mardi 14 février 2012

Inès. Loïc Dauvillier. Jérôme d’Aviau.

Femme battue.
Face à l’incroyable : quand en France par exemple, une femme meurt tous les trois jours des suites de violences domestiques, on s’indigne et on oublie.
Le traitement de ce sujet, dans cette BD, est vraiment bien mené :
ce n’est pas un fait divers spectaculaire, mais une histoire inscrite dans un univers banal où les mots sont rares. Les voisins doivent-ils intervenir ?
Le copain qui passe et ne voit rien, ou ne veut pas voir.
Les images montrent la monstruosité mais aussi la tendresse désespérée, la petite si petite et ses grands yeux innocents et la maman qui s’accroche.
Pas d’effets grandiloquents, l’efficacité est plus évidente dans le dépouillement et la sobriété.

lundi 13 février 2012

Sur la planche. Leïla Kilani.

Une jeune ouvrière venue de la campagne travaille le jour à décortiquer à la chaîne des crevettes dans le port de Tanger.
Le soir, sous sa robe traditionnelle, elle a enfilé un blouson et un jean pour se livrer à des trafics, à des larcins : elle se déchaîne.
Elle n’est pas folle la guêpe, pas épaisse de corps, mais d’une vitalité, d’une verve poétique qui transmet une énergie extraordinaire au film.
La réalisatrice marocaine pour sa première fiction décrit une réalité sociale crue à travers une intrigue policière qui se permet de commencer par la conclusion, en restant passionnante, tant les rapports dans la petite bande de voleuses, « bricoleuses de l’urgence » qui jubilent, bougent, se cassent, sont au cœur de la vie.
Les clichés ensoleillés sont loin, mais la mondialisation a les coudées franches au bord des zones tranchantes.

dimanche 12 février 2012

Zebda. Second tour.

Le phénomène politique et musical, avait séduit il y a huit ans à la fois les campings et Le Lubéron : les toulousains sont enfin de retour.
Les temps ont changé depuis le toilettage des grands chants de lutte, désormais la question devient lancinante : où en sont les promesses ?
 « Dans le parcours qu’ils appellent Jules Ferry
 C’est les mêmes qui ont les places les plus pourries »
La pochette du CD est illustrée par la photographie de1952 de Mimoun derrière Zatopek grimaçant dans le sprint final. Un athlète dont on a oublié le nom chute derrière le duo mythique.
Dans le morceau qui passe le plus volontiers, un marché s’installe autour de l’église, le dimanche matin,  alors les marchés-de-Provence chantés par Bécaud sont définitivement fossilisés,
« Des roumaines même l’air vague
Te font regretter une bague 
Il faut qu’elles fassent de l’argent 
Sinon on les astique au détergent » 
Une chanson est consacrée aux femmes voilées et leurs silhouettes en traversent d’autres.
« Est-ce un principe de précaution 
Ces barricades de chiffons 
Et s’il fait peur à l’Amérique 
Ce look casse pas des briques » 
Les certitudes en ont pris un coup et si l’ironie, l’énergie sont là, la forme interrogative prime.
« Deux écoles chez nous se tiraient la bourre 
L’une disait « soit érudit » 
L’autre chuchotait « remplis ton caddie » 
Si je crois percevoir quelques désillusions dans leurs paroles, j’aime que leurs musiques continuent à m’entrainer.
« Ce jour là je me sens pas seul 
Putain qu’est ce quelle prend dans la gueule l’identité nationale » 
Leur démarche est civique, mais la belle chanson sur les mains ne constitue pas vraiment une défense du travail manuel, alors qu’ils se veulent des « ouvriers » de la musique et de la poésie. Parole d’instit’ qui échappa à la fourche. Leur faculté d’interpeller est intacte dans la « correction » quand la société n’arrive pas à aller au bout de la phrase : « les hommes naissent … libres et égaux… » 
 Non, Mouss ne finira pas en « guitariste chilien », mais la politique avec ces airs là reprend de la couleur et une grinta de bon aloi.
...
 F. Morel de vendredi sur Inter :

