jeudi 28 décembre 2017

Philippe de Champaigne. Fabrice Conan.

Le peintre du Cardinal de Richelieu et des jansénistes (1602-1674) figure entre Vouet et Le Brun parmi les peintres du Grand siècle présentés devant les amis du musée de Grenoble. Portrait de l'artiste, musée de Grenoble.
Natif de Bruxelles, passionné d’Italie, il s’arrête en chemin à Paris où il partage un logement  avec Poussin revenant d’un premier séjour à Florence.
Il épouse Charlotte Duchesne, la fille de son professeur. Ce portrait au regard vif, met  en évidence une formation de miniaturiste qui lui permet de rendre finement la délicatesse des tissus. Il aura trois enfants dont il va assurer l’éducation après le décès de son épouse, ceux-ci mourront également avant lui.
Dans Adam & Eve pleurant la mort d'Abel, le paysage, genre familier au brabançon, fait entièrement partie de la composition avec la lumière venant ponctuer la perspective atmosphérique. Le dessin est important, la composition pleine de mesure et de grâce, les personnages communiquent.
Les angelots sont turbulents dans l’Adoration des bergers où l’éloquence chromatique éclate loin des drames caravagesques.
La présentation au temple a gagné en monumentalité (5,60 m X 3 m), en efficacité grâce à une composition où les têtes sont sur une même ligne. Le classicisme s’amorce avec gravité et retenue.
Le carmel du faubourg Saint Antoine qu’il a décoré pour Marie de Médicis, la reine mère, a été détruit lors de la Révolution française et plusieurs tableaux se sont retrouvés à Grenoble dont cette Résurrection de Lazare dont les individus dans la foule sont expressifs, sans dramatisation excessive.
La Sainte face, de format modeste, au regard intense, n’a pas encore rencontré le voile de Véronique où s’estompaient les traits de l’homme. Ecce homo (Voici l’homme).
Les couleurs se réduisent pour Saint Arsène devenu ermite destiné au maître autel de Notre Dame en remerciement  de la protection de la vierge au moment où les espagnols sont repoussés par les armées de Louis XIII. La touche épaisse rappelle Rubens.
Parmi les treize versions de l’Assomption, le culte marial était alors intense, celle-ci est aussi à Grenoble. Nous sommes en position inférieure par rapport au niveau céleste tout en stabilité et dynamisme : entre ceux qui regardent vers le ciel et d’autres vers la terre, le rai de lumière produit un effet de continuité.
Lorsque il représente La vierge à l’enfant, celle-ci est douce et pensive. Dans son cadrage serré tout en intériorité et densité, la spontanéité n’a pas disparu.
Par contre la vierge passe au second plan pour une annonce à venir lors du Songe de Joseph. L’intensité lumineuse et l’originalité des couleurs sont remarquables dans cette Annonciation visible à Montrésor, village parmi les plus beaux de France.
Parmi quelques liens sur ce blog concernant Philippe de Champaigne
ne figurait pas cette Vanité réunissant végétal, animal et minéral, dans laquelle rien ne vient distraire de la méditation. En fonction des lieux et des sujets le peintre se renouvelle et « signe dans la lumière ».
Sobre et silencieux, l’Ex voto offert à Port Royal en remerciement de la guérison de Catherine sa fille religieuse.
Le souffle du verbe est sensible avec le prophète en empathie, Moïse présentant les tables de la loi posées sur un parapet qui sépare et en même temps permet le passage.
Louis-Isaac Lemaistre de Sacy a l’esprit pétillant alors que
L’Abbé de Saint- Cyran appliquait sûrement avec zèle la doctrine « le moi est haïssable »
Le sommeil d’Elie, effleuré par un ange de douceur réunit le monde visible et l’immatériel.    

mercredi 27 décembre 2017

Château de l'Arthaudière. Saint Bonnet de Chavagne.

Du côté de Saint Marcellin, pas loin de la médiévale Abbaye de Saint Antoine, est une maison forte qui porte trace de tous les siècles traversés depuis sa création au XIII° siècle.
Résidence seigneuriale, « monument historique », elle a connu des destructions pendant les guerres de religions, mais les  apports des propriétaires successifs témoignent du passage des temps guerriers à une recherche d’aisance et de prestige.
Une galerie renaissance est remarquable, par contre le rehaussement assez récent d’une tour est plus contestable.
Les travaux de restauration pas encore achevés laissent subsister quelques vestiges romantiques, mais permettent d’accueillir des expositions dans ses anciennes écuries et autres remises à véhicules hippomobiles.
Le jardin à l’italienne, depuis les terrasses ouvrant sur les paysages de la vallée de l’Isère, valorise une mare, tout en offrant une grande variété d’hibiscus et nous a -t- on dit de sauges.
Une exposition permanente « L'Arthaudière, une seigneurie rurale » apporte toutes les précisions sur l’histoire des lieux et des familles dont celle des De La Porte qui « jamais ne se laisse défoncer »  https://www.chateau-arthaudiere.com
Ce pays antonin dans le Grésivaudan du Sud, avec le Vercors en fond d’écran, est bien connu pour ses noix qui contribuent à  la notoriété de la capitale du Dauphiné. La densité des plantations insoupçonnées depuis les grands axes parcourus à toute vitesse est favorisée par un réseau d’irrigation impressionnant. Et ce n’est pas le moindre attrait pour le citadin de pouvoir découvrir des lieux patrimoniaux tout en mettant à jour son appréhension de la campagne  environnante qui n’en est pas restée au moyen-âge.

