mercredi 10 octobre 2018

Retour à Nancy.

Nous reprenons nos marques autour de la place Stanislas et les parcs alentours dans la ville dont nous n’avions pas épuisé tous les charmes l’an dernier.
C’est l’époque des mirabelles qui viennent jusque dans nos assiettes accompagner agréablement des filets de pintade dégustées au restaurant «  Les tartes et les plats de Stanislas » , adresse du" Routard" dont les indications à des prix raisonnables deviennent de plus en plus rares :
Le lendemain, nous trouvons près de la belle piscine construite en 1913, le musée de l’école de Nancy bien ouvert, cette fois.
La propriété de style "art nouveau", comme il se doit, appartenait  au mécène Eugène Corbin dont nous profitons des collections.
La profusion des meubles les fait apparaître parfois trop chargés alors que la virtuosité, l’inventivité sont manifestes pour chaque pièce.

Sur deux étages les lampes, les lustres aux inspirations florales nous enchantent.
Les volutes enlacent vitraux, vases, étagères, meubles à ouvrage, chaises et fauteuils, pianos, lits et tout un pan de mur en céramique.
Le style chinois transparaît.
Les marqueteries sont  magnifiques et le travail du bronze admirable. 
Depuis les plafonds jusqu’aux bijoux, les cuirs, les textiles, épousent les courbes caractéristiques des disciples de Gallé.
Dans le parc qui semble avoir souffert de la chaleur s'élève un édifice qui avait abrité un aquarium.
Plus loin a été transporté un tombeau en hommage à la femme d’un critique d’art .
Cette présence nous suggère d’aller faire un tour au cimetière pour voir d’autres exemples d’architecture funéraire, mais nous ne prendrons pas le temps, bien que ce type de visite puisse nous renseigner sur les particularités d’un pays.
Retour à  la brasserie l’Excelsior : huîtres, suprême de volailles, « parfait » et à la confiserie voisine pour les bergamotes, bonbons parfumés aux huiles essentielles des bergamotiers de Calabre.
La villa de Majorelle étant toujours en réfection comme le Musée Lorrain, nous ne pouvons visiter que l’église des Cordeliers qui présente les tombeaux des Ducs de Lorraine.
Sous une coupole magnifique aux caissons décorés de bustes d’anges, nous trouvons des correspondances avec le tombeau des Médicis, en plus sobre.
Des scènes sculptées sont attendrissantes, tel le retour d’un croisé.
C’est là que fut célébré le mariage d’Otto de Habsbourg-Lorraine et Régina de Saxe-Meiningen en 1951. Non que « Point de vue, image du monde » ait supplanté « Marianne » dans ma corbeille à magazines, mais pour souligner la proximité de l’Allemagne.
Les bateaux de nos compatriotes européens viennent s’amarrer dans le charmant port de plaisance Sainte Catherine situé à deux pas du centre-ville où s’érigent des immeubles neufs.
La promenade sur les quais dans ce quartier en rénovation, très agréable, nous mène jusqu’à un hôpital construit au dessus du canal de la Meurthe.
Après une visite de la Cathédrale Notre Dame de la Conception où débute un office avec encensoir et aubes blanches, nous faisons un dernier tour au parc Charles III,  vers l’ancienne université populaire, la graineterie, avant une salade au Vaudémont.

mardi 9 octobre 2018

L’Odyssée d’Hakim. Fabien Toulmé.

Avec la même fraîcheur de trait que Delisle dans ses récits en des pays revêches, ce premier tome de 268 pages, retraçant l’itinéraire d’un jeune syrien s’éloignant de son pays devenu invivable, est passionnant.
Le dessinateur se met en scène, pour rendre encore plus proche cette histoire vraie.
Quelque humour au milieu de l'inacceptable permet de regarder en face les horreurs d’une guerre civile et ses causes.   
« ll n'y a pas beaucoup d'avantages à être un réfugié, mais s'il y en a bien un, c'est qu'on n'a pas grand chose à déménager ».
Passant par le Liban, la Jordanie, la Turquie, le jeune homme qui travaillait dans une pépinière, fait preuve d’un esprit d’entreprise, d’une vitalité qui forcent le respect.
Les rappels pédagogiques concernant l’emprise des Alaouites à travers une histoire de gosses est d’une grande efficacité. La montée de la terreur atténuée par une grande solidarité familiale est palpable. La peur qui surgit est toujours une surprise. Il a tout perdu, mais se relève, sans poser au héros ni gémir sur sa condition.
La vie continue: Hakim rencontre sa future femme, qui revendra son bracelet de mariage en attendant la grande fête qu’ils feront au retour. Le cousin faignasson est bien lourd, mais sa situation familière nous repose des scènes pas moins horribles que l’absurdité de vies appliquées à la destruction de l’humanité. 
Un autre album contant la suite du périple est attendu, puisque c’est à Aix en Provence où Hakim s’est réfugié que le dessinateur vient à la rencontre d'Hakim.

lundi 8 octobre 2018

Cris the Swiss. Anja Kofmel.

