vendredi 28 novembre 2014

Vivre une société plurielle.

Le titre de la rencontre organisée par La villa Gillet à la MC2  précisait « politique, minorités et diversité religieuse »
A éprouver sans cesse le manque de recul dans lequel nous entraine le flux médiatique, ces débats sont une aubaine, même si  en même temps, ils semblent en apesanteur par rapport aux fracas du monde.
Repli, rejet, radicalisation, raidissement, retour au religieux sont dans l’air de la saison.
Le multiculturalisme est questionné, vivement, quand par exemple, à la suite de Merkel, le leader de la CSU déclarait : « Nous, chrétiens-démocrates et chrétiens-sociaux, nous défendons la culture dominante allemande et sommes contre le Multikulti. Le Multikulti est mort »
Lors de cette rencontre, une fois de plus est vérifiée la différence entre des universitaires et une politique pourtant historienne qui a adopté les mauvaises manières de sa caste : écoute flottante, baratineuse, bavardant avec sa voisine pendant qu’une autre personne s’exprime à la tribune. Esther Benbassa, sénatrice verte, apporte cependant des éléments intéressants.
Lors d’un débat au palais du Luxembourg, la préconisation de la création de carrés musulmans dans les cimetières et à la réorganisation de l’enseignement laïc du fait religieux ont suscité les plus vives oppositions.
Elle en appelle par ailleurs à l’ « inclusion », terme préféré à intégration ou assimilation, « sans exiger à priori l'effacement pur et simple des différences et spécificités ».
La description  par Karen Barkey, de l’évolution de l’empire Ottoman est utile : la tolérance y fut pratiquée, s’épuisa puis fut abandonnée au moment où l’empire des Habsbourg connaissait un mouvement inverse. Les juifs et les chrétiens, peuples du Livre, y étaient plus protégés, moyennant impôts, que les chiites et les soufis. L’histoire de la plus grande démocratie du monde, l’Inde, par  Sudipta Kaviraj, nous déleste de nos Zémour.
Et revenir, avec Nadia Urbinati, à l’époque du passage de la seule autorité du roi à celle du peuple souverain, peut réassurer. Cette révolution là appelait forcément le pluralisme.
Les citoyens représentent une nation, mais il y a tellement de façons d’être français.
En comptant les votes plutôt que les têtes coupées, nous acceptons la diversité, notre finitude,  nous reconnaissons nos erreurs.
Parmi les questions posées : « Qu’est-ce que la tolérance ? Désigne-t-elle le respect de l’altérité, l’absence de persécution des minorités ou bien la revendication des richesses qu’offre une société plurielle ? Est-ce aux institutions politiques qu’il revient de l'organiser, ou bien cette question relève-t-elle plutôt des pratiques individuelles ? »
En réponse, j’ai aperçu un  mot nouveau pour moi : « tolération » datant pourtant du XVI° siècle, alors que j’avais cru à un anglicisme d’une des intervenantes. Ce terme donne le droit d’essayer d’aller au-delà d’une attitude qui demande aux autres de rester où ils sont, en cherchant à convaincre, sous le parapluie de la loi qui permet de jouer.
Les questions de la salle apportent des contrepoints utiles : les minorités ne sont pas toujours des victimes. L’intolérance se développe quand la condescendance crée la distance. Au sein de certains groupes, la pression exercée sur ses membres peut être forte, ainsi l’autoségrégation peut advenir.
 Alors le meneur de jeu  Marc Semo, de Libé, rappelle la formule de Lacordaire : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ». Les fondamentaux.
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Dans "Le courrier international":

jeudi 27 novembre 2014

Rembrandt : entre mythe et réalité. Serge Legat.

