mercredi 15 novembre 2017

Venise en une semaine # 9.

Nous quittons San Marco et longeons Le palais des doges pour en trouver l’entrée.
Des murs austères très châteaux forts sont construits au dessus de graciles colonnes renaissance. 
Pour acheter nos billets (20 € par personne quand même), nous n’avons personne devant nous au guichet.
Une magnifique cour recouverte de marbre blanc travaillé en fines grotesques nous accueille avec deux puits en bronze qui se détachent sur le pavement clair.
Au premier niveau, nous remarquons les « bocca di leone », de simples fentes percées dans les murs qui servaient à recueillir les dénonciations anonymes.
Mais abusivement utilisées, pour freiner le zèle des citoyens de la République, ceux qui dénonçaient devaient cosigner leur message avec une autre personne et lorsque c’était à tort ils pouvaient encourir la peine de mort.
Nous continuons notre ascension par l’escalier d’or (Scala d’oro) qui tient son nom de ses plafonds voûtés surchargés de stucs recouverts de feuilles d’or.
Les appartements des doges ne semblant pas accessibles, nous sommes dirigés vers les salles institutionnelles : les salles des quatre portes, de l’anticollège, du collège, du sénat, du conseil des dix, de la boussole, du scrutin, rivalisent de richesses.
Des cadres dorés délimitent du plafond aux murs, des peintures de maîtres prestigieux
 
(Tintoret, Veronese, Tiepolo, Bassano…) qui meublent à eux seuls les pièces.
Puis nous traversons l’armurerie et ses vitrines pleines de casse-tête, épées, hallebardes et autres objets du même ordre vénitiens ou turcs, tous travaillés avec soin. Même les boucliers portent des peintures.
Nous nous retrouvons dans la salle du Grand Conseil, le souffle coupé par les dimensions impressionnantes : 53 mètres de long sur 22 de large.
Les portraits de 70 doges en occupent le pourtour, dont un remplacé par un voile noir, il fut tué pour tentative d’usurpation du pouvoir.
C’est ici qu’on peut voir  celle qui fut considéré comme la plus grande peinture à l’huile du monde (9,90 m sur 24,50 m): « Le paradis » du Tintoret.
Dans cette salle dont on dit qu’elle est la plus grande du monde, eut lieu un banquet en sucre donné en l’honneur d’Henri III convié avec 3000 invités.
La nourriture, la vaisselle, les couverts, les statues, les serviettes …tout était en sucre.
Manquant d’espace à l’étage torride des plombs, sous les toits, ou près des puits au sous sol humide et insalubre, le palais se dota des « prigioni nuove » reliées par un pont  dit « des soupirs » qui n’avaient rien de la romance amoureuse.
Il était emprunté par les condamnés qui jetaient depuis là un dernier regard sur Venise et la liberté avant d’être jetés en prison.
Plusieurs étages sont quadrillés de cellules sombres voire aveugles qui s’ouvrent sur des couloirs étroits par des portes épaisses aux lourdes serrures. Parfois un trou est percé dans le mur pour passer peut être une écuelle...
Lorsque nous émergeons à l’air libre dans la cour, le soleil est là à nouveau.
Nous prenons tranquillement le chemin du retour direction Le Rialto, aidés par les fléchages peints en hauteur sur les murs des ruelles étroites.
Je m’offre une énorme meringue. Et enfin nous faisons tourner six fois la clé dans la serrure de notre nouvel appartement. Nous nous délassons, et aspergés d’anti-moustiques, après un Spritz bien frais (trattoria Antico Gatoleta) nous dînons de poissons.

mardi 14 novembre 2017

Le premier jour de la bataille de la Somme. Joe Sacco.

Un outil pédagogique très bien fait par un dessinateur méticuleux
Il pensait à la tapisserie de Bayeux qui raconte « l’histoire de l’invasion de l’Angleterre par les Normands », comme il le précise dans le livret d’accompagnement bien documenté pour réaliser un dépliant de 7 m composé de 24 panneaux rangés dans un coffret. 
Cette fresque ne comporte pas de texte, mais la description depuis la prière du général Haig jusqu’aux tombes rappelle utilement, précisément, qu’en un seul jour 20 000 britanniques  moururent là.
Ce qui devait être une « grande poussée », précédée de bombardement apocalyptiques qui n’ont pas eu du tout l’efficacité escomptée, a été le jour le plus meurtrier de ces quatre ans d’enfer. Un panneau au dessus des mitrailleuses allemandes : « Bienvenue à la 29° division » attendait les fantassins de tout le commonwealth.
Dans un  petit cimetière qui regroupe les dépouilles des hommes d’un régiment du Devonshire tombés ce jour là, cette inscription :
« Les gars du Devonshire ont tenu cette tranchée
Ils l’occuperont pour l’éternité. »

lundi 13 novembre 2017

Téhéran tabou. Ali Soozandeh.

