jeudi 24 mars 2016

Le Caravage et les caravagesques italiens. Jean Serroy.

Ce soir le conférencier, devant les amis du musée de Grenoble, a commencé par la Genèse :
« La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. »
et les lamentations de Jérémie :
« Il me fait habiter dans les ténèbres,
Comme ceux qui sont morts dès longtemps »
Du néant, de la mort, depuis les zones noires et les mises en scènes dramatiques, la force lumineuse, détachant les volumes, va jaillir du « ténébrisme ».
La modernité pointe son nez  au XVII° siècle, au milieu d’un bouleversement culturel et spirituel décisif pour notre civilisation.
C’est le temps de la reconquête catholique, du concile de Trente, quand des sciences remettent en cause les connaissances. L’homme va-t-il être privé de la grâce, de la lumière ?
« Saint Jérôme » le traducteur de la bible en latin, fait face au crâne : « memento mori ». Le « ténébrisme » se distingue du clair obscur qui procède par degrés, il assume le face à face, le contraste.
Si la lumière de Jacopo Bassano vient de l’intérieur du tableau, le peintre maniériste annonce le Caravage en particulier dans « La déposition du Christ »
comme Le Gréco  et  son « Jeune garçon soufflant sur un tison »
ou dans les couleurs éclatantes, sortant de l’ombre avec une bougie et une torche, d’Antonio Campi dans « La Décollation de Saint Jean-Baptiste ».
Michelangelo Merisi dit Caravaggio, peintre maudit, eut les faveurs de princes de l’Eglise car il remplissait les maisons de Dieu. Au cours de ses fuites, de la Lombardie, à Rome, Naples, à Malte, il reçut de nombreuses commandes. Puis l’engouement passé, oublié des siècles suivants, il est redécouvert dans la seconde partie du XX°. Il inspire de nombreux romans dont « La Course à l'abîme » de Dominique Fernandez et plus récemment « La mort subite » d’ Álvaro Enrigue, des films dont «  Caravaggio » de Dereck Jarman.
Mon voisin de conférence m’envoie un commentaire de Fernandez  extrait de son dernier livre « Nous avons sauvé le monde » à propos de la phrase de Poussin : « Caravage a détruit la peinture » :
« Ce qu'a détruit le Caravage ce n'est pas tant la peinture, mais l'illusion que la beauté, la propreté, l'hygiène, la bienséance vestimentaire sont le bien de tous. Beauté, propreté, hygiène, noblesse dans le maintien, dignité dans les manières, correction dans les vêtements, de telles valeurs ne sont pas universelles, elles sont un luxe qui n'appartient qu'à certaines classes de la société. »
Baglione, un de ses concurrents malheureux, peut nous éclairer, tout autant que ses nombreux laudateurs :
« Une tête de sa main se payait plus cher qu'une grande composition de ses rivaux, tant était grande l'importance de la ferveur publique ...ferveur publique qui ne juge pas avec les yeux mais regarde avec les oreilles.»
« L'Arrestation du Christ »  au moment du baiser de Judas montre la proximité du bourreau et de sa victime comme dans sa dernière œuvre « le martyre de Sainte Ursule » où brillent aussi les cuirasses.
Par contraste sa « Corbeille de fruits », œuvre de jeunesse, inondée de lumière est originale par la vue en contre plongée et les marques de pourrissements, de flétrissures, qui n’embellissent pas la réalité.
Parmi sept versions,  « Saint Jean Baptiste » à la grâce alanguie, est bien vivant, dénudé par la lumière, qui éclairait  aussi le célèbre « Bacchus », jeune homme, un peu las.
Quand celui qui est désigné par Jésus, semble interroger : « qui ? moi ? » au  moment de « La  vocation de Saint Matthieu », une « lumière de soupirail » éclaire le bureau du fisc comme les tavernes à venir
Deux versions de « Saint Mathieu et l’ange » écrivant sous la dictée sont également fortes, mais je préfère la charmante complicité du jeune et du vieillard qui fut refusée pour son trop grand naturel, dont ne subsiste qu’une copie, car la toile originale fut détruite par les bombardements de Berlin à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les ténèbres ont couvert la terre, la sauvagerie se déchaine lors de la flagellation du Christ, ou au moment de la mise au tombeau, Le Caravage, qui a beaucoup vécu la nuit est sublime, son désir de lumière éclate avec «  La conversion de Saint Paul ».
Le « caravagisme », lumière et naturel, trouvera en Bartolomeo Manfredi un disciple qui n’est pas seulement un théoricien, voir son « Arrestation du Christ ».
Artemisia Gentileschi et la violence de « Judith décapitant Holopherne » répond à un viol qu’elle avait subi et n’était pas resté caché.
De Francesco Guarino, « Sainte Agathe »  qui eut les seins coupés, est saisissante.
Mais pour conclure sur un bel équilibre, ce « Le baptême du Christ » de Battistello ira bien, non ?
Il y eut un temps aux amis du musée de Grenoble où Le Caravage était cité presque à toutes les conférences, j’en ai retenu quelques pages dans les archives de ce blog, quand il fut question du noir: http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/le-noir-damien-capelazzi.html
Et lorsqu’il fut exposé à Montpellier :

