samedi 4 juin 2022

Proust et ses peintres. Gilbert Croué.

L’aquarelle de John Singer Sargent surprenant « Le peintre Peter Harrison dormant » attendait les amis du musée de Grenoble sur une musique de Fauré, avant deux heures de conférence où se sont croisées musique, peinture et littérature.
L’œuvre de Marcel Proust va au-delà des 15 volumes initiaux d’ « A la recherche du temps perdu » : «  Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus » 
De Giotto à Picasso, les allusions à une centaine de peintres ne nourrissent pas seulement le portrait du peintre Elstir créé par l’auteur des « Plaisirs et des jours »(1886) comme il en est de Vinteuil en musique et de Bergotte en littérature, mais trouvent des échos dans son écriture. « Ses mots entrecroisés, lissés, mûrement choisis » peuvent s’apparenter à « une matière picturale brillante et passionnante. » 
Alexandre Brun « Vue du Salon Carré au Louvre ». Le chroniqueur mondain s’engage vraiment en littérature après l’arrachement qu’a constitué la mort de sa mère, celle qui l’emmenait au musée après sa grand-mère Weil. Elles l’ont bien guidé dans le temple de la culture républicaine où il fallait savoir distinguer sous les hauts plafonds :
-
« Vénus et les trois Grâces offrant des présents à une jeune fille » de Botticelli. 
« On se souvient d’une atmosphère parce que des jeunes filles y ont souri. »
- Fra Angelico, « Le couronnement de la vierge » 
aux couleurs «crémeuses et comestibles ».
- La spiritualité et l’ambigüité sexuelle du « Saint Jean Baptiste » de Léonard de Vinci.
- « Saint Sébastien » de Mantegna dont les souffrances pouvaient parler au petit garçon asthmatique, confiné pendant des mois dans sa chambre.
Pour le méli mélo des étoffes des « Noces de Cana » de Véronèse
et
« Le silence du sage» de Rembrandt voir dans ce blog : 
La délicatesse de Poussin dans « Le printemps ou le paradis terrestre » lui va bien : 
« Un petit nuage d’une couleur précieuse, pareil à celui qui, bombé au-dessus d’un beau jardin du Poussin, reflète minutieusement comme un nuage d’opéra, plein de chevaux et de chars, quelque apparition de la vie des dieux ».
« L’indifférent »
de Watteau apparaît « Du côté de Guermantes ». 
« … bondissant légèrement, semblait tellement d’une autre espèce que les gens raisonnables en veston et en redingote au milieu desquels il poursuivait comme un fou son rêve extasié, si étranger aux préoccupations de leur vie, si antérieur aux habitudes de leur civilisation, si affranchi des lois de la nature, que c’était quelque chose d’aussi reposant et d’aussi frais que de voir un papillon égaré dans une foule… ».
Chardin et « La Brioche » - non pas la madeleine – 
s’inscrit dans les souvenirs comme un « château fort de délice ».
Proust a traduit l‘original écrivain Ruskin, son prophète, 
peintre «  The stones of Venice », défenseur de Turner aux 20 000 aquarelles,
« La Dogana San Giorgio Citella »
.
La complexité très travaillée de Gustave Moreau « Jupiter et Sémélé »
rappelle les phrases riches, foisonnantes d’un des auteurs majeurs du XX° siècle
et Degas « La répétition » aux compositions décentrées, la dynamique du prix Goncourt.
Tous ceux-ci constituent  son personnage Elstir, quasi anagramme de
Whistler 
auteur de « Symphonie en blanc no 1 »,
avec Monet,dont les touches sur le motif offrent l’évidence de la beauté directement  
«  Régates à Argenteuil », alors que  la littérature réclame plus de temps et de pages.
« La gare Saint Lazare » :« … ces lieux merveilleux que sont les gares, d’où l’on part pour une destination éloignée, sont aussi des lieux tragiques, car si le miracle s’y accomplit grâce auquel les pays qui n’avaient encore d’existence que dans notre pensée vont être ceux au milieu desquels nous vivrons, pour cette raison même il faut renoncer au sortir de la salle d’attente à retrouver tout à l’heure la chambre familière où l’on était il y a un instant encore ».
« Champ de tulipes en Hollande »
de Monnet, convoité par le prince de Polignac et l’héritière des machines Singer, concurrents lors d’une vente,
les rapprocha si bien qu’ils se marièrent par l’intermédiaire de « La comtesse Greffulhe », modèle de madame de Guermantes, peinte par l’ami Paul-César Helleu.
C’est lui qui dessina l’homme de 51 ans sur son lit de mort (1922).
Jacques-Emile Blanche avait réalisé un autre de ses rares portraits lorsqu’il avait 21 ans.
« La Vue de Delft »
de Johannes Vermeer était pour lui le plus beau tableau du monde. 
« C'est ainsi que j'aurais dû écrire. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune.» 
C’est dans « La prisonnière », devant ce tableau, que Bergotte meurt. 
« On l'enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection.»