Un cycle des conférences présentées par Serge Legat aux amis du musée de Grenoble  vient d’être consacré à « l’âge d’or hollandais », le XVII°, pendant lequel Rembrandt Harmenszoon van Rijn a tant fait scintiller « l’or des ténèbres ».
Le natif de Leyde, ville universitaire et bastion de l’église réformée, ne s’est pas cantonné à une spécialité. Ses effets de matières se sont exercés dans des portraits, scènes bibliques ou populaires, natures mortes en situation, paysages.
Si au XIX° siècle s’est forgée la légende d’un artiste génial, mais maudit, voué à la pauvreté et à la solitude, le conférencier s’est appliqué à nuancer ce trop romantique tableau.
Le père de celui qui fut le 8° d’une fratrie de 10 exerçait la profession de meunier, et connaissait une certaine aisance.
Après un apprentissage auprès de peintres qui avaient fait leur voyage en Italie, dès le début de sa carrière, il eut à son tour des élèves payants auxquels il enseigna tellement bien son style qu’en 1915, 740 tableaux lui étaient attribués. En 1990 il n’en restait  plus que 240. Des contestations s’ensuivirent. 
Il a beaucoup sollicité son entourage pour ses portraits, mais des doutes demeurent pour savoir si  celui  d’une « vieille femme », admirable, représente effectivement sa mère dont le regard méditatif exprime l’âme, puissamment, en toute sobriété.
Quand la profusion des rides éloigne tout lifting, le grand âge peut être magnifique.
L’homme des autoportraits trouve sa voie en 1629, avec des teints de terre et des lumières contrastées venues des caravagesques d’Utrecht.
Dans « Suzanne au bain », « une déflagration de blanc » vient souligner sa franchise : la main d’un des vieillards prend d’emblée possession de la belle. 
Le personnage de « Jérémie pleurant sur la destruction de Jérusalem », effondré entre la représentation abstraite de la ville en flammes et quelques objets peints minutieusement, exprime le destin dramatique du peuple juif dans son entier.
Si ses dessins sont indépendants de sa peinture, sa technique d’aquafortiste apprise auprès  de Jan Lievens, un de ses collègues, marque aussi son originalité : il retravaille ses traits, n’immerge pas ses plaques et fait couler l’acide sur le cuivre. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/04/les-dessins-nordiques-du-musee-de_10.html
Ses eaux fortes sont vives et vibrantes.
Les tableaux devenus célèbres se bousculent :
 « Le philosophe en méditation » devant ses instruments de la connaissance, se trouve près de la fenêtre ; de l’autre côté de l’escalier central, une femme dans l’obscurité allume un feu.
« La leçon d’anatomie » respecte les lois du portrait collectif, individualisable et hiérarchisé. Trop en rapport avec une réalité inacceptable, il va à l’inverse du bon goût français contemporain http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/01/lexaltation-du-corps-au-temps-du.html
« La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch » à la tête d’une milice civile d’arquebusiers ne devrait pas s’appeler « la Ronde de nuit » car la scène est diurne mais le bitume de Judée employé pour sa réalisation s’est assombri avec le temps. Le tableau le plus populaire du nouveau Rijksmuseum vendu 16 000 Florins à l’époque (salaire annuel d’un ouvrier 250 Florins) a connu aussi une réduction de son format passant de 5 m à 4,38m sur sa longueur et de 3,87 m à 3,59 m en  largeur.
Assez mauvais gestionnaire de sa fortune, il avait portant épousé la riche orpheline Saskia, avec laquelle il se représente joyeusement, lui en « fils prodigue », elle en servante sur ses genoux. Elle meurt après avoir accouché de Titus, leur seul enfant qui ait atteint l’âge adulte.
Sa dernière jeune concubine Hendriddrickje Stoffels  avec laquelle il aura une fille, disparait également avant lui. Celle-ci avait été représentée en « Bethsabée au bain » une lettre à la main annonçant peut être la mort de son mari éloigné par David qui était tombé amoureux d’elle. Et c’est peut être Titus qui dans « la fiancée juive » appuie amoureusement sa main sur le ventre de la promise.
Rembrandt persiste dans la manière sombre avec ses « Pélerins d’Emmaüs », ignorant la mode qui a évolué vers des jeux de valeurs plus raffinés, des touches plus lisses.
Son Christ dans « La descente de croix », pauvre chose, est mort en homme et non en Apollon. La condition humaine est misérable mais digne. Dans « Le reniement de Saint Pierre » travaillé en pleine pâte, la gestuelle est essentielle, la servante tient la chandelle.
A côté de son « bœuf écorché », morceau de peinture pure, apparait le visage d’une jeune femme : la fin est inéluctable bien que tout puissant fut l’animal. Soutine et Bacon ont vu la bête.
Van Gogh écrit:
« Les portraits peints par Rembrandt… c’est plus que la nature, ça tient de la révélation. »
Cette dimension personnelle apportée à la quête d’une peinture allant à l’essentiel, au-delà de la représentation, a traversé les siècles.
« Un tableau est terminé lorsque le peintre a réalisé son intention » disait-il.

mercredi 26 novembre 2014

Iran 2014 # J8 au matin. Ispahan.

