lundi 4 décembre 2017

Western. Valeska Grisebach.

Toutes les traditions du western sont respectées en terre bulgare : colons allemands et autochtones, jeux de cartes et débits de boisson rudimentaires, cheval, rivière passée à gué, impassibilité du héros solitaire, apparition féminine parmi des mâles au travail …
A l’intérieur des frontières européennes, des communautés rarement scrutées sont vigoureusement représentées.
Le charme de ce film est d’autant plus fort qu’il renouvelle un genre on ne peut plus classique et nous maintient dans l’attente d’un évènement violent. Cette tension accompagne une réflexion sur la nature humaine et les aléas du vivre ensemble, où les moments festifs sont fragiles, menacés. Le travail constitue le lieu du respect et de l’échange. 
Ces ouvriers détachés participent à un kaléidoscope humain très contemporain où se ressent cependant le poids de l’histoire. Nous sommes dans le vieux monde et non dans les plaines vierges des pionniers qui ne furent pas si premiers que ça sur leur route vers un Ouest citerne de mythologies renouvelées.

dimanche 3 décembre 2017

Hôtel Feydeau. Georges Lavaudant.

De retour au pays, Lavaudant qui suscite moins de passion que son collègue Gallotta, ne m’a pas transporté cette fois,
C’est que Feydeau bien joué, même dopé aux intermèdes jazzy et ripoliné de couleurs acides m’a paru complètement suranné.
Les titres de plusieurs pièces compilées auraient dû nous avertir  à propos de l’obsolescence d’un humour tournant autour d’un pot de chambre, d’une belle mère et de soubrettes nunuches  : « Cent millions qui tombent », « On purge Bébé », « Mais n'te promène donc pas toute nue », « Feu la mère de Madame » et « Léonie est en avance ».
Toutes les femmes en nuisette sont hystériques, les hommes balourds et ballots. Jusqu’aux noms des protagonistes qui datent : Folavoine, monsieur Toudoux, Ventroux ou Chouilloux alors que Scapin, Harpagon ou Jourdain nous parlent depuis toujours. 
Curieux de voir comment ce théâtre de boulevard, tant méprisé, revu par un  metteur en scène exigeant dans un lieu habitué à des spectacles novateurs, j’en ai regretté de ne pas être allé carrément rigoler avec « Libérééée divorcééée » : « à voir en couple ou avec son ex » par les auteurs de « Faites l’amour pas des gosses ».
Les personnages sont tellement satisfaits d’eux-mêmes, ils ne s’écoutent pas du tout ; Jo comme ils le nomment tous, le metteur en scène, lui n’aura à entendre aucune critique, ils sont tous emballés, conditionnés ?
« - Vous voyez votre femme qui souffre, qui veut s’asseoir, et vous vous faites le veau dans un fauteuil !
- Je fais le veau ?
- Oui le veau ! Assieds toi ma chérie !
- Je n’ai jamais vu un veau dans un fauteuil.
- Oui, oh ! C’est bien le moment de faire de l’esprit. »
A l’heure où reviennent au premier plan les questions de la condition des femmes, de tels veaux des villes ne sont plus vachards, avec le temps ils sont devenus de démodés bœufs beaufs : bof !

samedi 2 décembre 2017

Mirage. Douglas Kennedy.

La dernière livraison de l’énergique observateur de la vie des couples et de la culpabilité qui s’en suit commence avec l’efficacité d’un roman américain mais se finit en happy end comme tout film américain, enfin presque tous.
Robyn l’experte comptable en veut à mort à  Paul son mari artiste, mais se repend bien vite pour partir à sa recherche jusqu’aux limites les plus extrêmes de la planète, après quelques péripéties des plus rebondissantes, croisant le pire des méchants et les meilleures de toutes les femmes.  
L’opposition des caractères tellement caricaturale va se compliquer à souhait avec des personnages secondaires très typés où l’argent débloque toutes les situations artificiellement disposées tout au long des 447 pages.
Il en va également de toute réflexion, que c’est ben vrai tout ça :
« Ainsi va le monde: l’insouciance de la jeunesse cédant le pas à la nécessité de payer ses factures et d’assumer ses responsabilités, nous sommes tous voués à reprendre le modèle que, durant notre adolescence, nous nous étions jurés de ne jamais répéter. »
Les mensonges peuvent bien se nommer mirages, la subtilité est absente de ce livre facile à lire mais qui s’évapore aussitôt, loin des fragrances subtiles d’un « Thé au Sahara ».
J’avais portant aimé « Piège nuptial »
c’est que les traits accusés de la carte postale australienne m’avaient d’avantage convenu que les couleurs passées de ce dépliant touristique d’Essaouira à Ouarzazate, retrouvé après le passage de ce couple américain en hystérique crise.

vendredi 1 décembre 2017

Trop honnête pour être poli.

