mardi 3 novembre 2009

Poussin

Le bleu, surtout ciel, c’est pas une couleur que j’aime. J’ai trop vu les voiles bleus en plâtre des statues de cette vierge dans l’église et par-ci par- là, dans les chapelles de campagne. On me traînait dans les processions, on m’abandonnait sur le banc dans la chapelle de la Sainte Vierge avec les envies de pipi qui ne tardaient pas ; j’avais peur des toiles d’araignées pendues aux colonnes, peur des recoins où s’entassaient les débris des dieux démodés, peur des souris qui n’avaient pas peur de moi et se livraient à leurs petits commerces.
Je ne manquais pas de mères pourtant. J’étais l’enfant unique de Louise la boulangère toujours dans le pétrin par ces temps de guerre. Elle avait quatre sœurs. Elle me confiait à ses frangines toutes célibataires et sans enfants. Il y avait ma préférée, Berthe aux grands pieds de palmipède et puis Augustine la grande gueule, Florine aux gros lolos voyageurs, Olivia et ses moustaches. Toutes pieuses, les petites mains du curé ! On m’embarquait, on me déposait, on me laissait en attente, on m’oubliait, on me couvrait de baisers en me retrouvant sur le banc en face des voiles de plâtre bleu, sage, assis en tailleur sous la garde des araignées et des souris besogneuses. Les tantes ne manquaient pas d’ouvrage dans l’église du bourg normand : Berthe lavait à grande eau la nef. Belle et bien bête. Je veux dire bien bête de s’esquinter le dos au lieu de regarder ses soupirants. Augustine dirigeait le chœur des dames et demoiselles, Florine s’occupait de la sacristie avec le curé pour l’aider. Ca prenait du temps tandis que je rongeais mon frein et que l’envie de pipi me tortillait sur mon banc. Olivia s’occupait de dépoussiérer les Joseph, Rita, Thérèse, Nicolas et autres Martin. Une fois même elle me caressa de son plumeau. Somnolant dans la pénombre j’ai poussé un hurlement croyant à une attaque des toiles d’araignées. “ Et alors, Poussin ! Qu’est-ce qui t’arrive ? ”

Et voilà, Poussin ! J’étais le poussin d’Augustine, de Florine, de Berthe, d’Olivia. Un mot doux avec un bec.

J’ai parlé très tard. Mes premiers interlocuteurs furent Miquette la chienne papillon qui ne s’est jamais envolée en dépit de ses grandes oreilles qu’elle dressait pour me répondre. Oui, l’oreille droite ; non l’oreille gauche. Rien du tout quand elle ne comprenait rien. Alors elle s’asseyait et me tirait la langue. Le chat me comprenait aussi, un fainéant aux griffes prestes. Il me ronronnait des berceuses bien plus efficaces que les contes horrifiques de mes tantes. Elles raffolaient d’histoires d’ogres et de revenants : pourvoyeuses en cauchemars.

J’ai eu, me disait-on, un berceau garni de satin bleu et je n’ai pas beaucoup gazouillé. Je vomissais beaucoup dans les dentelles. Le lait de ma mère ne passait pas. Toujours pressée de retourner à son commerce, elle n’attendait pas mon rot et me confiait à d’autres bras, d’autres haleines, d’autres odeurs musquées d’aisselles et de ventre, d’autres voix postillonnantes, d’autres manières de manipuler mon petit torse et mes petites fesses.

Poussin, poussinet, pupuce, poussipouninet, poupou et j’en passe…

Ah ! Je les ai bien remplies vos mains, mes tantes. Ah ! Je les ai bien humidifiées de mes larmes vos lèvres voraces. Poussin, poussinet, je te mangerai de baisers. Pourquoi pleures-tu ? Si mignon à croquer ! Miam, miam, miam sur le petit ventre ! Le joli zizi du poussinounet ! J’avais peur de vos grandes bouches (sauf celle de Berthe, si paisible), de vos baves, de votre force inattentive. Je passais de mains froides en mains chaudes ; de seins plats en seins ronds. Les seins doux et ronds de Berthe, son odeur de tilleul et de cerise. Contre eux, j’avais un peu de repos et je m’endormais.

