vendredi 8 décembre 2017

Le temps t’entame.

«Le temps est infidèle pour qui en abuse. »
Je vais ainsi parsemer le texte à venir de proverbes glanés sur Internet en pensant à mon grand-père qui puisait volontiers dans d'autres boîtes à maximes.
Depuis que la montre est devenue obsolète, sauf dans les suppléments luxe du « Monde », le monde en est à la minute près ; désormais il n’est plus « moins le quart » mais « 23 : 44 : 59 ».
Ayant fait mon temps, j’ai le privilège de le prendre, le temps, et de gloser sur les minutes de cette liberté augmentée, devenue un cadeau échappant, un peu, à la marchandisation.
Au moment où faire le ménage touche à la méditation, acheter ses carottes en plein air devient  un acte militant et choisir de passer devant une caissière plutôt que d’utiliser le lecteur à code barre, digne d’un reportage pour site alternatif.
Ainsi aller au marché constituerait une belle affaire conviviale, et lorsque je complète mes achats au super marché, je me permets de regarder d’un œil critique des employés effectuer les courses pour quelques affairés aisés dédaignant les lieux communs.
« Il faut prendre le temps comme il vient, les hommes pour ce qu'ils sont, et l'argent pour ce qu'il vaut. »
Alors que les protestations égalitaires semblent gagner du terrain avec des enfants ayant exclusivement voix au chapitre dans la liturgie familiale et que grammaire amère vient poser ses « e » jusque dans nos accords, les larbins se multiplient.
Autrement dit : les emplois, qui se développent par chez nous, sont surtout de « service ». Les inclus n’ayant plus le temps de s’occuper de leurs parents - j’en suis - payent des aides à la personne. Drive-in et Quick, « kiss and ride » et dépose minute pour tous. Un coach est requis à destination des fortunés, quand même pour s’occuper de soi, on ne se suffit plus.
Il n’y a pas de sot métier http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/11/selection.html mais les maisons de retraite ont du mal à recruter, les artisans ne trouvent pas de relève et la conscience professionnelle se fait moquer. La « valeur travail », comme elle avait été énoncée par un histrion agité du passé, nous a semblés digne de mépris et nos mômes peu partants pour se faire suer le burn out.  Alors il ne nous reste plus qu’à compter sur quelques échappés des Caïmans afin qu’ils laissent ruisseler sur leurs plumes dorées quelques euros destinés à nos retraites passées à mirer le temps.
Parmi les (nombreux) mérites de notre énergique président, sa volonté de ne pas se laisser dicter son agenda par la sphère journalistique est opérante pour attester de sa volonté politique. Les médiapartitifs n’y verront rien. Ces messieurs  tellement bien mis (moralement) ne cessent de vitupérer mais acceptent mal critiques et questions dérangeantes les concernant. La gauche ne sait plus s’adresser au pays, ne se voit plus qu’en « président des niches », elle en arrive à organiser des réunions type apartheid, racisé.e.s !
Les errements, les maladresses des Sarkollande servent bien notre sémillant prés’ qui sait  retenir les leçons. Il ajuste, rectifie promptement, sans en faire une pusillanime méthode, légitimant ainsi ses positions lorsqu’elles ne bougent pas. La voix de notre nation se fait à nouveau entendre dans un monde aussi pressé qu’englué dans son passé.
Entre instantané et coup de rétro, sous les aiguilles de l’école communale qui donnait jadis le tempo, qu’avons-nous fait ?
Nous avons couru, «  jeunes hommes modernes » ainsi se nommaient les rédacteurs de feu « Actuel », et je ne fus pas le dernier  à abuser de la photocopieuse pour gagner du temps.
L’hégémonique machine devenue le lieu central de la sociabilité du milieu éducatif est aussi fauteuse de trous pour exercices faciles à exécuter et à corriger. Plus de rédactions maladroites, de graphies approximatives : un mot, un vrai/faux… et voilà pourquoi nos journalistes après un long exposé demandent à leurs interlocuteurs de répondre par un « oui » ou un « non ». C'est que pour des élèves devenus grands, expliciter une démarche devient difficile, quant à rédiger, il y a des logiciels pour ça et puis si peu de temps pour examiner une…comment dites vous ? Une copie. J’ai réunion.
« Tous les Blancs ont une montre, mais ils n'ont jamais le temps. » Proverbe sénégalais.
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Dessins du « Canard Enchaîné » et de « Courrier international » qui a repris un dessin de Gado paru dans le « Daily Nation » de Nairobi. Sur la voiture : « politique africaine de la France ». Sur le sac à dos : « bagage colonial ». Sur le papier : « feuille de route ».

jeudi 7 décembre 2017

Simon Vouet. Fabrice Conan.

