samedi 26 mars 2011

Tombeaux pour la gauche. Jean Pierre Rioux.

Au cours du forum de Libé, une amie a glissé dans mon petit panier, le dernier livre de l’auteur de « La France perd la mémoire » qu’elle venait d’apprécier dans un débat à propos de Jean Jaurès. L’historien avait introduit la discussion en écrivant dans le journal:
« Malheur à nous, les politiques, si nous devenons des rentiers du suffrage universel ou des luttes, car « il faut que la démocratie sente que nous la demandons pour elle et non pour nous, que nous y cherchons seulement la force nécessaire pour de nouveaux combats moins stériles, et que nous n’attendons le salaire, c'est-à-dire la reconnaissance profonde et durable du peuple, que lorsque nous aurons remis en ses mains les fruits de la justice ».
A mille milles de tout canton en voie de renouvellement.
Le point de vue de son livre, au format léger, est intéressant puisqu’il permet de mesurer le devenir des souvenirs à partir des cérémonies des adieux que la gauche a toujours goûtées.
Ainsi de 1914 à 1996 : les hommages ou les silences autour de ma mort de Jean Jaurès, Léon Blum, Guy Mollet, Pierre Mendès France et François Mitterrand.
Instructif pour la postérité et ses facéties, quand les échecs en ressortent grandis.
Ce n’est pas ce spécialiste de l’élu de Carmaux à qui risque de s’appliquer sa formule : « La révérence en émoi a asphyxié la référence en pensée », ses propos énoncés avec un style tout en nuances ramènent sans cesse aux préoccupations présentes.
Quand Jaurès est mortellement atteint par Villain, le pharmacien voisin refuse une ampoule à « cette crapule », alors un officier en tenue dépose sur sa poitrine sa propre légion d’honneur. Il y a des circonstances où les médailles ont de la gueule.
Blum, le juste, dit : « j’ai toujours cherché dans la vie et dans l’œuvre de Jaurès, non pas des arguments, mais une leçon. » Lui qui pensait que le socialisme « fournit la seule conciliation valable entre les nécessités de l’ordre collectif et les exigences de la conscience personnelle. » Les échos de sa fougue lors d’un congrès de 1946 sonnent jusqu’à nous quand il parle aux mollétistes : « le mal est en vous : c’est le manque d’ardeur, le manque de courage, le manque de foi… » J’en connais.
L’oublié de notre Panthéon bien garni, Guy Mollet, a droit à son chapitre. Le camarade d’Arras n’était pas ressorti la tête haute de l’épreuve du pouvoir, mais sa trajectoire justement nous interroge encore: le dire et le faire.
Le mentor PMF- qui ne fut pas mendésiste - fut bien silencieux après 81, mais ce qu’il disait de De Gaulle dès sa disparition s’applique à lui : « Tous ces éléments contradictoires, on ne peut plus les dissocier à l’heure où la conclusion doit s’écrire, à la fois pour dégager un bilan et pour faire ressortir les traits profonds d’une personnalité à laquelle l’histoire demande nécessairement des comptes, après un si grand rôle tenu… » Entre grands.
Plus énigmatique fut le sphinx, Mitterrand. Le droit d’inventaire instantané, en ces années où l’audimat commençait à brouiller la durée, remit sur le tapis les années de jeunesse et éloigna la nécessité d’un bilan politique et moral. Vinrent les hommages de monsieur D’Ormesson et deux messes à la fin. Restent ces mots de Paul Thibaud qui donnent suffisamment de matière à réflexion : « ce paradoxe d’être un homme politique qui refuse l’identification à un sujet collectif, incapable de sortir de soi, pour qui l’héritage n’implique aucune fidélité. »

vendredi 25 mars 2011

Le progrès à quel prix ?