Les mots des pauvres gens par franceinter

samedi 11 février 2012

Ecrire est une enfance. Philippe Delerm

« Le petit maître » que le prof de lettres aurait aimé être en peinture, il l’est pour moi en littérature. L’amateur de Proust, ambitionnait d’être édité dans la blanche de Gallimard mais sa sincérité, sa simplicité, sa modestie n’en font qu’un écrivain pour instituteur. C’est pour cela que je le comprends, que je l’aime, avec toutes ses contradictions, dans sa fidélité à son amour de jeunesse, Martine sa femme, et dans son admiration sans vergogne envers son fils Vincent.
Il revient sur ce qui l’a constitué comme écrivain, ses premières lectures, Crin Blanc,
« l’école comme un royaume », ses phares inattendus : Léautaud et Jules Renard,
ses soutiens dans le monde des lettres : D’Ormesson, Le Clézio, Gerber.
Il remonte à la genèse de certains de ses livres, et dit son admiration d’Hamerchoï, Barbara, des Vestiges du jour.
Lui qui sait bien doser mélancolie et bonheur, revendique ce qu’on médisait de lui :
« l’art d’accommoder les restes ». 
Il évoque les images de vocabulaire qui occupaient les murs des classes :
 « Une perfection douloureuse émanait de ces représentations du monde saisies dans la ligne claire du graphisme. Douloureuse, parce que dans le jardin potager, le jardinier qui bêche son coin de terre ne se disputera jamais avec la jardinière, que l’enfant qui cueille les cerises les pieds sur le quatrième barreau de l’échelle profite à l’infini de cette harmonie indestructible, qu’il peut être tout aux cerises, rien ne sera jamais menacé. Bienfaisante pour les mêmes raisons, bien sûr. Le monde de l’école protège, arrête sur image. Tout est simple clair. » 
 Du Delerm.

vendredi 10 février 2012

C’est quoi être de gauche ?

Pour conclure ma tournée des débats au forum Libération de Lyon en novembre 2011, j’ai suivi une discussion que j’aurai jugée bien inutile quand les clivages allaient de soi, mais depuis quelque Kouchner est passé par là et des missions dévolues à Rocard, Lang ont rimé avec démission, érosion.
Je connaissais ce vieux routier d’Henry Weber, j’ai découvert avec plaisir la philosophe Cynthia Fleury.
- Liberté, égalité, droit de l’homme, solidarité, laïcité, écologie… La liberté est entrelacée à l’égalité, c’est l’indivisibilité des lois.
- Indépendance du parquet, respect de la parité, fin du cumul des mandats …
- La gauche du XXIe siècle sera internationaliste, éco-socialiste, alter européenne et féministe.
- Clinton: « Il faut que la marée fasse monter tous les navires » 
- Pour la maitrise du devenir collectif une puissance publique revigorée ira de soi et la suprématie de l’être sur l’avoir adviendra.
- Dans la formule « Le marché est un excellent serviteur, c’est un mauvais maître »
le mot « marché » a remplacé « l’argent » du proverbe.
 A reprendre mes notes, bien des formulations paraissent tellement pieuses, comme se raréfie l’attitude de se laisser affecter par le malheur d’autrui.
- Le peuple existe, le peuple est raisonnable, le peuple est souverain : c’est cela la démocratie.
Le rappel des fondamentaux n’est pas inutile avec ce mot « peuple » qui en arrivait à paraître obscène dans certaines bouches, avec droits sociaux, projet de civilisation, éducation.
Dans une atmosphère dont le réchauffement inquiète, les sentences s’accompagnent désormais de précautions envers la planète.
- L’homme devra se réconcilier avec la nature.
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Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 9 février 2012

Musée d’art catalan. Collection romane.

