mardi 24 mars 2009

Grossesses d’ogresses

J'ai replacé les planches sur la margelle. La sueur me coule entre les omoplates en dépit du froid. La lune est mon seul témoin ; elle se moque bien des frimas, pleine comme elle est, à sourire, contente d'être au maximum de son tour de taille. Tu ne peux empêcher, ma vieille, que ce que j'ai fait, je l'ai fait et bien fait et que rien ne pourra défaire ce que j'ai fait.
Là-bas dans la maison basse, ils dorment, les six fils, les trois filles, leur père aussi. Les innocents, ils dorment …
Ah ! Les innocents…
Hier soir, il a considéré longuement la situation, en larmes : non je ne peux pas faire ça ! Quand je pense que c'est son extrême sensibilité qui m'a séduite, il y a dix ans de cela… Il saurait me comprendre… nous marcherions la main dans la main, les yeux dans la même direction, comme écrivait Saint Ex… qui a largué sa bonne femme la plupart du temps ! Aux poèèètes, on pardonne tout. Aux épouses, les basses œuvres ! Faut-il être particulièrement conne pour aimer un homme de lettres ! J'ai froid au dos, c'est la sueur qui se fige. Je ne peux pas partir tout de suite. Il faut que je sois sûre. Je n’entends plus rien mais on ne sait jamais !
Oui, il a dit en reniflant, moi je ne peux pas faire ça… Toi, tu sais gérer ces affaires, ton enfance à la campagne t'a endurcie. La vie, la mort c'est du naturel pour toi… Moi, tu le sais bien, la vue de mon propre sang m'envoie dans les vaps.
Excuse-moi, a-t-il pleurniché. J'ai eu cette journée pénible avec l'éditeur. Bonne nuit, chérie.
Regarder dans la même direction… moi devant, lui, derrière. Quand je pense qu'il n'a pas voulu assister à la mise bas de nos neuf enfants !
Il y a une heure, j'ai mis au lit ma nichée. Les plus petits étaient joyeux comme d'habitude, ils attendaient l'histoire. L'aînée, Amélie, a encore bougonné qu’elle voudrait bien avoir sa chambre à elle, qu'elle n'aurait pas d'enfants quand elle serait grande, que d'ailleurs elle ne se marierait pas, qu'elle serait juge pour enfants, avec le boulot qui ne manquait pas ! Je l'ai câlinée, je lui ai dit que je l'aimais. Elle a pris son pouce, a sombré de suite.
Les petits attendaient leur conte en sautant sur leur lit. "Le Petit Poucet ", a hurlé Norbert !
- Je vous l'ai déjà raconté cent mille fois, non ?
- On s'en fiche. C'est une histoire de famille nombreuse et nous on aime les histoires de famille nombreuse…
- Ouais, a complété Célimène (ma future prix Nobel) parce que les ogres peuvent réussir quelquefois, si le plus petit n'est pas assez malin !
Et elle a pincé le nez du dernier dans mes bras.
- Allonge un peu l'affaire des deux lits, tu sais. Les filles de l'ogre avec leurs couronnes et les pauvres avec leurs bonnets, a supplié Clément, l'aîné des garçons.
- Dis, maman, y a pas d'ogre dans le jardin qui va passer par la fenêtre quand tu dormiras ?
- Non, il n'y a pas d'ogre dans le jardin. Et s'il venait, maman le tuerait avec la hache à bois, ai-je affirmé avec conviction et geste violent.
J'ai pensé… pas d'ogre mais peut-être une ogresse.
La lune escalade les proues du Vercors. Je n'ai plus froid. Penser à mes enfants me réchauffe. La mousse de la margelle est douce, humide sous mes doigts. Aucun bruit. Tout dort. J'ai bien accompli ma mission, ce travail qui revenait à ma mère, à ma grand-mère… Depuis des siècles, la chaîne sans fin des Baba Yagas
L'élastique bien serré autour du sac de plastique.
Il a dit que je savais faire…
Oui je sais faire ces choses-là : le coup au lapin derrière les oreilles, la chienne à mener chez le véto pour l'ultime piqûre, l’anguille à écorcher vive. Oui, je sais. Je sais aussi raconter des histoires, pousser un chariot entre les rayons de conserves, et maintenir en vie les orchidées. Tu as les doigts verts ma chérie.
Ce que je déteste, c'est l'odeur de l'éther. Je ne m'y ferai jamais.
Le silence. Je suis morte de fatigue, je rêve d’un lit tiède, à son corps chaud sous la couette où il ronfle du ronflement délicat des poètes.
Miaulement plaintif amplifié par la gorge du puits.
Zut ! C'est à refaire !
Marie Treize

lundi 23 mars 2009

Bellamy

J’aime Depardieu et sa solidité, Brassens, la province, Simenon, la cuisine. La promo avec la paire Chabrol/Gégé laissait entrevoir des dialogues savoureux, de la sensualité ; hélas le coup est un peu éventé. Heureusement le dernier quart d’heure, à l’inverse des conclusions américaines sirupeuses, apporte une dose de complexité, de mystère, de subtilité : la morne intrigue se résout mais la réputation de Chabrol me semble encore une fois surévaluée.

dimanche 22 mars 2009

Juliette : de Goya à Goya.

