lundi 14 mars 2016

Les délices de Tokyo. Naomi Kawase.

Bien sûr quand une vieille dame est embauchée par le tenancier d’une échoppe qui vend des macarons au coin de la rue et que celle-ci va  être appréciée d’une clientèle grandissante, la situation ne peut pas durer.
C’était trop beau, trop tendre, mais cela reste délicieux : sous les masques souvent imperturbables, les résiliences se mettent en route.
Les cerisiers en fleurs sont magnifiques, même dans un environnement banal. Au rythme des saisons sans flonflons, nous partageons volontiers  ces tranches de vies. Bien plus que la recette des dorayakis fourrés aux haricots confits se transmettent des façons d’apprécier le temps, et gagner en liberté quand on a apprivoisé ses faiblesses.  

dimanche 13 mars 2016

Ellis Island. Eric Lareine.

Sur fond de blues, réveillé par des accents rock a été évoqué le thème de l'immigration en Amérique, à l’auditorium de la MC 2.
Accompagné de Pascal Maupeux à la guitare, le créateur de la troupe « Leurs enfants »   basée à Toulouse, nous a emmené sur l’ile qui recevait les migrants au pied de la statue de la liberté. Les artistes sont efficaces bien que la formule racontages et chants, allant de soi, ne soit pas si fréquente.
Jusqu’en 1924, seize millions de réfugiés sont entrés aux Etats Unis par « L'île des Larmes », nommée « l’ile aux mouettes » du temps des indiens.
L’émigré devenait l’immigré après examen médical et formalité administratives.
Rien n’est appuyé, bien que passionné, avec une présence qui s’affirme tout au long d’une heure et quart de spectacle.
Mélancolie et espoirs se mêlent, des textes sont de Pérec et d’autres de Joe Brainard qui inspira le français avec ses « I remember ».
Dans l’énumération :
« Cinq millions d’émigrants en provenance d’Italie,
quatre millions d’émigrants en provenance  d’Irlande,
six millions d’émigrants en provenance d’Allemagne,
trois millions d’émigrants en provenance d’Autriche Hongrie,
six cent mille émigrants en provenance de France… »
difficile de ne pas penser à ceux qui débarquent aujourd’hui en Hongrie, Grèce ; j’allais dire en Europe, mais les réponses sont si peu européennes. 


samedi 12 mars 2016

Que peut la littérature ?