Le titre de ce débat de Libé à Lyon de cet automne peut sembler d’actualité.
Becquerels en fuite, propos de comptoirs de ministres en fin de course, de ce que de la Libye on fait, des cantonales front contre front, où ça ?
La question était aguicheuse, mais il n’y a pas eu de réponse d’après mon souvenir.
J’ai plus retenu des histoires de filles et de garçons et à l’heure où des dames se voilent la face, difficile de parler du progrès. Celui-ci n’emprunte plus guère les spirales de béton armé qui s’entrelaçaient sous nos yeux d’après guerre et c’est tout le monde qui se voile la face.
C’était avant le feu à Fukushima.
Reste un point d’interrogation de ces beaux débats d’antan sous la tente de la place des Terreaux.
Il fallait pouvoir exister face à Boris Cyrulnik, brillant et drôle qui termine son introduction au forum: « vous aviez les idées claires, j’espère qu’elles sont confuses ».
J’aime « cette qualité qui vient de l’avant guerre » avec laquelle nous rions pour ne pas nous effondrer.
Jean Claude Kaufmann qui se trouvait à côté de lui sur l’estrade ne manque pas de finesse, et ce débat fut un exercice agréable car le pape de la résilience nous booste.
L’approche par les chromosomes qui font des filles (X) plus stables et précoces que les garçons (XY) n’a pas manqué de bousculer quelques certitudes. Elles bénéficient davantage de l’école mais avec la mixité, les garçons accélèrent leur décrochage, sauf en EPS, car les pubertés se déclarant de plus en plus tôt, elles deviennent aussi de plus en plus anxieuses. Dans ce domaine où la biologie et l’environnement renforcent les évolutions culturelles, les changements deviennent majeurs.
Nous passons d’un roman où le progrès fut linéaire, tout d’un bloc, aux déceptions d’un éclatement : les améliorations matérielles n’entrainent pas la morale, le social ne suit pas l’économique. Les savoirs sont fragmentés et « chaque clan se clôt » quand « le luxe c’est l’espace ».
Nous sommes à la fin d’une civilisation ; sourions nous sommes filmés.
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Dessin du Canard de la semaine:

Spécialistes vs rigolos par franceinter

jeudi 24 mars 2011

Jupiter, nom de Zeus !

Le maître suprême du Panthéon, le Dieu des jours, « l’assembleur de nuages » au-delà d’une progéniture luxuriante fut abondamment représenté en statuettes et sur des poteries quand il se nommait Zeus, c’est qu’il recueillait les sacrifices expiatoires. Le XVII° et XVIII° siècle en puisant dans les riches histoires de l’antiquité vont multiplier ses représentations.
Jupiter avait déjà lui-même travaillé son image atmosphérique et varié ses avatars pour échapper à la jalousie de Junon(Héra) sa légitime qui avait mille raisons de se méfier des infidélités de son illustre époux. Mais depuis l’expansion grecque il fallait bien justifier les alliances avec les autorités divines locales. Très terre à terre la religion au service du politique recélait à cette époque de l’inventivité ; et dire que les conseillers en com’ d’aujourd’hui prônent le story telling pour grimper dans les sondages, il leur reste encore du travail pour être aussi créatifs.
Rescapé de l’appétit de son père Chronos qui dévora ses enfants car il craignait qu’ils prennent son pouvoir, il va être choyé par les nymphes et nourri au lait de la chèvre Amalthée qui possédait suivant certains écrits une troisième corne, celle de l’abondance. Les Corybantes en tribu joyeuse couvraient les cris du nouveau né susceptibles d’attirer l’attention du père anthropophage qui devra se contenter d’un caillou pour lester son estomac.
Neptune, son frère dieu de la mer avait un trident, alors que Pluton pour régner sur les enfers n’a besoin que d’une fourche à deux dents.
Devenu grand avec la barbe de la sagesse, il est souvent représenté avec LE foudre et accompagné de son aigle, c’est que le dieu protecteur de la maison est aussi destructeur, et bien qu’il ne puisse aller contre la volonté d’un autre Dieu, il peut contrarier, orienter les passions. Il fera preuve dans ce domaine d’une grande imagination : se transformant en taureau pour enlever la belle Europe, en pluie d’or pour la belle Danaé, en cygne pour la belle Léda, en nuage pour la belle Io, en Diane pour la belle Callisto ; le beau Ganymède n’a pas dû être surpris puisque c’est l’aigle en personne qui l’enleva.
Bacchus naquit de sa cuisse et Athéna sortit toute armée de sa tête.
Nous avons révisé avec Fabrice Conan conférencier aux amis du musée bien des origines de nos expressions, voire de phénomènes de l’univers avec une poésie émouvante : ainsi Philémon qui avait émis le souhait de mourir en même temps que Baucis fut transformé en chêne et sa chère femme en tilleul. Tantale ne peut boire ni manger car le vent éloigne les fruits de l'arbre quand il s’approche, ce supplice est la punition divine pour avoir voulu éprouver la préscience des dieux en leur servant de la chair humaine.
Les constellations de la Grande Ourse et de la Petite sont Callisto et son fils qui n’avaient plus que le ciel pour échapper à la jalousie de Junon. Celle ci avait de quoi les surveiller avec son paon portant sur sa queue les yeux qui furent ceux d’Argus, mais Mercure en bon communiquant aida à brouiller les pistes pour le bénéfice des activités illicites de Jupiter.
A Versailles, je ne verrai plus de la même façon la fontaine de Latone où des paysans furent transformés en grenouilles car ils troublaient l’eau dans laquelle elle voulait baigner ses enfants nés encore d’un certain J. J’ai appris que ses jets d’eau symbolisaient le flot d’insultes de ces paysans très hostiles, mais aussi les paroles mauvaises qui avaient pu être dites lors de la Fronde et retombant sur leurs auteurs.
Henri IV et Louis XIV furent représentés en héritiers du très puissant Jupiter. Marie de Médicis commanda quelques tableaux dont le thème commun portait sur les punitions pour qui avait défié l’autorité : Prométhée au foie dévoré sempiternellement, Sisyphe et son rocher chéri. Avis aux mateurs.

