dimanche 5 décembre 2010

Leçon de jazz #1 : Oscar Peterson.

Pour montrer la virtuosité d’Oscar Peterson, Antoine Hervé exprime tous ses talents dans un concert commenté à la MC2. En fond de scène est projetée l'image du clavier filmé de dessus; alors comme un magicien qui explique ses tours, il nous paraît encore plus magique. Il m’arrive de regretter de ne pas jouer d’un instrument et bien des termes musicaux me sont étrangers, mais avec ce pédagogue enthousiaste, j’ai eu l’impression d’avancer un peu dans la compréhension de la musique, tout en restant impressionné par le travail. Le canadien Peterson, élevé dans une exigence extrême, deviendra une figure majeure de l’histoire du jazz désormais paré de la majesté du classique. L’improvisation, une des caractéristiques de cette musique destinée au départ à la danse, n’était pas une pratique étrangère à des musiques plus savantes, et les re créations autour des airs populaires ont valu de tous temps, de même que la transcription d’un orchestre entier pour un seul clavier. Mais il faut aller très vite, avoir de grandes mains et du génie. Les mélodies architecturées comme des montagnes ont des airs de récits de griots. Le colosse avait des épaules mesurant quatre octaves, il est mort en 2007 à 82 ans. Ce siècle achevé, lorsqu’il lui arrivait de swinguer, n’avait pas oublié la richesse, les ruptures, les surprises, l’amplitude de cet interprète exceptionnel.

samedi 4 décembre 2010

Le président des riches.

La lutte des classes est de retour, mais celle qui se claquemure dans des ghettos et pratique une solidarité efficace n’est pas l’ouvrière mais celle des patrons, des nantis. Nous avons été bien enfumés, dire « patron » faisait ringard, « entrepreneur »convenait mieux. Les entrepreneurs, il n’y en a plus guère, le capitalisme est devenu essentiellement financier, alors merci Liliane (Bettancourt) de nous avoir dessillés, bien que dès l’épisode du Fouquet’s un nouveau degré dans le cynisme se révélait : dons et contre dons s’annonçaient. Le livre des Pinçon Charlot nous rappelle ces évidences et replace dans la durée toutes les dispositions qui nous accablent jour après jour et en montre la cohérence funeste. Quelques titres pour une chronique politique où le terme oligarchie n’est plus réservé à quelque gouvernement exotique ainsi que népotisme : « Transparence des principes et opacité des pratiques », « les paradis fiscaux c’est ter-mi-né ! », « banques renflouées, peuple floué » …
« Bouclier, niches et paradis fiscaux, parachutes dorés et retraites chapeaux : guerrière et enfantine, cette énumération évoque les champs de bataille, les jeux d’enfants, Adam et Ève avant leur expulsion. L’hermétisme des anglicismes et plus encore des sigles cabalistiques, LBO, CDS, CDO, font des marchés financiers des sectes ésotériques. Ces langages codés contribuent à exclure la majorité des Français de la planète finance, qui est pourtant aussi la leur. Ces marchés dits libres, où l’on vend du vent au vent, invisibles et mystérieux, manipulent les milliards comme Dieu l’univers ».
Leur travail de toute une carrière de sociologues fut d’étudier les classes dominantes et leurs connaissances sont de première main : « La position de l’oligarchie est d’autant plus assurée qu’elle n’a pas besoin, au contraire de la classe ouvrière, de faire la théorie de sa position pour se défendre en tant que classe. Ses membres peuvent vivre et agir quasi instinctivement dans la mesure où leur représentation du monde est adaptée à leur position : le libéralisme et son adoration pour la concurrence et la lutte de tous contre tous est une idéologie plus pratique que théorique. En se comportant comme ses dispositions intériorisées le portent à le faire, grâce à une éducation conforme, l’oligarque agira « spontanément » en fonction de ses intérêts de classe. Nicolas Sarkozy revendique le pragmatisme. Le monde étant un monde où la classe dominante domine, il ne reste aux dominants qu’à être ce qu’ils sont pour que ça dure, dans le secret et la discrétion. »
Le « que faire ? » qui vient conclure ces 220 pages est moins convaincant, en regard de la diversité de la foule qui avait rempli la salle de la librairie du Square recevant le couple de retraités du CNRS. D’accord sur le diagnostic mais entre Cantona et DSK, « que faire ? », l’interrogation est reprise de Lénine.

vendredi 3 décembre 2010

La gauche en Europe est-elle une planète menacée ?