Et puis j’ai grandi. Mon corps. Je parlais peu. Mes études au cours privé de la rue des Augustins furent un fiasco : rêve au lieu d’écouter, répond à côté de la question, recherche la solitude. Certes j’avais d’excellents résultats en rédaction mais j’étais tellement nul dans toutes les autres disciplines qu’il fallut renoncer au séminaire.
Je bricolais à la boulangerie, décorateur de mokas, virtuose de la poche à douille.. Faut bien que tu gagnes ta croûte, Poussin ! Je peignais aussi de petites natures mortes, des chats, des chiens et des souris sans jamais utiliser le bleu. J’ai eu un succès paroissial. Les commandes rapidement étendues au canton. Le tourisme gagnait notre région riche en églises romanes. Je vendais des images de chapiteaux sous un ciel blanc.
Pauline n’était pas une beauté mais elle sentait bon. Elle était parfumeuse et esthéticienne dans la localité voisine. Le soir des noces je tremblais de désir dans la chambre nuptiale réservée par mes parents à l’hôtel des Voyageurs. Mon father me parlait pour la première fois, me donnant des conseils que j’écoutai à peine tant ils me firent rougir.
Pauline en nuisette de satin bleu, m’appela. Elle rayonnait de bonheur dans le grand lit : Viens mon Poussin, Viens…
Nous n’eûmes pas d’enfants ensemble, c’est le responsable de la cellule communiste qui se chargea de ma descendance avec foi et persévérance. Je devins le père légal d’enfants du plus beau roux. Tante Augustine rappela que nous avions eu un ancêtre rouquin au XIX me siècle…
Je me fichais bien des gênes et autres ciments générationnels. Je peignais nuit et jour pour nourrir et éduquer notre portée de renardeaux.
Poussin ! Il faut commander du mazout ! Poussin, as-tu réglé la facture d’électricité ?
Pauline me rappelait à mes devoirs. Je regardais avec appréhension les canines naissantes des petits. Plus ils grandissaient, plus j’avais l’impression de rétrécir et d’être en danger.

Cette époque est bien loin maintenant. J’ai trouvé le bonheur et la paix. Je peins toujours. Le directeur m’encourage. Grâce à ton talent, me dit-il, nous allons enfin pouvoir rénover le réfectoire et les chambres du premier étage. Il me tape amicalement sur l’épaule et m’apporte personnellement du café et des crêpes. Ne perds pas de temps…
Et il y a mieux… Je me suis trouvé une bien jolie poule, la plus fraîche de l’hôpital. Elle glousse quand je la baise dans ses draps de soie commandés à la Redoute (la valeur de trois tableaux). Elle dort nue. Je la regarde dormir nue au matin, cette lumière nacrée qui joue dans le duvet de ses joues. Elle m’appelle Son Grand Coq Génial.
Quelque fois une très belle femme, plus très jeune, un peu cassée, me rend visite.
Elle m’apporte des mokas. Elle est bien gentille mais… je ne la connais pas.
Elle me dit : c’est pour toi Robert. Je sais que tu les aimes.
Je crois qu’elle est un peu folle. Peut-être a-t-elle perdu un être cher qui se nommait Robert ? J’aime son odeur de tilleul et de cerise.
Marie Treize

lundi 2 novembre 2009

La 317ième section

Depuis sa sortie en 1965, je ne suis pas allé voir ce film sur la guerre d’Indochine: j’étais anti militariste. A le découvrir maintenant, je reconnais que les aliments à une critique envers l’armée occupant un autre pays, ne manquent pas. Ce face à face entre un jeune officier fougueux et un vieux briscard, lors d’une retraite sans espoir, est efficace et prenant. Film âpre, désespéré qui montre avec force, la violence des rapports humains quand la mort est derrière chaque touffe de bambous. Un grand film essentiel, sans tapage, une tragédie implacable. Bruno Crémer et Jacques Perrin ont toute la profondeur et la complexité que ne connaissent pas les films américains du même genre qui ont pourtant une notoriété bien plus grande. Orsenna a participé à l’écriture et Schoendorffer savait bien de quoi il parlait.

