mardi 24 décembre 2013

Bourrasques et accalmies. Sempé.


J’ai ouvert mon Sempé de l’année avant Noël : j’en ai dégusté 120  planches réparties en trois jours. Bien que pour la première fois, je n’ai pas apprécié un de ses dessins : une parade intitulée « Ordinary people pride » qui ne prend pas en compte la souffrance de ceux qui ne demandent qu’à être considérés comme des gens ordinaires et qui avaient besoin d’apparaître d’une façon spectaculaire et festive.
Les 119 autres dessins sont toujours poétiques  et je m’étonne d’être surpris encore par l’auteur que je connais le mieux et que je mets au plus haut.
Toujours les grands rêves, mais dans cette livraison le ton est moins au bonheur sans nuage ;
des reniements, des mesquineries s’immiscent dans le récit.
Les artistes, les décideurs, les ménagères sont de grands enfants. La tendresse côtoie la solitude, les bavardages dans le vide ne s’arrangent pas avec les portables, que se soit dans les cafés, les squares, depuis un immeuble de bureaux, dans les églises ou sur les quais de gare. 
Le choc des mots nouveaux :
« Voulez-vous devenir mon coach ? » demande un monsieur à son voisin de table qui en reste la fourchette suspendue sur la nappe à carreaux.
Mais ce que j’aime par-dessus tout sont les dessins où jadis était précisé « sans paroles » : quand une dame rentre chez son psy d’un air décidé où celle en manteau rouge sur la couverture qui marche dans les feuilles mortes d’un automne flamboyant.
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Pour mieux voir le dessin, cliquez sur l'image

lundi 23 décembre 2013

Rêves d’Or. Diego Quemada-Diez.



Depuis le Guatemala, à travers le Mexique, trois adolescents dont une fille habillée en garçon et un Indien vont vers le Nord, la Californie. Principalement à bord de trains, véhicules inéluctables de la tragédie de la pauvreté traversant des paysages magnifiques, ils rencontrent policiers et maffieux. Et il y a du monde sur le toit des wagons de marchandises ! Le récit est simple et les relations nouées entre les personnages ne font pas oublier la forte tonalité documentaire de cette sempiternelle quête d’un avenir meilleur malgré des barrières qui s’élèvent de plus en plus haut. Les oiseaux noirs tournent au dessus de la décharge, des chiens efflanqués accompagnent cette tragédie qui malgré la grâce de la jeunesse, son insouciance parfois, va  jusqu’à son terme, implacable.

dimanche 22 décembre 2013

Cendrillon. Maguy Marin.



Je connaissais le conte de Perrault mais ignorais que la pauvrette au balai appartenait à un classique de la danse dont la version de 1985 de Maguy Marin fut jugée révolutionnaire.
S’il n’y a rien qui vieillisse plus vite que la modernité, je n’ai pas décelé de poussière dans la représentation qui vient d’être donnée à la MC2 après 450 autres dans le monde entier, par une chorégraphe dont je ne suis pourtant pas un inconditionnel.
Une fois familiarisé avec les masques que portent tous les danseurs, j’ai apprécié la richesse de la mise en scène sur plusieurs étages et son ampleur.
Les personnages qui évoluent dans une maison de poupée s’animent : depuis un récit venu des greniers de la prime enfance, les corps enraidis incarnent la comédie humaine.
Je me suis étonné dans cette période de Noël que des playmobils soient requis pour la Crèche mais ils peuvent-pourquoi pas-raconter la naissance d’une espérance, même si on préfére quelques santons aux manteaux soulevés par le vent
Le récit poétique et inventif, mêlant candeur et mélancolie, peut convenir aux enfants et aux grands. L’apprentissage de Cendrillon est bien mené avec une épreuve de saut à la corde intense, et si comme dans les cathédrales, les diables sont plus divertissants que les anges, aucune mièvrerie n’envahit le plateau. La musique de Prokofiev aux allures de celle de Chostakovitch, m’a-t-on dit, avait des élans communicatifs.
Je suis revenu au texte qui comporte une moralité :
« La bonne grâce est le vrai don des Fées ;
Sans elle on ne peut rien, avec elle, on peut tout.
C’est sans doute un grand avantage,
D'avoir de l'esprit, du courage,
De la naissance, du bon sens,
Et d'autres semblables talents,
Qu'on reçoit du ciel en partage ;
Mais vous aurez beau les avoir.
Pour votre avancement ce seront choses vaines,
Si vous n'avez, pour les faire valoir.
Ou des parrains ou des marraines. »
Un réseau.