Un journaliste est mort en Croatie en 72. Sa cousine cherche à retrouver les circonstances de cette disparition sans que la déploration ne submerge la recherche d’une vérité difficile.
A travers ce destin individuel, reviennent à la surface bien des aspects d’un conflit où l’institution européenne s’est montrée défaillante. Dans la Croatie vue par certains comme dernier parapet de la chrétienté, des journalistes sont sortis de leur rôle quand des héros à tristes figures estimaient que l’égorgement était plus sûr que l’étranglement.
Des images d’autobus mitraillés qui ressemblent tellement aux nôtres alternent avec des dessins animés, le cauchemar ne se distingue pas des noires réalités, l’intime croise l’universel. 
Au bout de cette enquête les réponses ne sont pas assurées ; les chemins qui y mènent, tortueux, piégés, nous ont instruits et remis en tête des épisodes trop vite oubliés.

dimanche 7 octobre 2018

Le siffleur. Fred Radix.

A l’Hexagone de Meylan pas de place pour le moindre sifflet désapprobateur à l’issue d’une heure et demie de poésie, d’humour, de pédagogie, de musique.
Du temps où les peintres sifflaient en haut de l’escabeau, les manifestations de joie étaient primesautières, la désinvolture harmonieuse, les douches musiciennes, l’admiration évidente, les merles étaient moqueurs et les oiseaux dans la charmille.
Accompagné d’un quatuor à cordes excellent, le conférencier vêtu bien entendu d'une queue-de-pie est un virtuose qui doit boire de temps en temps, de l’eau, car il ne saurait à la fois « siffler l’apéro et l’opéra ».
Il n’abuse pas de cet humour, usant de l’autodérision dans un spectacle parfaitement dosé, parfois baroque et pince sans rire, nous étonnant avec des airs pourtant connus, jouant habilement avec un public qu’il n’a pas besoin de solliciter par des procédés trop faciles. Il saura faire accompagner par la salle « Le Beau Danube Bleu » de Strauss sur deux notes.
Mozart est à l’honneur et Schubert, Bizet et Morricone, le cinquième Beatles,  une fauvette, et les sept nains revenant du boulot, le gendarme de Saint Tropez y allant, en passant inévitablement par « Le pont de la rivière Kwaï » ... «  Singing in the rain » magnifiquement dansé, chanté et sifflé ne nous lâche plus d’un moment.

samedi 6 octobre 2018

Le lambeau. Philippe Lançon.

Je connaissais un peu l’auteur rescapé de la tuerie qui avait décimé la rédaction de Charlie, son style m'ayant fait retarder mon désabonnement à Libération, dont je redoutais cependant les références qui me paraissaient souvent trop réservées aux happy few.
«  Les pompiers m’ont soulevé et j’ai survolé vos corps morts qu’ils enjambaient, et soudain personne ne riait. »
Cette fois, la lecture est limpide.
« Je suis Charlie. La manifestation et le slogan concernaient un évènement dont j’avais été victime, dont j’étais l’un des survivants, mais cet évènement, pour moi, était intime. Je l’avais emporté comme un trésor maléfique, un secret, dans cette chambre où rien ni personne ne pouvait tout à fait me suivre, si ce n’est celle qui me précédait dans le chemin que j’avais  maintenant à entreprendre : Chloé, ma chirurgienne. »
Le premier roman du miraculé était titré d’après un poète cubain :
« Je ne sais pas écrire et je suis innocent »
Son dernier ouvrage, éprouvant, précis comme un scalpel, est un hommage au travail des chirurgiens, des policiers, à ses proches, un remède au mal, la preuve vivante que l’écriture peut guérir, la musique consoler, la culture reconstituer.
«  Je ne ferais plus jamais rien de ce que j’avais fait. Chaque instant se refermait sur lui-même avant l’entrée des suivants. A l’intérieur, il ne restait qu’un certain moi même et les échos médicamentés d’une vague espérance. »
Nourri de Proust, de Kafka, de Bach, ses écrits sont intenses, avec un détachement qui le sauve, allant au-delà de la littérature.
«  Le néant est un mot qu’on n’emploie plus volontiers et que j’avais utilisé dans trop d’articles pour avoir lu trop de poésie, ou les avoir lues trop mal, un de ces mots qui a gonflé dans les consciences en vieillissant comme un cadavre dans l’eau, gonflé et puis crevé. »
Je suis allé vers ces 500 pages comme à La Toussaint on fait le tour des tombes, revenant sur cette date de janvier 2015 qui signifia la fin d’un monde où les femmes de Wolinski étaient charmantes, et conjurer le temps, quand les machines affolantes viennent accentuer les arasements de ma mémoire.
«  Mon aventure maltraite ma mémoire, en l’incisant et en l’insensibilisant tour à tour : de ce chaud et froid naît le chagrin … 
Il ne s’agit pas d’un précis de résilience exemplaire, genre : «  comment je me suis fait refaire la gueule en trois ans ». Quelques mots à propos des douleurs omniprésentes n’en prennent que plus de poids. Ce relevé des riches heures, qui amènent à une résurrection, célèbre la vie, le corps et l’esprit, en finesse et en force.