La fête du livre à Bron devient un  de nos rendez-vous annuel 
Pour sa 30° édition, nous avons été ravis bien que le choix soit toujours difficile entre tant d’écrivains majeurs présents à l’hippodrome de Parilly.
Alexis Jenni, l’écrivain prof de sciences et l’historien Benjamin Stora ont écrit ensemble « Les mémoires dangereuses »; le prix Goncourt avait lu le livre du président du conseil d’orientation de la cité de l’histoire de l’immigration, « Le transfert de mémoire ».
Le thème de leur dialogue s’intitulait : « Qu’est ce qu’on a en commun ? » l’Algérie et nous.
Un FN aussi intégriste que le FIS a nourri un «  Sudisme à la française » dans son rapport brutal ou paternaliste aux autres et aux institutions.
L’Algérie n’était pas une colonie mais un département français ; un sentiment de revanche a perduré parmi certains «  pieds noirs » depuis le sentiment d’avoir été cerné là bas par les arabes colonisant à leur tour la métropole d’un empire rétracté. Le souvenir d’une grandeur perdue masqué un moment par la figure du général De Gaulle, dont Alger fut capitale de la France Libre, tourne dans les années 80 à une envie de retour en arrière, autrement dit l’option réactionnaire.
L’histoire des mots est éclairante et paradoxale : « intégration » fut inventé par Soustelle alors que dans les années 30, l’ « assimilation » était la revendication d’un Ferhat Abbas.
Entre le million et demi d’appelés, le million d’Européens d’Algérie, les immigrés algériens dont le nombre a doublé en France pendant la guerre, les « pieds rouges », les harkis, les algériens d’Algérie pour qui se fut aussi une guerre civile, les mémoires sont cloisonnées. 
La France a été modifiée par cette guerre reconnue seulement comme telle depuis peu.
Et le 19 mars en tant que date de fin du conflit ne fait toujours pas l’unanimité : c’est sans fin, d’autant plus que tout débat commence par la fin en 1962 et non le début en 1830.
Les deux complices sont en désaccord sur le film auréolé de ses interdictions de jadis : « La bataille d’Alger » de Pontecorvo ; seraient-ils d’accord sur celui qui reste à faire autour d’Abd el-Kader, franc-maçon et mystique, héros  de l’indépendance, dont le destin exceptionnel pourrait nourrir un grand récit qui n’a été entrepris ni d’un côté de la Méditerranée ni de l’autre ?
Nous avions été attirés à La table ronde suivante par la présence de Maylis de Kérangal mais Alexandre Bergamini et Hélène Gaudy furent à la hauteur par la grâce d’une animatrice qui fit magnifiquement partager les émotions, les finesses des paroles développant le thème de « L’esprit des lieux ».
Si aucun ne fait apparaître le nom d’un lieu dans le titre de son ouvrage, Hélène Gaudy dans « Une île, une forteresse », se consacre à la ville de garnison en forme d’étoile, Terezin, présentée dans des films de propagande nazis comme un conservatoire de la culture juive où 140 000 personnes furent déportées.
 « Le travail des derniers témoins des derniers témoins » à propos de la Shoah est aussi celui d’Alexandre Bergamini qui traite du camp de transit de Westerbork destiné aux juifs Hollandais dans son livre « Quelques roses sauvages ». Aujourd’hui une station scientifique s’élève à proximité comme dans le désert d’Atacama où un observatoire des étoiles a été construit parmi les pierres et les os des suppliciés de Pinochet. Le poète qui a commencé son récit à partir d’une photographie de survivants se voit comme un écrivain et non comme un romancier, au terme d’une écriture au long cours où il estime s’être perdu, happé au bord d’un trou noir. Il ne veut parler pour personne d’autre que lui-même : «  à ma place ». Il nous livre en passant l’information que des tonnes d’or volées aux juifs auraient transité de la Suisse vers l’Espagne.
Dans « A ce stade de la nuit », Maylis de Kerangal, à front renversé avec les deux autres auteurs pour lesquels les photographies ou les dessins sont fondateurs, fait venir les images à partir des sonorités du mot Lampedusa : nom de l’auteur du « Guépard » et de l’île où depuis 25 ans des migrants essaient d’accoster.
Autant de chambres d’échos pour des mémoires qui ne se traitent pas comme un devoir.
«Sacraliser la mémoire est une autre manière de la rendre stérile» Tzvetan Todorov
Ayant fait le tour du dicible, ces jeunes écrivains savent aussi les limites du lisible, et dans le carroyage (= quadrillage, mais j’aimais bien la consonance de ce mot que je viens d’apprendre) des espaces, la métaphore d’un point aveugle au centre de nos vies, évoquée par le monsieur minoritaire sur l’estrade, éveille nos curiosités.
Séduits par toutes ces intelligences, nous avons envie de nous nourrir de leurs ouvrages, c’est alors qu’ils se mettent d’accord pour nous inciter de surcroit à découvrir encore un autre écrivain Allemand mort en Angleterre, Sebalt :
« Les souvenirs sont comme les ombres de la réalité »
Tout a tourné autour de la mémoire soudée à un présent qui contiendrait tous les temps, se difractant et s’incarnant magnifiquement avec ces auteurs dont la quête personnelle dit bien un moment de nos incertaines recherches.

vendredi 11 mars 2016

Merci patron. François Ruffin.

