouvions nous la jouer Indiana Jones, en passant sur les ponts suspendus, que nous somme intrigués par des bornes en ciment. Elles marquent des lignes électriques enterrées.
Nous visitons une maison traditionnelle à laquelle on accède par une échelle sculptée terminée par deux seins de femme.
Dans le village des Ede : Buan Tuor (Buan : village) les chiens nous reçoivent en aboyant.Ce village catholique est équipé de sa petite église en bois, assortie aux longues maisons sur pilotis dans lesquelles patalent bruyamment des enfants qui jouent à cache-cache avec nous. Le nombre de fenêtres correspond au nombre de couples, « une petite famille ». Autrefois on agrandissait la maison pour de nouveaux mariés. Aux abords du village, les champs de café attendent que les grains rougissent pour être récoltés.
De retour à Buon Me Thuot, nous regardons de près le monument à la gloire des soldats du Nord avec tank en béton, et sculptures monumentales qui rappellent la bataille décisive qui fit fuir l’armée sudiste, ce fut le début de la débandade.
Nous revisitons le marché, puis le marché couvert plus calme. Sur les étals des objets en papier à brûler pour les morts : dinettes, vêtements jaunes d’empereur, faux billets de banque, ou des graines de toutes sortes.
Nous déjeunons dans le restaurant d’hier faute de trouver une nourriture différente dans cette rue spécialisée dans les « nems vietnamiennes ». Mais nous nous offrons un café noir et fort dans un établissement près de la poste qui nous sert aussi en bienvenue du thé.
Nous prenons la route du lac Lak à travers des paysages très mignons où nous renouons avec des petites rizières déjà jaunies. D’ailleurs les paysans ont placé une machine sur la route et y enfournent les tiges de riz pour séparer la paille du grain. Nous stoppons dans le village M’nong de Jun dans lequel un couple d’éléphants de 45 ans munis d’une nacelle en métal nous attend pour une promenade d’environ une heure. Une estrade en hauteur a été construite pour que les touristes puisent accéder au siège sécurisé par un garde-fou. Un pied sur le dos de l’éléphant et hop on s’assoit !
Le cornac, pauvrement vêtu, titille l’oreille gauche de l’animal à l’aide d’une pique recourbée pour se faire obéir et place son pied derrière cette oreille rose pour le diriger. Nous traversons le village au rythme chaloupé de nos vivants véhicules qui rend aléatoires les cadrages photos. Les pachydermes n’hésitent pas à arracher les branches des arbres des maisons, il leur faut 200 kg de verdure par jour, qu’ils trouvent en principe dans la forêt où ils sont parqués. Ils quittent la route et descendent un sentier mal commode vers le lac et d’un pas lent traversent jusqu’à l'autre rive. Notre mâle en profite pour se soulager et expulse des balles de bouse herbeuses impressionnantes. Pratiquement pas de touristes, pas d’autres éléphants, nous goutons notre plaisir sous le soleil qui fait vibrer la surface de l’eau.Les maisons sont construites en bois ou avec des bambous tressés, les nouvelles utilisent le béton moins cher car le bois de bonne qualité interdit à l’abattage, devient rare. Nous profitons de belles lumières de fin d’après midi pour monter à l’une des anciennes demeures de Bao Daï. Une grosse villa en hauteur dominant le lac et transformée par l’état en hôtel dans les années 90. Malheureusement l’entretien n’est pas suffisant et le service doit manquer de diligence, mais le magnifique point de vue porte loin.
Il est temps de gagner l’hôtel, le « Lak Resort », loin du village, dans un cadre paisible, près du lac. Il est constitué de bungalows autour d’une piscine, de deux maisons communes et d’un restaurant. Nous explorons le lieu, une musique émane d’une maison commune où se déroule un spectacle de danses. Les instruments diffèrent de ceux entendus jusqu’à présent, avec une majorité de sons de bois. Nous nous retrouvons dans la piscine doucement chaude, plus chaude que la brise qui nous attend à l’extérieur.
Nous nous rendons à la salle à manger à la lampe de poche pour un festin de noodles +vegetables+porc, arrosés de Saigon beer. A côté, des jeunes viets et occidentaux ont éclusé sans modération de la bière et braillent par intermittence, nous rigolons aussi.
Les bêtes de la nuit tropicale lancent leur chant exotique : crapaud buffle (?), insectes en tous genres. Nous branchons les prises anti moustiques et aspergeons les draps de répulsif au cas où…