mercredi 23 mars 2011

Touristes en chine 2007. # J 10. D’une ville nouvelle à Pingyao l’ancienne.

Petit déjeuner et départ à 7h 30 de Wutaishan. Route tout le matin, où la circulation est toujours aussi démente, au pays du charbon, triste et noir, d’abord en montagne, mi-soleil, mi-brume, puis en plaine. Nous nous assoupissons tous sauf Mitch.
Tayuan. On jette un coup d’œil à un temple restauré après un incendie. Les cellules des moines sont devenues des logements pour ouvriers, mais le temple sous la garde d’un moine a repris son activité. Engueulade entre notre guide Marie et le chauffeur, à la recherche d’un restau très particulier, mais les travaux rendent les reconnaissances difficiles. Il se trouve dans une ville nouvelle improbable aux larges avenues vides. C’est « La forêt des gourmets » : sorte de parc de loisirs avec une immense salle compartimentée comprenant de faux arbres, un aquarium, un restaurant, des bars, avec des oiseaux en cage (inséparables), et des petits ruisseaux. Dehors nous faisons le tour d’un grand plan d’eau.Le Temple de Jinci est construit sur une source, un cyprès millénaire ploie sous le regard de guerriers monumentaux. L’ambiance est sonore avec les micros poussés à fond à l’intention de groupes portant tous casquette. Frotter le crâne d’un moine luisant sous une source devrait nous apporter longévité et prospérité. Le jardin est joli autour de la pagode de plusieurs étages et surtout loin des hordes, nous profitons du calme et de la verdure, des fleurs. Les ponts s’appellent « pont de la rencontre des immortels » et « pont volant », la terrasse est celle « des hommes d'or », le temple celui des « offrandes ».
Le chauffeur, voulant éviter l’autoroute bouchée, s’est perdu, nous arrivons pour la visite de la maison de la famille Qiao à 18h45, il reste ¼ d’heure pour la visite. Maison où a été tourné le film « Epouse et concubines », avec sa grande allée de lanternes rouges, et des cours distribuées de chaque côté : à droite, les appartements, à gauche, les magasins pour le commerce. Malheureusement beaucoup de pièces sont fermées sous notre nez, mais il nous reste à photographier quelques perspectives dénuées de monde. Le film de Zhang Yimou, date de 1991 : Songlian (Gong Li), jeune fille de 19 ans, contrainte d’abandonner ses études à la mort de son père, se résigne à devenir la quatrième épouse d’un riche maître. Chaque jour, une lanterne rouge est allumée devant la porte d’une des épouses, signe des faveurs du maître, donc du pouvoir qu’elle prend dans la maison. A travers une initiation aux rites du clan, le film met en scène, durant quatre saisons, les intrigues des femmes pour attirer l’attention du maître et assurer leur suprématie.
Les travailleurs sur la route triment jusqu’à la tombée complète de la nuit.Les véhicules attendent le plus possible pour allumer leurs phares qui leur servent momentanément d’avertisseurs.
Fabuleuse entrée sur Pingyao de nuit, encerclée de remparts illuminés. Nous prenons un taxi électrique. Dans l’émerveillement nous découvrons le De Ju Yuan Guest House. Vieille maison chinoise comme toutes celles de la rue dans la magie de la nuit. Installation avec un lit pour trois, avec claustra. Repas délicieux dans la cour de la guest house et promenade nocturne dans la ville historique.

mardi 22 mars 2011

La bande décimée. Jean Luc Cochet, Jeff Porquié.