vendredi 5 octobre 2018

Quelques traces de Benalla.

Je voulais titrer cet article: « Sans ajout de Benalla » pour aller à l’encontre de la présence « à la une » depuis des mois de ce personnage acteur d’une péripétie trop vite qualifiée « affaire d’état », mais l’hystérie au pays des insultes avait fait des dégâts : le ministre de l’intérieur est passé à l’extérieur.
Ceux qui n’ont jamais accepté le verdict démocratique peuvent jouir de la comédie présente amplifiée avec gourmandise par les médias.
Pour avoir retenu de lectures récentes que le temps des victimes avait succédé à celui des héros, je suis allé dans le même sens qu’un de mes amis qui regrettait que l’on soit passé du temps de la gratitude à celui des récriminations.
"Le catholicisme est une société d'assistance et de secours mutuel quand le protestant, seul face à Dieu, est l'entrepreneur de son propre salut." Patrick Cabanel.
On a beau veiller à ne pas trop barboter dans le bouillon amer de la période, il est bien difficile d’éviter quelques délétères effluves.
Alors qu’un plan pauvreté, un plan santé étaient présentés, Benalla le cador a continué à occuper les écrans.
Privés de confidences d’un président qui n’aurait pas dû « dire ça », les journalistes-humoristes tirent sur le quartier général. Bien fugace a été leur autocritique du temps où le discrédit des politiciens à l’ancienne et de leur « porte-coton » les avait vus rejetés ensemble par l’opinion. Présentement, ils mettent au plus haut, les sénateurs ! La révision constitutionnelle attendue attendra.
Il serait bien court de persister dans la position de l’idiot regardant le doigt quand le sage désigne la lune, et trouver dans les médias les responsables de l’air du temps alors qu’ils n’en sont que le reflet.
Il vaut mieux à partir de la formule: «  De quoi Sarkozy est-il le nom ? » la renouveler en s’interrogeant à propos de Joffrin, Ruffin, Bourdin, Macron, Collomb…
Les nuances dans les analyses ne se voient guère et le courage d’aller à l’encontre du buzz est indexé sur l’inculture galopante qui n’est pas qu’orthographique. Quant au mot travail, il a passé la date de péremption depuis Pétain.
Qui tweete ? Essentiellement Trump et les journalistes qui s’auto- allument. Quand les réseaux sociaux bruissent : ils s’étonnent de leur propre barouf.
Et que je copie, clique, clike, à la queue leu leu à propos de passages piétons où les Beatles les avaient précédés, avant que l’horticulteur au chômage invité à traverser la rue, eût reçu de nombreuses propositions d’embauche.
Les mots du président à l’ONU face à Trump m’avaient semblé forts, je n’en ai trouvé trace dans la radio du lendemain matin.
Au-delà des partis-pris, les discours lassent, et comme un gadget dans les paquets de lessive, parmi ces tas de mots ne subsistent que les jeux que l’on pourra fabriquer avec eux.
Les paroles qui prétendent renforcer les fondamentaux à l’école ne sont pas opérantes, quand les horaires de français s’amenuisent, quand persistent les attitudes émollientes, quand le goût d’apprendre ne va plus de soi.
La co-destruction par les parents, le ministère, les enseignants menant à la semaine de quatre jours affaiblit une mesure importante qui consiste à dédoubler les CP et le CE1 en zone prioritaire. La présence moindre des enfants à l’école creuse les inégalités qui prétendaient être réduites par une scolarisation plus précoce.
« Voulez-vous apprendre les sciences avec facilité ?
Commencez par apprendre votre langue. » Condillac
…….
Hommage à Pétillon dans le Canard de cette semaine.

jeudi 4 octobre 2018

Jeff Koons. Didier Ottinger.

