lundi 18 avril 2016

Titli, une chronique indienne. Kanu Behl.

Jamais vu l’Inde comme ça, avec ce film en milieu urbain, social, policier, documentaire, sentimental un tout petit peu : un sacré voyage.
Les acteurs sont bons, l’écriture des images originale sans excès, le scénario réserve sans cesse des surprises, rythmé et subtil, tendu.
Corruption de la police, mariages arrangés, distance entre riches et pauvres : du noir.
Quelques bâtons d’encens se consument devant les vieux autels mais la misère rend dément.
Au-delà, d’une famille bancroche de petits malfrats (y en a-t-il de grands ?)  tout le monde ment. Heureusement, la force des femmes - une fois encore - apporte une touche d’optimisme après plus deux heures d’une violence qui prend diverses formes, tempérée par un certain humour noir.  
Ah oui ! Titli veut dire papillon.
De quoi réviser les icônes non violentes loin des bolées sucrées de Bollywood.

lundi 11 avril 2016

Volta a terra. João Pedro Placido.

La montagne portugaise où passent les saisons a de bien belles lumières. Mais ceux qui y travaillent ont le corps qui plie sous la pluie et les jeunes qui restent au village peuvent craindre des solitudes à venir. On tue le cochon, plante les pommes de terre, épand le fumier, rejoue la moisson à la faucille, tond le mouton, ou mène les vaches aux cornes majestueuses au taureau ou aux champs. Là, le jeune berger sur son portable apprend que la belle entrevue à la fête du village ne viendra pas vivre auprès de lui. C’était fatal. Portrait habituel d’une condition paysanne qui relie les paysans du monde à nos Causses vus par Depardon. Ici la poésie des temps immémoriaux se teinte d’un trouble à la vue de brutalités à l’égard des animaux, de négligences concernant le matériel, de maladresses dans les relations humaines. Le garçon émouvant qui doit prendre la relève de ses parents harassés semble quelque peu hébété.
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Je reprends les publications sur mon blog lundi prochain, le 18 avril.

dimanche 10 avril 2016

Stephan Eicher. Und die automaten.

« J'abandonne sur une chaise le journal du matin
Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent »
Nous l’attendions, la chanson « autruchienne » de près de 30 ans d’âge, avec d’autant plus de plaisir qu’elle est régénérée par une formation instrumentale mettant en jeu des automates, sous des lumières séduisantes.
Le sentiment que l’Aramis de la chanson nous la jouerait  « Vingt ans après» ne tient qu’à quelques poils de moustache, le quinqua avance toujours tranquillement :
« Il faut toujours que j’invente sinon on va se rendre compte que je suis un imposteur et que je ne sais pas chanter… »
Le mot « horloger », suisse, évidemment, revient dans bien des commentaires pour caractériser ce moment poétique où les machines aux accents nostalgiques et énergiques, loin d’être inhumaines, nous interrogent sur nos habitudes numériques.
Avec un humour bien à lui, le Bernois qui paye ses impôts en France, joue les chefs d’orchestre et avec ses pieds, allume batteries et accordéon, orgue et vibraphone … il vient d’apprendre le piano, après avoir renoncé au mandarin, joue de plusieurs guitares. Le public est charmé
Depuis http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/03/lenvolee-stephan-eicher.html il cherche et trouve, nous le retrouvons et découvrons : un bel équilibre entre chanson populaire aux accents folkloriques surtout quand il s’exprime en Allemand, aux pulsations rock sur des textes efficaces de ses complices de longtemps Djian et Suter.
« Ne te lasse pas de moi
j'ai encore
beaucoup a découvrir
mais danse autour de moi
j'abandonne
si tu danses autour de moi - oh no no no »
Face à lui, seul en scène, entouré de mécaniques, nous sommes proches de ses hésitations, de son humilité, de son humanité enjouée par-dessus les désillusions.
La salle sympathise et le suit, si elle n’insiste pas outre mesure dans les rappels chaleureux,  c’est qu’il nous a bien régalé.

samedi 9 avril 2016

6 mois. Printemps été 2016.

