vendredi 25 novembre 2016

Nous nous sommes tant trumpés.

Que ne viennent pas de dire les sondeurs des sondeurs et les éditorialistes des éditorialistes, au son des trompettes !
Collés à eux, nous sommes dans le même seau où nous faisons trempette.
Mais peu importe : quand on chérit la démocratie, les voix qui se sont exprimées ici ou là par millions sont prépondérantes par rapport à tous les avis, même les plus éclairés à qui il arrive de ne rien voir venir.
Et puisque le libre arbitre est reconnu aux nourrissons, je m’autorise à ajouter quelques mots prétendument personnels, sur ce blog qui vient de dépasser les 500 000 visiteurs.
Parmi les noires nouvelles qui nous assaillent, ne boudons pas l’éclaircie, aussi rare qu’une victoire de l’O.M., survenue avec l’éloignement de la scène de Sarko et Copé, après celui de Duflot. Nous gagnerons en finesse.
On peut déplorer l’impuissance de nos politiques, mais que dire de la portée, de l’utilité, d’un avis de plus concernant Trump, Fillon ou Erdogan ?
Les comiques éditorialisant sont devenus prépondérants. Nous voilà décidément enfermés dans le cercle de sciure avec Beppe Grillo ou Trump en clown inquiétant ; Coluche fut notre coqueluche.
Charline Vanhoenacker donne le tempo rigolard sur France Inter, elle tient l’antenne matin et soir, bien que comme tant de ses collègues omniprésents sur divers supports, elle se montre sûrement prompte à critiquer le cumul des mandats des politiques.
Lundi, elle mimait des pleurs, suite à la défaite de l’autre histrion de Neuilly.
L’audition du sketch au premier degré est autorisée, tant celui-ci était « un bon client » pour tous les caricaturistes qui du coup m’ont semblé bien mièvres pour saluer son départ, tant le modèle ne rechignait guère à dépasser sa caricature.
Fillon prend son tour dans la machine à bâcher, en particulier pour sa complicité avec la « Manif pour tous » alors qu’en économique et social, il n’est pas très catholique.
Les caravanes d’un « Mariage pour tous » promu par ceux qui avaient des rapports distendus avec les rites en général et celui là en particulier, sont passées. Celles de leurs  contempteurs qui s’y redorèrent un moment l’hostie, me semblent en fin de cycle.
Le « Tous » commun à toutes leurs banderoles, tentait d’exorciser le fait de ne concerner finalement qu’une fraction de la société.
La charité chrétienne aurait encore à se dépenser pour les réfugiés et les élus auraient à travailler plus pour réduire les distances entre riches et pauvres.
Comme si le mariage était un problème central !
Cette polarisation me semble significative d’une difficulté de plus à hiérarchiser les problèmes, d’une confusion des valeurs.
La gauche ayant hâté et acté sa défaite, va se retrouver avec délectation sur son estrade préférée, celle de l’opposant dispensé de toute proposition.
La timidité, en particulier sur le plan économique, des partis au socialisme parti, les honore, car les reniements se savent encore, que des cadeaux électoraux ne masqueront pas.
En ce moment apparaissent les mots de « post-vérité » comme il y eut la « post modernité » alors que la « post politique » s’annonce aussi, en constatant que tous les fastes checking, tous les décodeurs ne peuvent  pas grand-chose contre les énormités qui circulent sur les réseaux sociaux, jusqu’à nier il y a peu le réchauffement de la planète pour un des maîtres du monde.
Frédéric Lordon dans Le Monde diplomatique cite Gilles Deleuze en se payant « Le Monde », « Libé » et « l’Obs » :
« On connaît des pensées imbéciles, des discours imbéciles qui sont faits tout entiers de vérités ».
 Alors en bonne compagnie et en imbécile assumé: trier, ne pas recopier, ni parodier dans des dégagements trop joueurs et définitifs.
Est-ce que des expressions tendant à distinguer l’usure liée à mon âge, du sentiment d’assister à une fin de civilisation seraient plus crédibles, en me contentant de m’exprimer seulement  à partir ce je connais de près? L’école, génératrice et victime de ces délitements.
Avec quelques détours qui consisteraient à parler de ses difficultés pour ne pas oser voir l’effondrement de la transmission ? Je reviendrai sur nos aveuglements, nos fautes, nos naïvetés…
A 4h de l’aéroport de Notre Dame des Landes, à Istanbul, des actes générateurs de fortes inquiétudes se multiplient. 
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Le dessin au dessus de l'article est de Bertrams paru dans De Groene Amsterdammer repris par " Courrier International" et ci-dessous le dessin du "Canard enchainé " de la semaine.

