dimanche 24 mai 2015

Matamore. Cirque Trottola & Petit théâtre Baraque.

Impossible de ne pas évoquer le précédent Obludarium, magnifique, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2008/12/obludarium.html qui avait lieu sous chapiteau à l’orée de la MC2 : sept ans déjà !
Après les parodies, les alternatives, les oppositions qui élargissent la variété des spectacles de cirque proposés, la maturité s’installe : l’héritage autour de la piste en rond est assumé.
Maintenant que les scènes théâtrales ne peuvent plus se passer de musique et que les plateaux de danse intègrent les circassiens, les clowns s’en donnent à cœur joie, à cœur fendu, devant les gradins où tout le monde se voit.
Certes autour du cercle de lumière exigu, les artistes doivent se baisser pour sortir et leurs entrées peu conventionnelles, dans des tiroirs, génèrent un léger malaise vite dissipé par des gags élémentaires. Nous rions, tremblons, nous inquiétons, admirons : de vrais gosses !
Les numéros reviennent aux origines : fouet, jonglage avec des pistolets, costaud, petit chien savant facétieux, équilibristes, acrobates, pantin équivoque …  sur des musiques à la fois traditionnelles et renouvelées à l’image du spectacle.

mardi 12 mai 2015

Astérios Polyp. David Mazzuchelli.

Bande dessinée dense, agréable à lire, novatrice et immédiatement familière.
Le personnage principal universitaire spécialiste en architecture, dont nous savourons les contradictions, recommence sa vie dans un garage auprès d’une famille sympathique, à mille lieues de sa vie précédente.
Seul, trop sûr de lui et pourtant en recherche, il se sent intimement au cœur de l’univers, relié à un passé qui n’a pas oublié une dualité tenace.
« Et si la réalité (telle qu'on la perçoit) n'était qu'un prolongement de soi ? Cela ne fausserait-il pas la façon dont chaque individu appréhende le monde ? »
L’invention graphique est au service du récit d’une reconstruction palpitante, où une réflexion sur nos destins n’exclut ni la poésie ni l’humour.
La bande dessinée exploitant toutes ses possibilités : claire, ambitieuse, légère, innocente, amicale. Elle prend au cinéma et à la littérature mais laisse plus de liberté, et  puis un petit croquis vaut bien des discours.
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Je fais une pause dans mes publications. Le temps du cinéma à Cannes est revenu, je profite de ma chance, et reprends mes écrits dimanche 24 mai.

lundi 11 mai 2015

Jauja. Lisandro Alonso.

Jauja signifie une « terre d’abondance et de bonheur »  dont le réalisateur dit lui-même :
 « La seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que tous ceux qui ont essayé de trouver ce paradis terrestre se sont perdus en chemin. » Au bout de l’ennui, je me suis perdu.
De surcroit à la recherche de clefs pour contredire mon incompréhension de ce film au format presque carré qui eut pu me séduire, je suis tombé sur "Chronic'art.com" :
« Sans abandonner la veine immersive de ses précédents films, Alonso glisse ici un jeu fictionnel aussi simple que labyrinthique, perdant son protagoniste entre le tissu du rêve et la mousse du réel ».
Me voilà replongé en « milieu aquatique profond standardisé » des circulaires ministérielles absconses qui firent récemment nos délices amers.
Heureusement que le format de la projection est raccourci dans sa dimension horizontale parce que le temps mis par Vigo Mortensen pour traverser l’écran est déjà considérable. La pampa qu’il arpente est pompante, la poésie appuyée par des images de ciel étoilé se retourne contre elle-même, genre tapisserie comme on n’ose même plus  en proposer dans les Foirefouille les plus kitchs.
La non vérité psychologique est une vertu pour certains critiques qui ont dû se régaler : la jeune fille part au  désert comme on va faire un tour après le dessert. Le récit d’une quête doit générer une attente, une tension. Ce fut pour moi, l’envie d’arriver au plus vite au générique de fin, suite à une hypotension née de la lenteur d’une déambulation qui laisse tout le temps pour repérer les invraisemblances, les symboliques appuyées, la vacuité d’un propos hors du temps.

dimanche 10 mai 2015

L’oiseau vert. Carlo Gozzi. Laurent Pelly.