En 300 pages pour 25 €, la diversité du monde en images :
Diversité des conditions :
Le dossier principal est consacré à la France : du XVI° arrondissement à Clichy-Sous-Bois, en passant par les villages aux abords de Disneyland du côté de Marne-La-Vallée, chaque fois entre soi.
Avec les malheureux qui fouillent aux abords des sites en Birmanie où le jade est exploité ou du côté des geeks désargentés en colocations surpeuplées dans l’espoir du pactole de la Silicon Valley.
Diversité des lieux :
Jusqu’aux confins de la frontière entre Russie et Chine.
Diversité des situations : L’histoire de Tiny se prostituant à 13 ans sur un parking de Seattle qui a eu 10 enfants, et l’album de famille d’un reporter à la maison : soirées-pyjama et chasse aux œufs.
Diversité des regards : celui de Braz chef du service photos de l’AFP, qui en a tant vu qu’il veut sortir des guerres considérées comme des drogues. Celui de Lartigue Jacques Henri que je considérais comme un mondain apprêté dans ses noirs et blancs, alors que ses photos couleurs de sa troisième femme Florette ont vraiment du charme.
Diversité des temporalités : La biographie en photos de Bachar-Al-Assad et le retour sur la chute de l’empire soviétique redonnent une profondeur à l’actualité illustrée ainsi que dans une Erythrée méconnue, ou au Japon toujours surprenant lors de fêtes de divorce, en Haïti dans des villages reconstruits mais quasiment vides, en accompagnant la nuit, des réfugiés entre Serbie et Croatie. Les visages nouveaux des Podemos au parlement espagnol.
Diversité des intimités : des pères et leur fils, torses nus.

vendredi 8 avril 2016

Bisounours.

Avec une jeune amie libanaise qui nous en remontre quant à son amour de la France, nous regoûtons la saveur de certains mots si vite dits.
Ainsi « Bisounours » aux couleurs pastels de l’enfance, que j’employais à son égard venait d’être prononcé par une représentante de l’extrême droite française lors d’un voyage calamiteux au Canada. Ça m’apprendra à regarder de haut le pays des naïfs que j’ai arpenté quelque temps quand nous faisions prendre l’air à nos calicots coquelicots.
A tourner autour des mots, je viens de réviser également l’expression «  Fichtre »  qui a pu sembler obscure à des adolescents confrontés à la chanson « La guerre de 14-18 » de Brassens. C’est que l’interjection relativise tous les battements de génitoires contemporains, en s’acoquinant avec « j’en ai rien à foutre ».
Délice de la vie des mots, de leur usure, de leur mutation et permanence de la mise en valeur des mêmes zones corporelles.
« Nom de Gu » bipait le nom de Dieu, à présent, celui-ci ne se sent même plus convoqué dans tous les «  grâce à Dieu » et les ponctuations «  putain » ou « con » sont en passe de perdre de leur vigueur originelle, à force d’usage.
Quand déboule dans l’obscurité, la poétique expression «  Nuit debout », « les journaleux », se prosternent devant ces nouvelles formes sans cesse nouvelles de faire de la politique,  ayant  épuisé la fraîcheur de tout magasin « moderne » vendant des «  nouveautés » ; voir le sort du mot « changement ».
L’ « horizontalité » cultivée dans ces rassemblements, réinventée, en petits comités formateurs, fonctionne volontiers dans  l’entre-soi. Même en prenant de l’ampleur ces assemblées risquent d’être aussi étriquées que d’autres où ne pointent même plus les membres de cette classe politique, acteurs en principe d’une démocratie représentative se comportant comme une caste.  Ceux-ci donnent chaque jour des arguments à ceux qui veulent mettre à bas les institutions héritées de notre société  pas si mauvaise fille pourtant si on envisage son histoire et la géographie. Ainsi la piteuse révision constitutionnelle qui fut selon un mot de Macé-Scaron dans Marianne, un « couac 40 ».
Je ne sais pas grand-chose de la « Loi travail » qui serait vidée de sa substance, contestée par les visibles de la RATP ou de la SNCF aux emplois stables et une partie de la jeunesse qui a un rapport au travail aux antipodes de nos zèles retraités. « Burn out » des inclus, Uber, et quelques « out ».
J’engraisse mes désillusions à la lecture des papers de Panama qui fuient : « encore ! ».
Mais, j’ai de quoi  franchement m’indigner localement en voyant s’étaler contre des grilles derrière lesquelles bave une paire de chiens hargneux, des banderoles contre la construction d’immeubles  nouveaux dans notre banlieue proprette: « non à la bétonisation dans nos petits quartiers ». Petits.
Version opposition du XVI° arrondissement contre un centre d’accueil de SDF,  alors je me sens de gauche, c’est pas tous les jours : merci ! J’ai arraché quelques uns de leurs autocollants envahissants. Il parait que les propriétaires de villas ont manifesté en chantant « La Carmagnole » : ils ont dû changer les paroles.
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Dessin paru dans Neues Deutchland et repris dans Courrier International.