Pendant qu’il se fait « tailler une pipe » par une femme voilée, un chauffeur de taxi entre dans une rage folle en voyant une de ses filles tenant la main d’un garçon. Le film commence fort.
Par le procédé de la rotoscopie, les dessins aux couleurs en aplat venant se superposer aux prises de vues, pourraient créer une distance, et pourtant nous prenons la violence de cette société en plein visage.
Tout s’achète : un hymen, la signature d’un mari nécessaire pour chaque acte de la vie de la femme, l’inscription à l’école...
Que d’énergie perdue pour asservir les femmes dont le moindre geste est une victoire, pour tout réglementer, empêcher les musiques qui exultent d’autant plus qu’elles sont refoulées ! Les contournements pour gagner des moments d’évasion sont exaltants. Sous le joug, la moindre manifestation de liberté prend des allures héroïques. Scandé par des prises de photographies d’identité qui doivent changer de fond selon les destinataires, le film en a choisi un décidément très noir.

dimanche 12 novembre 2017

Abou Diarra.

Nous allons volontiers faire un tour à la MC 2 quand s’annonce de la musique africaine et lorsque de surcroît  elle est mâtinée de blues, l’heure et demie s’annonce agréable.
De Diarra je connaissais d’avantage Alou qui n’a que très peu joué à l’OM l’an dernier, mais lui était de Villepinte, alors que le joueur de kamele n’goni, petit frère de la kora, harpe montée sur un calebasse recouverte d’un peau de chèvre avec une douzaine de cordes, fait valoir ses racines mandingues du Mali.
Les annonces valorisant un métissage qui n’est pas vraiment neuf, commencent bien sûr à devenir répétitives : le mariage de l’électricité et des instruments traditionnels, du groove et de la mélopée, des influences touaregs et Afrique noire, mais c’est bien bon.
Les thèmes du voyage, de l’amour, de la misère, l’hommage au père et à nos rois qui peuplent nos histoires, sont traditionnels mais finalement peu importent les textes, non traduits; le balancement qui s’approche de la transe nous ficelle.
Je n’avais pas prêté attention à un harmonica depuis « Il était une fois dans l’Ouest », là il m’a embarqué dès l’entrée et les dialogues entre musiciens m’ont bien plu.
Quand au second rappel le chanteur est venu chanter a capella, sa prière a saisi la salle.

samedi 11 novembre 2017

So foot. Pourquoi aimez-vous tellement ça ?