jeudi 24 novembre 2016

Kandinsky. Les années parisiennes 1933 /1944

Le professeur Brunet quand il guide ses pairs au musée de Grenoble ménage toujours la diversité des approches pédagogiques possibles qui pourront ainsi s’enrichir de ces vives heures de mise en train.
En lien avec le centre Pompidou, l’exposition du musée de la place Lavalette, jusqu’à fin janvier 17, connaît un succès étonnant : plus de 6000 visiteurs le premier dimanche de novembre.
La belle affiche annonçant l’évènement où s’ébattent quelques énigmatiques bactéries, sur fond « Bleu de ciel », peut exciter les imaginations, si l’âme des spectateurs veut bien rencontrer celle du peintre. « L'artiste est la main qui par l'usage convenable de telle ou telle touche met l'âme humaine en vibration »
La décennie parisienne vécue par l’artiste né à Moscou peut se voir comme une synthèse de toute une vie de recherche et permet à travers 70 oeuvres d’envisager d’aller au-delà de l’étiquette attribuée à Vassilly K. : « Père de l’art abstrait ».
Alors qu’il avait des responsabilités culturelles au début de la révolution russe, ses tableaux n’ont rapidement plus convenu à la propagande. Après avoir été formé à Munich, il enseigna au Bauhaus à Weimar, Dessau puis à Berlin, au fil des déménagements, mais à la suite de la fermeture des ateliers où se réinventaient l’architecture et le design, il  doit s’installer en France pour se consacrer à son œuvre.Victime toujours résiliente de la folle histoire de l’Europe, il a perdu ses productions à deux reprises. Il eut l’honneur par ailleurs de figurer plus tard dans l’exposition de « l’art dégénéré » organisée par les nazis où cinq de ses œuvres furent présentées.
Est-ce que le géométrique «  Développement en brun » évoque la couleur des chemises à la mode dans le pays qu’il venait de quitter ? Au centre de la sombre toile, des panneaux semblent s’entrouvrir, ouverture ou fermeture ? Comme avec les murs élastiques quand le blanc fait gagner de l’espace et le rouge rapproche, apparaît sa grammaire: les couleurs exaltées cernées dans des formes géométriques ; le cercle est stable, le triangle non. Les techniques populaires et savantes sont métissées.   
Une barre en bas assoit les formes dans « Ligne » où des taches en train de se former sont dynamisées par des traits comme autant de « coups de fouet ».