L’oiseau vert en tissu est agité au bout d’une longue perche, il vient nourrir une reine enterrée sous un évier. Il faut aimer la commedia dell’ arte, sinon le jeu des acteurs paraitra hystérique et le conte de 250 ans d’âge bien simpliste, quoique des accents très contemporains viennent soutenir l’attention: l’avidité est  éternelle, l’insatisfaction perpétuelle, l’amour propre un moteur toujours vrai. 
La satire de la philosophie parait moins sympathique en ces temps simplistes où la figure de l’intellectuel est mise à mal par les populistes. Dans l’intention de Gozzi, le rival vénitien de Goldoni, il s’agissait de s’attaquer aux « lumières ». S’il eut du succès de son vivant, il était peu joué depuis.
Le célèbre metteur en scène a créé les costumes et les décors : c’est très bien, mais lorsqu’à la sortie on s’extasie en premier sur les éclairages, c’est que le fond manque un peu.
Pourtant le burlesque est bien là, et les inventions fantaisistes conviennent bien à cette comédie de plus de deux heures.
Oui la représentation de l’eau qui danse est charmante et les trois pommes sexy, les nuages poétiques, les statues qui parlent bien vues, mais je suis un peu lassé des reines mères genre famille Adams, des incestes évités de justesse, des hypocondriaques, des dénommés Truffaldilno et Tartagliona grotesques. Il y a des soirs où les sortilèges et maléfices peuvent laisser de marbre et nous pouvons nous dispenser de rire quand il est question d’ « aller se faire en…terrer ».

samedi 9 mai 2015

Bravo. Régis Jauffret.

Seize nouvelles autour de la vieillesse.
 «La mort me cueillera, vieux fruit mûr à faire peur. Je n’aurai plus la peine de tendre les bras chaque matin pour enfiler la vie comme une chemise dont après quatre-vingt-trois années, autant de mois de novembre humides, de février verglacés, d’aoûts chauds comme un four et trois milliards de battements de cœur, la flanelle m’irrite.»
Quel plaisir de découvrir un auteur, noir et tendre, poétique et drôle : enfin du style !
«Le charnier de la mémoire. Toutes ces années qui n’existent plus et vous élancent comme une jambe coupée.»
Les personnages sont souvent des écrivains pris à des âges variés.
Celui que DSK attaque devant la justice à cause de « La Ballade de Rikers Island », sait de quoi il parle quand il s’agit de roman et de vieux puisqu’il vient d’avoir ses soixante ans.
«Les années tombent. A partir de quarante ans, on dirait un bombardement.»
278 pages pour inventer, fictionner, déconner avec des organes à vendre, des vies étirées à l’infini, de la haine, des enfants abusés, des épouses multiples, de la méchanceté et tant de formules efficaces.
«Mais du temps on en a trop. Il y en a plein nos journées, plein les pièces et chaque matin on dirait qu’on nous en a encore livré pendant la nuit.»
 Si j’ai préféré les épisodes où diverses taties Danielle apparaissent aux fictions baroques et fantastiques, je reviendrai vers son écriture qui m’a emballé.
Une fois encore la cruauté est plus littéraire que la gentillesse. Bravo.
Mais pourquoi ce titre, quel est le mérite ? Le spectacle est fini.

vendredi 8 mai 2015

Immobiles en «milieu aquatique profond standardisé».

