lundi 10 octobre 2016

Mercenaires. Sacha Wolff.

Dans le milieu sportif, les footeux sont de vilains canards depuis qu’ils ont été les premiers à avoir monnayé leurs attraits, ils étaient moins aristos que leurs confrères du ballon ovale entrés officiellement depuis peu dans le monde de l’argent. Pourtant le liquide passait sous les tables des troisième mi-temps depuis longtemps.
Ce premier film riche ne triche pas.
Les mots de la grande famille du rugby sont bons pour figurer dans la vitrine aux souvenirs depuis  que les manières  du professionnalisme ont débordé bien au-delà du top 14.
Avec une vigueur très contemporaine, la fiction est utilisée pour révéler le réel.
Walis et Futuna, c’est la France, le haka n’est pas qu’un élément de folklore et celui qui clôt le film, célèbre une liberté éclatante après un voyage chaotique d’un hémisphère à l’autre.
La violence passe au delà des lignes qui délimitent le champ de jeu : celle du père, des agents, d’un encadrement aux pastilles miraculeuses et salaires de départ misérables en fédérale 3.
La tendresse est colossale au moment de grandir, quand il ne s’agit pas seulement de prendre du poids.

dimanche 9 octobre 2016

Une cArMen en Turakie. Michel Laubu.

Il ne suffit pas que d’un croissant de lune accroché devant Ar-Men  du nom d’un phare breton pour former le mot Carmen et faire poétique.
La saison à la MC2 commence à petits pas, à petit bruit, petit bras.
Ce spectacle qui joue sur les effets appuyés et les masques grotesques conviendrait davantage aux places ensoleillées de l’été pour passants indulgents qu’à la grande salle habituée à des pièces plus exigeantes, plus inventives.
Là le bateleur n’entraîne rien, la musique dont on a regretté souvent qu’elle soit trop forte en ces lieux, manque ici d’ampleur.
Nous sommes loin de l’Espagne de Bizet et si le lieu est plus marin, Ar-Men oblige, pourquoi pas ?
Les intermèdes vidéo bien vus où des moules jouent de la contrebasse, les crabes de la trompette et les crevettes du violon, dévorent les scènes où les marionnettes sont animées à vue.
Le scaphandrier fait de bulles et un lit devient une prison, des parasols tournicotent et un bateau gonflable vient faire un tour, et une planche à voile, et un kayak, mais sans rythme. Quand le texte vient c’est souvent lourd, on se fiche de l’histoire, guettant un truc ; le seul moment ou j’ai souri c’est lorsque les sur-titreurs se mélangent les panneaux et ça se termine par un ballet de poussettes : ils se marièrent et eurent beaucoup de bébés.
Alors on se dit que cela pourrait bien convenir à des enfants, mais j’ai vu d’autres spectacles pour les petits autrement  plus poétiques, drôles et enlevés.
« L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais, jamais, connu de loi »
Dans cette heure vingt qui aurait mieux tenu avec vingt minutes de moins, il n’y avait pas de loi certes, mais pas d’amour non plus, pas d’enjeu.
Ni la paresse ni la discrétion ne conviennent aux loufoqueries et le théâtre d’objets peut sembler fadasse, maintenant que tous les sculpteurs se sont mis à assembler selle de vélo et guidon pour refaire le taureau de Picasso.
La planche à repasser devient un peu plate pour entrer dans l’arène. 

samedi 8 octobre 2016

Heureux les heureux. Yasmina Reza.

Les conditions de lecture jouent bien sûr dans l’appréciation que l’on peut porter sur un livre.
Les chapitres très courts ont parfaitement convenu à une attention qui ne pouvait alors durer.
L’acuité du regard, la précision de l’écriture de l’auteur que je connaissais un peu par son théâtre décapant, ont supporté de fréquentes interruptions.
Mais lorsque les fils tendus depuis chacune des nouvelles se sont tissés, mes souvenirs étaient trop lointains pour que je goûte toutes les subtilités du roman choral.
La teneur de chaque chapitre m’avait déjà contenté par une lucidité, et une originalité  peignant  vivement des personnages déjà aperçus en vrai.
Le titre dit bien sûr le contraire des destins croisés en 176 pages, qui sont ceux des solitudes avec ce qu’il faut d’humour et de subtilité pour survivre et la folie à la férocité qui rôdent.
La comédie humaine s’écrit à la première personne et de la couleur se met sur l’absurde.
Nous sommes perdus, mais les bons écrivains savent jouer de la distance et nous rassurent : on sourit et on va marcher.
« On quitte les gens sur des plaisanteries idiotes, on rit sur le palier, dans l’ascenseur, le froid s’installe aussitôt. Il faudrait un jour étudier ce silence spécifique à la voiture, quand vous rentrez après avoir affiché votre bien-être pour la galerie, mélange d’embrigadement et de mensonge à soi-même. »
Du nerveux qui réveille.
 « Les émotions sont assassines. Je voudrais que la vie avance et que tout soit effacé au fur et à mesure »

vendredi 7 octobre 2016

On n’est pas sérieux quand on arrive au bout de cinq ans*.