samedi 21 décembre 2013

7 milliards d’autres. Yann Arthus Bertrand.



Le photographe rendu célèbre par sa « terre vue du ciel » est descendu de son hélicoptère et avec d’autres a interviewé 6000 personnes dans chaque continent de notre fragile planète. Un livre fait partie du projet sous l’égide de Goodplanet qui a organisé des expositions et tout un dispositif vidéo sur Internet.
Je pensais que ce volume de plus de 300 pages qui m’a été offert serait certes plaisant mais superficiel, je l’ai trouvé utile et les mosaïques de portraits divers donnent à penser. Quand un individu est interrogé, en face de ses réponses sa présence est forte saisi frontalement dans la diversité de ses expressions.
Le procédé peut sembler banal, lorsqu’il est multiplié, il révèle une vérité humaine qui guérit de bien des cynismes, de toutes les mauvaises fois, et pourrait ébranler quelques positions de racistes de toutes couleurs, quelques paroles définitives d’intolérants de toutes obédiences.
Si le livre se clôt par le témoignage d’un certain Pierre que des foules connaissent sous le nom de Rabhi, ses paroles de sagesse sont au même niveau que celles de Kole l’Ethiopien, Anna la Russe, Floris Bela Maria la Brésilienne ou Surya l’Afghane… Chacun répond à des questions touchant au sens de la vie, à leur idée du bonheur, à la place des femmes, leurs colères, leurs rêves… Et lorsqu’une Irlandaise dit que dans son pays « il y a plus de terrains de golf que de terrains de jeux pour les enfants », je partage son indignation et j’essaye de suivre le conseil de Gianmaria qui demande de ne pas se prendre au sérieux, il vit en Italie.
Tous ne sont pas béatement souriants, certains ont des blessures venant des avions d’une enfance au Japon ou très immédiatement au Rwanda où Béatrice est heureuse d’être en vie seulement depuis deux ans.
Quand Beronica l’équatorienne  dit que « la vie c’est étudier, éprouver, palper, voir, être vivant, être heureux, sourire, pleurer aussi » ce pourrait être une litanie légèrement niaise alors que le bonheur d’apprendre ne va plus de soi  chez nous pour des générations dont des bataillons de souteneurs psychologiques, de cireurs de pompes, de gaveurs de produits ont enrobé, dérobé, toute énergie, tout plaisir.

vendredi 20 décembre 2013

L’héroïsme : une valeur d’aujourd’hui ?