Dans le débat concernant l’école, j’ai lu une journaliste qui contestait la légitimité de R. Debray à s’exprimer à ce sujet http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/05/en-perdre-son-latin.html .
Le fait que de tels arguments puissent être avancés signe le niveau de certains sites dit d’informations. Par ailleurs, les journalistes qui présentent à la télévision l’aide « individualisée » comme un cours particulier manquent sûrement de simple bon sens quand cela concerne 28 élèves en même temps.
En tous cas, l’âge invoqué pour l’universitaire n’a pas entamé la confiance de certains praticiens qui se sont reconnus dans ses paroles mesurées.
Il n’y eut guère d’autres apports d’intellectuels, à ma connaissance, qui aient pu rencontrer tant d’expériences sur le terrain.
Les méthodes envisagées  par l’ancienne ministre du droit des femmes, de la ville, de la jeunesse, des sports, présentement de l’éducation, vont à l’encontre des buts affichés.
Tant il est bien connu que l’affichage d’une valeur signale sa disparition : ainsi en a-t-il été du civisme, de la solidarité… C’est comme ceux qui se plaignent d’être surchargés de travail qui bien souvent en fichent le moins.
L’interdisciplinarité testée en lycée favorise en général les élèves les plus équipés culturellement, la priorité à l’oral confirmant l’aisance sociale. Ce qui émerge dans ces propositions de l’appareil ministériel est en route depuis longtemps et a produit un certain nombre d’effets qui ont entamé le prestige et l’efficacité de l’enseignement. Ceux qui repèreraient des contradictions, voire des dérives mauvaises dans les réformes sont présentés comme d’immobiles conservateurs.
N’est ce pas le progressiste Balladur qui disait ?
« La France souffre de la timidité de l'exécutif à décider les réformes indispensables. »
Mais c’est Lamartine  qui avait vu plus juste, à mes yeux, en disant  que :
« L'Eglise n'a pas besoin de réformateurs, mais de saints. » Vade retro Jérôme (Cahuzac) !
Le mépris de la figure de l’intellectuel va de pair avec la perte de dignité de métiers qu’on ne dit même plus manuels. Et c’est un des problèmes du collège.
Dans une société qui en demande toujours plus à l’école et dans le même mouvement réduit le temps consacré à l’étude, ce sont les parents-électeurs qui font la loi. Alors que d’autres sont exclus par le vocabulaire abscons des fonctionnaires de Grenelle cité dans le titre de cet article où il serait question de piscine.
Peu importe l‘investissement de leur progéniture, chacun a droit au parcours commun, à la déambulation pour tous. Ces pauvres ados biberonnés à « l’autonomie » reliés à maman, jeunesse perdue mais géolocalisable en temps réel.
A l’occasion d’un autre débat autour de Todd -pas Charlie- qui se voit objecter qu’il considère que « les pauvres sont agis par des causes alors que les riches le sont par des buts » nous restons dans le sujet. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/12/linvention-de-la-france-herve-le-bras.html
C’est respecter le jeune que d’être exigeant avec lui, quand on sait le potentiel de finesse, de curiosité, d’énergie des petits, nous ne pouvons qu’être consternés par les complaisances qui accompagnent les paresseux, et les faux prophètes qui les couvrent.
Dans cette école qui tant fatigue, n’y aurait-il de promesses que pour les illusions et les trafics de toutes sortes ?
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Dans « Le Canard » de cette semaine : 
 

jeudi 7 mai 2015

Rodin/Claudel. Christian Loubet.