 

vendredi 3 juin 2022

Géopolitique de la terre sainte. Claire Reggio.

En bonne universitaire, la conférencière précise la différence entre « terre sainte » et « terre de sainteté » et propose que le terme de géopolitique s’applique à l’état d’Israël, à la Palestine, à la Jordanie, au judaïsme, au christianisme, à l’islam, à une ville : Jérusalem.
Pour avoir plus appris sur les religions dans les tableaux présentés lors des conférences des amis du musée de Grenoble que dans des cours de catéchisme, me voilà rassuré d‘entendre que rien n’est simple dans ce Moyen-Orient compliqué quand les exégèses à propos d’écrits millénaires ne sont pas prêtes d’être conclues.
Dans la Genèse à propos de Shabbat : « Et Dieu bénit le septième jour et il le sanctifia. » marque simplement un jour différent des autres sans l’idée de perfection ni de territoire hors sol.
Alors qu’aucune mention de « terre sainte » n’est faite dans la bible, il conviendrait d’écouter avec Moïse devant le buisson (Sinaï) ardent :  
« Ne t’approche pas ici  ; retire tes sandales de dessus tes pieds, car le lieu où tu te tiens debout est admat kodech» 
Une terre de sainteté se différencie d'un lieu d’une expérience de sainteté. Dieu est conduit à choisir l’homme malgré le péché originel d’Adam, la tour de Babel, la perversion du peuple punie par le déluge, il distingue un peuple témoin de cette alliance.
Bergson disait à propos du prophète Isaïe : 
« S’il a pu penser à une justice universelle, c’est parce qu’Israël distingué par Dieu des autres peuples, lié à Lui par un contrat, s’élevait si haut au-dessus du reste de l’humanité que tôt ou tard, il serait pris pour modèle.  » 
La Terre promise  pour les juifs se  limite aux anciens royaumes hébreux :  
« Je te donnerai le territoire qui va de la mer des joncs à la mer des Philistins et du désert au fleuve ». Cette mer des Philistins - qui a donné le mot Palestine - est la mer Méditerranée.
Les chrétiens ont élevé des sanctuaires dès le quatrième siècle pour marquer les territoires où Jésus a passé sa vie, à Bethléem lieu de sa naissance, Nazareth son village et Jérusalem où il a été crucifié. Jérusalem, est la « maison sacrée » pour les musulmans, troisième ville sainte après La Mecque et Médine.
Depuis le dôme du Rocher, « la mosquée la plus lointaine » 
Mahomet aurait pris la direction du ciel chevauchant son cheval Al-Bouraq.
«  La terre de lait et de miel »
de l’ancien testament est un couloir disputé depuis 3500 ans.
Avant le Covid, quatre millions de pèlerins
dont un quart de catholiques
venaient chaque année à Jérusalem.
Pourtant trois fois sainte, la ville d’un million d’habitants n’a pas de statut depuis 1947 alors que les nations unies avaient adopté une résolution prévoyant la création de deux Etats.
Au cœur du conflit israélo-palestinien, les deux parties revendiquent Jérusalem comme capitale.
Une ligne verte partage la ville depuis 1949, l'Ouest pour Israël, l'Est pour la Jordanie. Après la guerre des six jours, la Jordanie laisse la place à l’OLP et un statu quo s'applique pour les lieux saints : le mur des Lamentations pour les juifs, l'église du Saint-Sépulcre pour les chrétiens, l'esplanade des Mosquées pour les musulmans. Trois monastères et un mausolée appartiennent à La France.
Le Vatican n’a reconnu Israël qu’en 1994 et Jean Paul II qui en 1986, avait été le premier souverain pontife à entrer dans la grande synagogue de Rome depuis 2000 ans, n’avait pu pénétrer dans le Cénacle de Jérusalem où aurait eu lieu le dernier repas du Christ.
Le pugilat de 2008 entre prêtres grecs orthodoxes et Arméniens à propos de privilèges d’usage dans l’église du saint Sépulcre parait bien dérisoire en regard d’autres conflits. 
Je viens de voir sur Internet que les chrétiens en Terre sainte sont majoritairement palestiniens. Les plus dynamiques, les évangéliques, en accord avec les positions extrêmes de Trump « s’intéressent bien plus à des prophéties liées à la « fin des temps » qu’à l’idée de préserver une tradition chrétienne locale vieille de deux millénaires. » 
Pas de quoi simplifier le problème. 
« On entendit, comme autrefois à Jérusalem, une voix qui disait : «Les dieux s'en vont » Chateaubriand.

jeudi 2 juin 2022

Jacques Herzog et Pierre Demeuron. Benoît Dusart.

