mercredi 17 décembre 2008

Ecrite, l’expression. Faire classe#13


L’oral ne peut se substituer à l’écrit. Pourtant sa légèreté a contaminé l’élaboration laborieuse d’argumentations structurées. Comme les Lacoste devenus apanage d’une certaine jeunesse des banlieues, la tchatche a cessé d’être le monopole des promis à l’oral de l’E.N.A. L’enjeu est de taille pour que subsistent des moyens pour accéder aux nuances, pour sortir du réactif, pour inscrire une pensée.
Je consolais ma mauvaise conscience d’avoir abusé d’exercices à trous vite comblés, par la fastidieuse correction d’au moins un texte par élève, par semaine.
- Ecriture au brouillon, c’était alors chaque samedi : avec sollicitation à raturer, gommer.
J’annonçais le sujet à l’avance. Pour contourner la difficulté d’inventer une nouvelle planète pour le Petit Prince comme ça, au sortir de la récréation, inviter à imaginer à l’avance.
Réfléchir à :
Portrait d’un grand - parent, d’un ami, son auto - portrait.
La façon de mener des dialogues.
Poèmes avec contraintes, à la manière de…
Comptes-rendus de visite, d’expérience.
Une lettre, est que ce serait utile aujourd’hui ?
Beaucoup d’histoires à terminer, pour prolonger la fantaisie d’un auteur, se servir de Calvino, de Pennac, d’un père Noël maboul.
Conte des origines : du type pourquoi le léopard a des taches sur sa robe ?
Des histoires avec des narrateurs différents, changer d’angle de vue.
La critique d’un spectacle vu en commun puis d’une émission préférée, en argumentant. Expression intime : un petit plaisir comme ceux de Delerm distillés chaque jour pendant deux semaines. Une invitation à positiver, à chercher ce qui aiguise l’appétit de vivre : pas forcément un luxe pour des enfants grognons, frustrés, ou désabusés avant d’avoir goûté.
Un reportage, des résumés…
A la fin de l’année : le « chef d’œuvre » individuel parachève ces divers travaux.
« Mon roman » arrivait à être entièrement tapé à l’ordinateur, tiré à quatre épingles, monté sur les présentoirs de la bibliothèque comme les vrais livres avec couvertures cartonnées, illustrations, maison d’édition fantaisiste, quatrième de couverture et biographie amusante.
Les élèves s’engagèrent dans des albums pour les tout petits, jusqu’à des polars déjantés, des romans roses et des destins historiques où Abdel racontait comment Jean-Claude arrivait à guérir un certain Adolf de ses folies guerrières. Nous avons apprécié des épopées footballistiques et des voyages lointains, des histoires où les animaux expriment plus profondément que certains déballages les souffrances, les conflits de l’écrivain.
La confection d’un journal de classe, si féconde à une époque, ne me prouvait plus des vertus initiales qui furent évidentes. Le sujet était libre, contrairement aux autres situations d’écriture de l’année, avec cependant négociation pour éviter d’aligner six textes sur le foot. La motivation des élèves s’érodait ; « il fallait Me fournir un texte pour Mon journal » : tout faux ! L’appât du gain rapporté par la vente du journal au porte à porte aurait pu motiver les libres écrivains. Seuls les « spéciaux classe de mer » inspiraient encore des réussites dans le genre. Nos lointains débats théologiques sur la nature libre des textes s’effacent. Les contraintes rassurent ; les impulsions données par une histoire captivante enrichissent plus que l’injonction de liberté, même épaulée par une boîte à mots déclencheurs.
- Correction individuelle des brouillons en rouge accompagnée de commentaires lors des six évaluations de l’année. J’affichais ma subjectivité de juge : « je ne dois pas m’ennuyer ».
La procédure pour obtenir un produit fini, « nickel » prend une semaine pour recopier, pointer, corriger à nouveau au crayon, effacer, numéroter, archiver.
Je crains que l’usage exclusif du traitement de texte pour les rédactions ne retarde l’instant de s’essayer à un nouveau texte, d’un autre genre, et que la forme prime sur le fond, le « look » sur l’essai. Il faudrait ménager du temps pour un « tremblé », une rature, des tentatives de s’éloigner du premier jet.
A ranger dans la liasse des autres textes reliés en fin d’année.
Il existe aujourd’hui des petits classeurs aux couleurs acidulées pour recueillir dans ce lieu exclusif les essais de l’écrivain en herbe.
- Correction collective. Quelques phrases caractéristiques relevées dans les textes fournissent matière à mise en commun et à élaboration de conseils inscrits
- Au recto d’une page en couleur:
« - Eviter les répétitions, les répétitions, les répétitions ;
- Faire la chasse au verbe faire.
- il y a des moyens d’éviter il y a … »
- Au verso : « la chasse aux canards » :
"engueuler"à remplacer par "gronder"
"plein de" à remplacer par "beaucoup de…"
Ces dispositifs ne sont-ils qu’un barrage dérisoire contre l’océan des présents fébriles ?
Entre deux virgules nous allons fouiller du côté des mystères de l’humain. Les volutes, les suspensions de la plume nous racontent à chaque fois l’originalité de l’homme qui commença ainsi son histoire.
Les jambages s’alignent entre les rayures Seyes ; l’écriture qui fait tirer la langue ne se confondrait-elle pas avec le geste de l’écrivain équipé de son Mont-blanc ? Applique toi.
Ecrire est un grand orgueil, cependant cette expression fait office de sauvegarde. Ecrire c’est raturer. Il me faudrait arpenter encore quelques départements des beaux-arts et des belles lettres pour rendre la lumière d’un mois de novembre. Alors saisir la vérité de ce qui circula quand je fis classe me semblera encore bien insaisissable, longtemps.

