vendredi 1 juin 2018

Marée.

Depuis qu’un « capitaine de pédalo » s’échoua sur le sable, les métaphores maritimes ont connu un certain succès. La marée, de black blocks teintée, était en noir.
Les estivants s’impatientent de retrouver le soleil et les plages de l’insouciance, bien loin de celle invoquée depuis un demi-siècle, de ses pavés débarrassée.
En 68, 69, années plastiques, héroïques voire érotiques, celui d’en face, à face de médaille, De Gaulle s’en allait. Le vieux monde n’avait pas fini de vieillir.
Le vieux général, aujourd’hui oublié par son camp, bénéficie d’un respect qu’il ne suscitait plus guère naguère. Le discrédit envers les politiques n’est pas totalement évanoui malgré le renouvellement macronien, alors se cultive la nostalgie d’un président qui payait son électricité. Sa stature avait quand même plus de chance de s’imposer à l’époque, quand fausses nouvelles, indiscrétions et twitosses, n’étaient pas à la portée de toutes les paluches.
Sous les clignotements de l’actualité qui recouvre chaque éclat instantané par une autre nouvelle, nous ne savons plus voir les mouvements lents de l’Histoire. Deviennent anecdotiques les retours de flamme (Hollande), les notoriétés évanouies (Jospin), les intouchables piétinés (Alain).
Le succès persistant de certains mots peut nous permettre de suivre ces revirements, ces ruptures de charge. Ainsi le mot « lobby » désigne toujours le poids de l’influence des autres.
Il n’est pas employé par les médias pour désigner les végétariens, les adeptes de Montessori ou les défenseurs des privilèges des journalistes.
Si l’alerte rouge promise par France Inter pour les manifs de mai a été remise à plus tard, forcément plus tard, c’est que les foules ingrates ne se sont pas soumises aux déclameurs patentés. Pourtant les camelots de la critique systématique ont encore de la ressource lorsque le président récompense Mamoudou Gamassa. S’il ne l’avait fait qu’auraient-ils dit ?
« Quand Arlette chante, c'est du bleu, de l'azur
Sur les usines et leurs grands murs.
Les paroles, bien sûr, ont beaucoup d'usure »
Souchon
Corbière a le même sourcil froncé et la lippe dédaigneuse que son maître, et tous deux jugent illégitime le président français, mais voient celui du Venezuela, Maduro, comme le plus beau. Le tout nouveau supporter de l’OM, n’a pas réussi à exploiter les frustrations des « gens », restés mi-chèvre mi-chou, mais pas vraiment « Insoumis ».
Les bloqueurs de facs se préparent pour les vacances, les empêcheurs d’aéroport sont à leurs jardins, et ceux qui ont la dette en tête prendront le train. Mais vous les marcheurs, ne touchez pas à la loi SRU qui freine les ghettoïsations !  
La polémique autour du voile d’une responsable de l’UNEF me semble futile, par contre le communiqué de cette organisation bourré de fautes d’orthographe m’a semblé sonner la fin d’une durable époque où la jeunesse se donnait des airs étudiants. Même loin de Nanterre nous avions eu l’impression de nous être dépassés, que « l’infini avait été mis à la portée des caniches », comme disait Céline à propos de l’amour.
Ouaf !
……..
Dessin du « Canard » de cette semaine.

jeudi 31 mai 2018

Bonnard, des Nabis aux intérieurs feutrés. Damien Capelazzi.