mercredi 23 mars 2016

Le goût de l’eau. Michel Rivard.

Quand, même lui, mon chonchon, mon unique, Souchon, déçoit  avec Voulzy  trop en avant dans l’avant première d’un album attendu :
«Derrière nos voix 
Est-ce que l'on voit nos cœurs ? 
Et les tourments, à l'intérieur ?
Ou seulement la, la, la?»
retrouver un vieux CD qui remonte à 1992 de Michel Rivard réconforte avec sa suite de « chansons naïves » sur des mélodies variées et séduisantes.
« Écoute mon amour
écoute comme c’est beau
ce n’est pas le moteur
ce n’est pas la radio
ce sont des larmes d’ange
sur le toit de l’auto
oh! Le goût de l’eau »
L’enfance est confiante : « une bille de verre », et poétique « sous la lune d’automne » :
« Dans l’nord d’la ville
d’une ville du nord
y a un ti-cul qui cherche encore
le fil de sa mémoire
et la lune d’automne
brillera ce soir
Je n’aime pas la nostalgie
c’est une maîtresse inassouvie
aux yeux trop bleus
mais je t’emmène en ville à pied
j’te fais présent de mon passé »
Quand on est emballé, tout parait délicieux : sa reprise de « la princesse et le croque note » de Brassens est à la hauteur, et même le déprimant « l’oubli » est fort, pourtant « en parlant de la paix » a pu s’user comme  « les dinosaures », mais le charme opère toujours et on approuve l’invitation toute simple « veux-tu danser ? » ou la demande « garde-moi de la peur » de « Tout seuls en Amérique ».
Je recopie quelques mots de  « tu peux dormir » 
 « J’voudrais m’glisser dans tes silences
savoir enfin à quoi tu penses
quand tu souris
le temps qui passe est un méchant
papa le temps est un méchant »
 juste pour évoquer les jeux avec les rencontres, le temps,  l’enfance toujours, la légèreté pour aller au cœur des auditeurs, dans cette dernière chanson loin d’être aussi célèbre que l’immense « complainte du phoque en Alaska » du temps où il faisait partie du groupe Beau Dommage.

mardi 22 mars 2016

A la recherche de Peter Pan. Cosey.


La préface présente le Valais dans les années 30, alors que le titre pressent un décalage entre l’exploration d’une montagne rêvée par un écrivain anglais désinvolte à la recherche de son frère et les habitants d’un village menacé par le glacier voisin.
Les images sont belles, mais les situations m’ont parues artificielles entre les gendarmes à la recherche d’un faussaire, une jeune fille mystérieuse qui se baigne dans un lac d’altitude et des notes de piano qui s’entendent de nuit dans un hôtel abandonné : romantisme de pacotille et manants pour la déco.
Sir Melvin Woodworth, tourmenté par son éditeur, a décidé de rester malgré l’alerte avalanche. Il apprendra combien son frère a été généreux et  goûtera aux douceurs de la belle pianiste providentielle.
« Parti à la recherche de Peter Pan, je me trouvais dans le ravissement étonné de ramener la fée Clochette dans mes bagages. »
La première publication date de 1985, voilà une occasion de ne pas être nostalgique de ces temps grandiloquents.

lundi 21 mars 2016

Alias Maria. José Luis Rugeles Gracia.