L’ironie,  l'humour, mettent en évidence avec efficacité la distance entre l’indécent univers du luxe de LVMH et les conditions de vie de travailleurs licenciés par Bernard Arnaud PDG.
Parmi eux une famille d'ouvriers si loin des préoccupations mondaines considérant que le capitalisme commence à 1500 € par mois, se contentait d’une tartine à Noël et mettait pour 5 € d’essence dans la voiture, quand c’était possible.
Le rédacteur en chef du journal alternatif « Fakir » omniprésent en Robin des bois malicieux, n’est jamais en surplomb vis-à-vis des personnes en difficulté qu’il tire de la détresse.
Bobos grenoblois, nous apercevons la Picardie et nos références pour un tel documentaire vont du côté de « Strip tease », mais on peut se rappeler, sans ses dispositifs tapageurs, un côté Julien Courbet  du temps de l’émission « Tous ensemble ».
« Tous ensemble, tous ensemble» nous l’avons chanté, mais la référence à TF1 regardée par les pauvres peut amener à se faire scruter de travers par certains spectateurs enthousiastes qui se pressent devant ce film où les petits font cracher les gros, finalement pas si inatteignables derrière les cordons de CRS.
Ces fonctionnaires là protègent les actionnaires en AG au Carrousel du Louvre ; à un prochain anniversaire penser à demander aux gendarmes d’assurer le service d’ordre.
Ce film souligne une défaite de plus de l’action syndicale, supplantée par des pressions proches du chantage au pays des images : un film en est l’aboutissement. Se conduire en ruffian (jeu de mot) fait rire les salles en voyage exotique dans des salles à manger où il n’y a plus grand-chose à manger.
Film utile et bien ficelé.
« Fakir » acheté dans la foulée a une approche chaleureuse, rigolote et pertinente parfois :
«  c’est un souci pour la gauche, je pense: elle est truffée d’intellectuels, de diplômés, et du coup on va tout de suite à la théorie sans passer par les corps, les sens, les émotions, les passions. Voire il ne faudrait pas de ces émotions contre la raison. Mais la politique ce sont aussi des sentiments. »
……
Cette semaine sur Facebook, l’expression de la rue :

jeudi 10 mars 2016

L’art du portrait au XVII° siècle. Fabrice Conan.

L’historien de l’art intervenant devant les amis du musée de Grenoble a présenté un portrait de « La princesse palatine » par François de Troy, au début d’une série devant illustrer « le temps de la grandeur » pour ce genre de peinture, moins bien considérée alors que la peinture d’histoire ou religieuse, puisqu’elle n’est qu’une représentation du réel.
« Madame » mariée au frère de Louis XIV aimait moins les bijoux que son époux de convenance, et quand au cours d’une chasse, elle versa dans un fossé, le roi lui dit : « le fossé a dû être comblé ». Elle, qui ne manquait pas de verve, pouvait se permettre de se comparer à une pagode, vers la fin de sa vie. Au moment du portrait, tout est apparat, les étoffes soulignent le statut social et les colonnes, la stabilité.
« L’Atelier du peintre » d’Abraham Bosse met en scène une profession qui a gagné ses lettres de noblesse au cours du XVII°, l’activité devient rémunératrice rencontrant le narcissisme des « personnes de qualité » : il s’agit de faire le plus ressemblant possible, le plus flatteur aussi, parfois. Ici, l’artiste s’inspire des livres, des autres arts (la sculpture) et de  la nature. Derrière le portrait du roi Louis XIII, Richelieu n’est pas loin, mais posé au sol.
«  La galerie des illustres » du  château de Beauregard au bord de la Loire comporte 327 portraits répartis sur trois niveaux, elle rassasie le besoin d’images qui se faisait jour (déjà) à cette époque.
La simplicité va bien à « Louis XIII » par Dumoustier : dans une attitude naturelle, son regard est intense,
comme « Le chanoine » de  Jean Chalette.
Par contre dans son « Portrait de Jean Caulet en Apollon couronné » le modèle est engoncé sous ses lauriers, derrière un parapet inspiré de l’école flamande.
Pourtant l’inscription latine  signifie :
« Ici, sous la présidence d’Apollon, les Muses distribuent des fleurs aux poètes, et le véritable Apollon est pareil au protecteur portraituré ».
Nicolas Lagneau, lui, n’est pas loin de la caricature avec son « Hippocrate ».
Henri IV n’hésitait pas à figurer en  Mars, dieu de la guerre,  mais son fils n’en avait pas le goût. 
Sa femme, « Marie de Médicis » par Frans Pourbus, portait une robe de 35 kg cousue sur elle.
En ces temps, le côté flamand se marie au mouvement à l’italienne et au goût espagnol, la lumière vient de Bologne.
Philippe de Champaigne peint « Les enfants de Habert de Montmor », six garçons, en robe pour les plus petits, qui entourent une fille, leurs mains dans la diversité de leurs positions suggèrent la vie, amorcent des mouvements. Son Richelieu de la National Gallery où la lumière se pose sur les plis est en majesté.
Mais le « triple portrait » du cardinal, destiné à  documenter un buste du Bernin est d’une grande « densité psychologique ».
 C’est marqué sur l’ « Effigie de Nicolas Poussin des Andelys, peintre, âgé de 56 ans, Rome, année jubilaire de 1650 ». «Auto portrait » du maître classique, docte et sévère sans brillance inutile, ni effet chatoyant.
Simon Vouet est plus bouillant, il a connu les peintures du Caravage et des frères Carache,  son « self portrait » est vif.
Robert Nanteuil, se hisse à l’excellence avec ses pastels, ainsi ce « portrait de Louis XIV ».
Si les représentations télévisées de Colbert le voient en noir, c’est  que le  « Portrait de monseigneur Colbert »  par Claude Lefebvre a marqué les esprits : le serviteur de l’état est majestueux.
La fille de madame de Montespan et du roi  est morte en bas âge, Mignard la peignit en «  jeune fille aux bulles de savon ».
Je ne retiens parmi ceux « qui livrent un regard aiguisé sur leurs contemporains » au temps des Louis XIII et XIV,  que Charles Lebrun qui  a peint bien des notables (par exemple son protecteur le Chancelier Séguier ).  
Son « Portrait »  par Nicolas de Largillière, montre que le peintre des princes est devenu prince de la peinture. J’ai oublié Tournières  « qui témoigna du souci d’apparence de leur temps »