Les amis du musée de Grenoble avaient encore matière à apprendre à propos de celui qui avait d’autres qualités à faire valoir qu’une ascendance dauphinoise : « une figure essentielle pour comprendre l’évolution picturale qui va de l’académisme à la fulgurance de la modernité ». Nu dans le bain. Pierre Bonnard né en 1864 à Fontenay- Aux- Roses est devenu incontournable en ce siècle, de Paris à Dallas, depuis l’exposition organisée par Jean Clair en 1984, sans oublier son Musée au Cannet où il a fini sa vie en 1947. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/01/misia-au-musee-bonnard-du-cannet.html
En parallèle d’études de droit, il fréquente le cours Julien et les Beaux Arts où il rencontre Vuillard. Pendant l’exposition Universelle de 1889, les jeunes gens sont fascinés par les œuvres des artistes qui suivent Gauguin. Ronde des petites Bretonnes
Dans le groupe des « Nabis », il est jugé « très japonard ». Son paravent à la détrempe, technique de ceux qui réalisent des décors de théâtre, capte bien la lumière.
Le peignoir, huile sur velours, au format inhabituel, gagne en profondeur avec ses lignes sinueuses.
Et il convient d’aller regarder de près les touches qui donnent tant de vitalité au chien bondissant à côté de ces Femmes au Jardin représentant les quatre saisons.
La recherche de la lumière est couplée à celle de l’instant : Le chat blanc s’étire.
Sans s’engager dans la modernité d’une façon obsessionnelle, il fait « provision de vie » dans la ville. L’omnibus.
Chaque fois qu’une danseuse est par là, Degas n’est pas loin. Le ballet, rassemble comme de « petites marguerites ».
Il dessine aussi des affiches pour La revue blanche.
Le timide, le silencieux est foudroyé par la beauté de Marthe de Meligny qui lui cachera son âge et sa réelle identité pendant trente ans d’une vie commune où il réalisera 150 toiles, 700 dessins où elle est le modèle, bien qu’il ne soit pas un « peintre de modèle » car il s’exprime de mémoire. Elle l’a désamarré du groupe des nabis qui la détestait. 
L’indolente ouvre les jambes et se couvre pudiquement le haut, en une chorégraphie rythmée par le maître de l’équilibre.
Au tournant du siècle, Duchamp a déjà proclamé la mort de « la peinture rétinienne », Gauguin a essayé de se suicider, Toulouse Lautrec n’a plus envie de vivre. 
L’homme et la femme fait allusion à un drame de Maeterlinck où les parents ont appris la mort de leur enfant. Ombre et lumière se scindent, la construction est pyramidale d’un côté du paravent, rectangulaire de l’autre.
Les reflets dans les miroirs permettent des cadrages forts dans ses nombreux sujets de femmes à la toilette. Effet de glace (Le Tub)
Le corps noyé par la décoration est inondé de lumière dans Le Cabinet de toilette au canapé rose.
La toilette rose en serait presque d’un cubisme décoratif.
Il s’installe à quelques kilomètres de Giverny au pays de Monet, l’irrévérencieux, devenu le père de la peinture française. Fenêtre ouverte sur la Seine.
Le temps qu’il fait s’invite dans le temps qui passe et exacerbe le présent. Ainsi dans ses Agendas.
« Les fauves » avaient donné leur point de vue du côté de la Salle à manger à la campagne.
Les jardins, les maisons ont toujours une grande importance : Le grand jardin.
Au Grand Lemps, L'après-midi bourgeoise se passe avec la famille Terrasse du nom du compositeur, époux de sa sœur.
C’est elle dans Le corsage à carreaux avec une véritable installation de chats.
Les tableaux dans le mouvement urbain, Scènes de la place Clichy, alternent avec ceux du sud. 
La Méditerranée est exposée à Saint Petersbourg. 
« Il ne s'agit pas de peindre la vie. Il s'agit de rendre vivante la peinture »
La symphonie pastorale présente un travail dans une double temporalité. Alors qu’il était établi que le dessin accompagnait la pensée et la peinture l’émotion, le dessin saisit aussi la sensation.
Les couleurs sont radieuses, mais je ne saurai plus voir un autre Nu dans la baignoire, emblème du bien être, de la même façon, depuis que ceux-ci étaient devenus une obsession pour Marthe qu’il épousa sur le tard, 
juste avant que Renée, La jeune fille dans le jardin, se donne la mort.
Son autoportrait en Boxeur est assez inattendu pour cet homme réservé ; la formule « beaucoup de petits mensonges pour une grande vérité » s’appliquerait au-delà de l’art quand la soif de vivre peut s’accommoder de la mélancolie.
L’ Intérieur Blanc a été acquis par le musée de Grenoble, en 1933, l’année suivant sa réalisation. Lui qui s’amusait à retoucher ses toiles déjà accrochées, laissera le soin à son beau frère Terrasse de terminer sa toile ultime, L’amandier. « Oeuvre d’art, un arrêt du temps »

mercredi 30 mai 2018

La « fièvre » du japonisme. Catherine De Buzon.

