jeudi 10 décembre 2009

Hammershoi

Voilà un nom qui a échappé à la trappe de ma traitre mémoire. Après l’avoir découvert à Orsay il y a10 ans, je n’ai cessé de penser au peintre danois dès que je voyais une femme de dos, une porte ouvrant sur un couloir, des couleurs sourdes, tant sa patte est caractéristique. Dans ses toiles , le temps s’arrête, la paix s’installe, le vide incite à la mélancolie. Ses paysages horizontaux sont déserts, la rigueur de ses compositions me rassure et le flou de sa touche éloigne les anecdotes. Ce peintre du XIX° influencé par les Hollandais du XVII° est pleinement notre contemporain ; quand un rare rayon de soleil blanc pénètre par les fenêtres, il prend tout son prix, une femme s’en approche et ouvre un livre.

mercredi 9 décembre 2009

J12 : Hué, Danang, Ho Ian

Nous partons pour la visite de deux mausolées. Nous commençons par celui de l’empereur Tu Duc. Il s’agit plus d’un palais que d’un grand tombeau. L’empereur poète le dessina lui-même avec une recherche d’harmonie. Un certain romantisme émane du canal qui serpente, envahi par les lotus et alimenté par la rivière des parfums. La montagne n’est pas bien loin, pour l’équilibre de la nature. C’est le palais de « la modestie » nom donné par le bien peu modeste Tu Duc suite à une insurrection du peuple due au travail forcené pour construire l'édifice entrainant beaucoup de morts. Cour d’honneur avec cheval, éléphant et soldats, appartements pour le roi, pour le harem, présence d’un théâtre, pavillon du repos au bord de l’eau avec embarcadère. Nous longeons le canal pour atteindre le tombeau, élevé dans la pinède pour que le défunt puisse entendre le bruit du vent dans les arbres. A l’arrière du bâtiment est dressé un autel dédié aux concubines stériles afin que leurs âmes n’errent pas, puisque privées de descendance. L’autobiographie de l’empereur est gravée sur une stèle devant son tombeau. Craignant vengeance et pillages, il ne reposerait pas dans son tombeau, mais dans un endroit tenu secret. Le personnel chargé de l’y conduire venait du Nord et sur le chemin du retour, le bateau coula.
Le deuxième mausolée celui de l’empereur Minh Mang se situe un peu plus loin à 11km de Hué. Pour y accéder nous empruntons une allée équipée de barbelés d’un côté afin d’empêcher les enfants de mendier. D’autres mausolées sont ruinés mais l’un d’eux subsiste en béton sur les hauteurs comme les cimetières situés sur les collines pour échapper aux inondations.
La route qui mène au col des nuages est tellement pentue que des étals proposent des cales en bois. Nous sommes presque seuls, car les véhicules préfèrent emprunter la voie avec tunnel. Nous avons une jolie vue sur la péninsule de Lang Co, village de pêcheurs de coquillages qui une fois broyés fourniront de la chaux et sur une longue langue de sable clair face à la mer de Chine. Ce col constituait un passage stratégique à toutes les époques ; des vestiges de fortins chinois et des bunkers français et américains en témoignent. C’est la frontière entre le Nord et le Sud. A Danang, après un restaurant au prix inhabituellement élevé, nous visitons le musée Champa, placé dans une jolie maison coloniale construite par l’école française d’extrême orient au début du siècle. La civilisation cham aujourd’hui disparue adopta la religion hindouiste et son panthéon encombré de dieux. Le musée abrite des sculptures trouvées sur le site de Mison en particulier, s’échelonnant du 7° au 14° siècle. Quelques photos d’époque prises sur le terrain des fouilles montrent les conditions de découverte parmi une végétation luxuriante. Nous tournons autour des yonis /lingams symboles sexués féminins et masculins, les Shiva, les nandus, Hanuman, Garuda, les Râma Sita et Râvana, les musiciens et danseuses en bas reliefs et grès. Puis c’est la route vers Hoi An. Des camps militaires américains, il ne reste qu’un grand terrain plat avec la plage où les GI se délassaient, quelques abris à hélicoptères sont conservés pour la mémoire de ce lieu stratégique. Le bord de mer se transforme aujourd’hui, avec des complexes touristiques immenses et pas moins de six golfs prévus. La plage n’appartient plus au peuple, les vivants et les morts sont expropriés avec transferts des cimetières.
Qui a gagné la guerre ?
Les monuments aux morts et cimetières militaires pour les soldats du Nord jalonnent les routes.
Nous pénétrons dans Hoi An sous la pluie. Le « Hô An hôtel », superbe maison dans le style colonial, nous éblouit avec un jardin au centre des bâtiments en U. Des petits pots de riz en herbe sont disposés sur les tables. Nous sommes accueillis avec un verre de citronnade, des petits gâteaux au soja et des nougatines. Fleurs d’ibiscus et pétales de roses décorent les chambres petites mais luxueuses et raffinées. « Lonely Planet » annonce l’établissement comme prix moyen, que penser des prix plus élevés ?
Sans guide nous partons découvrir la ville. L’habitat ressemble à celui de la Chine et ses maisons avec des boutiques en bas et un étage moins important servant d’entrepôt ou d’appartement. La température est délicieuse après la pluie. Nous suivons vaguement le plan donné par l’hôtel, traversons un marché, protégé par des bâches. La rue suit la rivière et mène jusqu’à l’adorable pont japonais couvert. Il est intact, c’est le lieu privilégié pour les photos. Nous nous promenons un moment avant de terminer au restau « Thanh Phong » où nous nous régalons de white rose (ravioli enroulé dans une feuille de riz frite) et de spécialités locales. Ambiance de soir d’été, de vacances sucrées, avec les lanternes colorées, les gamins qui vendent des sifflets en forme d’animaux, un jeu de loto avec musique sous un banian. Douce nuit.