Elle a du tempérament, la chanteuse, et à la MC2, elle a soulevé son public. Spectacle bien mené, poétique, politique, s’arrêtant devant les vieilles du peintre Goya « Que tàl ? » et déguisant son orchestre en lapins style Chantal. Les plaisirs de la vie : le vin, l’amour, des vieilles indignes, les jeunes de mon quartier, le pimprenelle de l’environnement, les ronflements, la notoriété, les étrangers, ceux qui chantent faux; ce n’est vraiment pas son cas : le spectacle est juste. J’ai apprécié d’autant plus la prestation que la veille je m’étais attardé à la télévision devant « les enfoirés » où les noms de Goldman, le Forestier, Benabar m’avaient appâtés : c’était factice, clinquant, de bien peu de sens. Avec Juliette, quelques reprises bien adaptées à son univers : les loups de Réggiani ; et une bonne paire de claques de Vian, réjouissant:
« Quand on est tout blasé
Quand on a tout usé
Le vin l'amour les cartes
Quand on a perdu le vice
Des bisques d'écrevisses
Des rillettes de la Sarthe
Quand la vue d'un strip-tease
Vous fait dire: Quelle bêtise
Vont-ils trouver autre chose
Il reste encore un truc
Qui n'est jamais caduc
Pour voir la vie en rose
Une bonne paire de claques dans la gueule
Un bon coup de savate dans les fesses
Un marron sur les mandibules
Ça vous fait une deuxième jeunesse »

samedi 21 mars 2009

Que voyons-nous de la ville ?

Sur les bords de l’Isère, où des SDF ont élu domicile improbable dans quelque caravane, ce sont des cabanes qui se sont édifiées récemment. Une femme sortait de l’une d’elle, tenant une fillette par la main. Je les ai croisées en allant à la manif.
Nos avons traversé la ville avec mes compagnons habituels et puis plein d’autres ; tous ensemble : une marée. J’ai marché en bonne compagnie , me réjouissant de la puissance de cette masse, mais nous interrogeant sur la faiblesse des syndicats, des partis à la voix certes amplifiée en ce jour, mais qui rallient toujours les mêmes fidèles, quand les boulevards sont rendus aux voitures.
Sur l’écran d’un téléphone portable, on m’a montré des voitures qui brûlent devant le bowling d’Echirolles à 21h. Surprise.
En participant à des essais d’invention d’un futur pour notre ville, nous avions envisagé de rechercher des solutions du côté des ordinateurs, machine à solitude et en même temps de lien, d’exclusion et de connivences. Nous devrons y revenir.
Les jeunes pour lesquels nous envisagions des activités de proximité, recherchent plutôt un certain éloignement. La chance gâchée d’un lycée à Saint Egrève n’a pas désolé tous les lycéens qui goûtent ainsi aux plaisirs anonymes du centre ville.
Les jardins d’ici s’éclairent sous le printemps, les petits enfants grimpent sur des jeux violets et jaunes dans les parcs.
Un révolutionnaire double face des années coupantes, n’a pas son badge, et personne en son domaine ne l’a reconnu. Il faisait tellement nuit.

vendredi 20 mars 2009

Les voyageurs du temps

Comme BHL, Sollers, à force de le voir, on ne le lit pas. Je viens d’essayer de l’approcher au cours de sa balade bavarde dans le quartier Saint Germain et du côté de Bordeaux où -nous apercevons des grands hommes- il rencontre Hölderlin, Rimbaud, Lautréamont, Orwell et se tire une jeunette rencontrée au centre de tir du ministère de la défense. Son art consommé de la citation au service d’une culture éblouissante, nous apporte plus que des anecdotes sensées alléger de trop exigeants propos où il pose avantageusement. Picasso et Bach sont requis pour nous guérir de vivre. L’évocation de la fin de Manon Rolland est bouleversant : « liberté, que de crimes on commet en ton nom » comme celui qui corne une page de son livre juste avant de se coucher sous la guillotine. Métaphore de la beauté vaine de la littérature, de sa nécessité? Ce livre comporte des pépites, mais la luxuriance de l’auteur qui s’aime tant, éloigne la sympathie. Maniéré, parfois élégant aussi, se répétant, décapant. « Priez le diable pour moi, il va plus vite que le Bon Dieu ! Tout le prouve »Céline. J’aime quand il n’est pas correct en citant Doris Lessing : « la femme la plus stupide, la plus méchante, la plus mal élevée, peut traîner dans la boue l’homme le plus charmant, le plus intelligent, et penser que ce qu’elle fait est merveilleux, et personne ne protestera ».

jeudi 19 mars 2009

GRRREnoble manif du 19 mars

De Sixte à Léon, art et communication au Vatican.

Catherine de Buzon, la conférencière des amis du musée, est un tourbillon d’érudition.
Au Vatican, jadis, les artistes étaient chargés d’assurer la postérité des pontifes, le temps a rendu son verdict : c’est Botticelli (Sixte IV), Michel Ange (Jules II) et Raphaël (Léon X) que nous admirons.
Au moment où le protestantisme frappe à la porte, ces peintres ont plus travaillé pour la gloire du catholicisme que bien des doctrinaires. Bien sûr, il y a des génuflexions suggérées pour rappeler l’autorité du pape, et des reconstructions savoureuses qui remontent aux dieux égyptiens pour légitimer un pouvoir qui fut fort terrestre, on voit aussi des « neveux » du pape qui étaient ses fils. Mais avec ces peintures de commande, c’est l’explosion des corps de Michel Ange célébrant l’homme au cœur de la spiritualité qui me frappe. Nous pouvons reconnaître Dante au milieu des saints, et au-delà des orgueils de ces éminences, il y a eu aussi la volonté de convoquer la fine fleur du XVI ° qui fait vivre jusqu’à nous l’esprit de la renaissance où l’intelligence rencontre la beauté. Désormais, la Renaissance est révolue pour les occupants du Vatican : dans leurs avions ils retournent aux âges les plus obscurs.