samedi 23 avril 2011

La carte et le territoire. Michel Houellebecq.

Ces 400 pages ne sont pas anodines, et c’est tellement bien de s’empoigner pour de la littérature, pourtant je m’aventurerai prudemment dans un commentaire venant après tellement d’avis autorisés.
Les Inrocks ont bien repéré que chaque personnage est en fait l’écrivain : le peintre personnage principal, le commissaire de police, Houellebecq lui-même tient un rôle éminent, mais aussi le chien bichon Michou, voire un chauffe eau en objet signifiant. Qui n’a pas écouté son Chaffoteau ne sait pas ce qu’est la vie, ni la solitude. Même si ce n’est pas tout à fait neuf depuis Flaubert en Madame Bovary. De l’auto fiction, de l’anticipation, une vision acérée de notre époque, de la poésie, de l’ironie, de la mélancolie.
Oui « la carte est plus intéressante que le territoire » : le roman cartographie la réalité.
Beaucoup de critiques ont parlé d’une moins grande âpreté dans cette livraison de l’amer, j’ai remarqué des plages de tendresse, mais le tableau est toujours aussi désespéré.
« La voix des gens ne change jamais pas plus que l’expression de leur regard. Au milieu de l’effondrement physique généralisé à quoi se résume la vieillesse, la voix et le regard apportent le témoignage douloureusement irrécusable de la persistance du caractère, des aspirations, des désirs, de tout ce qui constitue une personnalité humaine. »
Je suis entré dans ce livre en entendant la voix de Lucchini, et mon plaisir en était grandi avec la grandiloquence, l’intensité et l’humour correspondant à celui qui ne cesse de raviver les classiques de préférence désabusés et décapants. La présence de Julien Lepers et d’autres n’est pas artificielle comme dans beaucoup de productions oubliables : j’ai ressenti cette œuvre comme un symptôme de notre temps, un point de vue « moderne » sur notre monde, un exercice jubilatoire d’écriture.
Au pays de Jean Pierre Pernaud, il braque sa frontale sur l’argent roi et la douce fin des territoires dans La France en passe de devenir un musée vidé de toute authenticité. Sa réflexion sur l’art n’est pas académique mais d’une efficacité certaine qui va bien au-delà d’un avis amusant sur Picasso qui alimenta les gazettes mais interroge les valeurs de notre société.
Avec minutie il nous fait relire les notices des appareils photos, les dépliants publicitaires :
« Un sourire vous entraînera du jardin (espèces méditerranéennes) à votre suite, un lieu qui bousculera tous vos sens. Il vous suffira alors de fermer les yeux pour garder en mémoire les senteurs de paradis, les jets d'eau bruissant dans le hammam de marbre blanc pour ne laisser filtrer qu'une évidence : ici, la vie est belle. »
Il nous rend moins benêt pour un temps, mais désespéré, déshérité pour longtemps; pendant trois semaines je n'ai pas ouvert un roman.

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