mardi 8 décembre 2009

L’effroi et la pitié(Première partie)

Depuis quinze ans elle remettait cette expédition. A quoi bon aller enquêter sur le passé de ses ancêtres, qu’est-ce que cela changerait aux destins particuliers, à l’Histoire.
Laisse les morts enterrer les morts, laisse les archives en paix, va de l’avant, amuse-toi. Les vivants seuls sont importants, le présent. L’ici et maintenant… Foutaises de psy !
Elle s’en racontait de bien bonnes pour ne pas bouger ; elle dorlotait ses insomnies, ses crises d’asthme, ses accès de gastrite. Jusqu’à ce que ça pète, jusqu’au bord du terrain miné.
Vos ulcères sont inguérissables… On doit y aller voir… C’est peut-être un lymphome… C’est quoi ?... Rassurez-vous un lymphome c’est curatif (lapsus du médecin, lapsus parfait comme toujours), je veux dire curable… Rougissements, balbutiements.
On l’opère, on lui retire cet épaississement de l’estomac, ce bouclier de chair qui empêche que l’organe ne crève. Cette résistance à être percée qu’elle a. On la tuyaute, on examine ses tissus, on la ravigote…
La Faculté se dit penaude : il n’y a pas de lymphome, régime, petit estomac à chouchouter, régime, estomac d’enfant de huit ans, régime, quatre repas par jour, vous en avez pour deux ans à vous remettre, régime, pas de, pas de, pas de. Pas.
Elle a su, quelqu’un lui a dit ce que son corps savait depuis toujours, quelqu’un lui a dit enfin et peu importe qui le lui a dit :
"tu as raison, ce n’était pas un accident : le pépé a tué la mémé."
Bouches privées de mots, de cela personne n’était coupable, surtout pas coupable la bouche de son père scellée par l’horreur. Un cœur de treize ans écrabouillé.
Elle a connu chose faite, épreuve traversée, enquête achevée, la violence de sa joie de vivre.
Elle a compris la bouche infirme du père. Violence infligée à la parole qui se tarit.
Haine, peur, désespoir. Non, ces mots sont trop usés, ils sont les oripeaux de la littérature. Régime de la honte, fabrique du secret, sève mortelle pour les générations à venir.
Il a treize ans : devant ses yeux, le père tire une balle de revolver dans la bouche de la mère. Elle dit : Jésus Marie, s’écroule cramponnée à la dernière des onze, la petite de deux ans qu’elle portait sur le bras.
Marie Treize

lundi 7 décembre 2009

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe et que vous n’avez jamais osé demander.

Il ne fait pas bon vieillir parfois : ce monument d’humour de Woody Allen a perdu tout son arôme.
Les histoires de ceinture de chasteté dont il manque la clef est aussi daté que « le Hérisson » journal dit d’humour de ces années 70.
Et nous avons depuis tellement vu de parodies d’émissions de télévision que la séquence de ce genre tombe à plat. Un moustachu qui se déguise en femme c’est d’une lourdeur!Sans parler du berger et sa brebis, d’un sein gigantesque, ou de la séquence italienne…
Surnage celle du pauvre spermatozoïde très « Odyssée de l’espace », qui ne veut pas entreprendre le grand voyage; la tour de contrôle sablera le champagne une fois que l’armada à long flagelle a sauté dans l’inconnu, mais il faut revenir au boulot car le patron est vigoureux !

dimanche 6 décembre 2009

Prévert blues

Les mots du poète le plus populaire devaient bien se marier avec le jazz dans les sonorités nostalgiques, les fraternités jubilatoires. Bonne occasion de réviser le clopeur et même si ses lanternes magiques, ses orgues de barbarie ont pris quelque poussière, ses coups de gueule enrubannés d’humour, ses rythmes évidents peuvent encore nous toucher.
Etranges étrangers
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes de pays loin
cobayes des colonies
doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d'Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manoeuvres désoeuvrés
Polaks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquent chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boite de cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal
départriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d'or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd'hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des hommes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez .

Mais ce soir là, à la MC2, moi qui suis plutôt amateur de mots et que pour la musique je m’applique, j’ai parfois regretté de me distraire du jazz en suivant les gestes de l’acteur. J’ai jubilé à certains traits : « …bleu, blanc, rouge : j’entends glas, glas, glas » et bien des mots inlassablement revisités recèlent toujours des trésors,mais j’ai déploré la perte de mon cœur adolescent en trouvant redondant et un peu patronage quand l’acteur peint, découpe et affiche de grands cœurs rouges sur scène. J’ai préféré les balayages du batteur, les souffles du saxo, les trépidations de la contrebasse, les inventions de la guitare, les embardées et la solidité du quartet emmené par Texier.

samedi 5 décembre 2009

Face à la crise, quelles alternatives ?

Au forum de Libé en septembre:
J.F. Kahn amateur de paradoxes, il en abuse parfois, mais bon pédagogue nous secoue aussi. Même s'il invoqua la révolution et se retrouva au MODEM: tant de bruit…
Baverez son interlocuteur qu’il a beaucoup moqué tout au long du débat, à la fin de l’envoi, le touche; beau prince sans rire.
L’opposition de l’auguste et du clown blanc était peut être légèrement surjouée, mais à relire mes notes je ne sais plus qui a pu recommander de remettre de la morale dans l’économie ? Quant à « corriger le capitalisme naturel par le culturel, discipliner celui-ci » qui ne serait pas d’accord aujourd’hui. ?
L’économiste reconnaît que « la crise n’est pas financière mais économique et qu’il est déraisonnable d’occulter les risques engendrés par la mobilisation de la politique économique pour les banques et les dettes publiques ».
Le journaliste, pourtant dans un registre qui m’est bien plus familier, me paraît un peu trop lyrique, en proclamant que « l’homme doit être la nouvelle centralité et non plus l’état ou l’argent. » Et alors ?

vendredi 4 décembre 2009

Des hommes. Laurent Mauvignier

Parmi les styles, il y a l’écrit, le parlé; dans ce livre comme une voix intérieure vous prend dans ses spirales. La lecture n’est pas facile mais peu importe l’identité du narrateur pour approcher de la vérité de ces paysans échoués à garder des cuves d’essence en Algérie et qui sont revenus.
« C’est le moment où l’on regarde le drapeau dans le ciel bleu, le moment où l’on essaie de se faire croire qu’on est là pour quelque chose comme des idées, un idéal, une grandeur quelconque, un projet de civilisation comme l’explique l’une des brochures qu’il a reçues en arrivant »
Ce n’est pas la brochure du bien et du mal : la boue de l’Ardèche et le ciel blanchâtre de l’Algérie pèsent comme le temps.
Les silences à se casser les dents durent des décennies, des vies entières.
Sous l’accumulation des mots banals, nous nous approchons d’une réalité familière :
« C’est plutôt qu’après le séjour au club Bled, oui, c’est ça, toujours de quoi rire, déjà ça, la rigolade, qu’on y aille, il avait osé ne pas revenir et n’en faire qu’à sa tête de mule et aujourd’hui voilà où on en est_ »
Je me repens d’avoir pensé du haut de mon surplomb de petit instit’ que la littérature française était mal en point, Mauvignier est une hirondelle. Autant qu’après le drame du Heysel, le livre qu’il avait écrit, « Dans la foule », m’avait paru essentiel ; avec ce dernier ouvrage il va bien au-delà des traumatismes d’une guerre et pose pour chacun ce qui oriente un destin, ce qui compose notre difficile humanité.
« Je vois bien le paysage, tout blanc, enfin blanc d’un blanc grisâtre et fade comme du pain rassis, sans forme, avec des pavillons noyés dans le ciel épais et mou, et dessus les champs, les bois durs comme du marbre… »
Il dit bien les pierres, les maisons, les hommes.
Quand « La littérature présente le monde ».