Le début de quinquennat n’avait pas tenu ses promesses, mais en cette fin de mandat, les tactiques reprennent le dessus à la vitesse du TGV et d’anciens artifices sont remis à l’encan sur nos écrans.
Parmi tant d’autres :
- les prisonniers vont avoir des cellules individuelles,
- la scolarité obligatoire va s’étendre jusqu’à 18 ans
… déjà que certains attendaient leurs 16 ans impatiemment pour ne plus être attachés à leur chaise.
Le collégien est caressé dans le sens du poil (dans la main) cependant certains bien avant la fin de l’âge obligatoire font « péter » : "phobie scolaire" sur toutes les chaînes et puis «  comme je ne suis plus avec mes copines, je ne viens plus » : maîtresse ça stresse !
Maintenant que l’école va être encore plus ludique, toute sélection par le mérite écartée - la sélection sociale, elle, est de plus en plus déterminante - toutes les promesses s’épanouissent.
Certains ont déjà voulu comprendre que chaque élève a un avenir de médecin, d’ingénieur, de trader tout tracé ; qui voudra désormais mettre les doigts dans le cambouis ? En formation pour les métiers de l’hôtellerie, des apprentis abandonnent pour éviter de travailler le samedi. Des animateurs de MJC ont demandé à ne pas intervenir ce jour là.
La société devient de plus en plus inégalitaire, c’est bien pour cela que l’école, la bonne fille, est requise pour mettre l’égalité dans la vitrine.
Dans l’éducation nationale, les nouvelles réformes venant après la nouvelle réforme sont à l’œuvre depuis des décennies. Toutes ont proclamé lutter contre les inégalités et pourtant celles-ci s’aggravent grave.
Alors comme les communistes qui face aux faillites du communisme prônaient plus de communisme, pour affaiblir l’école et ses codes ringards, ses usages, sa laïcité d’un autre temps : que les « maîtres » se taisent ! J’emploie volontairement ce mot démodé qui n’a pas toujours eu cette connotation arriérée mais marquait un respect, pas forcément un asservissement. « Maîtresse » a gardé plus de fraîcheur et puis de toutes façons, le masculin est devenu tellement anecdotique en ces lieux. L’obéissance …des profs sera récompensée. 
La situation de recul de l’école et de ses valeurs est entérinée. Les murs où s’accrochait la devise républicaine se lézardent ; la voilà enterrée, la gueuse. Les lois du marché et ses thuriféraires sont plus forts que tous les rabâchages d’une situation tellement décrite sur ce blog que j’en suis à m’auto citer :
«Rythmes scolaires : l’école est devenue une activité entre deux week-end ». 
C’est bien parce qu’on cause tellement d’égalité qu’il y a du mouron à se faire sur sa réalité.
Les publicitaires affichent : produits du terroir, citoyenneté, transparence… les communicants rabâchent : « parité ».
Ces Rolex boys sont des amplificateurs de nos mœurs : ils savent bien que les prescripteurs sont depuis longtemps les enfants. Désormais, à longueur de pub, ils font la leçon à leur parents, il est vrai bien infantiles.
Si ce ne sont plus les enseignants qui enseignent, la science infuse des petits vient de quelle tisane ?
Pour avoir été un militant de l’entrée des parents à l’école, je suis d’autant plus navré par les aplatissements depuis la ministre jusqu’à la concierge, devant des consommateurs mal élevés, pardon des électeurs.  
Mon maître en pédagogie aimait rappeler cette phrase d’Elisée Reclus :  
 « L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre ».
Ses plans de travail, son organisation au cordeau permettaient la libre expression des élèves, des démarches constructives. Ces approches exigeantes et fécondes forgées dans le débat entre pairs et non pondues par quelque arriviste depuis ses bureaux, étaient un moyen et non une fin. Ce sont ces conseilleurs qui font la leçon aux profs pour qu’ils cessent de bâtir des leçons.  
Les lois de la classe coopérativement discutées constituaient un cadre intelligible et solide auquel appuyer les créativités et acquérir des connaissances.  Les enfants s’abreuvaient et produisaient pour les BT « Bibliothèque du Travail ». Il n’y avait pas confusion des pouvoirs. Mais je risque d’abuser du droit à la répétition, alors que le droit à l’erreur aurait pu être reconnu à ceux qui ont fait de la méthode globale le sentier lumineux de l’apprentissage de la lecture. Encore aurait-il fallu le dire. Combien d’expérimentations ont été mises en place et à l’heure où l’évaluation est la mère de toutes les batailles qui a reconnu que certaines méthodes ne faisaient pas l’affaire ?
Les cycles en primaire n’ont existé qu’en de rares endroits, qui s’est interrogé pourquoi ?
Il va de soi qu’il s’agissait de l’indécrottable conservatisme des méprisables enseignants…donc ce dispositif est instauré entre CM2 et 6° ! 
……………
* « Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !
Ce soir-là,  vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade. »
Rimbaud Arthur.
………………
Le dessin du Canard de cette semaine