Nous revenons place de l’Iman Shah Abbas de jour, vide du monde d’hier soir et encore ensommeillée. 
Nous commençons par visiter la mosquée de l’Imam, c’est un festival de bleu de toutes nuances au dehors comme au-dedans. Curieusement la porte d’entrée en bois doublée d’une deuxième porte en métal, donne sur la place dont elle forme un des côtés, mais se trouve désaxée par rapport à la direction de la Mecque. Nous passons le porche et contournons un énorme « bénitier » de pierre.
La cour est encombrée d’échafaudages chargés de supporter des toiles tendues afin de protéger les fidèles du soleil lors des prières. Les carrelages intègrent le jaune au bleu couleur royale. Les voûtes nécessitent d’utiliser la mosaïque pour épouser les formes arquées. 
Dans la salle de prière (chabestan) est signalé au sol avec des dalles noires, le lieu précis où se placer pour avoir de l’écho qui dit-on reproduit les sons sept fois. Un religieux en civil, chante des textes coraniques avec au début comme à la fin le très compréhensible « Allah Akbar ». Ce chant poignant  exprime le même recueillement que le grégorien, avec plus d'ornements.
Outre la magnifique salle de prières nous visitons les deux iwans ou eivan (salle voûtée ouverte d’un seul côté)  et deux madrasas  symétriques possédant un petit jardin comparable à deux cloitres. Un cadran solaire constitué d’une marche biseautée d’un côté indique midi lorsque le soleil la recouvre entièrement. A gauche de l’entrée à l’endroit  qui servait avant aux ablutions, le décor sans carreaux est tout à fait différent, mais magnifique. Face à l’entrée, l’iwan nord protégé par des vitres est accessible côté cour à la condition de se déchausser pour fouler le carrelage turquoise.
Cette mosquée possède quatre minarets, surmontés par un fin  balcon en moucharabieh. L’ensemble est vraiment impressionnant, un peu caché par la disposition de toiles qui coupent la vision. Nous remarquons, dominant la salle, une cage vitrée destinée à la protection de mollahs importants. La coupole en restauration est splendide.
A la sortie de cette mosquée de l’Imam, nous entrons dans celle de Cheikh Lotfollah  construite juste avant, au début du XVII° siècle. Elle n’a pas de minaret « puisque seule la famille royale y avait accès ». On y entre par quelques marches en contrebas, c’est inhabituel ; là aussi l’entrée est désaxée et il n’y a pas de cour intérieure. Un couloir coudé en carreaux nous mène à la salle de prière circulaire sous un dôme dont la décoration évoque une queue de paon. 
Des versets du Coran sont écrits d’un bleu profond, en écriture coufique la plus ancienne forme calligraphique de  l’arabe toute en … arabesques. Haleh nous raconte que la mosquée avait été construite pour la femme du Shah safavide mais je ne trouve aucune info sur le guide Olizane concernant cela. Nous devons libérer les lieux pour la prière de midi et nous ressortons sur la place si vaste qu’on y pratiquait le polo.
D’après les notes de voyage de Michèle Chassigneux.

mardi 25 novembre 2014

Play back. Ted Benoît François Ayroles

D’après Raymond Chandler, créateur de l’inspecteur Marlowe incarné par Bogard, mais  dont ce scénario là ne fut jamais porté à l'écran. Il est adapté par celui qui a poursuivi les aventures de Blake et Mortimer et dessiné par Ayroles qui joue bien des ombres et des lumières pour un genre qui s’imagine surtout en noir et blanc.
Il s’agit dit-on de polar « hard boiled »: dur à cuire.
Les destins sont noirs sur fond d’hôtel de luxe. Les dialogues sont au couteau et quelques réglements au révolver, les problèmes se résolvent dans les eaux sombres derrière un cruiser Walkyrie. Les passés sont lourds, les innocences difficiles à prouver, les personnages flegmatiques, le destin implacable. Les visages aux joues noircies disparaissent dans leurs ombres,  reste une trajectoire efficace mais froide . 

lundi 24 novembre 2014

L’Oranais. Lyes Salem.

Ce film ambitieux échappe au manichéisme, bien qu’il soit question de la lutte exaltante pour l’indépendance de l’Algérie et des années dégrisées qui s’en suivirent. Il y a certes des lourdeurs, des raccourcis, mais certaines scènes sont très réussies, le scénario bien mené est servi par de bons acteurs.
Le débat lors d’un pique-nique sur l’identité algérienne, arabe, musulmane, africaine,  méditerranéen ou kabyle est excellent, entre rires et sérieux, conclu par celui qui n’a pas participé à la discussion : « voilà un méchoui  bien de chez nous ! »
Le réalisateur à moitié français et algérien aborde avec courage les désillusions post coloniales côté « Ya Mustapha », et fournit à la France, « Chéri je t’aime, chéri je t’adore », un document intéressant pour cette période de guerre, guère traitée.
Les mensonges privés croisent ceux de la société.
Question désillusions, pour ma génération qui ne connut ni les armes ni la torture, mais qui se tourna quelques films, nous pouvons comprendre, étant montés dans les mêmes bateaux, trinquant au soleil, jeunes et beaux.
Si les regards intenses se remarquent dans ce film : « quand on se regardera dans les yeux, on n’aura qu’à faire silence », pas une conversation sans un verre à la main : whisky, champ’, bière, cognac. Mais ce genre est bien ma tasse de thé et rappelle le cinéma italien comme le dit Télérama, voire russe quant à la boisson.

dimanche 23 novembre 2014

Inventaires. Philippe Minyana. Le Théâtre de la Nacelle.