mardi 26 décembre 2017

50 nuances de grecs. Jul & Charles Pépin.

Jubilatoire rencontre des Dieux  et autres mortels de la Grèce antique, rivés à leur portable comme Narcisse ou Poseïdon et Zeus, se débarrassant d’Athéna venue leur proposer deux places de théâtre, pour finir de regarder un porno sur Bacchanale plus.
Les planches dessinées alternent avec des commentaires qui apportent une dimension philosophique aux spectaculaires péripéties de ces vies compliquées.
A propos des métamorphoses si fréquentes en ces lieux mythologiques :
« Rappelons qu’une « personne » vient du mot latin persona qui signifie «  masque de théâtre ». N’ayons donc pas peur de nous métamorphoser un peu : c’est souvent un assez bon chemin pour parvenir à soi. »
Quand l’avocate qui vient d’énumérer la liste des 23 enfants que Zeus a générés avec quelques créatures de rêve annonce qu’il doit se préparer à payer une très grosse pension alimentaire, l’assembleur de nuages pouvait s’y attendre.
Déméter s’occupe des saisons et lorsqu’elle reçoit les paysans, leur répond en fine politique:
«  Je crois que j’ai entendu vos revendications légitimes » mais les renvoie aux Titans pour les problèmes d’irrigation. 
Héraclès se présente à Acropôle emploi et ne pourra effectuer ses douze travaux pour lesquels est rappelé que « le triomphe de l’ordre sur le désordre est toujours provisoire ».
Pan : «  qui aime tant déclencher la panique, le mot vient de lui » a été relaxé dans l’affaire du Sofitel Mykonos mais devra s’expliquer de ses liens avec Dionysos-la Saumure.
C’est comme ça tout au long des 82 pages ; seul ou à deux le dessinateur et le philosophe  sont toujours délicieux.
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/09/merci-pour-ce-mammouth-jul.html

lundi 25 décembre 2017

Faire le sapin.

Quand Noël en saison revient, il convient d’aller chercher quelque conifère en devenir sur les parkings périphériques et d’empaqueter le résineux afin que la maisonnée sente le sapin.
Le rite est devenu si commun que nous en perdons le sens et lui quelques aiguilles.
Une occasion pour les enfants de se relier, se rallier aux ancêtres qui agirent pareillement.
Les gônes participent à leur tour à l’habillage de la maison, à sa conversation, au roman familial.
Un peu de chlorophylle surnuméraire arrive devant le canapé avec un brin d’histoire.
« Quand par l'hiver, bois et guérets
Sont dépouillés de leurs attraits
Mon beau sapin,
Roi des forêts
Tu gardes ta parure. »
La poésie n’est pas condamnée aux pompes funèbres et ce beau sapin mérite d’être chanté. Encore vert le bougre dans cette nuit d’hiver qui commence à rapetisser.
La répétition annuelle n’est pas fatalement sciante et les petits ne connaissent pas forcément la chanson, alors les vieux peuvent tenir leur place de transmetteur au moment où chacun quitte sa tablette pour se mettre à table.
La plus value Coca Cola est indéniable pour le bonhomme Nicolas Noël dont le succès planétaire ne tient pas seulement aux sortilèges capitalistes. Une même mécanique est à l’œuvre  qui a vu une religion nouvelle se nourrir de la précédente, une chapelle s’installant près d’une source fréquentée par d’archaïques fées. Le pansu a pris la relève de l’enfant qui n’est plus roi en sa crèche.
Derrière ces vitrines bien éclairées, quand réel et imaginaire se combinent, nous pouvons réviser quelques leçons et saisir l’occasion pour soulever le film recouvrant les apparences.  
Avant que tous ces papiers-cadeaux soient déchirés, se posent quelques questions, dont celle qui met sommairement les religions au niveau des croyances enfantines sans épuiser toutefois notre besoin de croire en un monde plus juste, plus fraternel.
« Pour préparer un arbre de Noël, il faut trois choses, outre les ornements et l’arbre, la foi dans les beaux jours à venir. » Zahrad, poète arménien.

dimanche 24 décembre 2017

Minuit. Yoann Bourgeois.