Né en 1590 dans une famille où son père était peintre ainsi que son frère, Simon travailla avec son gendre Dorigny, et se maria avec Virginia Vezzi, qui « dessinoit agréablement, peignoit en miniature… » Peut-on deviner dans cet autoportrait la curiosité de l’artiste protéiforme qui fit le lien entre les écoles artistiques de Rome (baroque) et Paris (classique) ? Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble avait à combler un certain déficit de notoriété de celui qui est  pourtant « l'emblème d'une peinture baroque française » (Wikipédia).
 A l’époque de Richelieu, il plaisait à la bonne société, aux grands financiers. Ça n’a pas changé entre le XVII° siècle et le XXI°: la notoriété reste indexée sur les marchés.
A 15 ans, il s’embarque pour Londres, puis séjourne à Constantinople et après une étape à Venise, une à Bologne, il s’installe à Rome en 1614. Il avait pu apprendre le sens du faste, des belles matières, des couleurs, les chatoiements du baroque,  alors le jeune homme pensionné par Louis XIII va passer d’un style à l’autre. Il est nommé « prince de l’Académie romaine de Saint-Luc ».
Le dessin de  la Vierge à l'Enfant avec Sainte Elisabeth, Saint Jean Baptiste et Sainte Catherine est affirmé, les effets lumineux mettent en valeur les tonalités se complétant ou contrastant avec dynamisme. 
Dans L'Entendement, la Mémoire et la Volonté répondant aux codes symboliques édictés par  Cesare Ripa (Iconologia), le double visage de la mémoire ne se remarque peut être pas tout de suite tant les couleurs assombries rappellent Le Caravage mort seulement quelques années auparavant. Le passé tombe en ruines.
Le cadrage à mi-corps lorsque Sophonisbe reçoit la coupe de poison d'un messager doit beaucoup au maître  du « chiaroscuro » si souvent cité, jusqu’aux bouclettes.
Un exemple de sujet inspiré des auberges est de la même veine avec son fond clair obscur qui permet  au spectateur de se consacrer aux personnages de La diseuse de bonne aventure. La voyante ne voit pas qu’elle est en train de se faire voler.
Traitée sous un angle inhabituel, cette version de La cène est forte.
Parmi tous les tissus de «  La naissance de la vierge », une lumière franche prend en compte l’obscurité des chapelles où les tableaux exposés constituent aussi pour les auteurs comme des panneaux publicitaires. 
Vouet est assailli de travail, la réfection de sa Crucifixion  en a détérioré les vernis mais les mains de ses personnages sont toujours expressives.
Comme dans la vêture de Saint François où celui qui a résisté aux plaisirs de la chair, va recevoir les habits sacerdotaux.
Le portrait du Prince Marcantonio Doria loin d’être triomphant, marque un certain trouble.
Simon Vouet s’engage dans des cycles narratifs religieux ou allégoriques, les attitudes sont éloquentes, les couleurs vigoureuses.
En plus turbulent que son rival Poussin croisé à Rome,
 il avait aussi le goût de la mythologie,
Le Temps vaincu par l’Espoir l’amour et la Beauté est inondé de lumière.
Dans le tableau Le temps vaincu par l'Amour, l'Espérance et la Renommée, il est précisé parfois qu’il s’agit de Saturne.
En 1627, revenu en France, il monte un atelier où travaille Le Brun.
Le  portrait du connétable Gaucher de Châtillon figure dans la « galerie des hommes illustres » du palais Cardinal.
Loth et ses Filles a été retravaillé. Est ce que l’on peut s’intéresser à la composition du tableau quand c’est l’inceste qui est mis en scène ?
L’allégorie de la richesse, celle de la Charité, et celle de la Vertu, sont actuellement au Louvre après avoir été exposées au château de Saint Germain en Laye.
Le Martyre de Saint Eustache figure dans son église, surnommée « la fille de Notre Dame de Paris »
Au musée de Grenoble, les saisies révolutionnaires ont apporté Le Christ apparaissant à Saint Antoine Abbé, il fait fuir les créatures diaboliques prises dans un réseau de courbes et de contre-courbes. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/11/lart-et-le-sacre-en-france-au-xvii.html
Simon Vouet meurt à Paris où il était né 59 ans auparavant.
Il avait produit  tant de retables, des décors d’appartements, des galeries pour les palais, des cartons de tapisseries et des gravures,  on en découvre encore. Je suis allé voir du côté de l’impasse avouée par l’historien de l’art qui fut opérée sur la période « bambocharde » de celui qu’il a nommé « le coloriste éclatant ». Mes yeux de vieux potache m’entraînent à voir une des mains qui fait « la fica » dans le Jeune homme aux figues. Oh lala !

mercredi 6 décembre 2017

Venise en une semaine # 12

Ce matin  le silence plane dans les ruelles. Les moustiques nous ont épargnés. 
Nous prenons notre temps : j’écris et Guy consulte son téléphone en attendant 10h l’ouverture de La Chiesa Santa Maria dei Miracoli. Mais nous trouvons porte close, les horaires de visite courant de 10h 30 à 16h 30.

