samedi 15 juin 2013

Tout ce qui reste de nos vies. Alain Rémond.


Un livre d’Alain Rémond dont je lis avec plaisir les chroniques en dernière page de Marianne après celles de « mon œil » qu’il délivrait à Télérama, ça ne se refuse pas. J’avais adoré Chaque jour est un adieu (2000).
J’ai trouvé cependant que ces 100 pages reprenaient le chemin déjà parcouru des souvenirs familiaux avec la même sincérité, mais sans la fraicheur première. 
« On devrait écrire chaque livre comme si c’était le dernier ».
Pourtant l’entame de cet ouvrage laisse deviner l’impérieuse nécessité de l’écriture.
Sous le hangar d’une ferme abandonnée où s’abritent des promeneurs sous l’orage, des papiers qui sont tout ce qui reste d’une famille ouvrent la réflexion, éveillent les souvenirs.
Est-ce parce que j’avais pris à la lettre  la comptine du mois de juin : « les cahiers au feu, la maîtresse eu milieu »,  que je ne me suis pas laissé envahir par les papiers ?
Alors j’ai trouvé parfois redondante la plainte du mélancolique qui vire hypocondriaque de la préservation de la facture et de la quittance.
Les actes de vente, les livrets militaires, les fiches d’état civil sont des mines, les sources des histoires, mais j’espère que celui qui a su nous faire partager ses tourments avec les cintres suivra les conseils qu’il délivre à son petit fils :
« Pense aux morts mais occupe- toi des vivants »

vendredi 14 juin 2013

Préjudice moral.



Des millions d' €uros pour Tapie victime d’ « un préjudice moral » au pays de Descartes (à gratter):
« non mais allo ! quoi je cauchemarde ! »
Alors que nous devrions demander des indemnités à celui qui cloua son bec à Le Pen lui que nous avions admis dans notre camp qui était celui de Jaurès : il nous a trompés grave !
Il fut un premier symptôme de notre effondrement moral et nous faisons comme s’il avait toujours été pote seulement avec le conférencier de chez Goldman Sachs.
« La vérité rougit les yeux mais ne les crève pas »
J’ai recopié quelques maximes de la sagesse du Burkina Faso aux éditions Jouvence pour les intercaler entre quelques humeurs disparates.
« Indignez-vous ! » le livret  de Stéphane Hessel a connu le succès une saison parce que sa forme brève faisait également appel à un sentiment qui use d’une mèche courte.
Chaque jour nous pouvons sursauter aux injustices, aux manipulations, aux violences, aux gabegies, à la mauvaise foi. Alors nous oublions Cahuzac en quelques semaines, Tibéri depuis des années et DSK nous lasse. Il a eu sa punition : il en est réduit à son entre jambes.
«Si tu ne sais pas où tu vas, sache au moins d’où tu viens »
Le rapprochement avec les années 30 tellement répandu pour  essayer d’éclairer nos années d’avant 14 devrait intégrer quelques circonstances aggravantes.
Les groupes factieux d’alors n’avaient pas encore vu la concrétisation de leurs idées.
Ils ne pouvaient se faire tatouer « Jedem das Seine »  qui figurait à l’entrée de Buchenwald : « chacun reçoit ce qu'il mérite » comme le font quelques skins branchés.
Les extrêmes nous renseignent sur l’état de notre société. Du côté droit s’ils en sont arrivés à tuer, c’est que le climat de haine envers la gauche a été travaillé par tant de hauts parleurs.
La gauche remporte la majorité de suffrages à toutes les élections  depuis des années: ça les énerve et ils ne cessent de gueuler à l’illégitimité de ceux qui ont été élus. Ils ne peuvent croire à leurs cris et perdent  leurs nerfs.
 « Ce qui est vieux a été neuf »
Côté gauche le  mot charisme est devenu courant dans nos conversations.
Je le préfère prononcé à la François Morel avec le « cha » comme « chat ».
Depuis le fin fond des âges démocratiques, l’identité de la gauche s’est forgée dans le refus du pouvoir personnel des rois, des empereurs, des généraux avec tant de personnalités qui ne se sont guère installées au pouvoir comme Gambetta ou Mendès France. 
Pourtant l’exercice du pouvoir par Hollande passe aujourd’hui pour de l’effacement coupable alors que l’Omnipotent  Azimuté qui l’a précédé lassait même son camp : nous aimons les chefs pour pouvoir les critiquer, les vilipender…   
Et quand un tribun à la rouge écharpe, en appelle à une sixième république, lui qui « sait ce qu’il faut faire contre la crise », il n’est pas forcément le mieux placé pour se réclamer d’une tradition de méfiance à l’égard des pouvoirs personnels.
« Qui déteste les étrangers doit commencer par expulser sa mère »
…..
Dans le canard de cette semaine après un dessin de Politis en cours d’article.

jeudi 13 juin 2013

Résonances/raisonnances. 2013.