Les molles « Formes noires sur blanc » s’animent sous l’œil d’un microscope,  et rendent compte d’une réalité qui existe au-delà du visible.
« Explorant l’infini petit et l’infiniment grand, le microcosme et la macrocosme, l’univers microscopique des cellules et la voie lactée, ses oeuvres conduisent à une plongée dans un monde en soi » A. Kojève
 « Mouvement I » aux couleurs élémentaires nous emmène dans un espace étoilé, infini entrevu depuis sextants et télescopes. Le rapprochement avec la géométrie abstraite de Mondrian semble évident, bien que le peintre  soit rétif à tout classement : « Je suis russe ».
Il a illustré aussi des poèmes des surréalistes Char, Tzara, Eluard mais ne s’enferme pas dans  une école plus qu’une autre.
Matisse déboule devant les formes florales du rideau de «  Brun supplémenté » imprégné aussi de motifs appartenant à des tissus de son pays natal.
Il attire notre attention sur « Deux Points verts » avec des apports de sable dans la filiation de Braque ou Picasso, alors que les formes deviennent molles, biomorphiques. Dali n’est pas loin, en compagnie de Klee, Miro, Arp.
Le cadre prend de l’importance avec la « Figure verte », méduse, algue ou bactérie, forme inscrite dans une autre forme.
« La Ligne blanche » sur fond noir peut se voir comme post impressionniste avec ses touches minutieuses. Sa démarche qui part d’impressions passant par l’improvisation pour aller vers des compositions s’apparente à la musique comme en témoignent ses correspondances avec Schonberg qui cultiva aussi la dissonance. Le tuba joue le rouge insolent, le violoncelle un bleu, le violon le vert immobile.
« Compositions IX (L’un et l’autre) » rassemble tous les tons : pastels ou acidulés noir ou blanc, toutes les formes.
 « Groupement »  « Ne me mange pas, laisse-moi t'apprendre »
Le damier de « Trente » cases peut évoquer un inventaire à placer dans un tableau de classification genre exhaustif « à la Mendeleïev ». Les motifs picturaux s’alignent identiques à des notes sur une portée avec  alternance de noir et blanc. De la même façon ont souvent joué les oppositions, les contradictions dans ses titres.
 « Entassement réglé » assume le côté décoratif parfois attribué au cérébral artiste, qui a offert cette toile  à son épouse à l’occasion de la Pâque orthodoxe.
« Complexité simple », appartient au musée de Grenoble et rassemble les formes de toutes ses recherches en lévitation sur un fond vibrant.
Extrait du remarquable dossier pédagogique sous la responsabilité de Dany Philippe-Devaux visible sur le site du musée à propos d’un «  Sans titre » :
«  Kandinsky se nourrit d’un optimisme sans faille qui lui permet, en dépit du poids des ans et de l’isolement, de jeter à la face d’un monde sombrant dans la nuit une poignée de confettis multicolores, comme une ultime pirouette. »
« Actions variées » né de l’observation des vitrines de Noël ne dément pas le choc initial de son émerveillement  face à des couleurs à l’intérieur d’une isba ou lorsqu’il découvre « la meule de foin » de Monet
« Et je remarquais avec étonnement et trouble que le tableau non seulement vous empoignait, mais encore imprimait à la conscience une marque indélébile, et qu'aux moments les plus inattendus, on le voyait, avec ses moindres détails, flotter devant ses yeux […] Mais ce qui m'était parfaitement clair, c'était la puissance insoupçonnée de la palette qui m'avait jusque-là été cachée et qui allait au-delà de tous mes rêves. »
« Accord réciproque »  à voir de très près, met les formes en tension, en résonance. Il figure dans l’atelier où son corps est présenté sur son lit de mort.
Lui qui avait revendiqué d’être un enfant jusqu’à la fin de sa vie, aurait apprécié sûrement le dispositif mis en place pour les petits qui peuvent accéder avec plaisir et spontanéité, à un univers qui réalise « la synthèse de la tête et du coeur, de la règle et de l’intuition ».

mercredi 23 novembre 2016

Equateur J 5. Pas de train train d’Otavalo à Salinas.