A la maison De Launay à Bourgoin-Jallieu dans le cadre d’un travail concernant l’art contemporain et la mémoire, Gilbert Pot mettait en scène trois femmes racontant leurs vies à partir d’une cuvette, d’un lampadaire, d’une robe.
Barbara, Angèle et Jacqueline alternent leurs récits sous leurs portraits de jeunesse en adoptant la forme que pourrait prendre un jeu télévisé ou radiophonique où il n’y aurait rien à gagner, sinon le plaisir de raconter.
Une de mes copines jouait dans la pièce alors ça joue sur mon appréciation, mais ce théâtre amateur enjoué en vaut bien d’autres, la sincérité en plus.
Passé le moment où chacune d’elle a fait part de ses problèmes de trac ou de sourcils, ces vies juxtaposées sont des récits de solitudes où l’objet prétexte à paroles n’est plus forcément central. Mais les hommes guère plus, même au bout de sept enfants, ils arrivent et repartent en tant que « jules » en route vers d’autres « poules ». 
Ce n’est pas grave, elles passent de la rudesse à la légèreté comme qui rigole, indestructibles.
L’auteur a beau se réclamer de Boltanski, le plasticien aux vêtements  en tas qui évoquent puissamment la shoah, ici se retient la fantaisie.
Certes leurs vies ont été tourmentées, mais la fraîcheur de ces filles demeure malgré leurs rides d’expression.
Les photographies qui illustrent ce texte ont été prises dans une exposition de Chema Madoz  aux rencontres photographiques d'Arles

samedi 22 novembre 2014

Schnock n° 11 et 12. Bardot. Desproges.

Cet article sera consacré à deux numéros de 176 pages (14, 5€) « pour les vieux de 27 à 87 ans » :
Snock de l’été et Snock de l’automne,
celui de « coquillages et crustacés »
et celui  du « misanthrope éminemment social » d’après Philippe Meyer.  
- BB pour qui « le plus beau jour de sa vie était une nuit »  apparait dans toute sa complexité à travers un kaléidoscope de citations : depuis madame de Staël «  la gloire est le deuil éclatant du bonheur » à « Quel cornichon ce lapin ! » dans « Et dieu créa la femme».
Son  couturier attitré témoigne, son parolier, ses amants à la queue leu leu (7 pages), ses rivales : « les nouvelles Bardot » toujours renouvelées. Le dossier est traité dans un style original, enlevé habituel au trimestriel. Le recul sur ces années ensoleillées a de quoi se nourrir avec Béart, les Frères ennemis, les garçons de playboys : ces écrivains qui « glissent leurs textes entre les photos de mannequins dénudées et les publicités de Gauloises blondes » : Berroyer, D’Ormesson, Frank, Roberts, Neuhoff, Ardisson…
Le dossier sur le catch était indispensable pour évoquer ces années ORTF et le récit d’un voyage avec Michel Simon n’est pas triste. La nostalgie en arriverait à vous faire fondre à l’évocation du « Big bisou » de Carlos.
Dans ce numéro le top dix des trucs qu’on oublie tout le temps d’acheter, succède dans le suivant le top 15 des cantines : glace vanille-fraise avec sa cuillère en plastique…
 - Bien au-delà du rappel de la carrière de Desproges, le décorticage de son humour « occurrence, flatulence & élégance » donne à réfléchir en s’amusant:
« Je me suis surpris à m’essouffler bruyamment dans certains escaliers trop raides ou dans certaines femmes trop molles ».
« Les pétasses bitophobes » ont du apprécier ainsi que « les cloportes suintant d’ingratitude aveugle et d’ignorance crasse ».
Il n’y a pas que les personnages des « variétés » qui sont évoqués : René Dumont, candidat écologiste en 74, venu de l’agronomie productiviste force le respect, 40 ans après, pour ses visions prophétiques.
Numa Sadoul dont le nom est lié à la bande dessinée a aussi sa part comme Daisy de Galard créatrice de Dim comme dimanche, Dam comme dame et Dom comme d’homme ou Jean Bertin, le père de l’aérotrain dont le projet fut sacrifié. 
Je ne connais pas suffisamment le groupe  Super Tramp pour apprécier les pages qui leur sont consacrées et encore moins Rotomagus. La rencontre de Gotlib avec les Monty Python promettait trop pour ne pas décevoir.
Mais "s’il n’avait pas de gris comment verrait-on le noir ou le blanc" ?