jeudi 26 juin 2014

Le corps sublimé : de l’amour charnel à l’amour divin.

Serge Legat a introduit la dernière conférence de son cycle devant les amis du musée consacrée au corps, par une photographie, une sculpture, et une fresque.
Dans «  Le baiser de l’hôtel de ville » les couples qui  avaient cru se reconnaitre et avaient demandé à Doisneau de les indemniser, ont été déboutés par la justice : il s’agissait d’une scène posée.

Puissance d’un autre baiser,  celui de Cupidon fait revenir à la vie, la mortelle Psyché, comme Canova les sculpta. Ce mythe antique entre en résonnance avec le cycle de l’âme humaine passant par des épreuves et renaissant de l’enfer grâce à sa dignité : c’est aussi la Belle au bois dormant ou Blanche Neige. 
Giotto humanise les thèmes religieux dans sa représentation de « La rencontre à la porte dorée » de Joachim et Saint Anne, les sentiments apparaissent, et la main dans les cheveux, le rapprochement des visages sont d’une sensualité très moderne.
La peinture devient un instrument du récit et les exemples arrivent à foison, mais foin de toison.
A la suite de Zeus alias Jupiter, en personne,  nous pouvons embrasser la variété des formes amoureuses avec Le Corrège qui peint le Dieu amoureux impénitent, en nuage enserrant Io la belle fille de sa papatte, ou en aigle enlevant Ganymède, beau garçon.
Avec François Lemoine avant son élève François Boucher, Omphale domine Hercule un (bel) esclave qu’elle vient d’acheter, elle le tient par les épaules et lui avec sa quenouille la regarde d’un air amouraché, elle a revêtu la dépouille du lion de Némée qu’il avait jadis vaincu : les stéréotypes sont inversés. La mythologie servit souvent de prétexte pour représenter par ailleurs quelques baisers goulus.
Plus allégorique est « La leçon de musique » de Vermeer où le jeune homme va jouer de la basse de viole pour accompagner celle qui est en face du virginal, autre nom du clavecin.
« La fiancée juive » de Rembrandt réunit les amants au moment d’une naissance annoncée, leurs mains se croisent magnifiquement, leurs regards sont perdus. Dans « La parabole du fils prodigue », l’autoportrait de Rembrandt est plein d’allégresse quand il se trouve en compagnie de son premier amour qui mourra jeune. La deuxième qu’il aima, au bain ou à sa fenêtre, exprime la force de l’amour qu’il lui porta.
Et une et deux : la première épouse de Rubens surprise dans sa lecture est  parfumée de délicatesse. Après la disparition de l’aimée qui le désola, il fut pris d’une passion torride et multiplia les portraits de la jeune Hélène, animale sous sa « Pelisse », à voir à Vienne.
Renoir peignit des amis qui s’aimaient : les Sisley, et dans « Le déjeuner des canotiers » son amante figure avec son petit chien ; dans la danse à Bougival, c’est Suzanne Valadon qui servit de modèle.
Pour ce qui est de la peinture de l’être aimé, Picasso était incontournable. Depuis sa première muse Fernande Olivier qui le rassura, puis Eva Gruel qui comprit sa modernité, à sa première femme Olga danseuse des ballets russes, il passa ainsi du modèle, à l’amour caché, à l’épouse. Puis Marie Thérèse Walter rêveuse, « La femme qui dort », sensuelle, précéda l’intellectuelle Dora Maar aux ongles rouges, « La femme qui pleure ». Françoise Gillot le quitta après lui avoir donné deux enfants, et il épousa Jacqueline.
Toulouse Lautrec donnait rendez-vous au bordel à tous les journalistes bien pensants et ce familier des prostituées a pu saisir « Au lit » des couples de lesbiennes : « les deux amies » « L’abandon » avec tendresse.
Du côté de Vienne, Klimt inspiré par les mosaïques byzantines fait émerger un baiser sur fond doré au milieu de formes géométriques, Schille coupe les corps mais rend leur chaleur. Son « Cardinal et sa nonne »  se serrant bien forts, sont provocateurs et invitent à une transition évidente vers l’amour sacré.
Le refus du contact, de la part du Christ qui vient de ressusciter, à l’égard de Marie Madeleine dans le « Noli me tangere » de Fra Angelico est chargé d’émotion, et la nativité de Giotto à Assise chez  Saint François qui institua « la crèche », met en lumière l’amour maternel. Les bergers respectent l’enfant d’où vient la lumière chez Georges De La tour ou Le Tintoret. 
La vierge de Botticelli  serre contre elle un vrai bébé et celui du Caravage lors de la fuite en Egypte est lové dans les bras, tendrement. L’attachement maternel chez madame Vigée Lebrun annonce nos enfants chéris.  
Cette étourdissante suite de chefs d’œuvre, se conclut bien sûr avec « La transverbération de sainte Thérèse » du Bernin  qui sous ses ors, ses marbres et ses dorures parle de l’amour divin dans lequel on peut voir des extases bien charnelles, comme le disait le libertin De Brosses: « si c’est ici de l’amour divin, je le connais ».
« La nativité » de Georges De la tour, intitulée « Le nouveau né » va-t-elle vers plus d’universalité ? Ses  magnifiques Marie Madeleine éclairées par de moins en moins de chandelle ont traversé les siècles, renonçant aux bijoux, aux miroirs, la beauté s’efface devant l’éternité.
Quand la servante de Vermeer apporte une lettre à sa maitresse annonce-t-elle le bonheur ou la rupture ? Mais on ne badine pas avec l’amour :« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. » Musset

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