« Ecrire c’est traverser une saison qui n’est sur aucun calendrier » F. Lefèvre

mardi 16 décembre 2008

Vieillir


Vieillir c’est perdre l’insouciance.
Ce sont les bobos et les douleurs quotidiennes à ignorer, en attendant le cataclysme final, c’est la mort qui rôde près des parents, à négocier avec plus ou moins d’habileté ou de chance dans le grand virage final et définitif,
Ce sont les amis, sur le visage desquels on découvre ses propres rides et l’insidieux travail du temps qui passe et vous ronge de l’extérieur, en surface .
Ceux qu’on aime, se débattant dans leur marasme personnel, parfois « cernés de près par les enterrements » comme le disait Brassens qui fut lui-même vite vaincu par la camarde,
Et les enfants, dont, privés de la bienheureuse inconscience de nos propres parents, on n'a aucune certitude heureuse quant à leur avenir …
C’est la peur de l’inéluctable solitude finale, arbre bientôt abattu à son tour, dans le no man’s land de nos cimetières perso …
Mais c’est aussi aimer, aimer passionnément la vie, savoir le prix de chaque instant volé au futur désespérant, et se chauffer à l’amitié, au soleil caressant, à la beauté du monde, à chaque occasion suscitée ou volée au hasard, petit soldat anonyme du grand troupeau humain qui court à sa perte programmée…

13 Août 08- Dany Besset

lundi 15 décembre 2008

Caos calmo.


Le monde s’écroule : sa femme vient de mourir en vacances et son entreprise audiovisuelle est en train de fusionner, alors Nani Moretti va s’asseoir sur un banc en attendant toute la journée sa fille qui est à l’école. Bien des personnages défilent dans le square où l’on voit qu’une fermeture centralisée d’une voiture peut être sympathique, où Roman Polanski participe d’un casting qui réserve des surprises. A une époque on s’amusait avec un copain à repérer « le truc » dans un film, tel que casser des noix sans casser la vitre du « Passager de la pluie », ici ce sont les listes qu’il établit en ce moment de bilan qui me semblent une trouvaille poétique : les compagnies aériennes dont il a été client, les endroits où il n’ira plus, ce qu’il n’a pas supporté dans sa vie…J’ai bien aimé ce conte alors que souvent ce genre élude la réalité, là, ce pas de côté révèle les faux-semblants, les trahisons. La position du père protecteur à l’égard de sa fille aurait pu être étouffante, là, c’est l’harmonie, la paix. La petite sera sage sans cesser d’être une enfant. Vive le cinéma italien qui l’air de rien, dit bien l’air du temps, où la désinvolture marque la gravité.

dimanche 14 décembre 2008

Fellag


La sincérité, la fraîcheur de l’humoriste kabyle se sont un peu émoussées dans ce spectacle : « les algériens sont des mécaniciens » où il ne joue plus seul. Le côté légèrement désuet des sketches peut attendrir. La nouveauté des performances antérieures et son courage nous avaient tellement emballés dans ses spectacles antérieurs, qu’il est difficile de rester sur ces sommets même si sa critique est toujours tonique : l’empressement inefficace de tous les mécaniciens proclamés, leur débrouillardise aussi révèlent bien des traits d’une société dans son ensemble. Les chutes sont un peu attendues, mais je retiens la séquence superbe qui clôt le spectacle. Le couple tout excité revient de Bruxelles avec la Mercedes de leur rêve et se fait pulvériser l’objet de leur prestige au premier feu à la sortie du port... alors ils allument la radio qui est restée intacte et ils dansent. La poésie vient élever l’humour et remet des couleurs dans des tableaux qui risquaient d’être un peu fades. Malgré un Jésus de la rue D’Isli qui réussit à guérir les maux les plus graves, sauf celui du fonctionnaire algérien.

samedi 13 décembre 2008

Décomplexés et timides.