Dans le parc de Monjuic à Barcelone ont été rassemblés des trésors de l’époque romane.
Leur présentation m’a rappelé que cette époque n’était pas qu’architecture mais aussi fresques.
Elles ont échappé à l’usure du temps et aux amateurs d’Outre Atlantique.
Sur les peintures qui n’ont pas subi de restaurations intempestives, les représentations de Dieu faisaient débat encore au XI° siècle. N’avait-on pas recommandé à Moïse ?
 « Ne représente pas ce qu'il y a là-haut dans le ciel, en bas sur la terre, ou dans l'eau sous la terre. Ne te mets pas à genoux devant ces dieux, ne les adore pas. » 
Les corps peints ne devaient pas s’enfler dans une épaisseur qui aurait fait offense à Dieu.
Plus tard, les vents de l’esprit animeront les personnages et Masaccio apportera des ombres.
La vierge au IV° siècle devient fédératrice avec sa maternité et par la codification des ses représentations, elle se différencie des idoles antiques.
Damien Capellazzi conférencier aux amis du musée de Grenoble pointe le pléonasme : « une abside orientée à l’Est » (orient/orienté).
Il nous fait prendre conscience du temps nécessaire pour que « l’image se lève » et reconnaître que tout est symbole : Saint Michel porte les forces de l’automne et la résurrection est située côté Ouest.
Le Christ est souvent entouré d’une mandorle, en forme d’amande, fruit du premier arbre à fleurir.
Le tétramorphe, animal en kit, rassemble l’aigle de Jean, le taureau de Luc, l’ange de Mathieu, le lion de Marc.
J’ai appris aussi que Saint Martin n’était pas radin, l’autre moitié de son manteau appartenait à l’Empire.
Saint Etienne est lapidé et ceux qui l’assaillent semblent jongler, les corps sont mis en mouvement.
Au-delà d’une marque laissée par les Lombards aux fenêtres des églises, la reconnaissance de leur civilisation au patrimoine mondial abolit la notion de barbare.
La virtuosité des artisans s’exprime aux pourtours des œuvres peintes sur les cuves absidiales, les couleurs primaires trouvent leurs complémentaires. Les figures humaines stylisées se juxtaposent avec les décorations apportées par des nomades passés par Bysance.
Les « brûlants » anges gardiens sont spectaculaires avec leurs yeux multiples et leurs plumes déployées.
Les mains expressives symbolisent l’action ; quand elles sont voilées, elles se montrent respectueuses comme les gendarmes quand ils mettent les gants blancs.
Les statues semblent avoir parfois leurs yeux fermés. Celles qui ont conservé leurs peintures ont une toute autre allure et les devants d’autel ont gardé aussi leur fraîcheur.
L’inscription SCS figure le chant d’un triple sanctus et m’évoque une bulle de bande dessinée.
En prenant le temps de zoomer, les symboles foisonnent : la belette et l’écureuil étaient recommandés pour les repas des femmes enceintes.
Et c’est encore ce soir que j’ai appris que le contraire de symbolique était diabolique.

mercredi 8 février 2012

Au nord de la Bourgogne.

Avec un tel nom de région, pas loin de la Champagne, peut on imaginer un tourisme qui n’aille pas que de vigne en cave ?
A Fontenay, les moines cisterciens qui construisirent l’abbaye au XII°siècle eurent d’abord à assainir l’endroit aujourd’hui charmant, car comme l’indique son nom, l’eau était abondante. Nous visitons l’église sobre selon la volonté de Saint Bernard qui ne voulait pas de distraction à la prière. Le dortoir sous une magnifique charpente, le cloître, la salle capitulaire sont plus habituels en ces lieux que la forge qui utilisait le fer extrait à proximité.
Une enfermerie était-elle destinée à ceux qui n’avaient pas respecté la loi ou conservait-elle les biens précieux de la communauté ? Un pigeonnier de belle allure, un chenil et une boulangerie complètent le circuit. Il ne reste rien de la papeterie des Montgolfier qui possédèrent un temps cette vaste propriété.
 Nous avons préféré la modestie du musée des arts naïfs et populaires de Noyers sur Serein au palais de la renaissance italienne d’Ancy Le Franc qui recèle une des collections de peintures murales des plus importantes.
 Dans un village aimable, ce musée rassemble des objets en terre, métaux précieux ou commun, des toiles, de l’autre bout du monde et ceux d’à côté : du kitch, de l’inventivité, des arts traditionnels, des dingueries contemporaines, des trésors originaux et du bric à brac, de l’art brut, des expressions engagées. Un hommage chaleureux est célébré à l’art au quotidien. Une riche caverne pour les enfants et ceux qui n’ont jamais cessé de s’étonner, loin des bousculades, pour des rencontres intimes et variées. Dans cet ancien collège à la poésie entêtante, la ferveur des collectionneurs est palpable, il y a une âme dans ces murs.