Les aboiements de la nuit précédente ont été remplacés par de la musique au loin, jusqu’à 2 h et plus du matin. Les coqs ont pris la relève à 4 h. La sonnerie du smartphone nous réveille à 6 h 30.
Au petit déjeuner : tisane à la citronnelle et jus de papaye, riz au lait, galettes de maïs tartinées de confiture et fruits : taxo (fruit vert de forme allongée avec une chair translucide surchargée de pépins) ananas, bananes.
Comme je complimente Maria pour ses chemises brodées, elle me montre son ouvrage sur tambour et effectue quelques points avec une grande sûreté de geste.
A Otavalo, nous  passons de notre bus à un petit train touristique rutilant. Nous nous installons dans le premier wagon derrière la locomotive  L’hôtesse nous précise l’interdiction de se positionner sur les plates-formes pour prendre des photos. Nous nous ébranlons à petite vitesse entre les maisons puis dans la campagne. Deux motards aux couleurs de la compagnie nous devancent et nous surveillent, ils sécurisent les passages à niveau, ici sans barrière, en faisant stopper les voitures à notre passage.
A peine 10 minutes après notre départ nous atteignons la première étape : San Roque (2498 m) où l’on nous offre une boisson chaude. Quelques étalages d’artisanat local discrets contrastent avec la modernité des lieux.
A la deuxième étape Andrade Marin nous sommes invités à visiter la « Fábrica Imbabura » une ancienne usine qui après son abandon en 1997 a été réhabilitée en musée par l’état.
Tout est reconstitué avec les machines d’époque pour le lavage du coton, le cardage, le filage, le tissage, et la coloration nécessitant de grosse chaudières à bois pour chauffer les bains de teinture durant 4h.
Mais plus de bruit, de poussière et plus de risque de doigts coupés.
Construite en 1924, les machines provenant d’Europe avaient été acheminées à dos de mules et remontées à l’usine. 1200 personnes y travaillaient en 3X8. Pour 8h de travail, une seule pause était acceptée, des enfants de 8 à 12 ans étaient embauchés. Les balles de coton dures comme du béton, pesaient, à la sortie des chaines, plus de 800 kg.
A l’extérieur, une immense statue moderne symbolisant l’esclavagisme industriel, réutilise des pièces des machines. 
Avant la fermeture, due à la concurrence et aux nouvelles technologies, les ouvriers ont tué le patron les salaires n’étaient plus payés.
A la troisième étape : San Antonio di Ibarra (2379m) nous visitons un atelier de sculptures religieuses, artisanat spécifique de ce village où un homme est en train de dégrossir une statue dans un bois de cèdre entouré de statues plus avancées mais pas toutes poncées.
Le guide nous montre comment donner leurs formes aux yeux en verre en les chauffant dans des casiers incurvés de tailles différentes. Pour les fixer ensuite, le sculpteur doit couper la tête qui sera ressoudée plus tard, le verre ayant été peint auparavant. Une sculpture est rarement taillée dans une seule pièce, les différentes parties notamment mains et pieds méritent plus de minutie, parfois un travail à la loupe.

Certaine parties des statues sont recouvertes de feuilles d’or, elles vont être peintes ou grattées pour laisser apparaître la couleur posée auparavant.
Nous passons dans la salle d’exposition avec les statues réputées expédiées dans le monde entier, atteignant des prix élevés, mais justifiés. Nous regarderons d’un autre œil ce genre artistique que nous avions peut être dédaigné et mal estimé.
A la troisième étape Ibarra (2209m) le chemin de fer passe dans une ville très animée comme si c’était un simple tram.
La halte de 10 minutes nous permet à peine de nous mouvoir dans la foule qui déambule devant les devantures des magasins ouverts bien que ce soit dimanche en pays catholique.

mardi 22 novembre 2016

Hyperbole. Allie Brosh.

