dimanche 24 décembre 2017

Minuit. Yoann Bourgeois.

Perturbés par une arrivée en retard (une heure et demie pour traverser la ville) bien gérée par le personnel de la MC2 qui nous a fait discrètement prendre place, nous avons eu le sentiment de ne pas perdre seulement un moment, mais à défaut d’entrer en douceur dans l’univers singulier de Yoann Bourgeois, d’être un peu des intrus.
Le sous-titre «  tentatives d’approches d’un point de suspension » est illustré en séquences où l’humour alterne avec la poésie : légèreté d’un instant menacée par des matériaux hostiles qui tombent des cintres ou se cassent, mais l’ahuri rebondit, trouve la grâce et une femme s’accommode bien de survoler le plateau accrochée à un lourd instrument à contrepoids qui permet pourtant de croire en sa légèreté.  
Il n’est pas aisé de s’exprimer depuis un micro placé au dessus d’un plateau instable : le temps de dire « voilà » après une laborieuse installation et voilà par terre le théoricien obstiné. La verticalité souvent soumise à la question dans le champ pédagogique ou politique est quand même le contraire d’allongé.
Les chutes peuvent avoir de belles allures, être utiles quand elles propulsent en haut des marches, mais la poésie semble parfois effarouchée et la balance reste incertaine entre silence et musique, immobilité, lenteur et vitalité.
Bien des séquences m’ont enchanté, même la plus didactique avec deux pancartes « croire » et « douter » bien sûr instables, ou ces gestes entre un homme et une femme autour d’une table qui rendent compte des rapports de force d’un couple avec dynamisme et originalité.
Une harpe assortie de samples sort de ses atours habituellement apprêtés sans perdre de ses connotations planantes.
Un ballet de tubes métalliques menaçants et harmonieux joue d’une façon élémentaire avec les notions d’équilibre, de rapport de force qui sont au cœur du travail du chorégraphe circassien.   http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/04/celui-qui-tombe-yoann-bourgeois.html
Je pensais aux dessins  datés de Folon, mais ce spectacle délicat là dit bien notre époque fluctuante ou la précarité est la loi, même si les rires sollicités ne me semblaient pas de mise dans cette galaxie. Poésie et humour voilà encore un dosage délicat. Depuis mon pays ringard, je devrais savoir que sur « La piste aux étoiles » se produisaient aussi des clowns.  
  

samedi 23 décembre 2017

Les menteurs. Marc Lambron.

Une universitaire, une journaliste de mode, un attaché culturel qui se sont connus en khâgne à Lyon croisent leurs regards acérés à propos de leurs années passées entre 1975 et 2004.
«Nos parents avaient le monopole des souffrances de la guerre, nos grands frères avaient le monopole de Mai 68, nos petits frères le monopole de l'esprit d'entreprise et les gens encore plus jeunes le monopole du trash. Moi, je n'ai le monopole de rien.»
Les formules sont bien tournées, les 317 pages jubilatoires, même si les personnages se retrouvent un peu artificiellement toujours au bon endroit au bon moment :
à Madrid pour « La movida », à Berkeley au moment de l’essor de Silicon Valley, sans avoir oublié de lointaines racines prolétaires mais dignes, avec des parents qui ont connu les parents de Bernard Canta, tout en découvrant des blues inconnus, en fréquentant des traiders,  après avoir dansé au Palace, dîné avec Messié, suivi les cours de Lacan, bien connu toutes les figures de l’amour...
Nous avons tous vécu ça, dans les livres et les magazines.
«  Il serait aisé de dire que j’ai confondu très tôt les livres et la vie. C’est une forme de bovarysme, mais aussi une façon de se confronter à la noblesse du monde, à l’exigence de ceux qui l’on vu comme un paradis embelli par les mots. »
Quelques débats sont vivement réactivés :
«  J'ai assisté, au milieu de la société française, aisée, omniscolarisée, enracinée dans des siècles d'exigence, à une destruction d'intelligence qui humiliait, et parfois détruisait sans remède, quelques-uns de ses meilleurs esprits. »
«  Pour ne rien dire de mes camarades du laboratoire de sociologie qui, à force d’animer les chiffres comme un ventriloque sa marionnette, parvenaient à faire coïncider les lèvres du mannequin avec des postulats acrimonieux et revanchards dont il eut été aisé de démontrer en utilisant leurs propres armes, qu’ils correspondaient exactement à leur position de classe. »
« Paradoxalement, dans une société de la passion égalitaire, les privilèges du mérite sont plus rudement ressentis que ceux de la nature. »
Des motifs enfouis sont remis à la surface, ainsi du milieu de la mode :
« J’adore cet univers, non seulement parce qu’il étouffe sous les dentelles ces mœurs de jungle qui rendent toute vie difficile à traverser, mais parce qu’il avoue jusqu’au nerf la part florentine, baroque et meurtrière de notre existence. »
Nous nous réveillons car ça finit par se savoir :
« La généralisation d’une vulgate psychanalytique ayant pour effet de rejeter sur la génération supérieure la responsabilité des maux qui encombrent toute vie adulte ; le traitement consécutif du malaise par l’Etat-providence, dont le maternage aura contribué à faire de la France le premier pays du monde pour la consommation d’anti dépresseurs par tête d’habitant »
Au bout de ces récits sincères qui ont pris bien du recul, une formule qui mimerait la sagesse populaire :
« Il n’y a pas de bonne version, seulement des interprétations »
ou d’un façon plus littéraire :
 « Lorsque tous les leurres ont brûlé sur le bûcher des phrases, les cendres avouent ce qui a vraiment été »