Plutôt que de patienter encore, nous préférons aller à la Ca Pesaro de l’autre côté du Rialto côté mercato. 
C’est encore un palais magnifique au bord du Grand Canal dans lequel on accède par une très jolie petite cour.
Nous prenons plaisir à admirer la galerie d’arte moderna située au premier étage que l’on rejoint par un escalier monumental.
Une mise en scène sobre et aérée sur fond blanc nous fait presque oublier de lever les yeux vers des plafonds qui trahissent la magnificence recherchée par les propriétaires d’antan.
 Un vaste panorama bien dosé des plus grands noms de la peinture occidentale nous est proposé : citons la « Judith » de Klimt, « Le rabbin de Vitebsk » de Chagall, du Picasso, Ernst, Bonnard, Kandinsky, Klee,… et Donghy, Tanguy…
Outre ces toiles sont exposés des sculptures de Rodin, comme « Les bourgeois de Calais » ou « Le penseur » ainsi qu’un ensemble de meubles début XX° aux formes caractéristiques.
Au deuxième étage nous tombons sur une exposition de David Hockney : « 82 ritrati e une natura morta ». La mise en scène est saisissante lorsque l’on débarque dans la salle aux murs rouges et aux rideaux fermés, un spot individuel éclaire chaque portrait présenté avec le même fond bicolore bleu et vert pour différencier le sol, des murs. Une personne identifiée par son nom inscrit sur un cartel, occupe une chaise à accoudoirs et adopte une position dans une contenance décontractée ou plus empruntée, un peu comme devant un objectif.
Un seul des tableaux admet deux hommes et comme le dit le titre, un seul montre un sujet différent. En bout d’expo où toute photo est proscrite, un atelier met à la disposition du public une feuille avec un fond bleu et vert et la chaise des tableaux de Hockney : à chacun de découper ou dessiner le personnage de son choix et le coller sur le support ; feutres ciseaux et colle sont fournis. Les réalisations des visiteurs affichées sur les murs témoignent du talent et de l’imagination des petits et des grands : étonnant !
Il nous reste un dernier étage sous les combles dont les fresques endommagées attendent une restauration future sous des pansements guère esthétiques. 
Il abrite le muséo d’arte orientale constitué d’objets collectionnés par Henri Bourbon à la fin du XIX° siècle lors de  ses voyages en Orient. 
Tout est dans le raffinement, la délicatesse, le savoir faire, le plaisir des yeux : les armes, les armures japonaises, les lances dont les manchons protègent les fers, les laques, le magnifique palanquin pour femme, les boîtes à pique-nique, les miroirs de métal poli, les objets minuscules sculptés dans des matières nobles et coûteuses (boutons, fermetures de vêtements, jeux d’échec) …
La dernière salle renferme une série de masques du Ramayana (légende indienne).
Une fois de plus, nous sommes peu nombreux à découvrir les trésors présentés dans ce palais, ce qui rend la visite d’autant plus agréable et l’accès aux œuvres sans aucun gène ni attente. 
Avant de manger, nous retournons à La Chiesa Santa Maria dei Miracoli autour de laquelle nous avions tourné  à plusieurs reprises lors de nos pérégrinations. 
Cette petite église est parée de marbres polychromes et clairs et de quelques médaillons à la mode des bâtiments religieux de Florence : des grotesques encadrent avec légèreté les portes et les ouvertures. L’intérieur ( payant), utilise les mêmes revêtements qu’à l’extérieur et s’ouvre sur une seule nef terminée par un escalier assez important conduisant à l’autel. Au dessus de celui-ci, règne une Vierge dotée de pouvoirs miraculeux d’où le nom de l’église.
Sous la tribune à l’entrée, les plafonds peints supportent les peintures de Saint François, Sainte Claire et au centre la vierge.  Ne pas oublier de lever les yeux vers la splendide voûte en berceau en bois sculpté d’où nous regardent des patriarches et des prophètes.Il paraît que les vénitiens prisent particulièrement cette église pour les cérémonies de mariage.
Nous nous restaurons à l’ « Osteria da Alberto », adresse du Routard que nous ne recherchions pas particulièrement puisque classée dans la catégorie «  où boire un verre ? » Nous nous régalons avec un risotto de la mer.

mardi 5 décembre 2017

Moderne Olympia. Catherine Meurisse.