La vie des guérilleros n’est guère rose, bien que cette couleur ait convenu pour le bébé à trimballer dans la forêt colombienne. Les armes et tout le barda pèsent sur les épaules des apprentis militaires à peine sortis de l’enfance.
De la misère en milieu macho colombien, avec des mômes de 13 ans en cloque, et un garçon à peine plus jeune qui finira le nez dans le ruisseau, car il ralentit la dérisoire escouade devant mettre à l’abri le seul bébé de gradé qui doit survivre parmi tant d’autres avortés.
Les larges feuilles de cette jungle, où le danger toujours menace, ne cachent plus la disparition de tout espoir, ni la misère, les combattants en ont plein les bottes.
«Avec autant de gifles, qui peut apprendre ?»

dimanche 20 mars 2016

L’émoi du monde. Rachid Ouramdane.

Un ami qui avait vu le spectacle m’avait dit qu’il avait été subjugué : pas mieux.
Décor blanc élémentaire, dès les premiers pas, j’ai marché : sous des lumières changeantes, caressantes, un soliste danse comme un pantin désarticulé sur une musique mécanique, répétitive, s’évadant parfois. Il va être rejoint par une quinzaine de danseurs qui déchainent un feu d’artifice de gestes inventifs, à deux, à trois, à plus, à tous, tout en exprimant à mon sens, un sentiment poignant de solitude malgré des chaines qui se tricotent harmonieusement. Les rencontres sont furtives, ils fuient, se rattrapent. Le désordre est  rigoureux et je m’étonne à chaque fois des capacités de mémoire corporelle des artistes. Alors qu’au même moment  les professionnels du rugby étaient au stade des Alpes où ils ont préparé des combinaisons savantes que l’adversaire déjoue parfois, ici on ne voit aucune couture et les mouvements d’une folle intensité sont d’une fluidité enjouée.
Heureusement que des moments de calme arrivent tant la tension est forte, le rythme acharné, les impulsions, les courses, multiples.
La deuxième partie du spectacle de 1h 25 intitulée « Tout autour » met en jeu 24 danseurs, cette fois en chaussettes après les pieds nus du premier épisode « Tenir le temps ».
Les titres généraux ambitieux ne rendent pas compte de l’originalité de la démarche d’Ouramdane déjà vu http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/12/sfumato-rachid-ouramdane.html  qu’on peut se réjouir de son installation ici où il dirige avec Yoann Bourgeois le Centre chorégraphique national de Grenoble.
En cette époque restrictive, l’effet de masse est spectaculaire quand hommes et femmes habillés de marron ou de vert se croisent, se roulent au sol, virevoltent. Quand on s’aperçoit vers la fin que le piano joue tout seul, on se demande depuis combien de temps, tellement on a pu être pris entre suivre un individu ou l’ensemble qui peut se voir comme des barrettes ondoyantes d’un graphique ou des curseurs : des machines émouvantes.

samedi 19 mars 2016

Malaise dans la démocratie. Jean Pierre Le Goff.

« Boire du petit lait » est une expression qui peut paraitre étrange en ces temps pasteurisés, mais elle vient à mon esprit élevé au cul des vaches, pour dire  tout mon accord avec un auteur déjà parcouru ici.
Le sujet est de taille, les éclairages alertes, clairs.
Attention les gentils du camp du Bien :
«  L’idéalisation de l’autre s’effectue dans une logique de règlement de comptes avec la culture de son pays et la civilisation européenne. L’illusion consiste alors à penser que cette attention bienveillante et ce sentiment de culpabilité sont naturellement partagés. »
L’auteur de « La France morcelée » revisite l’individualisme, trait majeur de notre société :
«  L’exigence d’autonomie et de souveraineté individuelle érigées en nouveau modèle de société entraine un processus de déliaison et de désinstutionalisation qui abandonne l’individu à lui-même et facilite toutes les manipulations »
notre éducation :
« Au sein des nouvelles couches moyennes, cette culture psy peut devenir obsessionnelle et peser lourdement sur les relations au sein des couples et les rapports parents / enfants…. Alors que cette culture s’est voulue un instrument de libération, elle a placé la spontanéité et la liberté des relations humaines sous une surveillance et une autosurveillance de type nouveau qui n’ont rien à envier à la rigidité et au moralisme d’autrefois, surtout quand, à la différence des films de Woody Allen, l’humour y est absent. »
le monde du travail :
«  La sous culture des milieux de la formation et du management est aujourd’hui diffusée dans l’ensemble des activités sociales par le biais de nombreux stages de formation accentuant le divorce qui s’est installé entre spécialistes déclarés et praticiens »
 la culture :
« Cette confusion entre le social, le politique et le culturel va notamment se traduire par l’institutionnalisation, le soutien financier et la diffusion sur l’ensemble du territoire de créations et de spectacles marqués par « la contre-culture » aseptisée intégrée à l’animation festive du nouveau monde. »
Et les diverses religiosités avec une ironie légère et revigorante.
Les propositions ne vont surtout pas dans le sens d’une « démocratie rêvée des anges »
«  Le plus surprenant dans l’affaire est que les déclarations de paix et d’amour envers l’humanité tout entière ont redoublé alors que l’islamisme radical proclame se haine des mœurs et des valeurs démocratiques, que l’Etat islamique et ses suppôts commettent des massacres de masse. »
Mais si ces 270 pages contribuent à affronter la réalité, en bon habitant européen d’un « continent de la vie interrogée » comme dit Jan Patocka, la dissection des causes de notre malaise occupe toute la place. La lucidité éteint toute espérance.