vendredi 22 décembre 2017

Le Postillon. Décembre 2017/Janvier 2018.

Bien que l’invitation à offrir le bimestriel pour les fêtes soit écrite sur un ton de bon aloi , ce numéro à 3 € n’est pas très festif.
« Cinquantenaire des J.O. de Grenoble : pourquoi rallumer la flamme ? »
La réponse à la question de la demi-une est maigrichonne hormis un extrait du « Mythe blessé » de Pierre Frappat (1979) cité d’ailleurs dans un autre article.
Les journalistes anonymes pointent les revirements des « Verts » à ce sujet ou celui concernant la démolition du 20 de la galerie de l’Arlequin. Mais leurs vertueuses réprimandes seraient plus efficaces si quelques éléments ayant amené à des évolutions étaient exposés, sans se cantonner à des variations sur l’air de la trahison.
L’autre demi-une est bien pâlichonne : « Pour animer vos soirées afterwork : MC Licium » qui affiche l’indéfectible méfiance envers la modernité de ces proches de l’association « Pièces et Main d’œuvre ». Plusieurs articles approfondis repèrent les contradictions des chercheurs qui développent des systèmes toujours plus intrusifs tout en tenant des discours humanistes, avec « les transhumanistes qui n’assument pas », des « égologistes » chercheurs de sponsors tels que les promoteurs d’un « Educologiste tour » reprenant les mots à la mode.
Et lorsque la pollution devient bonne pour le business, les start-up sont dans les starting blocks: « Chacun son capteur, chacun sa tumeur ». Pourtant à mon avis : mieux vaut proposer que de rester goguenard derrière son clavier.
Ils sont aussi sur le campus pour assister là encore à « un protocole en cours de finalisation » : la fermeture de bibliothèques. Et ils se montrent critiques à propos des « poubelles intelligentes ».
Les contributeurs au journal du bassinet grenoblois sont à leur meilleur quand ils traquent la novlangue et l’attribution de leur noix connectée est bien vue. Le gagnangnan  du numéro 43 est : le « Gre Civic lab » visant à accompagner la ville de demain, la smart city. 
« Grenoble ville de demain, ce serait pas mal d’être une ville d’aujourd’hui pour commencer ».

Par contre leur seule objection concernant l’incendie de la gendarmerie de Meylan porte sur le jargon utilisé par ceux qui ont ciblé : «  les personnes et non l’uniforme ». Cela me semble gravement insuffisant. Il serait malheureusement d’actualité d’étudier ce groupe qui n’a pas seulement déversé toute une diatribe technophobe, mais a mis le feu à la Casemate.
Le suivi d’un sujet traité précédemment à propos d' une famille atteinte par la pollution d’un centre de compostage est intéressant, comme l’interview d’une écrivaine locale Marion Messina après son livre « Faux départ ».
Le rappel de l’histoire de Général Electric, l’ancien Neyrpic, est éclairant. L’usine, qui comportait près de 4000 ouvriers et n’en compte bientôt plus que 50 sur les 800 employés, fabriquait des turbines pour la Chine, le Brésil, l’Egypte. Ils rappellent que les patrons  sont maintenant plus proches des actionnaires que de leurs salariés : «  Après avoir profité de la mondialisation pendant des années, ils se plaignent maintenant de la concurrence chinoise ». Mais Mélenchon  en visite n’a pas dû turbiner beaucoup pour évoquer lors de sa venue, des « centaines de milliers de turbines » à venir : ça a pu plaire.
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Les illustrations ci-dessus viennent du Postillon, ci-dessous de Marianne


jeudi 21 décembre 2017

Mandala en piécettes.