mercredi 9 mars 2016

Mad Max: Fury Road. George Miller.

« L’espoir est un leurre » : la citation est lapidaire, dans un film tout en images, aux paroles rares, bien résumé par son titre.
« My name is Max » avoue le héros masculin, vraiment à la toute fin, alors que généralement James, lui, annonce « Bond » d’emblée au pays des 007.
Les références au western sont évidentes avec des évocations de « Métropolis », là où bien des critiques voient des codes de jeux vidéo. Mais la série des Mad Max est en elle-même, mythique.
La dernière livraison remontait à trente ans ; l’univers cohérent et fort de celui de 2015 nous parle encore plus d’aujourd’hui.
Crise écologique et fanatisme décérébré, pourtant l’avenir appartient aux femmes.
Les scènes sont  explosives, grandioses, trépidantes, pendant deux heures de poursuite avec des véhicules extravagants conduits par des inhumains aux masques inventifs.
La présence de quelques tissus vaporeux enrubannant de belles créatures féminines constitue un contrepoint bienvenu parmi tant de rage, mais leur blancheur sera provisoire sous un cagnard d’enfer où l’eau est tellement rare.
On ne dira jamais assez l’importance du coupe- boulons. C’est que l’humour excuse bien des invraisemblances dans la résistance à tous les feux de l’adversité.
Le désert, sillonné par des hordes aux « antennes » élégantes s’inclinant d’une façon inquiétante, est ponctué de panaches de fumées dont les particules ne sont pas particulièrement fines.
Vite, une douche à la sortie pour se débarrasser de tant de cambouis et de poussière, mais si la tension « tient la route », trop de pression pétaradante contrarie une émotion plus subtile et durable. Me reviendront plus facilement  les vers de Heredia : « Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal… » pour habiller des souvenirs d’épopée qu’une Furiosa interprétée par Charlize Theron au seyant maquillage. Question de génération.

mardi 8 mars 2016

Ici. Richard McGuire.

Le titre, aussi élémentaire et sobre que la couverture ouvrant sur plus de 300 pages, était attrayant et on ne peut plus élémentaire.
L’idée simple d’imaginer le passé et le futur à partir du coin d’une pièce avec fenêtre et cheminée va chercher dans les mémoires et exciter les imaginations.
L’iconographie foisonnante et élégante à partir de ce lieu unique où se multiplient les images, interroge sur le temps qui passe et qui efface, d’où resurgissent des mots de tous les jours qui prennent force à apparaitre le temps d’une bulle de BD.
Les graphies diverses participent à un carrousel vertigineux, qui aurait pu nous épargner les épisodes préhistoriques, pour nous permettre de suivre quelques personnages, que nous ne faisons qu’entrevoir.
Un bel objet aux couleurs pastels où le foisonnement des images, les ruptures temporelles incessantes, nous font cependant perdre le fil de l’émotion.
« Au vingtième siècle, la majorité des gens portaient sur eux plusieurs objets essentiels. D’abord, un petit appareil qui indiquait approximativement l’heure. Il se composait d’un boitier rond de métal et de verre fixé sur une lanière de peau animale et porté autour du poignet. On l’appelait montre, parce qu’il montrait l’heure. »