jeudi 6 octobre 2016

Quelques expositions en septembre 2016 à Grenoble.

Le mois de la photo consacré au paysage à l’ancien musée de la place Verdun se termine le 8 octobre. Suivant le tropisme grenoblois, les italiens sont à l’honneur avec Gabrielle Basilico et ses grands panneaux en noir et blanc pour décrire avec précision quelques bords de mer et des lacets du Saint Gothard.
Olivier Cretin est celui que j’ai préféré : ses paysages vus à travers les fenêtres d’usines, de châteaux abandonnés sont beaux et forts, joignant dedans et dehors. Le sujet est aussi dans le cadre, le passé présent. Tourné vers  l' « Urbex », exploration urbaine en particulier des lieux abandonnés, il donne envie d’aller y voir et de s’arrêter devant ses travaux.
Par ailleurs des images du Chili reflètent l’humeur sombre d'un autre auteur, mais avait-il besoin de mêler ses enfants à cette vision ? 
Depuis les noirs d’Annunzi, ressortent quelques brindilles subrepticement.
Les paysages de Xavier Blondeau sont habités par la présence humaine, même si au moment de la prise de vue, personne ne figure dans la tache de lumière qui perce la nuit.
Les images accrochées sur les murs d’ateliers à Palerme ont des allures d’autels vivants.
D’autres images du camp de Rivesaltes montrent le vide et des vues aériennes en noir et blanc font regretter de ne pas avoir quelques fois d’autres moyens techniques pour des vues déjà entrevues derrière son propre viseur.
Par contre Lea Lund à la galerie Ex Nihilo, rue Servan, a une patte tout à fait personnelle.
En faisant poser un « sapeur » congolais au milieu d’architectures de la vieille Europe, elle réveille ses sujets travaillés telles des gravures du XIX°.
A la galerie Hébert dans la rue du même nom, Kseniya Kravtsova présente « Paper poetries » jusqu’en novembre. J’ai préféré à quelques peintures, les calques cramés en grand format formant des fleurs noires. Des froissements, des dentelles vouées à la disparition, des traces légères épinglées en tapisseries fragiles : la voie qui mène au néant peut prendre de belles formes quand elle se dispense de sous titrer : « je m’embrase ».

mercredi 5 octobre 2016

Equateur J 3 (suite) : La vache de Santa Barbara.

Nous descendons peu à peu en altitude.
Le minibus stoppe à un point de vue sur un lac surmonté par un volcan à la forme typique.
Nous embarquons une jeune femme en costume traditionnel avec son fils dans le dos,  en roulant elle nous interprète « a cappella » deux chansons indiennes. Après nous avoir proposé sans insister des étoffes colorées, elle nous quitte pour revenir à son point de départ.

Nous arrivons à Santa Barbara (2580 m), stoppons à un croisement face à l’école et à l’arrêt de bus.
Sur les lignes électriques des plantes épiphytes ont poussé.

Nous sommes dispatchés pour le reste de la soirée, dans trois familles différentes.

Les habitués de l’Amérique du Sud descendent en premier puis nos  franco-américains  dont nous avons admiré le charmant logement qui leur est réservé.
Le nôtre est bien sympa aussi, répondant à un cahier des charges commun car la même plaque figure sur la maison à la façon des Gîtes de France : « Pachamama Turismo Rural Comunitario Runa Tupari ». Les matériaux et le style sont identiques.
Une jeune fille nous accueille. Nous nous installons, puis elle nous fait découvrir les trois chiens dont une Laïca du nom d’une chienne que nous avons bien connue, les cuys (cochon d’Inde) et les lapins.
Elle nous propose de l’accompagner : nous allons couper de l’herbe pour les bêtes, en longeant des champs nous sommes étonnés par les piquets sur lesquels poussent des  feuilles. Elle ne parlant ni l’anglais ni le français, nous ne parlant ni le quichua ni l’espagnol, nous essayons de communiquer avec la jeune fille douce et patiente.