Il m’arrive de fréquenter des lieux où l’art contemporain s’expose avec bien des installations qui ne valent pas, à tous égards, le travail réalisé récemment par Hubert Dal Mollin à la seule intention de ses voisins.
J’avais déjà fait partager mon admiration pour ses travaux de sculpteur ou de concepteur de mandalas: http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/09/hubert-mon-voisin-est-sculpteur.html
Quand il est amené à fouiner dans les poubelles à la recherche de bouchons en plastique pour l’association « Bouchons d’amour », il met en évidence bien des absurdités de notre société, mais cela n’entame pas son jovial humanisme.
Ses recherches spirituelles esthétiques et ésotériques l’amènent  parfois vers des concepts tel que « le nombre d’or » se traduisant par des maquettes soignées ou des structures lumineuses.
Cette fois une variante de ses accumulations avec des pièces de 1 centime fait naître un sourire de connivence qui s’additionne au plaisir de variations aux couleurs cuivrées.
Il ne se lasse pas d’interpeller les commerçants qui affichent des prix à 9,99 € et cette oeuvre aussitôt réalisée aussitôt détruite est une façon de mettre aussi en lumière tant de dérisoires manipulations des consommateurs.

mercredi 20 décembre 2017

En train vers l’Italie.

Quand mis sur les rails, les retards, associés trop souvent à l’entreprise des chemins de fer français, ne sont plus des problèmes, c’est que les vacances sont là.
Nous retrouvons la bienveillance qui parfois nous abandonne pour juger la voix nous invitant à rejoindre le bar, plus convaincante dans les trains italiens que les annonces désinvoltes par notre compagnie nationale, désormais sans wagons-lits.
Il fait bon se laisser conduire parmi champs et forêts floutés par la vitesse, sans hésiter sur l’image élémentaire.
Aux arrêts, les hargneux de chez Montaigne ont d’avantage griffé les murs que les cocasses de chez Boccace.
Sur les quais, des silhouettes fondues dans des souvenirs de cinéma retrouvent leurs enfants ; un homme porte dans ses bras une peluche démesurée.
Les grandes villes déroulent leurs stations modernisées, les petites gares sont envahies par les herbes et les signataires sur ruines.
Les fils électriques scandent le ciel lisse d’un juillet qui glisse et n’a pas encore saisi toutes les peaux.
Bien sûr, à pied, en vélo, se prennent les mesures du monde et en avion, quelle jouissance de  se sentir puissant au dessus d’un monde lumineux ! Et passent à l’as, kérozène et CO2, dans un souffle. Qui ne s’est pas émerveillé de s’endormir à Francfort pour se réveiller à Panama ?  
De tarmacs en tarmacs, le temps est chamboulé, nos atlas révisés, nos histoires révolutionnées.
Mais cette fois, en trois trains pour aller à Venise, nous prenons le temps qui si souvent galope hors contrôle.
Nous retrouvons livres et carnets, et des fenêtres par lesquelles apercevoir nos semblables avec dans un coin, notre reflet.
«… prairies condensées en effluves humides, velouté vert des sous-bois, humus, mousses, bords d'eau croupissants, goudron des routes exhalant en vapeur nocturne les vestiges de la chaleur du jour que vous humez encore tandis qu'un train d'autrefois vous emporte dans la nuit où des mondes endormis, muets et clos roulent à rebours de sa fuite, leur lumière venant poindre jusque contre les parois du compartiment obscur, y étirant un vitrail vacillant et momentané qui luit encore après qu'ils ont disparu du pan de ciel noir qu'encadre la fenêtre : embrasements au passage des gares désertes que l'on brûle, étoiles filantes, traits qui cinglent, galopent…» 
 Anne F. Garréta.
En jouant des mots avec entrain, sans s’épargner le train-train des banalités, je suis enclin à jouer sur ce terrain, l’antienne « en même temps » : si bien des tortillards ont été conservés pour les touristes, entre deux pôles urbains, où Grenoble n’a plus l’intention de jouer, il est utile qu’aillent comme le vent, des TGV. La priorité qui leur fut accordée ne devrait plus affecter la ponctualité et la fiabilité des trains de banlieue mais le « en même temps » n’est pas toujours jouable.
On m’a dit le plus grand bien des cars Macron, pas chers et peinards.

mardi 19 décembre 2017

La revue dessinée. Hiver 2017.

