samedi 22 juin 2013

Mon traître. Sorj Chalandon.



S’il ne m’avait pas été recommandé je serai passé à côté de ce livre important qui va bien au-delà de la guerre en Irlande.
L’ancien journaliste de Libération qui revient en romancier sait de quoi il parle et il nous interroge : depuis le temps des engagements qu’avons nous laissé en chemin ?
Au pays où il trouve « la bière amère, noire, lourde comme un repas d’hiver »
A Belfast : « Ici encore, tout était en dimanche. Avec cet air épais de tourbe et de charbon. L'odeur de Belfast. En hiver, en automne, en été même, lorsque la pluie glace, je ferme les yeux et j'écoute l'odeur de cette ville. Un mélange d'âtre brûlant, de lait pour enfant, de terre, de friture et d'humide. »
Le luthier parisien dont il décrit avec finesse le travail minutieux découvre l’amitié virile dans les pubs et il apporte son aide à la cause des opprimés catholiques :
«  J’avais un goût de briques, un goût de guerre, un goût de tristesse et de colère aussi. J’ai quitté les musiques inutiles pour ne plus jouer que celles de mon nouveau pays. »
Bien que nous sachions d’emblée de quoi il retourne, nous allons au bout des 216 pages avec avidité tant la construction simple est habile et l’écriture acérée sans froideur, délicate et forte.
L’émotion  alimente une réflexion qui ne nous livre pas tous les secrets pour nous laisser face à des interrogations essentielles sur la culpabilité, le mensonge, l’amitié, l’identité, la trahison…

vendredi 21 juin 2013

Fin de l'Occident, naissance du monde. Hervé Kempf.



L’animateur du site Reporterre " le forum de tous ceux qui imaginent le nouveau monde où l’on arrêtera de détruire l’environnement et qui retrouvera l’idéal de la justice", chroniqueur au journal « Le Monde » était invité par la librairie du Square.
Les titres de ses livres dont certains  furent recommandés par Chavez :
« L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie », « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme », « Comment les riches détruisent la planète », « La Guerre secrète des OGM », sont évocateurs.
Face aux questions simplistes du président de la Maison de la nature, il devait se montrer plus nuancé que ne l’annoncent ses propres titres en reconnaissant la force de séduction du commerce et récusant la notion de « faute » toujours présente chez les prêcheurs écolos.
Cependant ses appels à des convergences politiques pour aller vers « une décroissance heureuse » sont pollués par des réflexes durables qui sacrifient aux plaisirs de « bons » mots : «  les boas constrictors que doivent avaler les verts comme autant de saucisses de Francfort ».
Le renvoi de Cohn Bendit comme commentateur de foot sur Canal+ parlent peut être à un public de convaincus mais stigmatise un produit qui fut séduisant.
La dénonciation de Rosanvallon pour cause de défunt club Saint Simon peut paraitre anecdotique mais réduit encore le nombre des accessibles à la convergence ; quant au PS n’en parlons pas : reste le PC dont il semble être le seul à ne pas avoir aperçu l’évanouissement.
Visiblement peu au fait des évolutions ni de l’apport de l’auteur de « La société des égaux » qu’il renvoie à une pensée datant de la guerre froide, il n’en maintient pas moins une condamnation hors d’âge. Il fait douter de la dynamique d’un groupe, devant impulser des changements vitaux , qui risque plutôt la régression comme banquise.
Pourtant le regard est renouvelé sur des constats incontestables : 
les disparités existent bien autant à l’intérieur des pays qu’entre la zone Nord et le Sud.
Dans un monde peuplé et riche de ses capacités techniques, les ressources primaires vont se tarir : qui ne le sait ?
Revisitant des cycles historiques longs jusqu’à la révolution industrielle qui a entamé « la grande divergence » après des millénaires de relative égalité énergétique, l’essayiste explique la suprématie occidentale d’alors par le charbon anglais et le coton américain venant après le lin et la laine de proximité.
Il estime que la technique n’existe pas en soi mais dans un rapport social: la science jadis gouvernée par l’état est entrée dans la logique de la libre entreprise (les OGM).
Les remarques concernant des réalités minorées par les médias, bras armés de l’oligarchie économique et politique, illustrées par les 2 millions de manifestants portugais disparaissant derrière Rigide Fardeau, alimentent un optimisme dans l’issue des luttes sociales qui me semble démesuré.
Les manifestations en Turquie amorcées autour d’un parc menacé de destruction ou au Chili autour des droits d’inscription à la fac ne visent pas uniquement à réorienter la croissance au même titre que les opposants à l’aéroport de Notre Dame des Landes.
Bien que depuis quelques jours le pays de Neymar  secoue les cocotiers.
……………
Dans le Canard de cette semaine :

jeudi 20 juin 2013

Une passion française : la collection Hays.