ça faisait un bail que je n’avais pas mis le nez dans le mensuel qui a été un succès de presse tellement durable dans un univers journalistique en crise qu’il s’est décliné en Society, So film...
Comme lorsque je lisais Libé les clins d’œil me séduisaient avec la possibilité de me complaire dans des passions frustres sous un couvert quelque peu cultureux, mais depuis que la première division est devenue « ligue 1 Conforama », je ne saisis plus toutes les références, en particulier musicales parce que oui il est souvent question  de reggae, de rap autour des terrains et dans les casques visés aux oreilles de certains prescripteurs de mode. Je ne suis plus de la famille, comme lorsque je feuillette Les Inrocks, ma culture la plus récente remontant à Bénabar est insuffisante.
Alors ce numéro 150 avec 150 joueurs et personnalités qui déclarent leur amour du football me convenait, d’autant plus que Riquelme et sa femme Larissa, François Ruffin, Anna Karina, Gatuso, Platini, Vairelles, Stoitchokf, Coco Suaudeau me disent quelque chose.
Et Bégodeau sait de quoi il parle :
«  A l’heure de l’universel gainage, de l’obligatoire body-buildage le foot hisse sur le toit du monde un freluquet jamais vraiment guéri de sa native maladie de croissance. » ( Messi)
Et Maylis de Kerangal :
«  C’est la vie reconnectée à l’enfance, au sérieux de l’enfance, à sa puissance, à ce qu’elle peut recéler d’innocence pure, quand il s’agit de se donner rendez vous à la Chapelle le dimanche pour faire un foot ». Sous le titre « Il m’ont dit que j’étais Sergio Ramos »
Piperno, écrivain italien, supporter de la Lazio, partisan et malhonnête à souhait, va chercher au stade la sociabilité absente dans d’autres lieux, bien que : «  le supporter compétent m’énerve énormément -celui qui te parle de 4-3-3 de 4-4-2 . Je trouve que c’est un truc d’Américain, ces statistiques. »
Un éducateur, un intendant, un accompagnateur fidèle depuis trente ans à leur club font figure d’exception, et  si des supporters dans leur maillot et short de leur club de cœur « repoussent les confins de l’élégance » pour certains l’amour est déplacé :
« Un soir  de PSG-OM alors que Marseille prend l’eau. Océane neuf mois de grossesse, perd les eaux. Mais pas question d’interrompre le spectacle : elle attendra la mi-temps pour monter dans la voiture. » Ce supporter du PSG a prénommé le petit, Ezequiel, prénom de Lavezzi.
Sur plus de 100 pages, il y a quelques beaux textes et des témoignages émouvants, des réflexions justes et même une page sur 150 (mauvaises) raisons de ne pas aimer le foot où se retrouve toute la verve des journalistes qui ont fait bouger d’autres publications : France Football est devenu tout à fait plaisant à lire avec une pointe d’impertinence qui lui était étrangère :
« Parce qu’ « il y a un moment, il faut replacer les choses. On vit sur une planète, dans un monde. Il n’y a pas que le foot, tu vois ! » Patrick Montel.
Parce qu’on est prof d’EPS et qu’on préfère le handball.
Parce qu’on aime pas la vie.
Parce qu’on est arbitre… »
…………..
Par contre le titre « Footeux du dimanche » peut attirer, mais ce recueil de petites photographies de 150 pages sur les terrains au niveau des districts accumule les images de maladresses, les poses de pochtrons et ne comporte pas une once de poésie. Le rapprochement des expressions usitées : «  on n’est pas rentré assez tôt dans le match » avec quelques scores déséquilibrés, épuise assez vite son potentiel comique. « Marly Gaumont a perdu 20- 0, le gardien de but est parti faire vêler sa vache »

vendredi 10 novembre 2017

Jupiter, terre à terre.