dimanche 1 novembre 2009

Orquestra Aragon

Le cha-cha-cha conserve. La formation cubaine fête son soixandixième anniversaire, les papis et leurs descendants se portent comme des charmes élégants. Le public grenoblois suit au doigt et à l’œil les pincements d’un violon, les traversées de la flûte, les frappes déhanchantes des agogos, l’obstinée rythmique et font « drin-drin » ; ils en redemandaient debout aux treize musiciens danseurs. Mes voisins ont mieux perçu que moi les influences africaines dans ce groupe sans cuivre mais pas sans couleurs où les violons viennent citer du Mozart sous les pulsations envoutantes du pays des charangas, voué au danzón.

samedi 31 octobre 2009

La mise à mort du travail.

Après l’émission de France 3, je voulais titrer ce billet :
« Les mots et les choses » mais vérification faite, cette association était un titre de Foucault Michel, alors : pas touche !
Je voudrais simplement faire part de ma perplexité de voir s’agrandir encore le fossé entre les mots et la réalité. Vieille remarque et pourtant à renouveler douloureusement avec ce documentaire terrible où la crise des valeurs de notre société saute aux yeux.
Au-delà des souffrances qui ont conduit des dizaines de salariés à mettre fin à leurs jours autour desquels il serait bien indécent de gloser, il y a la réalité des entreprises d’aujourd’hui. La rapacité, l’implacable logique du capitalisme financier. Des bonnes volontés de jeunes gens brisées pour satisfaire des actionnaires, l’inhumanité de ceux là et leurs courtes vues.
L’indignation m’est venue quand le baratineur en chef de Carglass dit qu’il ne leur est pas utile de se défoncer 50 heures, alors qu’ils n’ont pas d’autres issues ; la charge de travail ne peut être gérable, faute d’embauches. Ces discours avec le vocabulaire de l’humanisme sont insupportables quand ils prétendent travestir la loi du profit maximum.
Pour l’école d’où me parviennent des échos, ce ne sont pas seulement les mots des managers qui ont gagné ces terrains épargnés jusqu’alors mais les fatigues de cadres des plus solides sont inquiétantes et si aujourd’hui des enfants aspirent à devenir traders, je sais que mon monde a basculé, celui où les mômes rêvaient d’être pompiers.
Les techniques de motivations vont se sophistiquer pour que la dépose d’un pare-brise soit optimale et nous ne savons plus que trouver pour que notre jeunesse ait le goût d’étudier. L’anticonformisme bruyant concerne les accessoires de mode mais la housse du conformisme revêt l’éducation nationale.
Pour rire jaune, cet extrait du petit journal de Canal +, si vous ne l’avez vu.
L’incroyable mépris de Sarkozy à l’égard des paysans quand il redit mot pour mot un vieux discours et le silence des journalistes qui n’avaient rien vu ni sur la forme ni sur le fond.
Quant au débat sur la nation, il n’est pas indigne et je me souviens d’une tempête de plus qu’avait soulevée Ségolène en régénérant « la Marseillaise » à Marseille lors de la dernière campagne présidentielle. Mais je n’arrive pas à respecter Besson pour entrer dans un débat, ni je ne parviens à me sentir fier d’une patrie qui pour l’identité nationale bâtit un ministère comme pour la tolérance il y eut des maisons. Guaino va faire sonner de l’Hugo, c’est à vous dégoûter des mots, et ils iront caméras au cul piétiner nos Panthéons, nos rimes, nos rêves.