Après un tour du côté du cimetière de Montparnasse où subsistent des souvenirs de l’universalité artistique de la capitale, il est intéressant, même rétrospectivement, de voir à Orsay les tableaux d’un couple américain qui aimait tant Paris.  
Ces témoignages de « la belle époque » sont mieux mis en valeur que dans leurs appartements du « nouveau monde ».
Les nabis nous enchantent : Bonnard,  Denis, Vuillard.
Leurs compositions originales contribuent à la chaleur de l’intimité des scènes.
Nous découvrons de nouveaux pastels de Degas  déjà très présent dans les collections permanentes.
Les saltimbanques mélancoliques de Fernand Pelez sont très forts.
La princesse de ligne de Paul Helleu a bien du charme.
Les fauves Derain, Marquet rougissent.
Pour des amateurs, au départ, le couple texan a su s’éclairer et reconnaitre aussi Matisse et Modigliani, les impressionnistes étaient trop chers.
« Les Nabis peignent la famille, les amis, la vie quotidienne. Et c'est ce que nous apprécions »a dit M. Hays qui avait commencé sa carrière en vendant des livres au porte à porte, quand il a été décoré par Aurélie Filipetti.

mercredi 19 juin 2013

Art brut. Lausanne.



La Mecque de l’art brut est située au château Beaulieu à Lausanne depuis 1976 avec au départ la donation du pape du mouvement : Dubuffet.   
« Une chanson que braille une fille en brossant l’escalier me bouleverse plus qu’une savante cantate. Chacun son goût. J’aime le peu. J’aime aussi l’embryonnaire, le mal façonné, l’imparfait, le mêlé. J’aime mieux les diamants bruts, dans leur gangue. Et avec crapauds »
Ma première visite avait été un choc, qui m’avait fait placer cette forme artistique au sommet de l’intensité émotionnelle, je viens d’y retourner et retrouver quelques œuvres singulières, magiques, magnifiques :
les lambris de Clément Fraisse sculptés à l’aide d’une cuiller,
la robe de mariée de  Marguerite Sir, réalisée à l’aiguille à coudre avec du fil tiré de draps usagés,
un retable de Verbena en bois flotté,
et ces fleurs étonnantes, si fines, qu’elles en creusent le papier d’application  
Je ne me souvenais pas de Teuscher mais ses traits ondoyants au café m’ont impressionné, comme celui qui prenait ses cheveux pour confectionner un pinceau et d’autres du suc de fleurs comme couleurs, ou leurs excréments.
Cette nécessité impérieuse de s’exprimer, le caractère élémentaire des moyens sont émouvants, et le résultat appelle souvent les adjectifs les plus étonnés.
Ce lieu nécessiterait des heures d’exploration tant sont nombreuses les œuvres présentées (700), tant sont incroyables les destins des auteurs, souvent  placés enfants comme valets de ferme, dont l’origine s’est diversifiée avec l’enrichissement des collections.
Aloïse après avoir été gouvernante, tellement enflammée en religion qu’elle sera internée, coud ses cartons pour présenter un univers foisonnant de princesses.
Ratier anime des sculptures inventives, Krüsi commence à dessiner ses vaches à l’âge de cinquante-cinq ans…
En ce moment, une exposition temporaire consacrée à Deeds aux dessins délicats est plus saisissante que celle consacrée aux mises en scène des personnages de comics américains de Daniel Johnston.
Une vidéo consacrée à Paul Amar qui compose des tableaux de coquillages aux vives couleurs nous fournit un contre-point joyeux bienvenu dans un ensemble où se manifestent surtout des souffrances.

mardi 18 juin 2013

Le monde est chez moi. Kambiz.