Il est question de « modernité renouvelée » avec les deux « starchitectes » présentés par le conférencier devant les amis du musée de Grenoble. Le pivot Demeuron , le chevau léger Herzog (le chauve)
ont fondé une agence à Bâle comptant 250 architectes, mais ils ne peuvent répondre qu’à 3% des sollicitations. Ils ont été récompensés par le prix Pritzer, Nobel de l’architecture,
obtenu cette année par le burkinabé Diébédo Francis Kéré). 
A la
Tate modern, ils relookent la centrale électrique, 
leur intervention est modeste, magnifiant l’existant.
A
Tavole, en Ligurie, ils se servent des pierres sèches de la région 
comme les parpaings de pisé assurant la régulation thermique 
des bâtiments de l’entreprise Ricola,
alors que des verres sérigraphiés donnent une certaine noblesse aux bâtiments de stockage.
Les escaliers du Laban Dance Center de Londres sont des éléments structurants.
La Pharmacie de l'hôpital cantonal de Bâle offre des effets de vibration par une double peau avec pastilles vertes et aluminium perforé.
Les empreintes à l’acide sur le béton de La bibliothèque d'Eberswalde  
créent la curiosité quand l’un des motifs s'inspire du facétieux
« Vénus et Cupidon »
de Lorenzo Lotto.
Joseph Beuys un des phares de l’art contemporain les a influencés
ainsi que l’art conceptuel de Duchamp.
La bibliothèque de Cottbus affichant des polices de caractères emboitées 
évoque les courbes finlandaises d’Alvar Aalto.
L’intérieur est spectaculaire.
Un parvis généreux  se remarque
à Tokyo
dans une avenue au prix du m2 élevé, devant le magasin Prada aux effets molletonnés.
Enfants, ils jouaient au foot dans la même cour de récréation, depuis ils ont conçu l’
Allianz Arena à Munich
et
« le nid d’oiseau », stade de 80 000 places à Pékin qui a nécessité 40 000 tonnes d’acier.
Est-ce que les girondins de Bordeaux méritaient cette légèreté japonisante pour Le Matmut ?
Dans le quartier des Confluences à Lyon, les logements inactuels de l’avenue Charlemagne peuvent rappeler le donjon médiéval du château de Vincennes.
Le jeu des volets dynamise des logements de la rue des Suisses à Paris 
construits pour combler "une dent creuse".
Au musée Schaulager une maison archétypale donne l’échelle du bâtiment.
Elles s’empilent joliment pour La VitraHaus à Weil-am-Rhein, 
où un épiderme de briques accroche la lumière au Schaudepot.
A Colmar pour l’extension du musée
Unterlinden depuis le couvent médiéval, ils rénovent l’espace ancien, recréent un canal qui alimentait un moulin pour réveiller un nouvel espace urbain. https://blog-de-guy.blogspot.com/2021/09/musee-unterlinden-colmar.html
Le Musée De Young à San Francisco recouvert d’acier Corten, à corrosion superficielle, offre comme souvent dans leurs constructions, un point de vue remarquable sur le Golden Gate park.
A Madrid la Caixa Forum à côté d’un mur végétal conçu par Patrick Blanc, lévite.
Le budget prévu pour La Philharmonie d’Hambourg  a été multiplié par dix. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/tout-pour-la-musique-salles-de-concert.html
Construite à partir d’un ancien entrepôt de fèves de cacao, elle accueille deux salles de concert  aux formes organiques, un hôtel, des logements et une « plaza » sur le toit avec vue sur le port, un escalator de 80 m.
Parmi 45 projets  réalisés dans Bâle, la ville de leur enfance, les deux tours Roche sont moins ambitieuses que prévu.
Après avoir été repoussé à plusieurs reprises, le premier coup de pioche vient d’être donné pour la Tour triangle de 44 étages, le troisième plus haut édifice de Paris,180 mètres de haut .
Les deux septuagénaires, maîtres des textures dans « une approche constamment renouvelée du matériau et de sa mise en œuvre» prévoient panneaux photovoltaïques, aluminium recyclé et façades bioclimatiques.