« Un bon héros est un héros mort »
«Il n’y a point de héros pour son valet de chambre»
Les formules définitives à graver au fronton de  mausolées ne manqueraient pas, mais en ces temps ricaneurs, j’ai bien aimé dans Libé, la pensée originale de Susan Neiman philosophe lors d’un article préparatoire au débat organisé par la Villa Gillet, à l’hôtel de région à Lyon:
«  Hegel s’était posé la question : «Il n’y a pas de héros pour son valet de chambre ; mais non pas parce que le héros n’est pas un héros, mais parce que le valet de chambre est un valet de chambre.» Le valet a une vision du monde fruste et grossière, et il fera tout en son pouvoir pour la corroborer. Les gens mesquins et dénués de générosité voient la mesquinerie et la parcimonie partout ; les âmes généreuses, elles, recherchent leurs semblables. »
Elle rappelle : « Le terroriste des uns est le combattant de la liberté des autres. »
Lors de ce débat bien mené, le reporter JP Mari de l’Obs a  souvent joué au journaliste, contribuant à créer la confusion entre victime souffrante et héros, en enchainant quelques généralités  telles que « soldats de la paix », mais Vincent Azouley expert en Grec à l’ancienne, familier d’Ulysse, héros incontesté  bien que mal parti et la philosophe ont élevé le débat bien mené par Olivier Pascal Mousselard lui aussi journaliste à Télérama comme je les aime, n’envahissant pas l’espace, posant des questions vives et cadrantes. Il s’interrogeait pourquoi à la mi-temps de France All blacks sur le service public lançant une série de documentaires sur 14-18, il n’était plus question que  de « tous ces héros » pour qualifier les combattants : est ce plus vendeur ?  
Sans aller comme un écrivain suisse, Benjamin Wilkomirski, qui s’était inventé une enfance en camp de concentration, il est certain qu’aujourd’hui la reconnaissance passe par la  compétition des souffrances : ce n’est plus l’acteur qui parle mais ce que le monde nous fait subir.
Le héros se détache de l’humaine condition en mettant en jeu la vie et la mort mais le grand homme se juge dans la durée.
 À Ulysse qui le félicite de régner parmi les morts, Achille répond :
« J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan,
Fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,
Que de régner ici parmi ces ombres consumées. »
Giordano Bruno a été brûlé, Brecht dans « La vie de Galilée » met en scène le disciple de l’auteur de « pourtant elle tourne », indigné par le fait que son maître se soit renié, il dit :
« Malheureux le pays qui n'a pas de héros! »
Galilée répond :
« Malheureux le pays qui a besoin de héros. »
Quand le néo libéralisme triomphe, le héros qui doit inspirer, nous élever, nous libérer  ne se trouve pas chez les sportifs (« Shako président », le « r » n’a pas sauté il s’agit de celui qui a été décisif contre l’Ukraine en foot), ni dans une boite de Viagra pour accéder au titre de « héros de l’amour ». 70 vierges qui attendraient au paradis ne sont qu’un faux prétexte pour risquer sa vie : le fondamentalisme est plus sérieux. 
J’ai le sentiment d’un éternel retour avec une invitation à nous réapproprier les mots, c’est que nous ne serions pas sorti des prémices : « au commencement était le verbe ».
………….
Dans le Canard de cette semaine :  

jeudi 19 décembre 2013

Biennale d’art contemporain de Lyon. 2013.



Est-ce que parce que l’art contemporain est un marqueur culturel impitoyable, un domaine de spéculation affolant, que nous devons nous interdire de nous tenir au courant de ce qui se présente à nos yeux ?
Les obstacles sont nombreux : un verbiage le plus souvent abscons accompagnant les œuvres,
une communication hiératique : l’œil poché qui annonce la biennale, une tête de cochon ou une bulle de chewing-gum sont-ils incitatifs ?
Quand on annonce « un moment  délicieusement érotique de superposition, et nous nous réjouissons de repérer la perfidie » pour des bouteilles pendues sous un cadre, il y a de quoi débander, nous débander.
La profusion des artistes est-elle décourageante ou permet-elle, aux familiers du zapping, des découvertes, en épargnant les raseurs ?
Je livre quelques mots depuis deux lieux : le MAC et la Sucrière, en passant par-dessus les vêtements sur le sol, quelques bites, des BD agrandies, quelques rames de papier, des parpaings, des titres bidons et des provocations datant de Mathusalem accompagnées de tant d’oublis.