Même pour le directeur adjoint du centre Pompidou, présenter l’ancien trader dont les œuvres sont les plus chères sur le marché de l’art contemporain, était un défi à relever devant les amis du musée de Grenoble.
Le conférencier nous invite à examiner surtout les œuvres, interpréter les formes créées par le personnage clivant, si loin de l’idée traditionnelle de l’artiste souvent valorisé en France à proportion de sa misère.
Koons souvent insaisissable, assume : «  mon œuvre et ma biographie sont indissociables ».
Il est né à York, à côté d’une brocante spécialisée dans les souvenirs des premiers pèlerins du Mayflower qui débarquèrent en 1620; persécutés en Europe, ils pensaient trouver en Amérique l’Eden, tel que le peignit Thomas Cole « The Garden of Eden ».
Ses fleurs pleines d’air, « Inflatable flowers », objets de la culture populaire reflètent des images précaires, mouvantes.
Et ses aspirateurs aspirent, respirent. « New Hoover Deluxe Shampoo Polishers »
L’admirateur de Dali, est influencé par les « ready made » de  Duchamp.
« One Ball Total Equilibrium Tank »  a été exposé à Francfort parmi quelques crucifixions qui ont constellé la culture européenne. Le ballon est un défi à la gravité sous toutes ses formes.
Si les copies romaines des statues grecques étaient taillées dans la pierre, les pièces originales étaient souvent coulées en bronze comme « L’Éphèbe dit de Sarrebruck ».
« Ces Grecs comme ils savaient vivre. Cela demande la résolution de rester bravement à la surface, de s’en tenir à la draperie, à l’épiderme, d’adorer l’apparence et de croire à la forme, aux sons, aux mots, à tout l’Olympe de l’apparence. Les Grecs étaient superficiels par profondeur. » Nietzsche
La finesse de baudruche de « Rabbit », certes représentative d‘une mythologie américaine, rappelle-t-elle la pellicule des statues millénaires?
Sa légèreté faisait écho à la théâtralité des lieux du pouvoir à Versailles où furent exposées pour la première fois des « propositions » contemporaines.
Comme avec Disney : « surgit l’image libératrice d’une existence qui en toute circonstance se suffit à elle-même de la façon la plus simple et en même temps la plus confortable, une existence dans laquelle une automobile ne pèse pas plus lourd qu’un chapeau de paille, et où le fruit sur l’arbre s’arrondit aussi vite que la nacelle d’un ballon. » Walter Benjamin
« Michael Jackson et Bubbles » en porcelaine est kitsch,
cependant l’humanité est elle réconciliée avec l’animalité ? « St. John the Baptist »
Les enfants sont innocents : « Naked »
« Jeff and Ilona (Made in Heaven) » tels Adam et Eve dans le couple qu’il a formé avec la Cicciolina, célèbre le plaisir. Mais les mariés vont devoir quitter le paradis. Leur divorce entraine une dépression chez ce père qui n’aura pas la garde de leur fils.
La légèreté disparaitra des productions. « The cake » semble bien indigeste.
Six exemplaires en acier de « Ballon dog », ont nécessité six ans de travail, « un cheval de Troie » a-t-il déclaré, que cache-t-il ? Le souffle s’en est allé.
« Play doh » la pâte à modeler évoque le stade caca boudin.
Kundera dans « L’insoutenable légèreté de l’être » a beaucoup écrit sur le kitsch :
« Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »
 « C’est une esthétique qui est soutenue par une vision du monde, c’est presque une philosophie. C’est la beauté en dehors de la connaissance, c’est la volonté d’embellir les choses et de plaire, c’est le conformisme total. »
« Dogpool » est lesté par des bûches et pris par des chaînes.
« Liberty Bell » la cloche qui sonna l’indépendance, l’émancipation, est fêlée.
Reste du souffle initial quelques sphères de Murano pour accompagner des œuvres antiques « Gazing Ball (Ariadne) », une de ces boules brillantes comme celles des jardins de Pennsylvanie est posée sur la statue qui symbolise la mélancolie chez De Chirico « La mélancolie d'une belle journée ».
« Le sourire positiviste est-il devenu le rictus de Gwynplaine ? » Ainsi qu’il était écrit dans la brochure des amis du musée ouvrant sa saison par cette conférence. Je suis allé chercher qui était ce Gwynplaine : c’est le personnage monstrueux du roman de Victor Hugo, « L’homme qui rit ».