Les sujets de ce numéro 18, centrés surtout sur la nature, auraient pu appeler essentiellement à la déploration lorsque les journalistes en images dessinées reviennent par exemple sur le récit du déclin de la pêche à la morue.
Mais un sursaut face à l’urgence écologique en provenance de la finance peinte en vert est présenté d’une façon claire malgré sa complexité. Par un système de compensations type «  crédit carbone », certains biologistes se mettent à parler de «  capital naturel » ou de « marché de la bio diversité ».
La radioactivité des parafoudres installés par Orange, l’appétit immobilier des hypermarchés impactent l’environnement. Une incursion dans ces systèmes qui tiennent par le silence et la rapacité est toujours éclairante.
Nous retrouvons avec plaisir des respirations dans la rubrique sportive : les fléchettes, Laurel et Hardy au cinéma, et  à la buvette de l’assemblée nationale lors d’une enquête sur les lieux de pouvoir. « La sémantique est élastique » certes, mais aussi quelque peu excessive, en qualifiant de « grammar nazis » les maniaques de l’orthographe et de la grammaire sur Internet, mais ces pages apportent une dose d’humour absente de la précédente livraison.
Quant à la chronique musicale même bien dessinée, je n’ai rien retenu de ce Jonathan Richman tellement face B que j’en suis resté à l’état bêta. 
Ne se contentant pas de dénoncer, des alternatives sont présentées :
- Le récit de « La folle échappée » de Fernand Oury, un des pères de la psychiatrie institutionnelle dans les années 50 mesure le chemin parcouru.
- Des moments de la vie d’une école maternelle s’inspirant de Montessori à Montreuil  ne sont pas idylliques mais ramènent la possibilité de recherches pédagogiques au sein de l’école publique.
Et il n’est pas inutile de comprendre ce qui a mis en branle avec une certaine efficacité les troupes de « La manif pour tous ». 

lundi 18 décembre 2017

La villa. Guédigian.

Difficile devant la quasi unanimité critique de se placer à contre sens. Je saisirai l’excuse d’être dans le ton du film : les films de Guédigian, « c’était mieux avant », comme l’atteste un extrait enjoué d’il y a 32 ans inclus dans celui-ci.
Deux frères et leur sœur sont appelés près du père devenu grabataire dans une maison dont la vue donne sur une calanque de rêve du côté de Marseille. Nous retrouvons des acteurs familiers pour une cousinade, comme m’avait dit une amie.
Je ne suis ni inconditionnel ni allergique à notre Ken Loach méditerranéen et à l’instar de sa filmographie, lors de ces dernières retrouvailles, j’ai goûté cette fois certaines séquences et d’autres moins
Beaucoup de spectateurs ont ressenti la nostalgie, l’humanisme ; j’ai été sensible à des thématiques, qui m’ont semblé stimulantes, telles que les effets pervers générés par ceux qui veulent faire du bien. Les moments de tension sont plus forts, à mon avis, que les rencontres amoureuses ou les scènes lacrymales. J’ai préféré comme souvent les images d’hiver au bleu imperturbable des étés qui n’en finissent pas. A dater des films en fonction de la présence de cigarettes, dans ce lieu des rêves enfuis, on ne serait pas étonné de voir débouler Raimu, clope au bec lui aussi.
Il y a trop de sujets abordés : repartir dans la vie en restant sur place ? Restau pas cher ou grand chef ? La jeunesse la nôtre et celle d’aujourd’hui ? Quel avenir avec un jeunôt, une jeunette ? La classe ouvrière, la fin de vie, le sacrifice, le deuil, la transmission, les réfugiés, l’entretien des sentiers, le théâtre, écrire, le pardon, la vie, la mort, l’amour… J’ai aimé l’humour vachard du personnage de Daroussin, sa jeune compagne plus complexe et la scène de l’écho sous le viaduc. Mais le docte de chez 68 est pénible: maudit miroir !
Je sais bien qu’il s’agit d’un conte, genre délicat à manier, mais une heure trois quarts pour résoudre presque toutes les blessures de la famille et au-delà, forcément il a fallu expédier les raccourcis. Et puis quel besoin de tout expliquer? Même quand les personnages sont tout seuls, ils causent. Voilà de la matière pour discuter avec mes vieux potes.