mardi 12 janvier 2010

Envahisseurs

Une copine me disait, ironie inspirée par l’envie :
« Tu habites une Petite Suisse ! »
J’en suis restée chocolat, mais vérification faite, la dame a bien raison.
Tout est coquet, propret, sécurisé au Bombaril, département Risée, canton de Sainte Fièvre.
Cheu nous pas de pétarades nocturnes, pas d’agressions, pas de rixes, pas de risques. Pourtant les ancêtres à sac à main ne manquent pas, musardant en toute quiétude de banc en banc.
Chaque été mes chers petits enfants déboulent dans mes lieux sécurisés. Des gamins venus de cités moins protégées : Toulon, Perpignan, Barcelone… Des coins qui vous apprennent la vigilance pour biens et abatis.
Privée de siestes et de scrabble avec mes chevrotantes copines, je dois accompagner mes moustiques dans une tournée intégrale du village. Notre pacte est simple : si je veux regarder Super Nany sur la Six, Derrick sur la Trois, si je souhaite les jeux télévisés afin de ne pas attraper la sénilité, il leur faut absolument une histoire devant les récentes œuvres d’art apparues dans notre village mécénesque.
Les sculptures qu’ils préfèrent sont : « le prince et la princesse », au départ du sentier des Mollah et cette féerie de pierre, de verre et de métal prête à s’envoler. Hélas ! Elle a récemment perdu ses ailes caillassées par des ennemis de la beauté venus, c’est certain, de St Quentin les Voyous ! Cheu nous ya pas de voyous ! On ne veut pas de ça cheu nous a dit le Conseil Municipal. Donc onnennapa.
- Ca fait rêver, s’extasie Lili, six ans devant la fée privée de ses ailes.
- C’est trop, ajoute César en caressant la tête du roi.
- Beau, complété-je.
Arnaud, trop jeune, se contente de tripoter ses incisives.
Cette année là, j’ai cru à un été tranquille pour mes neurones. Ils se contenteraient des bibliothèques et des cinoches locaux, les sacripants ! Je parle de mes petits, non de mes cellules cérébrales, vous aurez compris.
J‘avais tout faux.
- On veut voir comment c’est avec le bus qui passe plus au milieu du Bombaril, a déclaré César, l’aîné, onze ans. Il veut devenir urbaniste depuis que H.P. l’a envoyé vivre à Barcelone. Devenu européen, le bonhomme développe un sens critique qui me laisse pantoise.
Frauduleusement nous prenons le raccourci par le parc de la Maison de Repos. Commence l’exploration des abribus. « Non, que je leur dis, c’est pas aujourd’hui qu’on ira au cinoche à Tataouine… J’ai compris pourquoi vous vouliez voir la nouvelle ligne du Trois, filous ! »
Rafraîchis par la brise poussiéreuse qu’engendre la circulation, nous atteignons le carrefour qu’agrémentent fleurs, feux de circulation sans oublier le cadran qui donne la date, la température et l’heure et le Sein à Téter- pardon, le Saint à fêter. C’est le moment de vérifier que Lili sait lire l’heure. C’est bon, elle sait.
- Et ça, c’est quoi ? interroge César.
Damned ! J’avais oublié la dernière en date des œuvres d’art érigées au village.
Suivi de Lili, César bafoue le feu rouge. Je les rejoins en faisant voler Arnaud au bout de mon bras.
J’enguirlande copieusement les grands. En vain. Ils sont ravis dans la contemplation de la statue.
César : C’est un niti…
Moi : C’est quoi un niti ?
César : Ben Mamie, tu lis quoi ? C’est un Alien.
Moi : Un fou ?
César : Mais Mamie, où est-ce que t’habites ? Un Alien c’est un extraterrestre, un venu d’un autre monde.
Ce mioche en sait plus qu’une Bombariloise aggravant la moyenne d’âge du canton.
César poursuit :
- Tu vois bien que c’est un niti : il a deux cerveaux et il a quand même du mal à lire tout ce qu’on doit savoir sur les humains. Ses oreilles de Pluto pendent de chaque côté des joues. Je les trouve très chouettes. Il hésite, réfléchit… A mon avis l’air de la Terre ne lui convient pas parce qu’il est en train de se décomposer. Vise les couleurs ! C’est d’un super réalisme. Il est bon pour danser avec les Morts Vivants de Mikaèle Jaquesonne. Faudrait ajouter des mouches et des vers, ça ferait plus vrai, hein, Mamie ? Je peux jeter de la terre dessus pour que ça fasse lèpre ?
Mamie n’a vu qu’un lecteur nu en position inconfortable, sur la pointe des pieds, ce que critiquerait notre animatrice de gym douce. Le pauvre, il ploie sous le fardeau d’une génération pas du tout intéressée par la lecture : un bambin à califourchon sur ses épaules d’ex-concentrationnarisé. Ah, combien est grande ma sympathie pour ce Papi ! Il ne fera pas de vieux os celui-là ! Même si on lui fait des rayons verts et violets la nuit. Cancer des os ou de la peau ?
Lili me chuchote :
- Dis Mamie, pourquoi le monsieur moche il fait caca sur des livres ?
- On ne parle pas comme ça. Il faut dire déféquer. Et puis il n’y a pas de chasse d’eau. C’est la preuve qu’il ne fait pas ce que tu dis !