La formule qui associe peinture et musique s’appliquait cette fois à l’Italie, terre de peinture et de musique s’il en est.
Pour clôturer la saison des conférences aux amis du musée, Catherine De Buzon historienne d’art et Daniel Jublin musicologue ont réuni leur érudition pour nous offrir deux heures de découvertes, de retrouvailles, de plaisir, malgré des reproductions de tableaux aux couleurs parfois saturées et des aléas techniques qui ont fait perdre de l’ampleur à la musique.
Je rabâche volontiers que « la culture c’est retrouver », mais ce soir là, j’ai surtout apprécié des surprises : Vivaldi n’a pas que quatre saisons sous l’archet, et l’étal du boucher de Carrache, arrache.
Inspiré par la thématique ritale, j’aurai bien imité Cavanna qui excellait à sous-titrer des peintres pompiers en jouant avec la Sainte famille de Michel Ange.
Ainsi j’aurai bien fait dire à Marie qui semble refourguer son Jésus à Joseph :
«Tiens occupe t’en un peu, c’est toujours moi qui suis sur la photo avec lui… »
Au pays de Messiaen, les couleurs de la musique ne sont pas que métaphores et si les mélodies suivent des courbes, les sons forment  aussi des architectures. 
La Galatée de Raphaël est sensuelle, l’Atalante de Reni est blafarde lors de sa rencontre avec Hypomène d’une violence saccadée soulignée par un extrait combatif de Monteverdi.
Nous sommes plus familiers de la renaissance italienne que de ses peintres du XIX° qui m’ont beaucoup plu : Morbelli et sa gare centrale, Severini avec une bagarre effervescente dans une galerie marchande, et Quadrone dont un chasseur dit à ses chiens: «  Entrez, il fait froid ».
Le chien de Balla le futuriste a la laisse dynamique et les contemporains Merz et Penone  représentant de l’arte povera frappent fort et poétiquement quand il s’agit de « respirer l’ombre ».
"Avoir le temps d’un arbre, de la pierre, du fleuve, du son, de la lumière, de l’escargot, de l’insecte, la stabilité, l’éternelle durée d’une fleur pour un papillon."
Morricone et Rota les accompagnent à merveille. Et Caresana que je ne connaissais pas sur fond de Masaccio : ça va bien  comme le poing de Zorio avec « Orlando finto pazzo » de Vivaldi.
 Qui d’autre que Pergolèse mort à 26 ans et son stabat mater avec la pietà éperdue de Carrache ?
Et Le Caravage évidemment, sa sainte Catherine et son « manteau de certitude », Masaccio, Rossini le gourmand, Mantegna le sévère, Verdi, Fra Angelico, Scarlatti, Le Titien
E un gelato al limone !

mercredi 12 juin 2013

France culture papier. Eté 2013.



Le trimestriel trouvé à Carrefour en est à son numéro 6. 
Il est bien bon de s’attarder sur des paroles fortes avec des personnes qui parlent comme des livres. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt de fixer ces voix sur du papier?
Rocard, avec l’insolence que l’on prête à la jeunesse bénéficie d’un cahier spécial, il évoque son père et porte des paroles toujours aussi exigeantes et décapantes :
« Il vous tombe dessus tous les jours des pulsions de l’opinion sur n’importe quoi et le gouvernement a pratiquement l’interdiction de la négliger [….]  C’est naturellement idiot, dangereux et inefficace mais c’est une créance médiatique sur le pouvoir qui est un empêchement de gouverner sérieusement. »
Danielle Sallenave qui plaide pour la transmission évoque Cocteau, à qui l’on demandait ce qu’il emporterait si le feu prenait dans sa maison, a répondu : le feu ! Elle : la transmission de la langue.
Le récit de la vie de Walt Disney artiste et entrepreneur est passionnant, retraçant un parcours exceptionnel sans négliger le côté sombre.
Les articles autour de la thématique principale de la clandestinité ne sont pas tous périphériques comme: Cartouche le bandit populaire, un détective privé et un ouvrage clandestin  de sciences de la vie du XVII°. 
Il est aussi question d’un prisonnier chinois qui a vécu l’enfer de la torture, de l’ « odyssée des bas fonds » de sans papiers, de la « black économie » ( 2/3 de l’économie au Bénin est informelle) et du rappel de séminaires secrets d’intellectuels à Prague pendant la guerre froide.
Les sujets graves ne manquent pas : les enfants sorciers du Bénin sont parfois protégés, comme en témoignent des femmes travaillant dans un hôpital, mais il arrive pour des dents qui poussent d’abord sur la mâchoire supérieure,  qu’un bourreau fracasse la tête d’un petit contre un arbre.
Les témoignages d’un guetteur, d’un charbonneur des quartiers Nord de Marseille sont intéressants, désespérants et inattendus puisque l’article s’interroge : « pourquoi les dealers vivent chez leur maman ? »  
Il faut bien un entretien avec Resnais ou un retour vers Blondin suiveur de 28 tours de France qui rappelle que « l’homme descend du songe et a tendance à y retourner » pour  souffler un peu. 
Les dernières pages finissent sur un sourire par l’équipe des « papous dans la tête » :  Dans une bibliothèque, la vie de certains romans et pas des moindres avec une « Madame Bovary » jamais contente qui se confie à « Guerre et paix » chez monsieur Duval, un dormeur. L’étagère finit mal, car de toutes les façons « la bêtise consiste à vouloir conclure », et ça c’est de Flaubert.