jeudi 7 avril 2016

Zurbaran et le ténébrisme européen. Jean Serroy

Le troisième volet du cycle consacré aux « maîtres de l’ombre et de la lumière » devant les amis du musée de Grenoble nous conduit en Espagne et aux Pays Bas, si proches en ce XVII° siècle, siècle d’or.
A l’époque de la contre réforme, les commandes affluent de la part des ordres monastiques : Zurbarán le peintre de la solitude et du mysticisme connait une carrière prestigieuse. 
Basé à Séville, il fait parfois le voyage à Madrid où il retrouve son ami Vélasquez.
Si son style évolue sous l’influence du maniérisme, il n’abandonne pas le ténébrisme, bien qu’il n’ait pas entrepris de voyage en Italie.
Ses « natures mortes » dont la dénomination dans d’autres pays : « vie silencieuse», lui conviendrait parfaitement, sont rares mais puissantes.
« Plat avec citrons, panier avec oranges et tasse avec rose » est minimaliste, la nature stylisée.
Comme dans  ses « Tasses et vases», les objets sont sélectionnés en fonction de leur volume. Le soin apporté aux ustensiles du quotidien se retrouve dans d’autres œuvres, bien au delà des natures mortes espagnoles, dites « bodegón », de bodega : lieu de rangement alimentaire.
Posé également sur une planche, « L’agneau de Dieu » est à la fois réaliste dans le traitement minutieux de sa toison et résigné comme animal sacrifié.
Peint pour les dominicains, « Le Christ en croix », habillé de blanc lumineux aux plis baroques, sur fond noir, va à l’essentiel ; sa souffrance est contenue.
« Saint Luc en peintre devant la Crucifixion » est considéré comme l’auto portrait du « pintor de imagineria », là encore le bois de la croix est mal équarri et les pieds, cette fois croisés, sont cloués séparément.
Le jeune Jésus dans « La maison de Nazareth » vient de se piquer au doigt en confectionnant une couronne d’épines, sa mère jette un regard évocateur.
Dans l’ « Apparition de saint Pierre à saint Pierre de Nolasque », la lumière coule à flots pour accompagner les paroles du premier pape :
« Je viens à toi puisque tu ne peux venir à moi. »
« Saint Sérapion » qui devait racheter les esclaves chrétiens pris par les Sarrazins, avait subi un martyr affreux : démembré, crucifié, éviscéré, décapité. Il apparait consentant, déjà bienheureux.
Toute une série de « Saint François » en méditation ou en extase, à la sortie de sa crypte funéraire, le visage souvent caché, environné de ténèbres, jusque dans ses plis, caractérise le style du peintre acétique. La composition en triangles dans la version du musée de Lyon, accentue la grandeur de l’immortel.
Si Ribalta, le catalan, a lui aussi peint « Saint François réconforté par un ange », je retiens plutôt  « Le Christ embrassant saint Bernard de Clairvaux ». Le maître de Ribera avait copié Le Caravage.
José de Ribera  qui vécut à Naples, un des foyers du ténébrisme, reçut là bas le sobriquet de « Lo Spagnoletto », son « Prométhée »  puni pour avoir défié les Dieux servira ici de contrepoint.
Le Flamand Honthorst, surnommé  « Gherardo delle notti », fondateur de l’École caravagesque d'Utrecht, fait surgir la lumière du corps même du christ. « L’adoration des bergers » est adorable de douceur, d’humanité.
La « Vieille femme examinant une pièce de monnaie à la lumière d’une lanterne », tellement expressive, cherchant à discerner le vrai du faux, se repère parmi des scènes de « Joyeuse compagnie », « Concert », avec « Entremetteuse », « Joyeux violoniste au verre de vin » et autres « Tricheurs »…
Chez Pieter Claesz, l’approche des rayons qui se difractent dans un verre ajoute la virtuosité à la leçon de morale  dans « Nature morte à la bougie se consumant »
Le « Reniement de saint Pierre » a été souvent traité, il fut un sujet de prédilection pour Gérard Seghers.
« La servante:
- Toi aussi, n'es-tu pas des disciples de cet homme?
Il dit:
- Je n'en suis point. »
Rembrandt, c’est son prénom, remplit ses toiles aux tonalités dorées, dans « Aristote contemplant le buste d’Homère », le philosophe en habits renaissance retrouve le poète.
« Cette lumière devenue or est aussi celle du soleil couchant. Avec Homère, le soleil se levait sur la Grèce, il se couche avec Aristote, le dernier témoin de la gloire d'Athènes, l'auteur de la synthèse ultime et, par là, le précepteur de la postérité occidentale » Jacques Dufresne
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La photographie sous le  titre provient du site « flickriver »