Je m’applique dans le débat politique à me monter respectueux de mes adversaires mais il y a des occasions où il faut se ronger les poings.
Quand une formatrice pour adultes dit à l’une de ses élèves qu’elle ferait bien de retourner au bled, il ne s’agissait pas du manuel d’orthographe, mais de l’affichage d’un racisme à l’égard d’un public qui d’ailleurs la fait vivre ! Et que la situation catastrophique des finances française serait causée par… Mitterrand ! Tant de mauvaise foi peut accabler mais aussi nous revigorer.
Je me réjouis à chaque fois que certains ne se soient toujours pas remis de notre victoire de 81. Cette France de toujours qui considère la gauche comme illégitime : ces réacs me ravissent. Et dire que l’affichage d’une droite décomplexée a paru comme un signe de modernité !
La haine de l’autre ce serait plutôt Cro Magnon.
En face, des camarades se bagarrent pour convaincre des parents de la nocivité des mesures qui accablent l’éducation nationale. Eh bien certains, ne veulent pas se mouiller, pensant que la contestation est politique, comme si les mesures ne l’étaient pas, politiques. « Je ne fais pas de politique » signe de la main droite. Encore un vieux retour aux silences d’antan quand il ne fallait pas afficher ses opinions. Mais pas si passés que ça, les pseudos qui sévissent sur Internet n’assument pas leurs opinions : ils éructent, cachés ! Ils sont plus souvent de droite me semble-t-il.
Ce royaume des silences remonte lui à l’antédiluvien.

vendredi 12 décembre 2008

Sarinagara. P. Forest


Un ami m’a offert ce livre.Mais il y a des jours où le bienheureux oubli vire à cette putain de mémoire défaillante: je ne sais plus qui ?
L’écrivain va à l’autre bout du monde au Japon après la mort de sa fille. Il a oublié le tremblement de terre de Kobé qui a eu lieu le jour de l’annonce du cancer de sa petite.
Il nous conte la vie d’un poète qui a écrit en de pareilles circonstances, celle de l’inventeur japonais du roman moderne et enfin du photographe qui immortalisa -comme on dit - quelques images de survivants de Nagasaki. Le titre vient du dernier mot d’un haïku : « je savais le monde - éphémère comme rosée - et pourtant et pourtant ». La survie après la mort d’un enfant est un scandale et la littérature ne peut rien, pourtant il nous dit la beauté du monde avec des mots de la précision du cristal. Je me suis pardonné mon goût pour cette chose chochotte nommée poésie en approchant les haïkus qui unissent l’absolu et le quotidien, j’ajouterai la nature et la culture. Tout ce livre cherche la réconciliation de l’oubli et de la mémoire, du rêve et de la réalité, en termes limpides parfois un peu trop parfaits. La neige se mélange aux pétales du printemps. Merci.

jeudi 11 décembre 2008

Henriette Deloras


Si elle n’avait marié Jules Flandrin serait-elle accrochée présentement au musée de Grenoble ?
Depuis Camille Claudel, il est de bon ton de ressortir des cartons quelques inconnu(e)s pour faire montre d’originalité, exister à côté du barnum picassien, que je m’empresserai d’ailleurs d’aller admirer à l’occasion.
Les pastels interdissent les repentirs, ceux de la dame sont agréables et porteur de nostalgie lorsqu’ils évoquent les artistes attablés aux bistrots de « la belle époque ». J’ai préféré les personnages de dos car les traits des visages traités à la craie tendent à la caricature. Ses interprétations de tableaux de Bruegel à Picasso sont gentiment originales, quelques natures mortes aux couleurs éclatantes apaisent une humeur qui s’interroge souvent : pourquoi elle plutôt qu’une autre ? Dans l’atelier que je fréquente, il y a quelques amateurs dont les productions ne manquent ni de vigueur, ni de personnalité et qui ne connaîtront pas d’exposition.