Les 300 pages constituent plus qu'un récit en dessins.
Un bandeau annonce «  Le roman graphique de l’année » et 72 millions de visites pour le blog de l'auteure. 
La jeune fille étrange, d'une sincérité clinique nous fait passer du sourire au malaise, de l’empathie à la perplexité.
Le récit de « situations fâcheuses, insatisfactions chroniques  et toutes autres choses qui me sont arrivées» est servi par un dessin inquiétant aux traits originels qui rend les réflexions élémentaires comme on dit de quelque chose d’évident et de fondamental. 
La recherche de soi est menée avec légèreté et profondeur même quand la procrastination mine la narratrice jusqu’à se traîner par terre, à rire d’un grain de maïs et à pleurer.
Folle de notre folie, elle fait preuve d’une patience extraordinaire avec un de ses chiens fou ou celui qui est débile. 
La jeune femme est surdouée, c’est marqué en quatrième de couv’.
En tous cas  douée pour l’acuité du regard, et l' authenticité.
La force de l’introspection, l’auto dérision donnent un livre limpide, original et en même temps familier.
« La réalité devrait se conformer à mes attentes »

lundi 21 novembre 2016

La Chasse au lion à l'arc. Jean Rouch.


Il y avait en ce mois de novembre : « Le mois du film documentaire », « Alimenterre », « Le tympan dans l’œil », « Les Rencontres du Cinéma italien », « Les Rencontres Ciné Montagne » le dernier Depardieu, « La grande course au fromage » mais aucun film avec Isabelle Huppert…et les « Rencontres autour du cinéma ethnographique » à Grenoble - enfin surtout sur le campus - en leur vingtième édition.
C’est grâce à ces rencontres, et un lecteur vigilant, que nous avons pu voir ce film majeur dans l’histoire du cinéma documentaire.
L’universitaire présentant ce témoignage du « cinéma direct », le place entre le « néo réalisme italien » et la « Nouvelle Vague ».
Nous accompagnons  pendant 1h 20, une confrérie de chasseurs de lions au Niger, pour un tournage commencé en 1958 et terminé en 1965.
Peu importe les querelles de puristes, pour savoir si la caméra à l’épaule et la voix off sont ethnographiquement correctes, nous sommes dans un beau moment de cinéma, en empathie avec ces hommes qui ont le droit de tuer le lion, car celui-ci « a tué pour le plaisir ».
Seuls habilités à chasser, il leur faut du courage et une patience au-delà de notre perception commune du temps. Le coup fatal est porté après que les bêtes soient prises à des pièges placés avec minutie et un sens aiguisé des mœurs de la brousse.
Un des fauves, nommé « l’Américain », échappe à cette traque et sera tué plus tard au fusil.
Tant de pages poétiques ont été écrites concernant le respect de la nature par les africains et autres indiens. En version cinéma, nous assistons là à des rituels maintenant disparus où les chasseurs du même pays que leur proie, n’attaquent pas la bête quand elle est en colère. Ils l’apaisent avant de lui envoyer quelques flèches paraissant bien fragiles mais qui apportent une mort foudroyante.
La préparation patiente du poison suit aussi des règles sophistiquées qui concourent à son efficacité : la femme qui apporte l’eau de la préparation doit être la plus méchante du village. Chaque geste est connoté, chaque péripétie expliquée, les forces surnaturelles naturellement derrière chaque arbuste ; la transmission était assurée alors.
Qu’en est-il en ce siècle?

dimanche 20 novembre 2016

Pindorama. Lia Rodrigues.