Le mélancolique constat du vieillissement de nos sociétés ne nous dispense pas d’y participer  activement de toutes nos forces déclinantes, bégayant nos nostalgies, ébaubis de toujours par la nouveauté.
Emmanuel Todd, qui ne dit pas que des bêtises, parlant de Sanders et Corbyn :
« Dans les deux cas c’est un personnage assez âgé qui fascine la jeunesse, comme s'ils passaient à la jeunesse le bâton-témoin des aspirations socialisantes ou étatistes d’avant le néo-libéralisme. C'est un peu l'inverse de Macron, un jeune qui séduit les vieux électeurs. »
Ayant abandonné nos mémoires aux machines et la construction de nos opinions aux copié/collés… serrés, que savons nous du monde, qu’en dis-je ?
Il y a bien sûr l’aveuglant spectacle Trump, si facile et si flippant, qu’il vaut mieux passer à autre chose.
Serait ce faire le malin que d’accorder plus d’importance au titre d’un article : «  Le Tage se meurt » qui détaille les dangers affectant le plus grand fleuve de la péninsule ibérique, qu’aux péripéties catalanes ?
Près de chez nous, alors que le petit père de la tribu des « Insoumis », pourtant mauvais perdant, reconnaît le faible niveau de résistance aux modifications du code du travail, que retenir des premiers mois de notre jeune président ? One point.
Il a soulevé le couvercle de Baudelaire, quand même le mot « spleen » pourtant anglais donc moderne devient peu usité :
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits »
Jupiter a géré habilement l’espace en s’emparant avec solennité de la fonction présidentielle et terre à terre, s’est coltiné quelques rencontres de proximité par exemple à Cayenne dans des quartiers qui « craignent ».
Maître du temps, il se montre réactif faisant se succéder les annonces tout en ménageant des échéanciers négociés.
Le scandale du tirage au sort pour accéder dans certaines facs va prendre fin et la moralisation de la vie publique avec l’extension du non-cumul des mandats réalise les promesses de campagne. La mise en œuvre de ce qui avait été annoncé permet de faire passer des mesures contestables parmi d’autres attendues depuis longtemps, mais du moment que ça été dit, quand les actes s’accordent aux paroles : les bouches béent.
En ce qui concerne l’économie, je ne saurai que me revêtir des plumes d’un perroquet pour parier sur des investissements à venir.
Par contre le positionnement concernant l’Europe n’a pas été qu’une posture de circonstance : cette pédagogie qui perdure élargit nos horizons.
Hulot amène les compromis d’un côté plus vertueux que les intérêts à court terme.
Fallait-il que ce soit si difficile à concevoir que l’annonce de l’établissement des prix des produits agricole à partir des producteurs a été jusqu’à surprendre la Confédération Paysanne ?
De la même façon la division en deux des effectifs élèves dans les CP des zones déficitaires assortis de l’éviction du père du « référent bondissant » crédibilise une politique qui avait bien besoin de retrouver quelque (bon) sens.
Mais les chroniqueurs qui n’avaient rien vu venir, après avoir fait la hola autour de la fin de la césure droite/gauche essayent, entre deux comiques, de revenir à leurs fondamentaux : écriture inclusive et taper sur Vals et Finkielkrault, en toute bienveillance bien entendu.
« Trop de lucidité dessèche ; en sorte qu’une conscience délicate ne va jamais sans quelque aveuglement, sans l’ingénuité du cœur et la crédulité de l’esprit. C’est cette conscience que l’ironie des esprits forts impitoyablement pourchasse et neutralise.» Vladimir Jankélévitch
…………….
Dessins du « Canard » et du « Monde » :

jeudi 9 novembre 2017

Jacques Truphémus, Georges Michel, Nicola Verlato.

De la Tronche à Bourg en Bresse et retour à Grenoble, à la découverte de trois peintres.
L’exposition au musée Hébert concernant le grenoblois Jacques Truphémus a été prolongée jusqu’au 27 novembre.
Le souvenir de ses toiles a été réactivé récemment par l’auteur Marie Hélène Lafon à la librairie du Square qui a placé en exergue de son dernier livre l’expression du peintre : « je dois être corps dedans» pour souligner la force, l’intériorité des tableaux lumineux de celui qui vient de disparaître à Lyon . Ma romancière favorite qui se coltine silences et solitudes a trouvé des échos à son travail chez celui qui peut rappeler Bonnard et qu’appréciait Balthus.
Dans l’ensemble gigantesque du monastère royal de Brou à Bourg, une salle est réservée à Georges Michel jusqu’au 7 janvier. Le titre de l’exposition «  Le paysage sublime » met la barre très haut mais ne déçoit pas. Dans la production très abondante des paysages, l’originalité du parisien qui s’inspira beaucoup des Flamands, ressort. Ses toiles présentent souvent des ciels d’orage propices aux lumières contrastées et les lieux où il a posé son chevalet nous intéressent : Montmartre et ses moulins était alors en pleine campagne.   
Son surnom de « Ruisdael français » n’éclairera guère le visiteur amateur. Mais nous pouvons discerner sous des touches puissantes et libres, une modernité qui s’annonce chez bien des peintres de cette époque, même si leur notoriété n’était pas aussi évidente que celle d’un Delacroix ou d’un Monet. Van Gogh  admirait ce « précurseur de la peinture de plein air » aux horizons sublimés.
L’espace « Space junk » présente rue de Génissieux jusqu’au 10 novembre quelques artistes sous le titre non moins ambitieux : « La belle peinture » contenant cependant une dose d’ironie dans ce lieu voué au street art. J’ai surtout retenu Nicola Verlato dont la puissance s’appuie sur une formation classique probante. L’originalité de cet américano-italien n’a pas besoin de longs discours pour apparaître dans toute son évidence. Son style pop, hyper réaliste, nous emmène vers le sur réel, vigoureusement et l’angoisse vient. L’ampleur des toiles aurait mérité des locaux plus vastes, mais nous pouvons être reconnaissants aux responsables des lieux d’avoir déniché une telle pointure réconciliant classicisme et innovation.