vendredi 22 juin 2012

Comment relancer l’Europe ?

« L’Europe ne sera bientôt plus qu’une banlieue de l’Esprit, incapable de se penser, de se voir autrement que dans le miroir déformant tendu par ses créanciers. » 
« l’Européen d’aujourd’hui […] Avachi sur ses avantages acquis, recroquevillé sur sa gloire passée, dissolu dans ses mœurs et incertain dans sa volonté, c’est un consommateur et un commentateur de l’Histoire bien plus qu’un acteur. »
Alexandre Kateb dans une récente tribune dans Libération.
Les débats portant sur l’Europe ne manquaient pas au forum du même journal à Lyon en novembre 2011, loin du temps où ce thème était un passage obligé quelque peu décoratif mais sans enjeu dans ce type de rencontres. De surcroit le titre de cette année « Nouvelles frontières » en imposait.
Et je ne trouve pas inintéressant, six bons mois après, de relire quelques notes d’alors.
Au moment où la crise investit le noyau dur des pays fondateurs de l’UE, les générations futures convoquées jadis dans les discours mais qui devaient s’inquiéter seulement plus tard, sont là.
Jean Pierre Jouyet reconnaît qu’il est nécessaire de combler le déficit démocratique dont souffre l’UE, revoir sa gouvernance, et utiliser la justice pour la croissance, alors que des gouvernements tombaient sous la pression des marchés. Il souhaite une meilleure liaison des parlements nationaux à l’UE.
J’ai découvert Viviane Reding vice présidente de la commission Européenne, sa nouveauté relative, alliée à une certaine force de conviction m’a parue revigorante quand tout porte au doute. Elle assurait que l’Euro, deuxième devise mondiale, n’est pas le problème mais la solution.  
« Si l’on n’agit pas ensemble, on coule séparément. »
Le dosage rigueur et soutien de l’activité économique semble de bon sens, de même que la nécessité d’une incarnation de l’Europe en un président ; les approches intergouvernementales ayant montré leurs limites. Erasmus étendu à la formation professionnelle se présente comme une bonne idée. Je ne sais former une opinion personnelle concernant des réponses économiques, les économistes les plus experts ayant beaucoup failli, je me contente de répercuter un bref extrait d’ « Alternatives économiques » :
« La BCE devrait aussi rendre davantage de comptes devant les Parlements européen et nationaux et devant les opinions publiques. Autant d'évolutions qui ne nécessitent pas un nouveau traité. Au-delà, il conviendrait d'assurer une plus grande coordination des politiques budgétaires, ainsi qu'une harmonisation de la fiscalité et des systèmes de sécurité sociale. » 
....
Le dessin de la couverture de Charlie de cette semaine.

jeudi 21 juin 2012

Le garage de l’électro bus

Au Villard du Planay sur la route de Pralognan en Savoie, dans la vallée de la Tarentaise, un petit musée retrace la vie de l’usine qui tirait de la montagne de quoi alimenter les fours gourmands en électricité produite par les torrents abondants de la Vanoise.
L’usine a fermé, un musée s’est ouvert.
Peu après la découverte de l’électricité, des industriels, qui n’hésitaient pas alors à investir, ont financé un trolley sur pneus alimenté à l’électricité qui acheminait les produits de l’usine, les ouvriers et les voyageurs jusqu’à Moutiers.
A l’heure des recherches pour des transports sans rejet de CO2, redécouvrir ce moyen de transport réchauffe la confiance en l’inventivité humaine.
Même si les préoccupations écologiques n’étaient pas prioritaires au début du XX° siècle : la seule sauvegarde face à la pollution était d’interdire aux femmes de sortir certains jours. Quand l’usine électrométallurgique s’était reconvertie à la chimie, on dit que les épingles à cheveux étaient attaquées par l’air chargé d’acide.
Dans le vestiaire, on ouvre un casier et avec de écouteurs nous pouvons entendre le témoignage d’un ouvrier qui était resté paysan.
Ses fils sont moniteurs de ski : 2000 en Savoie, chiffre devenu supérieur à celui des ouvriers de l’électro métallurgie.

mercredi 20 juin 2012

Haïku.

Parmi le cercle alangui des amateurs de poésie, il n’est plus question que de Haïku.
Cette forme laconique me semble être à la poésie ce qu’une citation est à un roman, même si leur douce fulgurance peut surprendre, réjouir ou laisser de glace.
Dans le jardin des mots rares où persiste la poésie, les auteurs contemporains sont sans visage.
Quelques syllabes parcimonieuses venues du Levant, accompagnent la fin d’un genre qui sollicita des écoliers, fit pleurer des pierres, sourire des nuages, prêta des ailes aux enfants rêveurs.
Marie Treize m’en avait transmis quelques uns :  

Perce-neige 
tout le cosmos est éveillé 
au son du tambour .

 Un flocon de neige
 est venu mourir
 vite j'irai l'enterrer.

Tout le ciel 
est contenu 
dans un bol vide.

Je m'assoupis
 un nuage de canicule 
sur les genoux.

Sur l'image sainte
 elle lâche
 une fiente l'hirondelle.

Si seul 
que je fais bouger
 mon ombre pour voir.

La lampe éteinte 
les étoiles fraîches
se glissent par la fenêtre.

mardi 19 juin 2012

L’enragé. Baru.