Trump n’est pas qu’un épouvantail envahissant dans notre jardinet, il est le nom de nos aveuglements, de nos mensonges.
Il n’est pas arrivé comme ça, alors que tant d’autres pères Ubu sévissaient depuis longtemps sur la planète. Il se situe au point focal d’une accumulation de fake news nourrissant ses partisans qu’il gave maintenant à souhait.
Nous aurions tort de le voir comme émanant d’un système étranger : nous sommes partie prenante. Bien au-delà de la diffusion hâtive d’informations raccourcies, qui n’a pas transmis de conneries? Nos vigilances se sont assoupies sous la couette douillette de la méfiance tous azimuts.
Avant l’expression « c’est dans le journal » attestait de la vérité, dorénavant c’est le contraire.
Tous les journalistes sont soupçonnés d’être vendus puisque leurs employeurs sont riches, sans compter que Bouygues est au capital de l’Huma !  Lorsque des informations sont absentes de leurs papiers, elles prennent la saveur de l’inédit.
En ce qui me concerne, la cérémonie de la lecture d’un quotidien aurait tendance à m’apaiser, quand les flots Facebook, avides de vide et de noirceur, pétitionnaires à tour de clics, m’épuisent. Avec des informations enfin hiérarchisées, je peux ouvrir à l’endroit voulu, retrouver des plumes familières, abandonner ou reprendre des pages grand format jusqu’au jour suivant, prendre mon temps, sans être talonné par les alertes.
Ce rite date mais une pose est bienvenue quand le scepticisme imprègne tous les actes de nos vies.
Le garagiste va-t-il m‘arnaquer ? Le prof être injuste ? L’élève menteur? Les parents envahissants? Le médecin négligent? Le spectacle bidon? La ville à visiter décevante ? La vie ? Le politique malhonnête ? Le président des riches ?
« Riches, nous vous pendrons », comme je viens de le lire sur les quais de l’Isère. La formule risque d’être effacée moins vite que l’inscription «  Piolle m’a bouffé »  sur la dragonne récréative de la place Saint Bruno.
Nous ne sommes pas condamnés, écœurés par le sirop des communicants d’une métropole « apaisée », à verser  côté Ubac où des cyclistes arrogants croisent des automobilistes exaspérés, à la lueur des incendies.
Au comptoir des bavards en toutes matières, certains trouvent inconvenant d’exprimer les problèmes posés par une démographie sans borne, mais fussent-ils partisans de l’avortement ne s’abstiennent pas, eux, de donner des leçons à la terre entière.
Alors pour s’en tenir au débat concernant la sélection qui me semble bien sommaire :
Faut-il pointer que la différence sociale qui finit par se voir à un moment à la fac ne se résoudra pas en maintenant les étudiants dans l’illusion que toute profession est accessible comme ça ?
Et pour ceux qui auraient dans leur monde en noir et blanc, des métiers dignes et d’autres pas, ce serait bien d’imaginer un avenir positif, atteignable, bien que le dilemme intellectuel manuel soit dépassé. Pour la main seule compte la Poucette comme aime la louer Michel Serres. Tiens, dans les professions déficitaires : ajouter ingénieurs techniques, à ce niveau ils préfèrent la finance.
Les marchands d’illusion ont décrédibilisé bien des aspirations à un monde meilleur, est ce que la franchise peut amener à l’espérance ?  Est-ce que citer à ce propos la « décence ordinaire » d’Orwell tirerait l’expression si loin de son lieu de naissance ?
Le mot « honnête » précédant le mot « homme » a disparu sous sa perruque aristocratique et même quand il se pose après : « conforme (1) aux lois (2) de la morale (3) et de la probité( 4) », la définition comporte quatre gros mots.
« Juge-toi honnêtement, et tu jugeras les autres plus charitablement. » John Mitchell Mason.
……………
Le dessin qui précède l’article est de Joann Sfar dans « Paris Match » :
« Soudain je fus saisi par l’impérieuse nécessité d’écrire sur la difficulté d’être au monde »,
 les deux suivants proviennent du « Canard enchaîné » et de « Courrier international ».

jeudi 30 novembre 2017

Retables sculptés en Allemagne. Daniel Soulié.