La romantique Olympia, celle de Manet court les castings et va se rejouer en vrai « Roméo et Juliette », son film préféré, avec un figurant de tableaux officiels où règne l’opulente Vénus.
Jubilatoire révision du Musée d’Orsay où une cinquantaine d’oeuvres nous font de l’œil à chaque case. Lautrec propose des cacahuètes à ces dames, « Les  Oréades » de Bouguereau sont larguées depuis un avion, et Napoléon occupé par sa campagne de France (d’après Meissonnier) regrette :
« Et voilà. On arrive en retard à la fête et y a plus personne sur le dancefloor »
Les bandes rivales des officiels et des refusés venaient de swinguer gaiement dans le genre West Side Story. A l’époque les producteurs savaient bien que le vent tournait.
Vénus voit ses chérubins, qui ne la quittaient pas, disparaître les uns après les autres sous les roues d’une Micheline ou dans le ventre d’un boa de chez le Douanier Rousseau. Elle estime en plus qu’elle n’a pas une gueule pour aller tourner à Argenteuil. Démodée.
Ces 70 pages ont été réalisées en 2014 bien avant son album si juste et émouvant : « La légèreté » qui évoque l'après "Charlie" (2016) et je n’avais rien vu d’elle depuis.
Toute cette énergie, cette intelligence, cette joie de vivre, étaient possibles avant ; maintenant ce n’est pas qu’aux terrasses qu’il faut faire attention, mais aussi à notre rire.

lundi 4 décembre 2017

Western. Valeska Grisebach.

Toutes les traditions du western sont respectées en terre bulgare : colons allemands et autochtones, jeux de cartes et débits de boisson rudimentaires, cheval, rivière passée à gué, impassibilité du héros solitaire, apparition féminine parmi des mâles au travail …
A l’intérieur des frontières européennes, des communautés rarement scrutées sont vigoureusement représentées.
Le charme de ce film est d’autant plus fort qu’il renouvelle un genre on ne peut plus classique et nous maintient dans l’attente d’un évènement violent. Cette tension accompagne une réflexion sur la nature humaine et les aléas du vivre ensemble, où les moments festifs sont fragiles, menacés. Le travail constitue le lieu du respect et de l’échange. 
Ces ouvriers détachés participent à un kaléidoscope humain très contemporain où se ressent cependant le poids de l’histoire. Nous sommes dans le vieux monde et non dans les plaines vierges des pionniers qui ne furent pas si premiers que ça sur leur route vers un Ouest citerne de mythologies renouvelées.

dimanche 3 décembre 2017

Hôtel Feydeau. Georges Lavaudant.

De retour au pays, Lavaudant qui suscite moins de passion que son collègue Gallotta, ne m’a pas transporté cette fois,
C’est que Feydeau bien joué, même dopé aux intermèdes jazzy et ripoliné de couleurs acides m’a paru complètement suranné.
Les titres de plusieurs pièces compilées auraient dû nous avertir  à propos de l’obsolescence d’un humour tournant autour d’un pot de chambre, d’une belle mère et de soubrettes nunuches  : « Cent millions qui tombent », « On purge Bébé », « Mais n'te promène donc pas toute nue », « Feu la mère de Madame » et « Léonie est en avance ».
Toutes les femmes en nuisette sont hystériques, les hommes balourds et ballots. Jusqu’aux noms des protagonistes qui datent : Folavoine, monsieur Toudoux, Ventroux ou Chouilloux alors que Scapin, Harpagon ou Jourdain nous parlent depuis toujours. 
Curieux de voir comment ce théâtre de boulevard, tant méprisé, revu par un  metteur en scène exigeant dans un lieu habitué à des spectacles novateurs, j’en ai regretté de ne pas être allé carrément rigoler avec « Libérééée divorcééée » : « à voir en couple ou avec son ex » par les auteurs de « Faites l’amour pas des gosses ».
Les personnages sont tellement satisfaits d’eux-mêmes, ils ne s’écoutent pas du tout ; Jo comme ils le nomment tous, le metteur en scène, lui n’aura à entendre aucune critique, ils sont tous emballés, conditionnés ?
« - Vous voyez votre femme qui souffre, qui veut s’asseoir, et vous vous faites le veau dans un fauteuil !
- Je fais le veau ?
- Oui le veau ! Assieds toi ma chérie !
- Je n’ai jamais vu un veau dans un fauteuil.
- Oui, oh ! C’est bien le moment de faire de l’esprit. »
A l’heure où reviennent au premier plan les questions de la condition des femmes, de tels veaux des villes ne sont plus vachards, avec le temps ils sont devenus de démodés bœufs beaufs : bof !