mardi 16 novembre 2010

La vie d’Augustine.#2

Et puis il y a eu les bombardements des mines. Le plus affreux c’était la nuit. Un jour, il est tombé un obus en haut de notre rue en plein milieu. Les vitres et portes ont volé en éclats. Comme les maisons du coron se soutiennent les unes les autres, elles ne sont pas tombées. Une petite fille qui était assise devant sa porte a disparu : on n’a jamais retrouvé son corps.
Les obus tombaient dans les jardins. Sitôt l’alerte, mon frère Arthur nous prenait, une sur son dos, l’autre devant et on partait se mettre à l’abri. Mon père n’a jamais quitté la maison. Il ne voulait pas non plus que l’on emmène Lucienne qui couchait dans la chambre de nos parents. Lui, étouffait dans les abris ! Pauvre père ! C’est lui qui gérait tout car notre mère ne savait ni lire ni écrire et chez les commerçants elle se faisait toujours avoir. Mon père l’appelait « sans bile » ce qui signifiait sans responsabilité.
Elle nous tenait bien propres : une fois par semaine, aidée par mes aînées, elle nous donnait un bain dans un demi tonneau. On faisait chauffer l’eau dans de grandes lessiveuses. C’était la même chose pour mes frères quand ils rentraient de la mine. Ils étaient si noirs et il n’y avait pas de douches à la mine. On avait une réserve d’eau dans un grand tonneau pour récupérer l’eau de pluie avec laquelle on faisait la lessive ce qui nécessitait moins de savon.
On avait une petite remise dans le jardin. C’est là que qu’on se nettoyait comme beaucoup de grandes familles. Il y avait un petit poêle à charbon.
Pour se chauffer, les mineurs avaient droit à du poussier c'est-à-dire des débris et poussières de charbon. L’hiver on était livré par quinzaine et l’été chaque mois. Un tombereau tiré par un cheval déversait le poussier devant la maison. Nous le poussions vers le trou de la cave. Il fallait le faire dans les deux heures qui suivaient la livraison. Pour nous éclairer nous avions les lampes à pétrole.
Les corons étaient construits en briques rouges qui devenaient marron puis noires avec le temps. On mouillait le poussier pour en faire des sortes de briquettes. Il fallait une bonne braise pour que le poussier s’enflamme : on perçait un trou au milieu de la briquette pour faciliter. Nous avions des poêles adaptés à ce genre de combustion.
On les importait de Belgique. Ils étaient larges devant avec une grille plus bas pour poser et chauffer les pieds. Mon père s’occupait d’entretenir le poêle l’hiver.
On était tous réunis et heureux d’être ensemble : c’était quand même une belle vie. On appréciait les bons moments de la vie quand il y en avait !
L’électricité n’était pas pour nous..

lundi 15 novembre 2010

Les rêves dansants sur les pas de Pina Bausch.

Quel beau cadeau, à bénéfice réciproque, ont pu offrir ces adolescents à Pina Bausch pour son ultime spectacle ! La bienveillance des répétitrices permet à la fraîcheur de la jeunesse de réinvestir des émotions passées de la créatrice. Les répétitions pour dégauchir les gestes amènent au dépassement de chacun, avec son histoire singulière : work in progress. Des moments de grâce. Au-delà d’une technique, d’une posture, une monitrice qui a créé un personnage doit transmettre son savoir à une jeunette déjà blessée par la vie. L’ambiguïté de la relation est dépassée par la générosité des unes et des autres. Le film aborde bien des complexités et rend la dynamique de l’art de la dame de Wuppertal dont le visage émacié s’éclaire quand elle parle de Paris. L’impassibilité qui est demandée souvent aux acteurs donne alors du prix à son sourire. Les jeunes n’ont pas besoin d’être très maquillés, leurs pommettes rosissent aux premiers pas. Cette pièce dansée s’appelle Kontakthof, la chorégraphe dit : « Kontakthof est un lieu où l’on se rencontre pour lier des contacts. Se montrer. Se défendre. Avec ses peurs. Avec ses ardeurs. Déceptions. Désespoirs. Premières expériences. Premières tentatives. De la tendresse, et de ce qu’elle peut faire naître. » Exactement. La vie dansée.