La brochette à la tribune d’un des forums de Libé était belle : un grec, une belge, un allemand, une française. Parmi eux une majorité d’élus européens qui n’échappent pas à un optimisme qui les tient debout, mais parait parfois surjoué.
Bien des réflexions sont pertinentes : « …mise en place d’une taxe sur les transactions financières et lutte contre les paradis fiscaux… les services publics sont la clé d’une croissance équitable plutôt que la cause de la dette de l’Europe… » Stravos Lambrinis.
Mais le responsable de la fondation Friedrich-Ebert, Ernst Hillebrand n’est pas un élu, il est le plus stimulant: « double déception de l’électorat de la gauche à l’égard de ces partis : une déception socio économique et une déception socioculturelle ». En pointant que « l’opinion publiée est différente de l’opinion publique », rejoint-il les impatiences de Véronique De Keyser qui se lasse des débats interminables et regrette la lenteur des mises en action ?
En tous cas, parmi les domaines à repenser pour inverser la dynamique des défaites qui ont vu la social démocratie suédoise rendue à son étiage de 1914, il met au premier rang « des formes de démocraties plus participatives pour répondre aux demandes d’une population toujours plus éduquée, informée et interconnectée. » La social démocratie est victime de ses succès (en 2003 : 13 état sur 15) et les victoires de la troisième voie n’ont pas été interrogées, « ils avaient raison puisqu’ils avaient gagné »: funeste paresse quand les modèles ne sont plus évidents.
L’homme n’est pas qu’un animal économique comme le soulignera Catherine Trautmann et l’Europe sociale est un processus à ne pas lâcher dans un contexte où les replis identitaires s’enkystent où les inégalités montent. La jeune génération décroche du travail politique et les réponses paraissent décalées face aux incertitudes. Les projets sont en crise et pourtant il faudra passer de la correction au sein de la sphère économique à une répartition repensée, de même que les mécanismes de la solidarité devront être revus avec un état plus actif.
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Le dessin du Canard

jeudi 2 décembre 2010

Art et pouvoir

Sujet bateau, mais bon prétexte pour une déambulation dans le musée de Grenoble sous la conduite de Céline Carrier, charmante guide.
Nous débutons, avec Louis XIV et les dignitaires de l’ordre au cordon bleu par Philippe de Champaigne sous les ailes lumineuses de la colombe du Saint Esprit. Ceux-ci semblent se désintéresser de l’intronisation du duc d'Anjou, c’est qu’il valait mieux faire apparaitre de profil l’un d’eux qui était borgne. Mais leurs regards, tournés en diverses directions, surveillent. L’évènement de 1654 fut peint en 1665.
Van der Meulen, « peintre ordinaire de l’histoire » du même roi : « Sire vous faites le tableau, je le peins », représente 2000 personnes de la vie parisienne autour du pont Neuf. Le service d’ordre est important, quand le roi se rend au parlement pour un lit de justice. Un rayon de lumière vient souligner sa majesté sous le regard du premier statufié de l’histoire de France, Henri IV. Sa présence au centre du colossal tableau le situe à la rencontre du domaine céleste et du terrestre. Louis, « l’état c’est moi », est dans la filiation.
Le titre d’un tableau de Jouvenet, témoin d’un plafond détruit, « Le Triomphe de la Justice » s’intitula d’abord « Le Triomphe de la Religion ». Les symboles des vertus foisonnent : la sagesse qui est placée du bon côté du miroir, la renommée, la paix, la prudence, l’éloquence, l’abondance et la force. Sous la lumière de la vérité, ils triomphent contre les vices : ignorance, meurtre, impudicité, avarice, discorde, dissimulation. Les principes de Cesare Ripa dans Iconologia, encyclopédie des allégories et de leurs attributs, ont été respectés.
Louis Philippe acheta le tableau de Scheffer, « l’arrestation de Charlotte Corday » car celle qui assassina Marat était à la mode en 1830. Son forfait perpétré, elle semble indifférente à ceux qui l’empoignent.
Nous passons de cet assassinat fameux, aux cauchemars de la crise consécutive à la boucherie de 1914 avec une scène de la vie berlinoise de Grosz. Ce pilier de La Nouvelle Objectivité représente des fantômes errants dans un marché. L’holocauste à venir s’annonçait avec la dénonciation de ces artistes « dégénérés » mis à l’index par ceux qui firent la loi, un temps.
Dans sa familiarité le portrait de Jackie Kennedy par Warhol peut paraître apaisant, mais cette image participant à la médiatisation du pouvoir n’est qu’une « vanité » de plus comme ces crânes dans les natures mortes.