Qu’est ce qui dans les arts décoratifs et l’architecture a voyagé, s’est enrichi, entre l’Extrême Orient jusqu’à l’Extrême Occident ?
The  Farnsworth house, manifeste de l’architecture contemporaine (1950), de Miers Van der Rohe a introduit devant les amis du musée de Grenoble, les propos de la conférencière qui nous avait déjà donné des repères historiques
et picturaux
La sobriété, la richesse ornementale, les sujets, les motifs, le style, la philosophie qui ont influencé les arts décoratifs, constituent le « japonisme » en ses soies, laques, paravents, porcelaines et ses kakemonos.
Dès le XVII°, Mazarin avait commandé 26 coffres dont ces Fleurs de magnolias et oiseaux, mais peu après l’empereur du Japon interdira toute exportation d’objets en laque, sous peine de mort.
La compagnie des Indes Orientales des Provinces Unies (Pays Bas) était la seule habilitée à commercer au pays du soleil levant. Pour renouveler les contrats auprès du Shogun, le directeur, qui était assigné à résidence à Dejima, une île artificielle située près de Nagasaki, devait chaque année traverser le pays en un trajet de trois mois. 
Une Plaque en faïence de Delft du XVIIIe siècle imite la porcelaine avec les oiseaux branchés en décor, sans soucis de réalisme ni d’échelle.
Un Secrétaire en acajou de Cuba et panneaux en laque du Japon dans le style Louis XVI est représentatif des influences croisées dans le mobilier qui pouvaient se retrouver dans des formes aux lignes plus sinueuses telle cette Commode à décor de laque du Japon (1755).
Le prince de Condé créa la manufacture de Chantilly
où sont reproduits des porcelaines Kakiemon dit “A l’écureuil”
alors qu’à Dresde était découvert enfin le secret de la cuisson du kaolin.  
Porcelaine de Meissen.
En arrière plan de Madame Monet en costume japonais par Monet, se devine une image de poissons comme ceux de  Braquemond dont  Mallarmé disait : 
« Je devrais particulièrement citer, comme traduction du haut charme japonais faite par un esprit très français, le service de table demandé, hardiment, au maître aquafortiste Bracquemond : où se pavanent, rehaussés de couleurs joyeuses, les hôtes ordinaires de la basse-cour et des viviers » Plat à poisson Manufacture de Creil & Montereau.
Exemple éclatant du style anglo-japonais, La chambre du paon de Whistler est comme un coffret précieux.
Si les estampes sont parfois expressives ou bavardes quand il s’agit d'un dragon (Ryu) d’ Utagawa Yoshitsuya, les affiches qui en sont inspirées avec des moyens réduits sont efficaces. 
Steinlen fait la réclame pour un cabaret de Montmartre. 
Peut on parler de « japoniaiserie » quand cet arrosoir de Boucheron est en vermeil or et argent,
ou avec cet audacieux collier de Charles Boutet de Montvel
Ce serait hors de propos pour les enchantements venus de l’art nouveau, appelé Arts and Crafts en Ecosse avec Mackintosh et sa maison pour un amateur d’art.
Son mobilier est construit autour du carré : Willow chair.
Toute l’architecture japonaise s’organise à partir des dimensions d’un tatami (91 cm X 182 cm), deux carrés, c’est l’unité de mesure, on parle ainsi d’une pièce de 8 tatamis.
Dans cette veine harmonieuse, Hoffmann appartenant au mouvement de La Sécession viennoise réalise Le Sanatorium Westend.
Avec l’immémorial pavillon de thé nippon, modeste, dépouillé, tout fait sens depuis le jardin et le chemin qui y conduit, le choix des matériaux et du lieu.
A Kyôto Tokujin Yoshioka en a reproduit un en verre sur la terrasse d’un temple, insistant sur le contact avec la nature.
Les structures rythmées conviennent aux standardisations contemporaines, le modernisme rejoint la tradition, la simplicité convient à la profondeur du temps. Peut on lier plus intimement l’homme et son environnement que Frank Lloyd Wright « architecte organique » et sa maison sur la cascade ?
« L'art du thé en général implique l'harmonie entre les Trois Pouvoirs: le ciel, la terre et l'homme. Le ciel fournit la lumière du soleil, la brume et la pluie qui sont nécessaires à la culture du thé; la terre donne le sol qui nourrit toutes sortes de plants du thé, l'argile qui sert à façonner toutes sortes de céramiques dont on use pour le thé, les sources jaillissant du rocher qui procurent l'eau pure pour l'infusion. À cela l'homme ajoute le talent qui associe les feuilles de thé, l'eau et les céramiques pour donner naissance à un art plein de séductions. » John Blofeld