Dans la série policière « Le Poulpe » chaque livre est écrit par un auteur différent, avec des titres délicieux : « La Petite Écuyère a cafté », « Arrêtez le carrelage », « Pour cigogne le glas », « Ouarzazate et mourir » …
Je ne suis pas un connaisseur de la série noire mais des pointures collaborèrent à la série : Jean-Bernard Pouy, Patrick Raynal, Didier Daeninckx, Gérard Lefort, Cesare Battisti, Martin Winckler…
Il allait de soi de mettre en cases le récit des meurtres en série qui affectent le monde de la BD. Le héros, de son vrai nom Lecouvreur, est anar et renverse un peu les codes du polar qui furent marqués à droite dans les années soixante. Il a la gueule de Daroussin dans ce volume des éditions « six pieds sous terre ».
Les connivences établies avec le lecteur qui font le sel des séries se renforcent dans la bande dessinée où les clins d’œil sont d’usage, si bien que le récit peut sembler quelque peu elliptique au petit nouveau. Se lit sans peine, avec des dessins efficaces, mais ne laisse pas de trace.

lundi 21 mars 2011

Ma part du gâteau. Cédric Klapisch.

A quatre contre un, mes amis ont passé un bon moment et je me suis retrouvé bien seul à trouver cette comédie vraiment trop caricaturale malgré les belles images et quelques notations drôles telles que l’évaluation du prix des heures de garde d’enfant. Je ne me sens pas pour autant indulgent à l’égard des traders, ni éloigné des solidarités ouvrières et j’aimerais bien assister au carnaval de Dunkerque. Mais pourquoi faut il que le cinéma français utilise chaque fois la manière de la fable pour traiter des réalités sociales ? Ce serait dans ce cas : "la bonne à tout faire et le financier". Même ceux qui ont aimé cette pretty « mère courage » peuvent reconnaître la suprématie anglaise sur ces sujets sociaux.
La femme de ménage, personnage incontournable en ce moment, est une ancienne ouvrière licenciée. En milieu solidaire, elle surmonte vite une tentative de suicide. France, si sage et pétillante, se retrouve à ramasser les miettes chez Steve qui a bien mérité sa solitude devant ses écrans. C’est justement lui qui a causé l'exil de sa repasseuse de Dunkerque à Paris. On se demande si le réalisateur va oser ce qui est fatal dans ce genre de confrontation : eh bien oui, il a osé !

dimanche 20 mars 2011

Bulbus. Daniel Jeanneteau.

Je dirais : « glagla ! » pour jouer ton sur ton avec les images proposées d’après le texte d’Anja Hilling nous conduisant dans un village hors du monde où échouent un journaliste et une femme qui s’est trompée de bus, alors qu’aucun bus n’arrive dans ces montagnes…
La scène circulaire d’un blanc éclatant tiendra lieu parfois de patinoire, elle reçoit ce couple où la jeune femme est d’abord inerte et celui qui la porte très bavard. Il évoque des faits divers dramatiques avec la même intensité que des détails sans importance.
Les deux beaux jeunes acteurs ont beau se mettre nus à la fin, l’amour dont il parle n’est pas incarné. Certains spectateurs n’ont pas tenu l’heure trois quarts que dure cette pièce; je ne me suis pas ennuyé, mais je suis resté désorienté.
Le programme nous explique : « Dans un monde d’apparence simple, le poids d’une mémoire gelée vient affleurer dans les gestes les plus quotidiens d’un groupe d’humains prisonniers de leur passé, empêchant la génération suivante de lui succéder, la piégeant dans son désir d’oubli… »
Finalement, j’ai bien saisi : c’est froid ! Aussi passionnant qu’une partie de curling qui n’arrive pas à se jouer.