Perturbés par une arrivée en retard (une heure et demie pour traverser la ville) bien gérée par le personnel de la MC2 qui nous a fait discrètement prendre place, nous avons eu le sentiment de ne pas perdre seulement un moment, mais à défaut d’entrer en douceur dans l’univers singulier de Yoann Bourgeois, d’être un peu des intrus.
Le sous-titre «  tentatives d’approches d’un point de suspension » est illustré en séquences où l’humour alterne avec la poésie : légèreté d’un instant menacée par des matériaux hostiles qui tombent des cintres ou se cassent, mais l’ahuri rebondit, trouve la grâce et une femme s’accommode bien de survoler le plateau accrochée à un lourd instrument à contrepoids qui permet pourtant de croire en sa légèreté.  
Il n’est pas aisé de s’exprimer depuis un micro placé au dessus d’un plateau instable : le temps de dire « voilà » après une laborieuse installation et voilà par terre le théoricien obstiné. La verticalité souvent soumise à la question dans le champ pédagogique ou politique est quand même le contraire d’allongé.
Les chutes peuvent avoir de belles allures, être utiles quand elles propulsent en haut des marches, mais la poésie semble parfois effarouchée et la balance reste incertaine entre silence et musique, immobilité, lenteur et vitalité.
Bien des séquences m’ont enchanté, même la plus didactique avec deux pancartes « croire » et « douter » bien sûr instables, ou ces gestes entre un homme et une femme autour d’une table qui rendent compte des rapports de force d’un couple avec dynamisme et originalité.
Une harpe assortie de samples sort de ses atours habituellement apprêtés sans perdre de ses connotations planantes.
Un ballet de tubes métalliques menaçants et harmonieux joue d’une façon élémentaire avec les notions d’équilibre, de rapport de force qui sont au cœur du travail du chorégraphe circassien.   http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/04/celui-qui-tombe-yoann-bourgeois.html
Je pensais aux dessins  datés de Folon, mais ce spectacle délicat là dit bien notre époque fluctuante ou la précarité est la loi, même si les rires sollicités ne me semblaient pas de mise dans cette galaxie. Poésie et humour voilà encore un dosage délicat. Depuis mon pays ringard, je devrais savoir que sur « La piste aux étoiles » se produisaient aussi des clowns.  
  

samedi 23 décembre 2017

Les menteurs. Marc Lambron.

Une universitaire, une journaliste de mode, un attaché culturel qui se sont connus en khâgne à Lyon croisent leurs regards acérés à propos de leurs années passées entre 1975 et 2004.
«Nos parents avaient le monopole des souffrances de la guerre, nos grands frères avaient le monopole de Mai 68, nos petits frères le monopole de l'esprit d'entreprise et les gens encore plus jeunes le monopole du trash. Moi, je n'ai le monopole de rien.»
Les formules sont bien tournées, les 317 pages jubilatoires, même si les personnages se retrouvent un peu artificiellement toujours au bon endroit au bon moment :
à Madrid pour « La movida », à Berkeley au moment de l’essor de Silicon Valley, sans avoir oublié de lointaines racines prolétaires mais dignes, avec des parents qui ont connu les parents de Bernard Canta, tout en découvrant des blues inconnus, en fréquentant des traiders,  après avoir dansé au Palace, dîné avec Messié, suivi les cours de Lacan, bien connu toutes les figures de l’amour...
Nous avons tous vécu ça, dans les livres et les magazines.
«  Il serait aisé de dire que j’ai confondu très tôt les livres et la vie. C’est une forme de bovarysme, mais aussi une façon de se confronter à la noblesse du monde, à l’exigence de ceux qui l’on vu comme un paradis embelli par les mots. »
Quelques débats sont vivement réactivés :
«  J'ai assisté, au milieu de la société française, aisée, omniscolarisée, enracinée dans des siècles d'exigence, à une destruction d'intelligence qui humiliait, et parfois détruisait sans remède, quelques-uns de ses meilleurs esprits. »
«  Pour ne rien dire de mes camarades du laboratoire de sociologie qui, à force d’animer les chiffres comme un ventriloque sa marionnette, parvenaient à faire coïncider les lèvres du mannequin avec des postulats acrimonieux et revanchards dont il eut été aisé de démontrer en utilisant leurs propres armes, qu’ils correspondaient exactement à leur position de classe. »
« Paradoxalement, dans une société de la passion égalitaire, les privilèges du mérite sont plus rudement ressentis que ceux de la nature. »
Des motifs enfouis sont remis à la surface, ainsi du milieu de la mode :
« J’adore cet univers, non seulement parce qu’il étouffe sous les dentelles ces mœurs de jungle qui rendent toute vie difficile à traverser, mais parce qu’il avoue jusqu’au nerf la part florentine, baroque et meurtrière de notre existence. »
Nous nous réveillons car ça finit par se savoir :
« La généralisation d’une vulgate psychanalytique ayant pour effet de rejeter sur la génération supérieure la responsabilité des maux qui encombrent toute vie adulte ; le traitement consécutif du malaise par l’Etat-providence, dont le maternage aura contribué à faire de la France le premier pays du monde pour la consommation d’anti dépresseurs par tête d’habitant »
Au bout de ces récits sincères qui ont pris bien du recul, une formule qui mimerait la sagesse populaire :
« Il n’y a pas de bonne version, seulement des interprétations »
ou d’un façon plus littéraire :
 « Lorsque tous les leurres ont brûlé sur le bûcher des phrases, les cendres avouent ce qui a vraiment été »