vendredi 18 mars 2016

« Expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser »

La formule de Vals avait déchaîné quelques tempêtes d’un jour, maintenant c’est au code du travail d’être à l’affiche sur les tablettes et dans la toile désertées par tout débat constructif.
J’aurai pu être choqué par la « punch line » du premier ministre qui nie toute intelligence, ayant été toute ma carrière du côté des pinailleurs, essayant de comprendre ce qui souvent me dépassait dans le débat politique.
Mais dans le contexte actuel où des commentateurs invitent plus volontiers les victimes à s’excuser que les meurtriers, et comprennent plus volontiers ceux qui font peur et surtout pas pas ceux qui ont peur. Je ne suis plus.
Toutefois qui n’approuverait pas :
«  connaître les causes d’une menace est la première condition pour s’en protéger » ?
En s’exprimant d’une façon aussi sommaire, Vals adopte une posture symétrique à ceux qui nient la réalité de l’extension du communautarisme et la virulence des ennemis de nos libertés et participe à l’abaissement du débat politique où les torts sont également partagés.
Gilles Keppel, auteur de « Terreur dans l’hexagone », s’alarme et fait part de sa consternation :
« les instances universitaires sont tétanisées par l’incapacité à penser le jihadisme dans notre pays ».
L’autre soir Hollande face à Pujadas: le  journaliste représentait une opinion oublieuse, le président de la République en rappelant les morts du Bataclan et son discours à Versailles qui fit l’unanimité, sortait de « l’urgence », si je puis me permettre.
Ah certes, ils en ont fait des tonnes au cours de tant de commémorations avant de passer à autre chose. Tout acte étant réduit à une posture tactique en vue de la prochaine présidentielle. Cette échéance pèse sur les institutions, elle est rappelée systématiquement par les médias à la moindre intervention d’une quelconque secrétaire d’état chargé de « l'aide aux victimes », victime de la désinvolture médiatique aux caméras lourdingues et des rigidités des Schneiderman à la baguette corrective.
« Petits tas tombés » disait Souchon de ceux qui dorment dans des cartons, peut valoir aussi pour nos mots de papier de soi, quand les promesses ne valent que pour les imbéciles, les indignations que pour les convaincus.
En différant la parution de cet article, l’obsolescence accélérée de toute opinion me saute davantage aux yeux.
« La "variet" s'acoquine et rime avec obsolète » chantait  le ringard MC Solar,
En mimant l’observateur politique, je me retrouve dans une tribune aux côtés de ceux qui se contentent de siffler l’arbitre, sempiternellement.
Arrivé à l’âge de comprendre ceux qui sont aux responsabilités, je me lasse des postures toujours en réaction, et supporte de plus en plus difficilement les geignards qui ne savent que faire valoir leurs droits en s’affranchissant de tout devoir envers une société qui les nourrit et les chauffe.
………….
Le dessin sous le titre est de Saudron , paru dans « l’Avenir » journal de Namur et repris par Courrier International. Le dessin ci-dessous c’est celui du Canard qui se met à faire des fautes de frappe ; tout fout le camp !
Et l'autre de Télérama: