mardi 10 novembre 2009

Ce jour-là

Et puis ce jour là dans le clair obscur de notre demeure nordique, je me suis vue dans le miroir disposé sur le buffet. C’était l’époque où les Arts Décos influençaient jusqu’au mobilier bas de gamme des foyers populaires. J’avais été gravement grondée, peut-être même battue par une mère sans cesse excédée. Pour mon esprit de six ans, la réprimande était injuste et je n’avais pu m’en expliquer. Il en était ainsi dans une famille où l’on ne savait parler. Les enfants filaient doux, menaient leur vraie vie dehors avec leurs bandes (peut-être en est-il toujours ainsi dans ce que les medias et les politiques appellent les quartiers sensibles). On rentrait au logis pour manger, déféquer et dormir ou se prendre une raclée pour absence prolongée, jamais un bisou (ce mot n’existait pas). Au mieux on se retrouvait le dimanche sur des genoux, entre des bras fatigués : le chat ou le chiot faisaient aussi bien l’affaire. Dans le commerce surtout si celui-ci est artisanal, en l’occurrence dans une boulangerie, il n’y a pas de place pour les enfants. Ils se débrouillent, pratiquent l’évitement des petites tâches : va porter ce pain à Mme X., surveille le lait, recharge le poêle, va ici, va là. Ne pas se faire chopper, se glisser en catimini dans la rue et courir, courir vers les jeux, courir vers les autres enfants. Liberté conditionnelle… dont les lois étaient la faim et le sommeil. Liberté réelle : l’apprentissage de la débrouillardise.
Peut-être avais-je sauté le repas de midi ; cette mère électrique qui parlait peu, mais gueulait fort, veillait scrupuleusement à la survie de ses rejetons, les gavant de nourriture « fortifiante » , les persécutant de lavements intestinaux si elle soupçonnait un fonctionnement défaillant de leurs tubes intimes. Une mère qui ne pense qu’à vous remplir selon ses désirs, selon ses peurs, selon les souffrances de sa propre enfance nécessiteuse.
J’avais pris une torgnole - pas grave, comme on le dit aujourd’hui, surtout si c’est douloureux. En prime j’avais reçu la haine, la folle haine dans les yeux de ma mère, ses cris. En morceaux je me voyais dans les yeux de ma mère. J’étais promise à la destruction. Furieuse aussi, je l’étais …
Me voilà réfugiée, au plus noir de la salle à manger, grimpée sur une chaise, secouée de sanglots, suffoquant, crachant, expulsant ma morve.
Je lève les yeux et je la vois. Qui est-ce, celle-là ? C’est un visage de fillette blonde, elle essuie son visage, le salissant. Elle a les yeux comme des flaques d’eau. Des yeux de fée ou de princesse qui coulent sur ses joues. Elle renifle et me regarde. Comme elle est intéressante ! Comme Je suis belle !
Consolée. La vie est admirable ! Je ris : ma mère est moche, mais moche. La pire des sorcières !

Sorcière bien-aimée, petite enfant des corons sans miroirs, sans robinets, sans électricité. Pour l’intimité, des chiottes au fond du jardin.

Clémence Psyché

lundi 9 novembre 2009

L’amant de JJ. Annaud

Revoir un film 17 ans après sa sortie conduit souvent à déblatérer sur les modes qui passent.
Je n’en ai pas eu l’occasion avec ce film qui conserve quelques belles scènes sensuelles où la jeunesse palpite en perdant son innocence. Les bonus du DVD sont intéressants même si le réalisateur n’apparaît pas à son mieux en monopolisant la parole face à Marguerite Duras. J’étais curieux de retrouver des ambiances tropicales qui m’avaient séduit la première fois, mais de ce côté-là j’ai trouvé le spectacle parfois affadi, artificiel, voire rouleur de mécaniques, c’était format télé. Cependant pris par le charme de Jane March, avec les mots de Duras qui vont si bien à Jeanne Moreau, j’ai apprécié les subtilités de cette histoire violente où la très jeune fille (15ans ½) ne comprend pas, sur le coup, ce qui lui arrive. Croyant vivre sa liberté qui paraît tellement incroyable en ces années 20, elle se débat dans la société coloniale qui la détermine jusque dans ses transgressions. Profond, à fleur de peau, beau et … paquebot.

dimanche 8 novembre 2009

La storia

Après quoi courent-ils les sept jeunes danseurs soulevant sous leurs pas des tourbillons de papiers humides ? Images souvent séduisantes offertes par la compagnie Woo, où les guitares électriques sonnent comme des alarmes, venant après des complaintes acoustiques. Les séquences se succèdent : deux corps nus se cherchent un moment, des soliloques accompagnent des parades animales… De l’énergie, des beaux gestes, où l’obscurité plus ou moins épaisse va bien aux stridences, des ombres déchirées. Les amorces sont prometteuses mais souvent inachevées.
Une poésie noire recherche nos origines, elle court après le temps avec des reprises d’icônes contemporaines en parodie mais sans humour.

samedi 7 novembre 2009

Déchets dans l’agglomération grenobloise.

Le plus gros budget de la Métro (avant la SEMITAG) est consacré à la collecte et au traitement des déchets ménagers. 90 personnes travaillent sur le site d’Athanor à Meylan où convergent les poubelles de 400 000 habitants : 200 000 tonnes par an.
L’incinérateur, un des plus performants de France, produit de l’électricité et permet le chauffage de 25 000 personnes.
Il brûle la moitié du contenu des poubelles vertes (35 000 t) qui n’a pu être valorisé et celui des poubelles grises (100 000 t) débarrassé des matières fermentescibles qui vont composer le compost à Murianette.
Les déchets recyclables après être passés aux cribles rotatifs, à étoiles, dégagés des éléments ferreux (1 200 t) par électro-aimants, séparés des flacons plastiques (2 500 t) subissent un tri manuel.
Ils seront pressés, conditionnés avant d’être achetés par des repreneurs,
ainsi 10 000 t de papiers cartons sont récupérés en une année.
Sur 637 vérifications de camions provenant de Saint Egrève, 37 ont vu leur contenu déclassé. Dans des quartiers de communes où les performances étaient moins reluisantes, des actions d’information au tri sélectif ont été menées. Mais elles ne s’accompagnent pas de progrès notoires si de nouveaux outils ne sont pas proposés. L’installation de poubelles operculées (type poubelle à verre) a pu modifier efficacement les comportements.
Nous sommes passés dans l’Isère de 40 kg d’emballages recyclés par habitant par an en 2007 à 40,9 kg, en dessous de la moyenne nationale à 44,5 kg. L’embauche d’un nombre de personnes encore plus conséquent pour trier plus finement permettrait de progresser dans le recyclage.

vendredi 6 novembre 2009

L’Italie à la paresseuse

Ce petit livre (186 pages aérées) ne pouvait être édité que par "Le Dilettante". L’auteur Henri Calet, inscrit dans nos mémoires pour être l’auteur de la formule : « ne me secouez pas je suis plein de larmes », livre ici un rafraichissant ouvrage, désinvolte, gentiment décalé, élégamment tourné et totalement sincère. Marie Françoise, qui me l’avait fait découvrir, avait retenu un passage pour notre lecture publique, dont voici un morceau d’extrait :
« Nous débouchions en Italie. On ne pouvait s’y tromper : c’était elle. …Je me répétais, en proie à l’excitation la plus vive : « l’Italie, l’Italie ! » Les grandes effusions, tout de même que les grandes douleurs, sont muettes, ou bredouillantes. Combien je regrette de n’avoir pas eu, à cette minute, mon guide sous la main ; j’y aurais pu choisir une ou deux phrases distinguées : « Terre de la beauté et de la douceur de vivre » ou « comment se reconnaître parmi tant de beautés sur lesquelles bute à chaque pas le voyageur ébloui ?... » Au lieu de cela , il me revenait que des bribes de la chansonnette de Tino Rossi… »
La jolie formule de la quatrième de couverture me convient : « il vise « au dessous de la peinture », se refusant à la voie royale des sites et des musées à son cortège de béatitudes convenues »

jeudi 5 novembre 2009

Terrains d’Europe

Paysages du football amateur par le photographe Hans van der Meer, je les avais vu à Arles, je viens de me les approprier en livre. Je les connais ces terrains encore tracés à la sciure pour certains, qu’ils soient anglais, hongrois, portugais, à Salon de Provence, à Bonnieux… l’Europe pour de vrai.
Dimanche après midi, les Gourcuff sont un peu empâtés mais dans leurs gestes, le rêve se frotte à la réalité.
Les plans sont toujours larges: quelques publicités pour le garage local dans des sites sublimes, des immeubles, des peupliers, des cheminées d’usine, l’automne est là, les genêts sont aux couleurs du club, les mottes lourdes excusent les approximations techniques, les alignements défensifs sont parfois hasardeux. Le gardien plonge magnifiquement, le ballon est déjà au fond des filets.
Je vais prêter cet album photo à Ritou qui se tint des décennies derrière les mains courantes des stades des terres froides, seule dérogation au travail des champs et encore quand c’était le temps des foins…
A Manu qui connait ces terres battues, ces abris pour remplaçants qui jouxtent des poulaillers : il arbitre.
Vous connaissez beaucoup d’ouvrages, où le paysan, le pompier, l’instit partagent la même émotion et que c’est pas de la holla trafiquée ?