Des milliers de constructions portant des décors en arrière de la table d'autel sont présents dans l’espace germanique depuis une époque gothique qui s’y était quelque peu attardée.
Le conférencier est déjà venu présenter la ville de Berlin aux amis du musée de Grenoble http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/12/berlin-naissance-dune-capitale-daniel.html, il nous a donné un aperçu d’une production de sculptures particulièrement riche autour du XV° siècle entre Baltique et Tyrol, vallée du Rhin et Cracovie. Les écoles étaient nombreuses de Souabe, Franconie, Saxe, Westphalie... Autel à Blaubeuren.
Dans ces pays luthériens, le patrimoine où figurent quelques saints et tant de sculptures de la Vierge a été particulièrement bien conservé. Les guerres de religion et la révolution en France ont détruit beaucoup d’œuvres médiévales et la réforme à l’anglaise, iconoclaste, a été radicale. Le terme « gothique » était devenu péjoratif, en Italie les productions au goût du jour au XVIII° ont remplacé celles du siècle précédent, ce fut « la baroquisation ». L’Allemagne après la guerre de 30 ans n’avait ni le goût ni les moyens de ces fantaisies et quand la prospérité revint, les romantiques remettaient les Goths à la mode. Le retable des Clarisses Cologne.
C’est là avec Sainte Ursule (les Ursulines) dont on voit Trois de ses douze compagnes que se développa un commerce des reliques autour de « onze mille vierges ». Après parait-il une erreur de lecture, ce nombre est resté dans la légende, et dans la géographie pour certaines îles lointaines. Ce fut un des éléments qui a précipité, le 31 octobre 1517, Martin Luther à clouer ses 95 thèses sur la porte de l'église de Wittenberg, marquant ainsi la naissance de la religion protestante.
Dans la ville de Brandebourg sur Havel, qui fut une capitale du Saint Empire Romain Germanique, la cathédrale  Saint-Pierre et Saint-Paul, en pleine terre de mission catholique entre Elbe et Oder, appartient maintenant à l'Église évangélique. Dans certains lieux de culte les deux religions cohabitaient après s’être entretuées. Les retables souvent refermés ont pu y conserver de vives couleurs.
Pour celui du St Sang à Rothenburg, le travail de Tilman Riemenschneider est tellement remarquable que l’absence de couleurs deviendra la norme.
A Bad Doberan, sur la « route du gothique de briques » ou « gothique baltique », l’abbaye cistercienne fut une nécropole princière ; le retable présente une face pour la communauté des fidèles, l’autre pour la congrégation.
L’ouvrage consacré à Saint Georges à Wismar mesure huit mètres de long,
et le maître-autel de l’église de Blaubeuren  par  la famille Erhart a une hauteur de près de douze mètres. Pas toujours conservés, des gâbles (pignons triangulaires) fragiles surmontent la huche(caisse) qui repose sur une prédelle (socle) sculptée elle aussi.
Le plus grand retable en bois d'Europe est revenu à Sainte Marie à Cracovie après avoir été démonté par les nazis. Y figure l’arbre de Jessé (la généalogie de la Vierge).
Vers Lunebourg, ville rattachée à la ligue hanséatique et prospère grâce au sel, les bateaux transportaient aussi des œuvres d’art, depuis Bruxelles qui exportait ses produits artistiques en série et adaptables aux clients. Détail du retable d'Anver (1518), présentation de Jésus au Temple, Marienkirche.
Je recopie le travail d’un élève d’un lycée Maurice Ravel pour conclure autour de Tilman Riemenschneider.  Son art annonce la renaissance et « il est aussi intéressant par sa prise de position pour la guerre des paysans (1525), ce qui lui valut la torture, la perte de ses charges (bourgmestre) et la confiscation de ses biens » Retable de la Vierge église de Notre-Seigneur à Creglingen.
Cavanna :
« Les maçons du Moyen-Age savaient parfaitement que Dieu n'existe pas, mais ils espéraient qu'à force de lui bâtir des cathédrales, il finirait par exister. »