J’entends un gros « blurp ». C’est Arnaud qui vomit un truc vert.
Soudain coup de vent glacial, mini tornades sur le bitume, passent des touffes d’herbes enroulées sur elles-mêmes… un harmonica invisible gémit au loin.
Tandis que nous fonçons aux abris, des bruits de tôles froissées ! Une dame aux dents de morse sort de sa Clio dont le pare-choc arrière gît sur le macadam. Poing droit levé, elle se dirige vers l’automobiliste qui lui a embouti le coffre. Tout penaud le jeune homme au menton démesuré, au cou filiforme montre le Niti en guise d’excuse.
Ouaf ! Fuyons ce lieu malsain ! Je crains un remake bombanilois de la Guerre des Mondes.
César me suit à regrets : « T’as peur de tout Mamie ! » Il n’a pas vu les écailles qui lui poussent sur la main. A double tour, je nous enferme dans mon bunker pressurisé.
Cérémonial avant le coucher :
César quand tu auras fini de brosser ta longue barbe, pense à la tresser. Elle pourrait t’étouffer pendant le sommeil. Il y a des chouchoux dans le tiroir sous le lavabo.
Arnaud, cesse de chougner ! César est un imbécile : tu n’as pas des oreilles d’âne. Les ânes n’ont pas les oreilles roses. Allez, dors bien mon lapin.
Lili ! Tu n’es pas encore couchée. Ah, je vois. Tu ne sais pas encore replier tes ailes. Je vais t’aider. Bonne nuit, ma petite fée.

Quel délice de s’allonger sous la couette ! Mes pieds bleu marine et qui plus est palmés n’ont pas froid. Plus besoin de chaussons de nuit ! Nageons dans un sommeil sans cauchemar…
Marie Treize

lundi 11 janvier 2010

Bright star.

No sex, pour évoquer une histoire d’amour, c’est remarquable. Comme de voir de la poésie comme objet familier dans un certain milieu au début du XIX° siècle peut nous sembler extravagant. Cette fois pour raconter la fin de vie du poète John Keats, Jane Campion joue d’un clavier trop tempéré : pas de chaleur. La jeune fille, objet de la passion, au caractère affirmé au début perd très vite sa personnalité; heureusement elle se place souvent à la fenêtre et les images sont magnifiques, et les lumières et les costumes, sauf que l’histoire est linéaire. L’unanimité des critiques du « Masque et la plume » qui s’extasient sur les champs de bleuets - d’abord ce ne sont pas des bleuets - m’a semblée sur jouée. Par contre, la scène rappelée par une critique où la petite sœur écarte une feuille morte pour préserver l’été est effectivement très belle. Les vers échangés entre les amoureux m’ont paru assez artificiels et ronflants, mais je manque de référence sur le poète romantique anglais mort à 25 ans, qui a fait écrire sur sa tombe : « Ici repose celui dont le nom était écrit sur l'eau.» Je vais rechercher quelques uns de ses poèmes pour comprendre sa notoriété.