mardi 1 novembre 2016

Comment naissent les araignées. Marion Laurent.

Trois destins croisés de femmes aux relations problématiques avec leurs mères.
Les cadrages efficaces, les traits nets, facilitent la lecture de ces 150 pages.
Cependant pour aller au-delà d’un scénario choral finalement assez classique, plus de nuances, d’hésitations, d’ambiguïté n’auraient pas été du luxe. 
Les beaux visages sont lisses, les décors classiques, tandis que pour apporter un peu de mystère, le recours à l’ellipse devient un procédé trop habituel.
D’autre part le choix de conduites atypiques ne donne pas forcément de la profondeur à un récit on the road movie again. Ce trajet à travers les images statiques des States a manqué pour moi d’originalité.
Tant de romantisme dépressif me redonnerait goût à la férocité ricanante, à la distraction gratuite, aux esthétiques frapadingues, aux aquarelles bêtifiantes …   

lundi 31 octobre 2016

Willy 1er. Ludovic, Zoran Boukherma, Marielle Gautier, Hugo Thomas.

Un jumeau dont le frère vient de se suicider lance à ses parents qui ont collé par mégarde la photographie de l’inconsolable survivant sur la tombe :
« A Caudelec, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Des copains j’en aurai… »
Sous tutelle, ce garçon de 50 ans, inadapté mais pas si fragile, depuis une ferme isolée de Normandie, va gagner son autonomie, révélant la violence d’un milieu où ceux qui se moquent de lui, le manipulent sont aussi en souffrance, solitaires, pathétiques. Ce film inspiré de faits réels entretient l’ambiguïté entre réalité et fiction, rire gêné et apitoiement, proximité et étrangeté. Il nous interpelle sur notre identité la plus élémentaire, notre méconnaissance de notre pays, et la dimension de nos rêves d’ailleurs. Original et poignant.

lundi 24 octobre 2016

Ma vie de courgette. Claude Barras.

La vie dans un foyer pour enfants pourrait générer des stéréotypes en ribambelle, d’autant plus que les caractérisations des films d’animation  ne donnent pas  toujours dans la nuance.
A travers une forme originale sans affèterie, cette histoire optimiste, poétique, nous intéresse aux destins de ces petits drôles et émouvants, recueillis par des professionnels aimants.
Les auteurs s’adressent sans clin d’oeil à une quelconque fraction de marché, à des parents, à des enfants, pour aider à mieux nous parler, nous aimer.
Ces mômes ayant connu des douleurs cruelles, en voie de résilience sous protection institutionnelle, interrogent la mère d’un enfant qui vient de naître au foyer de leur éducateur :
« - Est ce que tu l’aimeras s’il fait pipi au lit, s’il ne comprend rien à l’école ? 
  - Bien sûr ! »
 Musique : «  Je n’ai pas peur de la route. » version pastel.
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Je reprends le fil des publications sur ce blog lundi prochain, le 31 octobre.

dimanche 23 octobre 2016

A tour de rôle. Pierre David Cavaz.

Ne passez pas votre tour, si les deux excellents comédiens Müh et Zimmermann passent près de chez vous : ils sont excellents au service d’une pièce d’une heure dix, drôle, astucieuse qui les met en valeur.
Dans le petit théâtre de la MC 2, nous sommes à proximité des acteurs et de leurs jeux subtils, drolatiques qui expriment bien les solitudes d’autant plus crûment que les tentatives de s’inventer une autre vie tournent au fiasco tragi comique dans « La légion ».
L’auteur récemment disparu disait :
« Cette pièce, je l’ai écrite… pour le plaisir. Aucune livraison de message, aucune volonté d’analyser, d’éclairer ou d’interroger. Seulement le plaisir. Et plaisir rime avec rire » et délire.
Ce n’est pas tous les soirs qu’une note d’intention se réalise avec une telle évidence.
Dans  la première partie, « Le Pyjama en satin », nous ne savons plus où s’arrêtent les rôles des acteurs lors des répétitions virtuoses d’une pièce où l’absurde dit bien le théâtre du monde.
« C’est l’histoire de deux œufs dans une poêle.
L’un dit : «  oh ça commence à chauffer ! »
L’autre s’étonne : « c’est drôle un œuf qui parle »