mercredi 1 décembre 2010

Edward Hopper

Hopper, le plus américain des peintres, était exposé à l’Hermitage sur les hauteurs de Lausanne. C’est toujours instructif de découvrir des travaux inconnus d’un artiste qui annoncent les œuvres emblématiques, ainsi des gravures aux cadrages originaux, aux contrastes vigoureux. Des croquis préparatoires nous font mieux approcher son travail. Le peintre des solitudes a gardé son quant à soi au moment où Picasso et d’autres secouaient la figuration. Après sa venue à Paris il éclaircira sa palette à la lumière des impressionnistes. Dès 1914, les personnages de son « Soir bleu » nous regardent en face. Il y a bien une section consacrée à l’érotisme mais je trouve ses nudités peu sensuelles sous le soleil. Le silence habite ses toiles qui réconcilient les amateurs de réalisme, les rêveurs surréalistes et les cérébraux qui goûtent l’abstraction. "Si vous pouviez le dire avec des mots, il n'y aurait aucune raison de le peindre" a-t-il laissé échapper. Son seul projet était de « peindre un rayon de soleil sur le pan de mur d'une maison". Ses paysages sont des décors où nous pouvons « faire notre cinéma », leur simplicité permet notre subjectivité. Les extérieurs sont balisés de phares, de pompes à essence ; l’architecture est maîtresse en campagne, et en ville nous plongeons dans les intérieurs. Le mystère des mortels habite ses grandes toiles et alors la mélancolie nous fige.

mardi 30 novembre 2010

La vie d'Augustine#4

La guerre 14-18 était terminée : on arrivait à mieux se nourrir. Mais il a fallu attendre deux ans avant d’avoir un approvisionnement plus varié.
L’été on allait glaner le blé pour nourrir les lapins. Mon père acheta un demi cochon qui fut mis au saloir.
On allait aussi aider les fermiers au moment du ramassage des pommes de terre. On n’était pas les seuls car c’était pendant les vacances. Mais il nous arrivait aussi de manquer l’école pour profiter d’une récole de patates. Les fermiers nous donnaient les plus petites. Ma mère en faisait cuire à l’eau et on les accompagnait avec du hareng saur. C’était un bon repas.
Mon père faisait de gros pâtés quand il y avait le cochon. Il préparait le saindoux avec sel et poivre. On étalait le saindoux sur de grandes tartines tirées de pains de quatre livres. Au retour de l’école, c’était bien bon.
Il nous arrivait aussi d’aller sur les terrils où les mineurs déversaient les déchets et la terre remontés du fond. En triant, nous trouvions des morceaux de charbon. On avait des sacs exprès pour porter ce charbon. Souvent des gens étaient blessés et même tués par le contenu des bennes qui déversaient leur chargement en haut du terril. On s’arrangeait pour travailler de l’autre côté de la benne mais ce n’était pas facile.
Un jour, je suis rentrée avec une blessure au pouce à la main droite. Sans désinfection, cela a tourné au panaris. Ce que j’ai pu souffrir ! On essayait un tas de remèdes, en vain. Une voisine, Félicie et son amie Adèle ont dit à ma mère, en cachette de mon père, qu’il fallait me faire un pansement avec de la bouse de vache !
Finalement mon père m’a envoyé au dispensaire avec ma soeur Marie-Louise. On m’a ouvert le pouce, quel soulagement ! Je ne dormais plus depuis plusieurs nuits.

lundi 29 novembre 2010

Potiche.

Quand un film est trop vanté, je crains la déception.
Par exemple : la danse de Depardieu avec Deneuve, la scène risque d’être éventée.
He bien pas du tout !
Je fais partie de la cohorte qui se dit « pas fan de Deneuve et qui l’a adorée dans ce film » (dans Indochine itou). L’évocation des années 70 permet les caricatures gentilles et une efficacité dans le scénario avec des rapports de classe bien démarqués, des rôles dans les couples bien marqués et des surprises possibles.
C’était du temps des comédies de boulevards, des chansons sentimentales auxquelles on croyait.
Le succès du film d’Ozon n’est pas seulement celui d’un casting en platine : les monstres sont à la hauteur. C’est une comédie vraiment réussie. Je me suis revu comme au temps de Ségolène, quand elle fut tellement moquée avec sa Fraternité, de cette foule sentimentale, comme celle qui est emmenée par Deneuve sur « c’est beau la vie » de Ferrat. Je m’étais trompé d’époque, avec d’autres. La salle s’est rallumée, et nous sommes plongés dans le noir.