vendredi 30 octobre 2009

XXI automne 2009

"Les africains en France" est le thème développé ce trimestre sur 40 pages avec
- la crise de la religion catholique en Normandie à travers la mission d’un prêtre congolais ;
- les dégâts de la crise économique qui s’amortissent avec la débrouillardise et la convivialité chez les éloignés du CAC 40 dans une société domiciliant de petites entreprises.
- des boubous dans un Fez Noz, une communauté malienne en milieu rural donne un nouveau visage à la France.
Les compléments à chaque reportage pourtant complets,sont riches d'enseignements par exemple: l’histoire d’une immigrée bulgare agent d’entretien en Grèce défigurée pour avoir dénoncé ses conditions moyenâgeuses de travail.
Les terreurs du monde en Albanie où règne la vendetta qui ruine des vies,
au Mexique où des femmes d’Amérique Centrale essayent de gagner les USA dans des conditions démentes, une a perdu un bras:« je voudrais dire que sans une jambe ou un bras, on vaut quand même quelque chose ».
Des respirations avec un documentaire à Coulommiers et une BD sur l’observatoire d’Atacama au Chili, et un récit d’une promenade sous terre à Naples, déjà qu’à la surface la ville ne manque pas de mystère.
Des informations remises en perspective lors d’une interview d’un spécialiste des doctrines de la guerre révolutionnaire qui rappelle les 5000 disparus du Chili et les 30 000 en Argentine et les lumières de la France pour théoriser la torture auprès des dictatures d’alors.
De beaux portraits : celui d’un photographe chez les Roms ou de Derosières le député qui épluche les comptes de l’Elysée, et toujours la mise en valeur des journalistes, des dessinateurs, des auteurs, Mabanckou cette fois.

lundi 26 octobre 2009

Braquo

Une nouvelle série policière arrive sur Canal+. Je ne suis pas très familier du genre mais pris dans les insistances de la publicité, je suis allé voir ce qu’il advenait de Jean Hugues Anglade et de ses copains fonctionnaires dépendant du ministère de l’intérieur. Le commissariat est installé dans une usine désaffectée, grillagée, tuyauteries apparentes, monte-charge et boitiers électriques: attention danger!
Les personnages de noir vêtus se fourrent dans des situations difficiles et si je remarque l’élégance des cadrages, un rythme plus vif que sur « La Trois », c’est que l’intrigue ne m’a pas vraiment empoignée. L’esthétique du noir inscrit les personnages dans le fatalisme, la violence, l’amertume. Ils trainent leur désillusion sous des barbes de trois jours, derrière la fumée des cigarettes et les dialogues se déroulent sur fond sonore saturé. Le polar a tendance à jouer de la caricature, le filon est encore exploré en 2009, mais décidément pas en situation de me séduire.

dimanche 25 octobre 2009

Birkin

Ce soir là à la MC2, j’avais l’humeur de Droopy l’indestructible. Après avoir reçu sur la tête l’enclume « je suis venu te dire » et le bloc de rocher « fuir le bonheur », je ne fus pas anéanti et j’ai pu apprécier les allitérations en «ze » d’une chanson anodine et redécouvrir « les petits papiers » qui réconfortent les jours de froid. Quand les mots doivent brûler, s’ils sont dits avec élégance, nous pouvons mieux regarder le temps qui a passé.
Son engagement indéfectible auprès de Aung San Suu Kyi est manifeste pendant le concert, bien qu’il ne soit pas asséné. La tonalité de son dernier album « les enfants d’hiver »est plus grave avec « les fous rires qui finissent en larmes ». Mais comme souvent c’est surtout en reconnaissant des morceaux que je me suis régalé et j’applaudirai encore longtemps « ex fan des sixties » même si c’est au pied d’un monument aux morts que nous revient la rengaine.
«… Et comme si de rien n'était
On joue à l'émotion
Entre un automne et un été
Mensonge par omission
Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant »

Du beau travail de pro, avec ce qu’il faut de naïveté, de sincérité pour jouer :
« Si j'hésite si souvent entre le moi et le je
Si je balance entre l'émoi et le jeu
C'est que mon propre équilibre mental en est l'enjeu
J'ignore tout des règles de je »