samedi 22 octobre 2016

XXI. Automne 2016.

Un dossier consacré aux « ficelles du pouvoir » , même loin des spots habituels, est plutôt inattendu dans le trimestriel de référence:
- dans une des îles vierges appartenant à Richard Branson ( Virgin) recevant ses influents amis,
- à l’opposé comment  la ville de Grande Synthe s’embellit avec un maire écolo pas bobo,
- au Burundi où la peur règne.
Dans un pays voisin, le Rwanda, Marie Darrieussecq rencontre deux « justes » Hutus qui ont sauvé des Tutsis, toujours menacés plus de 20 ans après les massacres.
La misère n’est pas seulement à Manille où des familles vivent dans un cimetière,
mais aussi aux Etats-Unis, à Flint, où il est si difficile de résoudre le problème de l’eau empoisonnée par le plomb.
A Nancy, en France la cité judiciaire surnommée le Titanic prend l’eau et les dossiers s’entassent.
En Guinée forestière, retour dans l’épicentre de l’épidémie d’Ebola avec rappel dans un des compléments documentaires toujours utiles, de la difficulté de trouver un vaccin qui risque de ne pas être rentable.
Les dessins qui illustrent chaque article sont efficaces. Un film concernant les orthodoxes juifs craignant Dieu est présenté en dix planches, et le récit graphique de Sacco traite de la civilisation des indiens Dene au Nord du Canada dont les chiens de traîneaux ne sont presque plus utilisés, les motos-neige sont bien plus efficaces.
Il faut un entretien approfondi avec Serge Gruzinski pour entrevoir la richesse de son travail d’historien envisagé à l’échelle du monde.
Il s'est retrouvé à la gare de sa ville natale de Roubaix dans une situation plus périlleuse qu’au Brésil ou au Mexique face à des jeunes qui ont voulu l’éloigner : 
«  tu n’as rien à faire ici ! »
Lui qui plaide :
«  Chaque recoin de la planète peut accueillir aujourd’hui des religions, des mémoires, des modes de vie venues de différentes parties du monde. »
210 pages nourrissantes et bien écrites comme à chaque livraison,
avec quelques rubriques habituelles brèves et significatives :
cette fois un recueil de citations du nouveau maire de Londres Sadiq Khan.

vendredi 21 octobre 2016

Contre la bienveillance. Yves Michaud.

Je m’attendais à un pamphlet, comme je les aime, vachard et anti-conformiste.
Il s’agit d’un livre de réflexions philosophiques qui m’ont parfois dépassé, pas toujours aussi  percutantes que cette formule d’Hegel qui pourrait s’appliquer aux « marches blanches » :
« La confluence silencieuse des entités apathiques de la vie volatilisée ».
L’introduction est appétissante qui distingue la mansuétude comme vertu individuelle du « care » en politique et différencie : penser et sentir, concevoir et vivre.
«  Si nous voulons que le mot citoyen garde le sens qu’il a pris depuis les théories du contrat social, il nous en faut finir avec la bienveillance, la compassion et le moralisme, et revenir aux conditions strictes de contrat politique »
La naïveté et la gentillesse ne combattent efficacement ni les fondamentalisme religieux ni  le populisme. Ne les serviraient-elles pas ?
Pour m’être beaucoup réchauffé au club des « Bisounours », dont mon tour de taille porte trace et comme chez tout repenti,  je développe en ce moment un agacement certain à l’égard de cette fratrie.
Le mot « bienveillance » a envahi le domaine pédagogique avec tout ce que l’excès de son usage entraîne de mépris à l’égard de ceux qui sont en difficulté, en renonçant donc à les considérer comme acteurs de leurs progrès.
« L’égalité est un principe de constitution démocratique, pas un droit démagogique à la consommation de services pendant que se reproduisent en réalité les castes oligarchiques. »
La fraternité :
« Elle doit se voir substituer la solidarité, celle-ci impliquant que les citoyens soient solidaires non seulement pour partager les bénéfices mais aussi les sacrifices et tout ce qui  requiert la protection de la communauté. Ce qui signifie une fiscalité simple, allégée, unifiée, juste, strictement et constamment progressive, en lieu et place d’un système fiscal comme l’actuel où taxes, contributions spéciales et temporaires, exemptions, détaxations en tous genres brouillent toute lisibilité et incitent les fraudeurs fortunés à bénéficier au mieux de la complexité du système à l’aide de montages d’ingénierie financière. »
Bien des désillusions, des apathies présentes ne se résoudraient-elles pas avec une telle réforme ?
Ces 180 pages se situent au dessus des bavardages à propos du « revenu universel » et des vains cadeaux électoraux. Un tel ouvrage qui parle haut, contient dans son constat qui échappe au politiquement édulcoré, des éléments exigeants permettant de remettre sur l’établi, les mots qui nous éloignent des pleurnicheries : liberté, égalité, fraternité, laïcité.

jeudi 20 octobre 2016

L’aquarelle, une passion anglaise.