dimanche 14 novembre 2010

Home

L’espace gris bleu de la scène du petit théâtre de la MC2 s’ouvre au-delà d’un asile qui serait situé dans une île : nous sommes avec trois hommes et deux femmes dans cette aire à parler du temps pour nous rassurer, à nous appliquer à trouver un cousin qui a vécu la même chose, à vitupérer, à regarder le monde, à débarrasser des chaises. La causette pour se recoudre. J’essaye d’éloigner un romantisme indécent fasciné par la folie parce qu’elle irait au-delà des convenances, des apparences. Je me suis senti concerné par cette mise en scène de Chantal Morel d’une pièce de David Storey adaptée par Duras. Beckett ou Ionesco peuvent être convoqués, mais les personnages ne m’ont pas parus comme des véhicules d’une conversation philosophique, leur fragilité m’était proche. « Comment avoir le temps d’avoir un passé ? » peuvent-ils se dire, eux qui cherchent à l’enfouir ce passé et se le jettent au visage, en remplissent des mouchoirs.

samedi 13 novembre 2010

Y a-t-il un bon niveau d’inégalité sociale ?

Avec un tel titre, la dernière livraison de « Books » avait de quoi appâter l’amateur de journaux. Ce mensuel parle de livres du monde entier, en choisit des extraits comme Courrier International avec les journaux. Sa couverture reprend un Marx à lunettes de soleil, imité de l’atelier Grapus qui annonçait ainsi une fête de l’Huma il y a quelques décennies.
D’autres titres m’ont aussi accroché : « Badiou et Finkielkraut, archaïques » « que vaut le vote de l’ignorant ? », mais je suis méfiant ne voulant pas retomber dans ma déception avec l’hebdo Marianne et ses titres racoleurs pour des articles décevants.
La page 2 est apéritive avec un sommaire original, composé de phrases extraites des articles: « le mathématicien extraverti est celui qui regarde vos pieds quand il vous parle ».
« Nous ne voyons pas ce que nous ne cherchons pas ».

Les rubriques habituelles sont toujours aussi intéressantes : cette fois la liste des best sellers en Chine, où en marge des guerres napoléoniennes, un livre anglais sur des bandes de brigands qui semaient la terreur de l’Espagne à la Calabre.
Concernant le dossier sur les inégalités, je suis resté sur ma faim. Ce ne sont pas les histogrammes qui manquent, mais les articles contradictoires mettent en doute les interprétations des données statistiques, à qui l’on fait dire ce que l’on veut, ou l’on tait des évidences ou des paradoxes qui voient que dans certains pays les plus égalitaires, le taux de délinquance est le plus élevé. Cependant le livre « The spirit level » « Le bon niveau », pourquoi les sociétés plus égalitaires font presque toujours mieux, est stimulant et Hervé Le Bras, qui est interviewé, voit la nature de l’état providence déterminante pour le bonheur des citoyens en rappellant que :
« La France est par excellence le pays intermédiaire de l'Europe où les traditions du Nord (héritage égalitaire, droit coutumier, égalité des sexes, exogamie, pouvoir des jeunes) rencontrent les traditions du Sud (héritage inégalitaire, droit romain écrit, séparation des sexes, endogamie, pouvoir des vieux). »
Ils parlent aussi de Wikileaks qui prétend combattre pour la transparence mais cultive le secret.
Le monde est ben compliqué, ces 100 pages ne le rendent pas plus simple, mais apportent d’autres éclairages, loin des larbins du 20h.
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L'association "Grain de sable-Graine de sagesse" réalise un mandala de sable pour SAKINEH condamnée à mort par lapidation en Iran au Gaia-store 6 rue Alsace Lorraine Grenoble
du lundi 15 novembre au samedi 20 à 18h où il sera dispersé.

vendredi 12 novembre 2010

Faut-il empêcher les riches de s’enrichir ?