"Spectacle debout" précisaient les billets destinés aux spectateurs invités à quitter vestes et portables à l’entrée du spectacle.
Les danseurs dépouillés de tous leurs habits sont à terre, malmenés, d’abord en solo puis à plusieurs, par une bâche en plastique transparent agitée parfois violemment par des comparses, pour évoquer magnifiquement des flots en fureur et leur souffle.
Des lumières subtiles font briller la vague et veloutent les peaux, mais le recouvrement incessant des humains impuissants par un élément  furieux, bruyant, implacable, qui  par ailleurs envahit les océans, est oppressant.
Venir de la ville où l’hiver se pointe et se retrouver avec ces beaux corps nus d’hommes et de femmes au milieu de nos poitrines recouvertes de pulls en polaire ne laisse pas indifférent, tout en nous épargnant l’impression d’être des voyeurs libidineux.
La nudité qui depuis quelques plateaux surplombants a pu paraître parfois un « truc » racoleur, est ici justifiée sans être univoque : innocence ou pauvreté.
Le dispositif dans la salle Rizzardo est efficace avec la grande pièce noire coupée en deux par la scène glissante avec dans le troisième acte, les acteurs rampant à nos pieds, faisant éclater de jolies perles, des préservatifs remplis d’eau: nous voilà dérangés.
Selon nos humeurs, les interprétations peuvent varier entre ceux qui ont vu plutôt une naissance au bout d’une quête de l’élément vital ou d’autres l’expression d’une catastrophe qui s’avance.
Vénus de Botticelli ou le radeau de la Méduse.  
« Né de la vague » ou « le niveau des océans monte » et ne nous épargne pas.
« Pindorama » est le nom du Brésil en langueTupi avant l’arrivée des Portugais.
Si je n’ai pas retrouvé toutes les intentions de la créatrice qui travaille dans une favela de Rio, j’ai apprécié la beauté qui éclaire cette heure de spectacle et les procédés inventifs dont on se souviendra.
Quelques chants d’oiseaux ténus, des cris, des respirations, pas de musique.
Alors que les danseurs tentaient jadis de s’élever, de bondir au dessus des pesanteurs, à présent je les vois souvent, fragiles, se débattre face à des forces effrayantes et fatales.

samedi 19 novembre 2016

Ma part de gaulois. Magyd Cherfi.

J’aime le chanteur, j’ai aimé l’écrivain à l’écriture originale en accord avec son récit et son être chaleureux trouvant sa voie entre deux cultures qu’il fait bon de voir aimer.
J’ai pensé au « Gône de Chaaba »  d'Azouz Begag plus tourné vers l’enfance mais également enchanteur et aussi aux « Ritals » de Cavana pour l’amour de la langue et des « gens de peu » En évoquant sa réussite au bac qui avait alors dans les années 80 une valeur, démultipliée pour lui, premier lauréat des quartiers nord de Toulouse, je me demande quelle serait la tonalité d’un témoignage qui dirait les années 2010 depuis la Villeneuve par exemple avec une sincérité et une force égale ? Je ne sais si la France se montre aujourd’hui aussi désirable, aussi sûre de ses valeurs et ce n’est pas qu’une affaire de politiques que certains à l’occasion de la sortie de ce livre ont mécaniquement mis en cause, comme d’habitude. L’école n’était pas écrasée tous les quatre matins, elle ne s’écrasait pas.
Le « guéri imaginaire » comme il se nomme,  a subi la violence qu’il me coûte de qualifier de « classique » de la part de ses pairs du quartier à l’encontre des élèves qui travaillent.
L’amour de sa mère et son exigence l’ont protégé, « élevé » ; ce mot trop rare est si beau.
La scène où il s’approche d’elle après sa réussite m’a bouleversé, comme me fait chavirer, à chaque fois, le père, dans « La gloire de mon père », lorsqu'il s’aperçoit  que son fils sait lire.
« Enfin après ce marathon de sueur de quelques deux cents cinquante mètres, je m’enfonçais sous les aisselles de l’amour. C’est là bien au chaud que je l’ai entendue pour la première fois me dire en français :
- Mon chéri (avec son r roulé) »
Les critiques systématiques des pères alors moustachus vis-à-vis de leur pays d’origine vers lequel ils retournent chaque été prêtent à sourire : ils sont bien du même bois râleur que ceux de la tribu gauloise d’à côté.   
A l’injonction impossible : « Sois français, mais ne le deviens pas... » il répond par ces 260 pages drôles, brassant toutes les contradictions, entrant dans la complexité, sans renier la Kabylie de ses parents, ni refuser les mots de la langue française venus de chez Léo Ferré ou Maupassant sur  fond de musiques de Claude François.