Avec le conférencier Gilbert Croué, les amis du musée de Grenoble ont pu passer du format  d’aquarelles originales de la taille d’une carte à jouer au grand écran, en ayant le privilège de découvrir des œuvres peu montrées en raison de leur fragilité. 
J’ai choisi en tête de ce compte rendu une « Vue de la campagne anglaise avec la Tamise, et le collège de Greenwich » par Delacroix choisie en dehors des tableaux présentés cette après-midi là que je n’ai pas forcément retrouvés dans les entrailles d’Internet.
On entrevoit le carnet de croquis qui recueillait les impressions vives d’un instant.
Les anglais ont excellé dans cette « petite forme » qui va à l’essentiel comme une sonate en solitaire alors que l’huile serait pareille à une symphonie. Une histoire d’eau ?
La  palette constituée de pigments liés à la gomme arabique ou au miel et ces pinceaux petit gris va bien dans les paysages privilégiés par certains maîtres. Ceux- ci ont fait leur « grand tour » descendant jusqu’à l’extrémité du monde, située à Naples, entre les années 1750 et 1880, avant de revenir dans le Sussex ou sur les bords de la Manche.
Dürer, Van Dick, Rubens, inspirèrent les anglais comme Canaletto dont « La Tamise de Somerset House Terrace vers la ville » a forcément un air de sa ville natale, Venise.
Ce fut le cas aussi de Le Lorrain connu outre Manche sous le nom de « Claude »  qui exprime toute sa sensibilité et sa sûreté de main, dans un « Paysage pastoral avec des grands arbres » au lavis.
Le très anglais, Paul Sandby, en topographe militaire, relève objectivement les données ; l’échelle et la profondeur sont données par quelques références humaines, ici une vue du château de « Windsor ».
« Le chemin du lac »  de Francis Towne est dessiné à la plume après une mise en place au crayon légère afin de disparaître sous les jus.
La lumière sculpte les plans du paysage : une partie de papier blanc réservée évite de perdre de la limpidité. Commencer par le plus clair pour aller vers le foncé : ainsi se « monte une aquarelle ». Alors, les vagues dynamiques sous les « falaises de l’île de Wight » d’ Edward Dayes nous éclaboussent.
« Si Girtin avait survécu, je serais mort de faim » avait déclaré Turner après la disparition de son ami à 27 ans. Pourtant le « Scarlet sunset » du « peintre de la lumière » était impressionnant, 43 ans avant  « Impression, soleil levant » de Monet.
Et son « Lac de Lucerne » !
Girtin, s’autorise plus de liberté, de lyrisme après un séjour en  Ecosse,  comme en témoigne sa « Cathédrale de Peterborough ».
et cette "Distant View of Whitby"

Sur «La plage de Brighton» de Constable, les nuages sont bien là. Il avait décidé de «travailler sans relâche d’après nature pour tendre vers une représentation simple et authentique».
Louis Francia était né en France, il a peint de nombreuses marines qui ont surtout séduit le public de Londres où il s’était exilé : «  La plage à Calais ».
David Roberts embarquant en Egypte avec ses carnets de voyage a pu allier l’exactitude face aux architectures anciennes  à  l’improvisation. Ses reproductions sont toujours vendues aux abords du « Temple de Karnak » ou à Pétra.
Dans la nuée de sable blond des orientalistes :
« Vue de la Casbah d'Alger » de William Wyld comporte quelques rehauts de gouache blanche, 
un « Intérieur au caire »  par John Frederick Lewis parait avenant.
Il avait incité Delacroix à se mettre à l’aquarelle.
John  Ruskin ne fut pas seulement un critique d’art redouté, mais aussi  poète, écrivain, peintre et aquarelliste brillant comme on peut le constater avec cette « Étude de gneiss ». 
Les « études d’insectes » du hollandais Herman Henstenburgh  illustrent la diversité des possibilités d’un art où il faut beaucoup de talent pour être simple : ainsi travaux scientifiques, architecture, projets de décors, portraits, au-delà des paysages et des voyages…
Entre 1750 et 1850, des associations rassemblant artistes et amateurs se multiplièrent.
Varley, "Pass of Llanberis",
Cotman,  "River landscape with cattle herd"
Cox, "L’escaut en Hollande"... eux aussi connurent alors plus qu’un quart d’heure de célébrité.