mercredi 29 novembre 2017

Venise en une semaine # 11

A notre cantine habituelle : « Ai Cugnai » pour un antipasti aux fruits de la mer à côté de gondoliers, nous sommes tout près de la fondation Guggenheim dans laquelle nous nous engouffrons.  
C’est bien sûr un joli endroit avec un jardin de statues. Nous démarrons avec la découverte d’un peintre abstrait américain Mark Tobey temporairement présenté ici, et une toile isolée de Modigliani.
La collection permanente présente une grande variété de peintres incontournables du XX° des cubistes aux surréalistes.
Tous les grands noms de cette époque y figurent : Picasso, Braque, Dali, Mondrian, Delaunay, Max Ernst, Magritte, Miro, Bacon, Pollock et j’en passe.
Calder est l’auteur d’un tête de lit commandée par Peggy,
quant à la fille de la mécène, Pegeen Vail, elle a sa place avec ses tableaux naïfs et ses sculptures en verre bleu monochrome bien mises en valeur en transparence sur des étagères devant les fenêtres.
On peut pousser la porte de la loggia qui surplombe le canal, là y pavoise l’ange de la ville de Mariano Marini sur sa statue équestre dont le cavalier montre un membre viril démontable pour ne pas offenser les visiteurs religieux.
Il nous reste assez de temps pour aller à Santa Maria Gloriosa dei Frari même en nous perdant quelque peu.
C’est la première église payante dans laquelle nous pénétrons, mais nous avons droit à un petit dépliant en français. Elle contient le tombeau monumental du Titien qui « aurait mérité mieux comme monument » comme dit Le Routard, bien que ce soit assez remarquable, des artistes à une telle place d’honneur. 
Plus curieux est celui de Canova en forme de pyramide de marbre au centre de laquelle une porte entrebâillée s’ouvre vers un inconnu très sombre.
A côté trône le tombeau du doge Giovanni Pesaro dont la statue repose sur quatre porteurs noirs ployant sous le poids du cercueil mais protégés chacun par un petit coussin ; des squelettes les séparent les uns des autres.
Claudio Monteverdi dans la chapelle des milanais se contente d’une dalle gravée au sol sur laquelle les admirateurs d’aujourd’hui ont disposé des roses. Seul un pupitre en bois avec une partition ouverte indique sa qualité de musicien.
La réputation de l’église vient surtout d’un chef œuvre du Titien, mis à l’honneur au fond du chœur, que Canova qualifiait de « plus beau tableau du monde ».
Voici l’Assomption : les couleurs chantent, les lignes marquent les mouvements des gestes en direction de Dieu, la vierge irradie en robe rouge et manteau bleu, sur son nuage soutenu par des angelots, les bras accueillant tendus vers le spectateur.
Il nous reste à voir le Saint Jean Baptiste de Donatello, une vierge à l’enfant de Vivarini, une vierge en majesté de Bellini et un autel de reliques enchâssé d’or d’un baroque confirmé.
Fin des visites pour aujourd’hui ! Nous nous traînons jusqu’à chez nous pour ne plus ressortir même pour manger.


mardi 28 novembre 2017

Astérix et la transitalique. Jean Yves Ferri, Didier Conrad.

Un 37 ° album après http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/10/le-papyrus-de-cesar-jean-yves-ferri.html , un de plus après 36 comme on disait  pour signifier "beaucoup", ainsi compris dans « 36 chandelles » aperçues à la suite d'un étourdissement. Le troisième pour Conrad et Ferri.
Evitant de m’enfermer dans le village d’irréductibles intégristes de la BD où fleurissent les recherches graphiques, les dénonciations politiques et les récits autobiographiques, j’aime me plonger parfois dans le « main stream » ( tirage 5 millions d’exemplaires dont 2 pour la France).
Scénario élémentaire avec de Monza à Naples, une course de chars venus de chez les Bretons
( Ecotax), de Lusitanie (Pataquès), du sud de l’Egypte ( Niphéniafer), des contrées nordiques ( Zerogluten) ou de l’Est (Ogouguimov)… qui auront quelques difficultés à vaincre sur son terrain Coronivarius, l’aurige masqué. Les Cimbres viennent du Danemark, ils ne sont pas « affranchis », les pirates toujours là.
Nous croisons quelques visages connus : de Berlusconi à Pavarotti, savourons quelques bons mots : « C’est ma première impression à froid », reconnaissons quelques traits contemporains où ne manquent pas les conflits d’intérêts, ni les publicités envahissantes et nous nous rassurons aux indémodables baffes envers les soldats romains : «  je vous demande de vous arrêter ».
J’aime le jeu avec les stéréotypes mais aussi me rappeler que l’Italie n’était pas d’une couleur unique comme le montrent les cartes décrivant l’emprise de l’empire romain y compris dans la botte.