mercredi 6 avril 2016

In extremis. Francis Cabrel.

Comme je me mets à douter de mes fondamentaux, je n’ai pas acheté le dernier Souchon avec Voulzy, je suis allé vers Cabrel qui s’était fait attendre, comme on retrouverait un vieux pull, pour emprunter une image usée. Malgré les moqueries répétées de ceux qui parlent pointus, je persiste à aimer Francisse, nourri au folk qui chante encore en français
A écouter plusieurs fois le titre « Azincourt »
« Et leurs chevaux trop lourds
Dans la boue jusqu’aux flancs »
qui m’avait semblé anodin d’emblée, je le trouve bien troussé maintenant, alors qu’« A chaque amour que nous ferons » vire au languide.
Cette livraison est tournée vers la chanson avec «  La voix du crooneur »  en blues grise,  
« Aux fontaines du jazz » et dans « In extremis » :
« Chanter dans une langue éteinte »,
 qui va au delà d’une lamentation quand s’efface la langue occitane.
Est introduit un joli rappel de « se canto, se canto » à bouche fermée, émouvant.
Après un hommage à Jésus : « Dans chaque cœur », il revient sur «  Mandela pendant ce temps » :
« J’étais un presqu’adolescent
Tracassé par le rock naissant »
il monte sur la scène.
Alors que dans ses chansons politiques : « les bandits règnent » dans « Le pays d’à côté »
il campe au pied de la tribune « Dur comme fer »
« Je ne pense qu’à vous
 Je ne pense qu’à vous plumer »
ou dans la plus allusive  « Pas si bêtes » :
dans « ses habits rapiécés », il regarde « celui qui tient les manettes ».
 « Partis pour rester », l’expression méritait quelques couplets :
« Et même sous les pas d’une reine
La grande aiguille se déplace »
Autour du temps qui passe, les manèges et leurs fusées de carton mélancoliques, nous emmènent loin dans  «  Les tours gratuits », bien tournés.