La conférence tenue par Christian Loubet aux amis du Musée était titrée : « l’enfer derrière la porte », allusion à « La porte de l’enfer ». Cette forme de répertoire d’Auguste, aux 200 figures prit 20 ans pour être édifiée. Camille vécut l’enfer, internée pendant 30 ans après la décision de son frère Paul, le poète, qui ne vint la visiter que 13 fois à l’hôpital de Montfavet et sa mère jamais.
Rodin né en 1840, est myope, il suit les cours de la petite école impériale de dessin, mais échoue aux Beaux Arts. Il envisage de rentrer dans les ordres lorsque sa sœur ainée, recluse au couvent après une déception amoureuse, meurt à 25 ans. C’est alors qu’il rencontre Rose Beuret qu’il n’épousera qu’à la veille de leurs morts, sans avoir reconnu leur fils handicapé. Elle a été son modèle dans un buste charmant, sous son chapeau fleuri ou en déesse de la guerre pour la mairie du XIII°.
Il travaille comme modeleur dans l’atelier Carrier Belleuse et découvre l’Italie de Michel Ange.
Sa première réalisation personnelle « l’âge d’airain » doit symboliser la défaite de 70, et c’est un sursaut qui se dégage de la représentation. Il lui est reproché d’avoir effectué une « surmoulure », moulure sur un corps.
« Monté sur les épaules » de son maître Florentin, dont il imite intelligemment la dynamique athlétique, son Saint Jean Baptiste sera critiqué mais son « Homme qui marche »,  au non finito dynamique, accompagnera Giacometti. 
« Le penseur »  mélancolique est au centre de « La porte de l’enfer », dont il ne voit pourtant pas les corps tomber dans les étages inférieurs. Cette œuvre gigantesque, 6m de haut, destinée au musée envisagé à Orsay, surmontée par les trois ombres, trois formes d’Adam, est inspirée de la divine Comédie de Dante, faisant le pendant de la porte du Paradis de Ghiberti. Un exemplaire du penseur siégeait au Panthéon pendant la guerre de 14,  un autre veille sur sa tombe depuis 1917. Huit tirages poinçonnés aux dimensions diverses pouvaient provenir de l’original moulé en plâtre puis coulé en bronze, c’était la règle.  Dans l’ atelier qui a pu compter 50 assistants dont Bourdelle, le secrétariat  de Rodin, dysorthographique, comportait 22 personnes dont Rainer Maria Rilke.
Dans le foisonnement des personnages des panneaux exposés au Musée Rodin où Adam  se déhanche, Eve repliée, Icare prend il son vol ?
Un « baiser » chaud évoque Klimt qui n’est pas qu’une icône byzantine.
« Je suis belle, ô mortels! Comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière. » Baudelaire, dont Rodin illustrera une édition des « Fleurs du mal »
A 19 ans, Camille Claudel, rejoint Auguste. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/09/camille-claudel.html
Leur passion dura 10 ans. Elle a inspiré ou discuté nombre d’œuvres. Rodin est reconnu, sa manière sensuelle, Camille plus spirituelle.
Quand elle réalise le buste de Rodin c’est du Rodin, mais son « Sakuntala » (l’abandon), est  personnel : la femme accueille l’amant qui revient et va l’aspirer dans le nirvana.
Au château de l’Islette, elle sculpte en marbre « La petite châtelaine ». Etait-elle là pour un avortement ?
Dans leur atelier commun, ils reçoivent Debussy, et après la vague de Hokusaï, avec ses petites « Baigneuses » insouciantes, elle allie l’onyx au bronze.
Quand leur relation s’effiloche, les amants semblent s’arracher du sol dans le mouvement instable  et sublime de «  La valse »
 « Clotho » est une caricature de la vieillesse, alors que la belle « Heaulmière » de Rodin est plus dans l’empathie : ils avaient 25 ans de différence d’âge. Dans « L’âge mûr », une des dernières œuvres de la jeune femme, la jeune fille essaie de retenir l’homme, mais celui-ci se laisse entrainer par la mort : terrible autobiographie.
Sublime, la « Danaïde » d’Auguste, réalisée en taille directe, condamnée à remplir éternellement une jarre sans fond, après avoir tué son époux, est désespérée.
 « Balzac », traité de « larve germanique », représente bien toute la condition humaine, « Le cri », expressionniste précède celui de Munch, les « Bourgeois de Calais »  à la gestuelle exagérée, vont vers leur destin.
Les dessins vibrants  du père de la sculpture moderne cherchent les volumes et les volutes de danseuses Cambodgiennes. Avec Nijinski et Isadora Duncan, il saisit  encore des mouvements qui en font un des pivots essentiels du siècle quand d’un geste nait un monument ou un bijou.
Germaine Richier et Louise Bourgeois sont les descendantes de Camille Claudel et Auguste Rodin.