mardi 11 juin 2013

Guide du mauvais père. Guy Delisle.



Trop court.
La surprise est au rendez vous à chaque moment de ses histoires éducativement incorrectes, qui font éclater de rire à tous coups.  
Papa, va-t-il oser ? Oui, tout le temps et au-delà.
Il oublie à plusieurs reprises de mettre sous l'oreiller l’argent de la petite souris qui vient récupérer la dent tombée de son fils et se sert de sa distraction pour dire que si les parents jouaient le rôle de la petite souris, ils n’auraient pas oublié la pièce !
La vie familiale du dessinateur canadien apparaissait dans ses chroniques originales et éclairantes en Birmanie, à Jérusalem, à Pyongyang ; cette fois le décor a disparu, les enfants sont au centre.
Ils ont bien de la chance d’avoir un papa qui a autant d’humour même si parfois il les fait hurler de peur ; c’est si bon de crier, de se déculpabiliser de ses manquements et de rire de soi.

lundi 10 juin 2013

Perfect mothers. Anne Fontaine.


Dans les combinaisons amoureuses possibles, l’option : « je  couche avec le fils de mon amie » n’avait pas été très explorée, à ma connaissance, et j’étais curieux de voir comment la réalisatrice de « Nettoyage à sec » avait  traité le sujet.
Nous aurions envie de croire à  ces générations successives descendant le chemin vers la plage, mais les inaltérables grands-mères  sont des mères totalement absentes.
Aucune complexité, aucune nuance, aucune émotion, film de surfer. Les tourments du vieillissement ne sont même pas traités, et nous ne pouvons croire à ce ponton sur des eaux turquoise hors du temps, hors du monde, où les beaux garçons sont bien mal élevés. N’incestons pas : ce paradis bidon est un enfer qui ment, un enfermement.
Au paradis, les fils calent.

dimanche 9 juin 2013

"iTMOi" ("In the mind of Igor"). Akram Khan.



Igor dont il est question dans le titre d’une façon allusive, c’est Stravinski dont on fête le centenaire du  « Sacre du printemps ».
Dehors ou sur scène, les printemps ne font guère fleurettes, et dans  ce « sacre » il faut entendre «  sacrifice ».
Très différent  de « Gnossis » par le résident grenoblois, dont la grâce énergique nous avait touchés, cette  version du « printemps » nous a tout autant enthousiasmés par sa force où la violence alterne avec la douceur.
Le chorégraphe a tant de choses à montrer.
Les musiques les plus concrètes succèdent à des airs folkloriques voire à une citation furtive de Stravinski avec toujours les corps magnifiques qui imposent la pulsation.
Des photographies sur le net ne correspondent pas forcément à ce qui est présenté sur scène, preuves d’une recherche en marche.
Le dossier de la MC2 nous renseigne sur les personnages :
 « Kali, l’incarnation de la tradition, la déesse. Kali en sanskrit signifie celle qui est noire et dans l’hindouisme Kali est la déesse du temps qui représente à la fois la destruction et le changement. Ce personnage mythologique est souvent associé à l’amour matriarcal. La mariée, l’élue, l’agneau, la victime…les polarités du bien et du mal ou le yin-yang. »
Mais peu importe finalement qui est qui, nous sommes emportés dès le début  rien qu'avec un éclairage qui laisse deviner une forme humaine dans le brouillard aussi belle qu’une volute. Pourtant le coup de la fumée on nous l’a déjà fait, hé bien là, j’ai marché à fond comme  avec l’image de cet homme relié à des cordes qui battent en cadence, entravé à sa naissance, ou la lune du temps compté qui se balance. Les costumes  soulignent la beauté des gestes, avec des vestes qui font presque robes, ce sont des corolles quand elles sont longues et cerclées sans jamais apparaitre comme des accessoires. Même si nous sommes ravis par la beauté, nous ne sommes pas que tapés à l’œil : on aura beau se tordre les bras, gambader, on se rappelle que la mort ne porte pas de pâquerette derrière l’oreille, elle ne nous lâchera pas.