J’ai retrouvé une copine perdue de vue depuis trois décennies à ce débat de Libé à Lyon, parce qu’elle en avait estimé l’intitulé rigolo. C’est plus accrocheur que l’objectif du millénaire de l’ONU qui prône « l’élimination de la pauvreté ». Et Rony Brauman a bien raison de souligner : " le creusement jusqu’au vertige du fossé entre les riches et pauvres qui est la marque de ces trente dernières années dans le monde appelle d’autres réponses que celles du conservatisme compassionnel sous-tendant les objectifs du millénaire. L’amélioration de sort de l’humanité passe moins par la réduction de la pauvreté que par la lutte contre les inégalités. Pour que les pauvres soient moins pauvres, il faut que les riches soient moins riches ".
Son interlocuteur, Claude Alphandéry, trouve lui aussi que « les politiques libérales de dérégulation au profit des plus riches ont eu des effets dévastateurs sur l’emploi, l’environnement, les niveaux de vie… »
Et l’on pourrait aligner les formules :
« L’inégalité nuit gravement à la santé »Wilkinson,
ceux qui ont échoué, reçoivent des rémunérations mirobolantes et« se tournent vers les E.U. pour les salaires des dirigeants et vers la Chine pour les salariés ».
Chercher un mot plus précis pour remplacer « durable » qui s’épuise à s’accoler avec développement ; « soutenable » ferait l’affaire.
Ecarquiller les oreilles quand on nous rappelle que l’écart des revenus qui était de 1/20 dans les années 60 est passé à 1/500.
Envisager un revenu maximum qui serait à « encapsuler ».
Mais quand on constate que seulement 56% des français sont opposés au bouclier fiscal, on peut mesurer que la propagande est redoutable: quand les riches prétendent payer 50 % d’impôts: «Ils payent au maximum 20 %, car le revenu fiscal est minoré. »
Nous sommes hébétés.
L’état s’est appauvri entre 2000 et 2009 de 119 milliards.
Pour ajouter quelques zéros dans cette barque,
sous le titre « ceux qui font la dette, défont les retraites »,
Attac rappelle d’après les chiffres du Conseil d’Orientation des Retraites
que l’ensemble des niches fiscales en France représente 75 milliards d’Euros de perte pour le budget de l’état alors que le déficit du régime des retraites pour 2010 est de 10,7 milliards d’Euros…
Nous avons perdu cette bataille, encore.Dessin du Canard Enchaîné de cette semaine.

jeudi 11 novembre 2010

Le calendrier des postes.

Aux murs de fermes obscures, je me souviens d’images uniques : celles du calendrier des postes.
Et je ne peux m’empêcher que se superposent à ce clou, les silhouettes voutées de l’Angélus de Millet.
Moi, fils de plouc, ne me défilant pas derrière les bannières à faucille, je trouvais pourtant bien niaises ces icônes. Aujourd’hui, que je me suis un peu frotté d’art contemporain - on est toujours le kitch de quelqu’un - ces paysans pionniers des produits dérivés, remuent ma boîte à étiquettes.
L’Angélus enraciné vaut, me semble-t-il, autant pour son ciel que pour sa terre.
Les chatons ou les paysages d’automne que distribuait le facteur sont enserrés désormais dans des cadres clignotants sur nos buffets sans poussière.
En ces temps impitoyables, les chatons se portaient à la rivière, mais présentement la tendresse et les lumières qui dégoulinent dans nos undisclosed adresses disparaissent sous la profusion.
Derrière la page cartonnée où se résumait une année, le vieux garçon marquait le jour où il avait emmené vache au taureau. Les bateaux de pêche carmin attendaient au port en des eaux émeraude, où le Guste n’irait jamais.
Le facteur sonne-t- il encore par chez vous, au moins une fois ?