Pour être peu sensibles aux vidéos proposées en général en ces lieux, je change d’avis avec Takao Minami qui respecte le thème de cette 12° biennale consacrée au récit « Entre temps, brusquement et ensuite. » Des personnages fragiles irisés de lumière traversent des paysages rêvés participant à un univers original, poétique qui nous offre une belle découverte tout en nous paraissant familier. 
Gustavo Speridiao a apporté pour moi une touche d’humour au cours d’une pérégrination qui n’était pas là pour rigoler. Une histoire de l’art vraiment personnelle : une série de  photographies souvent originales aux titres décalés.
« Nous sommes les pirates d’une histoire inexplorée » sonne pas mal comme titre de Takewata qui s’attaque à Fukushima, rien que ça.
Le collectif Madein company présente sous vitrine des gestes des religions, du sport ou  de la politique qui se ressemblent. Cela conviendrait mieux à un musée d’anthropologie mais les rapprochements sont stimulants.

Paulo Nazareth a payé de sa personne en faisant le trajet de Johannesburg à Lyon à pied, il a déposé quelques étiquettes ramassées au cours du périple.
Les projections d’images poétiques sur du sable de Gabriela Fridrksdottir font partie d’une installation qui regroupe une vidéo aux allures chamaniques, des bouteilles en verre soufflé, une construction semblable à un fruit dans un environnement soigné de sons comme dans quelques autres propositions succinctement décrites ci-dessus. 

mercredi 18 décembre 2013

Ethiopie J 13. Konso.



Nous devons pas mal rouler aujourd’hui revenant sur nos pas vers Key Afer. Dans la plaine, nous bifurquons par une piste rectiligne que nous suivons un long moment avant d’atteindre un village Arbore.
Le rituel commence : un guide local nous explique les coutumes du village constitué de trois tribus différentes, qui ont créé une langue commune pour cohabiter.
Les filles ont la tête rasée et s’habillent de peaux de bêtes alors que les femmes mariées se laissent pousser les cheveux et se ceignent la taille avec du tissu.
Autour de nous la population grossit,  sauf des femmes occupées à refagoter l’armature d’une case, remplaçant les parties noircies par le feu.
La séance photo peut commencer, nous choisissons les figurants  par groupes de trois. Les demandes de soap, t-shirt, de nos bracelets se multiplient, les soldes pour les photos arrivent…  nous parvenons à remonter dans les 4X4, après avoir acheté un tabouret.
Nous subissons une nouvelle crevaison après avoir croisé des pintades peu farouches.
Nous mangeons dans un  restaurant routier, assez grand, avec plusieurs paillotes. On nous sert deux plateaux pour 6 sans viande à cause du jeûne car nous sommes vendredi.
Nous nous régalons de purée de pois cassés et lentilles rouges légèrement pimentées.

Des merles métalliques s’approchent des plats qu’ils picorent en compagnie des worabées (tisserins jaunes) de façon assez effrontée. Les becs affamés font inévitablement basculer dans un grand bruit de métal des plateaux disposés avec les restes sur une murette.
La route vers Konso passe dans des paysages verdoyants de collines où se distinguent des terrasses et grimpe en pente non négligeable vers des altitudes plus élevées.
La ville de Konso se répartit autour de la rue centrale descendant sérieusement jusqu’au rond-point faisant référence à l’UNESCO.
Notre hôtel, « The green Hôtel » n’est pas très reluisant avec une cour ravinée où sont plantés quatre totems en bois et deux abris circulaires surmontés de toits de chaume traditionnels. Nous logeons dans des chambres au rez-de-chaussée, le premier étage est encore en construction. Pas d’eau courante, nous nous contenterons du seau d’eau, quant à la lumière , Achenafi, un de nos accompagnateurs, court acheter des ampoules.
Nous partons à pied, dans la ville que nous pouvons parcourir tranquillement : « welcome ».
Nous nous asseyons un moment sur un banc de terre adossé à la case d’handicraft d’où nous observons la vie de la rue : femmes croulant sous le poids de fagots, habillées de jupes traditionnelles blanches retournées et ceinturées en haut, des enfants, des motos, des hommes en habit musulman ou européen et une colonne de jeunes portant leurs pelles, rentrant du travail.
Autour d’une table bancale nous nous réunissons pour discuter, lire, compléter nos journaux. Girmay nous raconte comment enfant il attirait les pintades avec des plumes pour les prendre  au collet.