vendredi 22 décembre 2017

Le Postillon. Décembre 2017/Janvier 2018.

Bien que l’invitation à offrir le bimestriel pour les fêtes soit écrite sur un ton de bon aloi , ce numéro à 3 € n’est pas très festif.
« Cinquantenaire des J.O. de Grenoble : pourquoi rallumer la flamme ? »
La réponse à la question de la demi-une est maigrichonne hormis un extrait du « Mythe blessé » de Pierre Frappat (1979) cité d’ailleurs dans un autre article.
Les journalistes anonymes pointent les revirements des « Verts » à ce sujet ou celui concernant la démolition du 20 de la galerie de l’Arlequin. Mais leurs vertueuses réprimandes seraient plus efficaces si quelques éléments ayant amené à des évolutions étaient exposés, sans se cantonner à des variations sur l’air de la trahison.
L’autre demi-une est bien pâlichonne : « Pour animer vos soirées afterwork : MC Licium » qui affiche l’indéfectible méfiance envers la modernité de ces proches de l’association « Pièces et Main d’œuvre ». Plusieurs articles approfondis repèrent les contradictions des chercheurs qui développent des systèmes toujours plus intrusifs tout en tenant des discours humanistes, avec « les transhumanistes qui n’assument pas », des « égologistes » chercheurs de sponsors tels que les promoteurs d’un « Educologiste tour » reprenant les mots à la mode.
Et lorsque la pollution devient bonne pour le business, les start-up sont dans les starting blocks: « Chacun son capteur, chacun sa tumeur ». Pourtant à mon avis : mieux vaut proposer que de rester goguenard derrière son clavier.
Ils sont aussi sur le campus pour assister là encore à « un protocole en cours de finalisation » : la fermeture de bibliothèques. Et ils se montrent critiques à propos des « poubelles intelligentes ».
Les contributeurs au journal du bassinet grenoblois sont à leur meilleur quand ils traquent la novlangue et l’attribution de leur noix connectée est bien vue. Le gagnangnan  du numéro 43 est : le « Gre Civic lab » visant à accompagner la ville de demain, la smart city. 
« Grenoble ville de demain, ce serait pas mal d’être une ville d’aujourd’hui pour commencer ».

Par contre leur seule objection concernant l’incendie de la gendarmerie de Meylan porte sur le jargon utilisé par ceux qui ont ciblé : «  les personnes et non l’uniforme ». Cela me semble gravement insuffisant. Il serait malheureusement d’actualité d’étudier ce groupe qui n’a pas seulement déversé toute une diatribe technophobe, mais a mis le feu à la Casemate.
Le suivi d’un sujet traité précédemment à propos d' une famille atteinte par la pollution d’un centre de compostage est intéressant, comme l’interview d’une écrivaine locale Marion Messina après son livre « Faux départ ».
Le rappel de l’histoire de Général Electric, l’ancien Neyrpic, est éclairant. L’usine, qui comportait près de 4000 ouvriers et n’en compte bientôt plus que 50 sur les 800 employés, fabriquait des turbines pour la Chine, le Brésil, l’Egypte. Ils rappellent que les patrons  sont maintenant plus proches des actionnaires que de leurs salariés : «  Après avoir profité de la mondialisation pendant des années, ils se plaignent maintenant de la concurrence chinoise ». Mais Mélenchon  en visite n’a pas dû turbiner beaucoup pour évoquer lors de sa venue, des « centaines de milliers de turbines » à venir : ça a pu plaire.
.....  
Les illustrations ci-dessus viennent du Postillon, ci-dessous de Marianne