Avec le bandeau : « Le Sempé perse », même avec les yeux bandés, j’aurais acheté ce recueil de dessins.
Je n’ai pas été déçu même si le natif de Shiraz est plus porté vers le symbolique que le bordelais. 
Le rappel des dessins qui sont alors titrés au bout des 115 pages n’était pas vraiment indispensable, comme les poèmes qui séparent les trois parties :
la servitude, le détachement, l’envol.
Le trait dépouillé qui rappelle Bosc ou Chaval se suffit à lui-même.
Les arbres, les ailes, les oiseaux, les livres sont des objets poétiques efficaces et quelques  trouvailles élémentaires sont percutantes.
Un pêcheur a tellement péché que sa barque menace de  couler,
devant sa fenêtre murée un homme ouvre des boites de conserves découvrant des étoiles, une lune.
Des douaniers se montrent soupçonneux devant une valise contenant une plume et un encrier : 
ont-ils raison d’avoir peur?

lundi 17 juin 2013

Blackbird. Jason Buxton.



Prix écran junior à Cannes en  2013, il a récolté une moisson de récompenses  au Canada. 
Film pédagogique sans lourdeur sur les pièges des réseaux internet qui peuvent compromettre la liberté des individus alors qu’ils permettent par ailleurs qu’elle s’exprime. Le danger d’images en fragments sur fond de société parano.
La violence contemporaine est montrée sans complaisance en offrant une issue optimiste qui a en général le don d’agacer nos gencives de ce côté de l’Atlantique mais qui est cohérente avec la démarche positive du film.
Un lycéen qui a adopté le look gothique est exclu par d’autres élèves. Il se défoule sur Internet et la police voulant  éviter un nouveau massacre type Colombine va trouver des éléments pour nourrir ses soupçons d’où enfermement préventif et engrenage répressif inquiétant.
Le poids de la communauté, une famille éclatée, l’emprise du conformisme, mais au bout des épreuves, l’amour est là.

dimanche 16 juin 2013

Chanson française. Alexandre Tharaud.


La saison 2013 à la MC2 finit en beauté avec une soirée de gala autour du pianiste classique qui débuta avec Bartabas des collaborations au-delà de son domaine de prédilection et apparut dans le film « Amour » de Haneke.
Le dispositif fait apprécier la variété des invités. Des reprises de chansons de Barbara lient la sauce d’une représentation respirant une authenticité sans tapage.
« Avant que le soir ne se pose
j'ai voulu voir
les maisons fleuries sous les roses,
j'ai voulu voir
le jardin où nos cris d'enfants
jaillissaient comme source claire. »
Juliette qui a déjà travaillé avec le meneur de jeu virtuose rayonne, emporte le morceau grâce à son abattage formidable et  à sa voix ronde et puissante.
« Le vin comme l'amour, l'amour comme le vin,
Qu'ils soient impérissables, qu'ils soient sans lendemain
Qu'ils soient bourrus, tranquilles, acerbes ou élégants,
Je suis sûre qu'il ne faut pas mettre d'eau dedans ! »
Si Dominique A, le plus loué des chanteurs, ne m’avait pas convaincu en CD, j’ai été sensible à sa singularité.
« Je suis venu vers toi un jour où rien n'allait
Je suis venu vers toi parce que tu étais là
Tu m'as pendant longtemps demandé pourquoi moi
Je ne t'ai pas menti je te l'ai toujours dit
Parce que tu étais là »
Je garde toujours beaucoup de tendresse pour Delerm et Albin De La Simone et je me suis senti vraiment gâté de retrouver mes chanteurs favoris ce soir.
« Les nouveaux murs de la maison
Sous la peinture et les faux plafonds
Notre futur en question
Le souvenir de mes vies premières
Troupeaux de moutons de poussières
Mes gravats de célibataire
Et cet enfant qui pleure qui mange
Kilos de lait, kilos de langes
Et tout cet amour en échange »
Je me suis montré attentif à Alain Chamfort que je ne connaissais guère.
Le public était transporté et  s’est déplacé  de l’auditorium au grand théâtre qui avait ouvert son plateau aux circassiens Mathurin Bolze sur trampoline avec Yoann Bourgeois  qui jongle aussi. 
Alexandre Tharaud  acrobatique au piano va payer de sa personne dans une conclusion où la poésie nait de la performance physique. Merci.
Il n’a fait que jouer la musique de « Quand reviendras-tu ? » et depuis me revient :
« A voir Paris si beau dans cette fin d´automne,
Soudain je m´alanguis, je rêve, je frissonne,
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine,
Je vais, je viens, je vire, je me tourne, je me traîne,
Ton image me hante, je te parle tout bas,
Et j´ai le mal d´amour, et j´ai le mal de toi, »