jeudi 24 décembre 2015

Georgia O’Keeffe. Sophie Bernard.

Sur les inesthétiques nouveaux panneaux d’affichage municipaux qui  arrivent à enlaidir tout ce qui s’y colle, l’affiche, aux tons pastels annonçant l’exposition au musée de Grenoble jusqu’à début février 2016, ne me disait pas grand-chose. De surcroit, je ne savais rien de l’artiste aussi célèbre aux Etats-Unis que Hopper ou Warhol ; il n’y a pas que les texans qui ont des trous dans leur culture.
Merci à la conférencière, par ailleurs conservatrice au musée de Grenoble, de nous faire découvrir cette dame disparue en 1986, presque centenaire, qui ne fut pas que peintre de fleurs monumentales.
Elle n’a traversé que sur le tard l’Atlantique, imperméable pendant longtemps à l’art européen, bien que professeur. Comme beaucoup de femmes artistes de cette époque, la féministe a vécu un moment à l’ombre de son mari Alfred Stieglitz, photographe et galeriste.
De la même façon que Frida Khalo, qu’elle rencontra au Mexique, l’américaine est marquée par les lieux où elle a vécu de New York au Nouveau Mexique.
« C’est primordial de sentir l’Amérique, de vivre l’Amérique, d’aimer l’Amérique, avant de se mettre au travail » 
Sa vision cristalline, synthétique, à mi-chemin entre l’abstraction et la représentation, lui offre une place singulière, en marge des avant-gardes.
Ses premiers dessins oniriques, au fusain, les « Specials » frappent Stieglitz :
« Enfin une femme qui se donne »
Elle deviendra sa muse et sa femme, il produira plus de 350 portraits d’elle.
 « La prêtresse de la couleur » comme dit Kristeva suggère une sexualité, une spiritualité qui font penser au style de Kandinsky « pour qui les couleurs, les formes et les lignes sont des équivalents plastiques des vibrations de l’âme » aussi bien qu’à la calligraphie japonaise.
Les pistils érectiles de « Grey Blue & Black-Pink Circle » sont suggestifs.
« Le sujet est en toi, la nature ne donne que des suggestions. »
« Black Abstraction » où s’inscrit un objectif photographique, marque les influences du huitième art ( la photographie) ayant désormais passé l’étape des « pictorialistes » qui imitaient la peinture classique. Cadrages, dégradés, agrandissements, forment un langage commun jusqu’à la finesse de la couche picturale.
A la campagne près de Lake George, ses paysages atmosphériques flamboient.
Ainsi  « Rouge, jaune et bande noire » qui est reproduite en affiche : dans les volutes de l’art nouveau et de la danse, le romantisme, la tendresse féminine évoquent des symboliques sentimentales.
Une « fenêtre »  dans son minimalisme, sa vision orthogonale annonce l’installation à New York, la ville fondamentale.
Dans Manhattan qui s’édifie, elle  vit au 38° étage du Shelton hôtel, «  au milieu de l’océan ».
Et nous offre cette contre-plongée dans « New York Street with Moon »
Orchidées, iris noirs, arums, pétunias, magnolias… :  quand la «Lady of the Lily » peint « Calla d’Afrique dans un grand verre » un portrait de fleurs à connotation érotique, loin d'être une nature morte,  c'est une « abstraction biomorphique ». 
Ses « iris blancs » dans la finesse de leurs camaïeux sont une métaphore de la chair, « de ses membranes, de ses muqueuses ».
Bien que ne constituant que 8% de sa production, ces fleurs se prêtant assez facilement aux interprétations freudiennes sont les plus emblématiques de son œuvre, qui mérite d’être connue pourtant pour sa variété.
Dans le désert du Nouveau Mexique, elle rompt avec la ville verticale, pour les horizons infinis où le ciel prend toute la place. Son contact avec les populations premières s’accorde avec ses fréquentations intellectuelles.
« The Lawrence Tree » est réalisé pour l’auteur de « L’amant de Lady Chaterley » et révèle une appréhension panthéiste de la nature.
Sa puissante « Croix noire »  vient parmi des paysages aux plans télescopés, aux falaises voluptueuses rouges, dans des visions frontales.
Elle transforme des ossements en œuvres d’art et enserre le ciel dans leurs architectures. Elle enfante des formes nouvelles, elle qui n’a pas eu d’enfants. Elle collectionne aussi les pierres, mais retrouve ses nuages depuis les avions qu’elle emprunte et nous redonne des vues d’en haut d’une rivière qui serpente dans le désert : «  C’était jaune et rose ».
Ce « ciel au dessus des nuages » peut faire penser à Rothko en plus vaporeux, et en annonce les champs colorés.
Un autre « ciel au-dessus des nuages »  très couru, de 7 mètres de long se trouve à The Art Institute of Chicago.
Dans le catalogue de l’expo du musée, Julia Kristeva écrit :
« Femme, amante, modèle, artiste – Georgia O’Keeffe condense tous les rôles que les femmes ont tenus dans l’histoire de l’art et dans l’art moderne, et qui les ont souvent rejetées dans des marginalités douloureuses. »


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