mercredi 4 novembre 2009

J7 : La baie d’Along terrestre

Nous prenons la direction de Hua Lu, ancienne capitale du Viet Nam au X° siècle. La route se transforme en autoroute en sortant d’Hanoï. A la vue des cimetières dans une province plutôt catholique, Manh, notre guide nous explique les funérailles, le lavage du corps, et l'enveloppe d’argent ou l' aide apportée par les proches, à charge de revanche : c’est une dette contractée en vue de circonstances similaires ou pour un mariage. Le défunt est enterré une première fois pour une période de quatre ans. Puis il est exhumé, un spécialiste se charge de laver les os, puis de les placer dans un plus petit cercueil en terre recouvert d’un tissu. Ensuite le mort prendra place dans ce cimetière ou un autre et méritera une pierre tombale définitive.
A Hua Lu nous quittons l’abri climatisé de la voiture où il y a toujours trois bouteilles d’eau à notre disposition. Souvent elles sont offertes dans les chambres d’hôtel car l’eau du robinet n’est pas consommable.
Nous visitons deux temples royaux dont l’un est l’objet de travaux en vue de l’anniversaire du millénaire d’Hanoï.
L’un est dédié au roi Dinh Tien Huang.
Manh tente de nous raconter l’histoire de ce roi Dinh qui avait trois fils, il légua son empire au deuxième fils au lieu du premier mais le gardien de son palais les trucida tous les deux car il avait rêvé qu’il en serait le successeur. L’état étant fragilisé, la Chine devint menaçante. Un général Vietnamien prit la situation en main, épousa la veuve, protégea le petit troisième fils de 6 ans, eut une fille et 11 garçons d’autres femmes. Histoires de palais, de meurtres, de pouvoir. La chaleur est écrasante, heureusement de la verdure, des arbres et des bassins donnent une impression de fraîcheur. L’autre temple de Lé Dai Hanh ressemble au premier. Les personnages représentés changent naturellement : il s’agit du roi Dai (l’ex général), son épouse (la veuve) et le fils ainé.
Après le repas de midi, Manh nous attend à l’extérieur avec quatre bicyclettes, munies d’un petit panier à l’avant.Ainsi nous abordons la baie d’Along terrestre dans des conditions très agréables, nous profitons pleinement des paysages où se découpent des montagnes en pain de sucre.
Avant d’embarquer, nous tirons jusqu’à la pagode Bich Dong : la pagode de jade. Nous franchissons le petit pont de pierre et découvrons trois petites constructions étagées édifiées à moitié dans des grottes où tambourinent des gouttes d’eau, où couinent des chauves-souris. Le décor servit pour le film « Indochine ». Nous accédons à la plus haute batisse où trônent trois bouddhas « du grand véhicule », celui de gauche est celui du passé, au centre celui du présent, et à droite celui de l’avenir.
A vélo nous parcourons la toute petite distance qui nous sépare de l’embarcadère. Nous montons à deux par barque, en compagnie d’une rameuse et d’une autre femme qui aide à la navigation à l’aide d’une perche. Nous glissons lentement au bruit des rames sur le canal endigué, nous détournant un moment vers les champs de lotus. Les feuilles de cette plante symbolique dans tout l’extrême Orient que nous cueillent nos accompagnatrices se transforment en chapeaux protecteurs fort efficaces. Les parfums les plus délicats et les racines dans la boue. Nous approchons des grottes de Tam Loc. Pour les traverser il faut pratiquement se coucher dans la barque pour éviter de s’assommer, le guidage s’effectue à la lampe entre les stalactites et les morceaux de roches. Passage rafraichissant sous les gouttes d’eau et un peu oppressant, mais comme nulle part ailleurs. Toutes les barques patientent à la sortie, regroupées et serrées dans un brouhaha de conversations de français et de vietnamiens dont on ne sait qui en ressort le plus bavard. Il faut reprendre le même chemin pour le retour, en file indienne, les lampes se repèrent sur la roche et sur l’eau.
Il ne faut pas longtemps à nos dames rameuses pour récupérer des sacs posés sur une murette au bord et nous proposer des nappes et napperons brodés.
Nous sommes dans la carte postale en regardant les paysans sur la digue et sur l’eau, des barques d’enfants, un oncle Ho…
Nous remontons sur la terre ferme, où nous attendent des photographies de nous prises sur terre et sur l’eau « pour le souvenir », nous finissons par les acheter à 50 000 D les cinq.
Notre chauffeur et Manh nous conduisent à l’hôtel à Ninh Binh le « Thuy Anh Hôtel » tout neuf. Nous profitons de la fin d’après midi avant la douche et la lessive et déambulons dans les environs. Tout d’abord nous sommes surpris de grand nombre de compositions florales piquées sur de plaques de polystyrène plutôt destinées à des cérémonies funèbres. Pas loin nous bifurquons dans un marché. Les gens parcourent les allées en motocyclettes sans se donner la peine de descendre pour faire leurs emplettes. L’odeur des pots d’échappement se mêle à celle des viandes et des poissons. Joli marché, et premiers étals de viande canine, aucun doute sur l’origine des cuissots découpés, la tête de son propriétaire est là pour le prouver. Au restau de l’hôtel, repas plantureux et savoureux. Et cerise sur le gâteau : une mangue préparée avant le sommeil.