Après avoir croisé des gamins à nattes jouant au foot et des filles essayant un cerf volant, nous rentrons à la maison.
Je commence à  écrire, Guy à lire. Puis peu après c’est la « Mamie » (maman) qui vient nous inviter à chercher sa vache et un grand veau que nous menons à la corde.
Le mâle est attaché dans une parcelle de terre retournée et la vache entravée à un arbre près de la maison.
Une fois les pattes arrière ficelées, la mamie plus jeune que moi, lui amène un veau à nourrir mais le retire bien vite pour recueillir le lait qu’elle va vendre à deux clients habitués qui patientent. Elle propose à Guy d’essayer de traire ce qu’il fait efficacement mais la baca est particulièrement difficile selon la patronne.
Il peut imaginer ce que dirait sa mère : « 10 000 km pour venir traire une vache ! »
Après il faut nourrir les chiens avec du petit lait qu’ils lapent avec avidité, tout en donnant quelques coups de langue au bon lait « bourru », jeter du grain aux poules qu’elle appelle par un  gentil petit cri, enfin fournir l’herbe dans chaque clapier aveugle. 
Elle nous fait signe de la suivre sur le toit pour ramasser le linge sec et le mettre à l’abri de l’humidité nocturne.
Elle enfile un tablier sur ses habits traditionnels, pas tachés par les travaux précédents de même que ses espadrilles impeccables, et en tend un à Guy. Les voilà tous les deux à préparer le repas : soupe de maïs, semblable à de la polenta en plus liquide et du quinoa mélangé à des morceaux de poulets de courgettes et de poivrons.
Elle donne des instructions avec naturel et humour, lui fait des reproches sur les morceaux trop gros, sur le mouvement trop rapide pour remuer la soupe. Comme boisson nous nous régalons de jus de fruits (framboise) avec ou sans sucre. Au moment du repas la fille et la mère jouent avec les lumières de la cuisine tout en surveillant la maison de l’autre côté du champ. Nous ne comprenons pas tout. Nous nous mettons à table à l’heure annoncée : 7h 30, et tandis que nous attaquons la soupe dans laquelle nous glissons un morceau de fromage maison et des grains de maïs grillés, arrive un jeune homme de 21 ans chapeau vissé sur sa tête nattée : sans doute un cousin qui baragouine l’anglais aussi mal que nous. Plus tard arrive le « papi », « le père de ma fille », chapeau noir inamovible et natte. Il est adorable comme sa femme, et les regards qu’ils se lancent d’un bout à l’autre de la table sont plein d’amour et de connivence. On arrive à partager une soirée chaleureuse dans une famille unie, de culture différente et pourtant si proche. Papi Ernesto rentre de Quito où il construit des maisons, mais sa situation est hautement précaire. Nous les laissons se retrouver et allons nous coucher sous un concert d’aboiements proches et lointains.

mardi 4 octobre 2016

La revue dessinée. Automne 2016.

A chaque livraison de ces 224 pages le plaisir d’apprendre rejoint celui de se divertir.
Pour ouvrir: « Calais terminus » un reportage avec de très beaux dessins de Pomès qui ressemblent à ceux de Baudouin, dans la « jungle » et aussi du côté des bénévoles, de calaisiens avec retour 6 mois plus tard.
 A l’autre bout du monde, le capitalisme à Monaco et son univers impitoyable : documenté malgré la règle du secret concernant la famille princière qui se prête d’autant plus complaisamment aux images people que la réalité cachée des affaires, des affairistes est scandaleuse sur le rocher.
Chez nous, il y a quelques cailloux de taille dans notre chaussure gauche, au temps de Macron, et de sa loi, et il n’est pas inutile de voir la mécanique du pouvoir à l’oeuvre.
L’histoire du flash-ball n’est pas qu’anecdotique entre jouissance de la puissance des pan pan et les barrières des lois de la République.
Le récit d’un médecin dessinateur de BD faisant part de son expérience au service de ceux qui ont des difficultés pour accéder à la protection sociale présente un angle original pour une réalité méconnue.
A côté de ces lourds dossiers, nous retrouvons les rubriques habituelles avec satisfaction
- Musique avec Face B : le parcours d’Alex Chilton auteur de « the letter » qui fut parait-il un succès mondial.
- Sport : apprentissage de la voile à la base de loisirs de Saint Victor sur Loire.
- Sciences : les statistiques à coup d’algèbre matricielle où il est question de six degrés dans les réseaux comme dans une chaîne alimentaire, dans le cerveau, dans un quartier ou sur Facebook…
- le langage : jeux avec le mot « personne » : présent ou absent ?