Le dessinateur des banlieues ouvrières, qui me parle le mieux, s’appuie cette fois sur un scénario qui ne brille pas pour son originalité mais peu importe !
Le dessin est toujours aussi efficace et la vigueur du trait du lorrain convient à merveille pour traduire la rage d’Anton Witkowsky s’éloignant un moment de sa cité pour une carrière fulgurante de boxeur.
Le beau garçon ne renie pas ses origines même s’il se fâche avec son père et provisoirement avec son meilleur pote Mo devenu reporter à l’Equipe,
il reviendra « Cité des oiseaux » après les belles pépés et les voitures rouges.
Il a d‘ailleurs financé en secret un gymnase pour Marco son premier entraineur.
Un cœur d’or pour un caractère de cochon particulièrement obstiné.
Les clichés sont au rendez-vous et le personnage principal n’attire pas forcément la sympathie. Je n’ai pas une connaissance fine du milieu de la boxe, mais en ces lieux où la logique est binaire : on perd ou on perd, se retrouvent souvent les mêmes schémas narratifs. Ascenseur pour la frime.
Les enfants des milieux populaires en prennent plein la gueule mais ils ont l’impression d’avoir choisi, alors que passer son bac comme dit la maman aurait été préférable mais sûrement moins romanesque.

lundi 18 juin 2012

Journal de France. Raymond Depardon. Claudine Nougaret.

Des critiques sur France Culture faisaient la fine bouche concédant que ce film pouvait se laisser voir à la rigueur par ceux qui ne connaitraient pas l’auteur de la photographie officielle de notre normal président.
Comme on aime revoir ses amis, moi, j’aurai continué volontiers à apprécier cette  agréable déambulation au delà de l’heure quarante.
Depuis des premières images de jeunes gens près des autos tamponneuses pour qui la caméra n’était pas alors un objet familier, jusqu’à la plage finale qui vire à la surexposition, crainte des photographes, nous voyageons dans un échantillon de notre histoire, bien au-delà de nos frontières.
Le désert, le monde, Prague, le Venezuela quand les balles sifflent ; en contrepoint les routes de France sont accueillantes.
A travers des évocations de films antérieurs nous révisons les incertitudes du fils de paysan qui témoignent de remises en questions permanentes, à la recherche d’une vérité, « modeste et géniale ».
J’ai ri lorsque celui à qui on a confisqué son permis de conduire répond à la juge, et je n’oublierai pas la mort d’un mercenaire si sûr de lui dans une séquence précédente.
La sensualité est palpable quand il rencontre Claudine ou d’autres femmes. La caméra ne veut pas s’arrêter, elle veut tout embrasser.
La subtilité du maître de la photographie éloigne les cadrages moqueurs, le trash, le pittoresque, les trop belles lumières, et c’est beau.

dimanche 17 juin 2012

Si je meurs, laissez le balcon ouvert. Raimud Hoghe.

« Si je meurs laissez le balcon ouvert 
L'enfant cueille les oranges 
Je le vois depuis mon balcon 
Le paysan moissonne le blé 
Je l'entends depuis mon balcon » Llorca.
J’avais choisi ce spectacle pour son titre, il m’a convenu dans sa lenteur.
Je n’avais aucune clef pour saisir ce qui revenait à l’hommage rendu au chorégraphe Dominique Bagouet, mais de savoir sa vie achevée à 41 ans par le SIDA, a affirmé le caractère essentiel de cette représentation : une méditation sur la disparition.
« Gigi l’amoroso » de Dalida est futile et aussi poignant que « l’air du génie du froid » de Purcell.
Et s’il est dérisoire de payer pour s’arrêter un peu au bord des heures énervées, j’ai apprécié la durée de trois heures à la MC2.
Le maître de cérémonie promène son corps tordu au milieu de ses danseurs avec lesquels il se montre parfois tyrannique ou délicat à d’autres moments.
Il nous amène à apprécier des gestes infimes et laisse deviner ou éclater la virtuosité de chacun des neufs artistes solitaires ne se rencontrant que furtivement au cours de leur trajectoires implacables.
Funèbre, mais il n’y a pas que le rigolo dans la vie.

samedi 16 juin 2012

Pylône. William Faulkner.

Je suis volontiers les conseils en littérature, alors quand des amateurs me recommandent une des valeurs les plus considérables à la bourse des livres, je ne peux que m’appliquer.
Face à ce roman dense, j’ai été satisfait d’avoir persisté, même si une lecture distendue m’avait rendu énigmatiques les raisons qui tenaient les personnages ensemble et inattendues quelques péripéties.
Le style est précis, le natif du Mississipi nous promène d’un gros plan attentif vers des ellipses qui accélèrent le mouvement.
« Jiggs tendit sa main ; pendant un instant, la paume brûlante, robuste, souple, rugueuse, transpira contre celle du reporter comme si celui-ci eût touché un bout de courroie de machine » 
Après la première guerre mondiale, un pilote d’avion, sa compagne qui est aussi celle du parachutiste, vont de meetings aériens en démonstrations sans que même leur hébergement soit assuré. Un mécanicien appartient à ce groupe de « paumés » dont un enfant suit aussi les pérégrinations.
L’argent est rare, alors il en est beaucoup question comme souvent dans la littérature américaine.
Un reporter alcoolique va participer de très près à un moment de la vie de cette équipe désinvolte et pathétique qui cherche l’absolu sans en avoir l’air : « Il s’efforçait d’expliquer ce qu’il ne savait pas. »
Ces 340 pages ont beau être présentées comme faisant partie d’ « un roman anti-faulknérien », je retrouverai volontiers cet auteur exigeant et puissant.