mercredi 10 novembre 2010

J 10 à New York. Le Queens

Nous destinons notre dernière visite au Queens, avec comme but le Moma, extension de celui de Manhattan appelé aussi PS 1(Public school). Nous y parvenons grâce au métro G, et nous débouchons dans un quartier en travaux d’où nous apercevons la forme reconnaissable du Chrysler building, notre préféré, sur l'autre rive. Nous sommes sur Jackson avenue, la rue du Moma bis que nous trouvons facilement. Nous faisons le tour du sévère bâtiment rouge, ancienne fabrique d’agrafes selon les guides, ancienne école aussi comme l’annoncent les frontispices. Grille close, le musée n’ouvre pas avant midi. Il est 11 heures, le temps est beau, nous patientons en marchant vers le quartier grec.Tout d’abord de l’autre côté de la rue nous jetons un œil sur le grand entrepôt graffé, tagué de bas en haut et sur toutes ses faces sous l’égide de 5 pointz ou 5PTZ.com, seul bâtiment touché par cette débauche de couleurs et sans doute amené à disparaître au profit d’immeubles arties ou résidentiels. Nous longeons Jackson avenue en direction de Queensboro bridge jusqu’à un nœud routier bruyant où s’entremêlent les poutrelles des passerelles. Nous rebroussons chemin car la 21street que le guide Evasion signale comme quartier grec et méditerranéen n’est pas à côté. Nous prenons conscience de l’échelle du plan. Nous n’atteindrons pas le quartier Steinway où subsistent peut être des fabriques de piano. Avant de gagner le PS, nous nous restaurons dans un Deli coréen, self service de plats cuisinés et goûtons une diet root bier inoubliable qui donne l’impression de boire de l’Hextril.
Nous nous rinçons la bouche à la cafétéria neuve du Moma PS avec un expresso, deux gâteaux au chocolat délicieux et un cheese cake insipide. L’entrée du musée est gratuite car seul un étage est visible, les autres sont fermés au public pour cause d’installation.
Le lieu lui-même est intéressant : les couleurs des murs de briquettes s’écaillant ont été conservées et des milliers de pas ont donné une patine aux marches d’escalier cimentées. D’autres escaliers méritent l’appellation cages d’escalier, à cause de grillages protecteurs. Des artistes ont peint les murs de scènes en noir ou collé des paysages d’arbres à un étage, de tremblements de terre au 2nd. Mais l’exposition essentielle réside dans la présentation de vidéos, classées chronologiquement. Nous commençons avec le ballet mécanique de Fernand Léger, Ray et Anteil, entracte de René Char, Picabia et Satie pour nous orienter progressivement vers des visions plus masochistes : hula hop en barbelé qui meurtrit le corps d’une femme, œuvre d’une Israélienne ; femme qui se mange un sein à la cuillère simulé par un melon, humoristique : acteur qui imite un bébé et s’aventure en couche culotte au milieu de la rue, témoignages, performances : superposition de corps nus au sommet d’une montagne pour la hausser d’un mètre… Nous circulons ensuite sur des planchers recouverts entièrement de 33 tours en vinyle noir aux étiquettes multicolores.Nous renonçons à prendre le métro aérien vers Manhattan car l’heure tourne et nous avons rendez-vous à 16h chez Emma. Derniers préparatifs et un taxi, belle voiture noire sans sigle apparent arrive. Nous faisons nos adieux à nos amis.Notre chauffeur indien d’Inde s’inquiète du numéro du terminal où nous devons nous rendre. Nous ne sommes pas en mesure de répondre, alors il correspond par téléphone tout au long du trajet, se faufilant dans la circulation dense vers JFK Airport. Nous trouvons la réponse à sa question sur la route grâce aux panneaux explicatifs qui répertorient les compagnies d’aviation selon les terminaux. 45$ plus tard, nous enregistrons nos bagages, passons le contrôle de sécurité pour lequel nous avons acquis de l’expérience, sans chaussure ni ceinture. Il nous reste 3h 30 d’attente, occupées par la lecture, l’écriture. Nous mangeons un tacos monstrueux dont nous avons du mal à venir à bout à deux. L’avion est à l’heure. Bien installés, nous dormons en toute quiétude. Le transit à Madrid nous impose un nouveau contrôle de sécurité, chaussures, ceinture et tout le bintz. Je retrouve avec plaisir l’Equipe et Libé et découvre avec bonheur le livre « Seul le silence » de Ellory que ma femme vient de finir. Elle crève de chaud et s’achète un T-shirt couleur locale : « Bad Toro ». Embarquement et arrivée à l’heure à Genève, la navette pour Grenoble part toutes les dix minutes (43€ la place). Les personnes auxquelles nous avons à faire paraissent moins courtoises.
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Je termine ici l’exploitation du carnet de voyage de mon épouse. Les semaines à venir, je prolongerai les plaisirs de ce séjour par des évocations de films récents ou de livres où il est question de New York, avant un retour sur notre voyage en Chine de 2007.