jeudi 30 septembre 2021

Musée Unterlinden. Colmar.

Le prestigieux musée Unterlinden (« sous les tilleuls »),
ouvert en 1853 dans un ancien couvent datant du XV° siècle, présente de nombreuses œuvres de l’art rhénan.
Nous retrouvons Martin Schongauer auteur de « La vierge au buisson de roses » habillée aux couleurs de la passion, vue ce matin dans l’église des dominicains.
Des retables du célèbre graveur admiré par Dürer ont de fraiches couleurs comme si elles venaient d’être apposées  alors qu’elles ont 500 ans d’âge. « Retable des Dominicains ».
Bonne introduction, avant d’arriver devant un des chefs-d’œuvre de l’art occidental :
le retable d’Issenheim, du nom d'un village voisin, peint par Matthias Grünwald.
Les panneaux pouvaient offrir différentes scènes: « Saint Sébastien, La Crucifixion, Saint Antoine » 
Les mains crispées, les pieds déformés du Christ crucifié, expriment la douleur d’une façon très moderne,
accentuée par les mains tordues de Marie Madeleine.
Sur les volets latéraux figurent saint Sébastien transpercé des flèches, 
et saint Antoine qui protégeait du « mal des ardents » dû à un parasite du seigle. Après s’être soigné avec des herbes médicinales ayant macéré dans l’eau avec des reliques, les malades venaient partager leur douleur avec celle du Christ.
Sur l'autre face du retable « L’Annonciation, Le Concert des Anges, La Vierge et l’Enfant, La Résurrection » présentés lors des grandes fêtes contrastent avec la scène précédente,
 en particulier lorsque le fils de Dieu monte au ciel dans un suaire de plus en plus coloré.
A l’étage où sont exposés des objets d’art décoratif et de tradition populaire, « Le trésor des trois épis », trouvé dans un chaudron enfoui pendant la guerre de trente ans pour échapper à l’envahisseur suédois, témoigne de l’orfèvrerie de la Renaissance.
A côté d’une cave reconstituée, sont conservés un « Portrait de femme » d’Holbein 
et « La mélancolie » de Cranach 
Pendant notre visite de trois heures et demie, nous ne nous sommes pas attardés dans les salles consacrées à l’époque gallo-romaine, 
alors que nous n’avons pas manqué, de Théophile Schuller, « Le char de la mort »  
où tous les hommes de toutes conditions sont emportés avec tous les arts.
Otto Dix côtoie 
Séraphine de Senlis,
Bonnard 
et bien sûr Picasso.
Dubuffet est bien mis en valeur dans un espace qui était consacré aux bains.
Le travail de Yan Pei Ming, sous le titre « Au nom du père », entre en résonance avec celui de Grünwald.
Une cinquantaine de tableaux essentiellement dans de grands formats aux pâtes épaisses noires et blanches nous impressionnent.
Le rapprochement entre trois portraits et celui de la figure christique entourée de deux larrons est peut être forcé. 
Mais entre l’ergotisme qui sévissait au moyen-âge et « La pandémie » les liens sont évidents.
Depuis ses dessins de jeunesse, ses nombreux auto portraits, ses paysages grandioses et inquiétants peuvent refléter notre image et celles que nous nous faisons du monde.
  

mercredi 29 septembre 2021

Promenades autour de Grenoble # 3

Un des charmes de la cuvette grenobloise est de pouvoir passer facilement de la ville plate à une nature escarpée aménagée pour recevoir tous les publics. 
Rocher de Comboire.
Le mot « Comboire » est davantage associé à la zone commerciale d’Echirolles qu’au fort militaire qui parmi sept autres devait défendre Grenoble après la défaite de 1870.
Au pied du Vercors, situé en face de celui de Bresson, il « battait la vallée du Drac vers l'amont », en principe, car il n’a guère servi. Qui sait qu’il se nomme « Monteynard » en l’honneur d’un lieutenant- général de Louis XV, appellation plus familière aux usagers de voile d’un lac voisin ? Le suffixe « oire » se rapprocherait du mot « orée », le bord de la combe.
Partis de Seyssins après avoir longé la digue du Drac nous arrivons dans les hauteurs de Claix aux belles bâtisses et son « chemin du repos de l’ouvrière » avant de prendre « le chemin des cimentiers » et de monter au belvédère qui offre une belle vue sur la Chartreuse, la Mathesine, Belledonne, et le Mont Blanc.
Le site internet remarquable https://baladesenisere.wordpress.com/2014/10/28/le-rocher-de-comboire  nous apprend que ce promontoire  est  une « relique glaciaire du Würm de 18 000 ans » (la dernière période glaciaire du Pléistocène dans les Alpes) et signale les fleurs remarquables : orchis homme pendu, ophrys araignée, les arbustes : pistachier térébinthe, « ces falaises sont des lieux de nidification très appréciés des rapaces, en particulier du grand duc d’Europe et du faucon pèlerin. On y trouve des abris sous roches et des diaclases dont le Trou du Renard, une cavité qui se trouve sur le flanc est de la colline et où ont été retrouvés des squelettes, ainsi que des poteries et des parures datant de l’âge du Bronze (-1800 à -800 avant notre ère). » 
Rocher du Cornillon. 
En bordure Ouest de la Chartreuse, détaché du rocher de l’Eglise, on peut aisément contourner l’éperon rocheux situé sur la commune du Fontanil-Cornillon.
« Cor désigne un grand rocher qui permet de servir de belvédère et que l'on retrouve notamment dans le nom d'autres communes telles que Corenc, Corps ou Corbelin. ».
Ce circuit familial à partir de Rochepleine quartier au nord de la commune de Saint Egrève, permet de trouver plus sûrement des escaladeurs que les vestiges d’un château idéalement placé, détruit depuis Lesdiguières.
Mont Jalla.
Rendez-vous est pris au pied de la statue équestre de Philis de La Charce, du nom d’une héroïne  de « L’astrée », roman fleuve de l’époque de Louis XIV. 
La « Jeanne d’Arc Dauphinoise » dont le nom de baptême était Philippe de la Tour du Pin de La Charce, avait abandonné la religion protestante pour devenir catholique. Cette conversion ne sera pas indifférente aux historiens pour évaluer ses performances guerrières. Cette altière guerrière est située à l’entrée du très soigné jardin des Dauphins situé Porte de France.
Nous passons d’une terrasse à l’autre par des sentiers qui en ce jour de semaine étaient bien moins embouteillés que le week-end où les familles profitent des aires de jeux, où les amateurs de botanique peuvent faire la différence entre coronilles et genêts.
Au fur et à mesure de la montée, nous ne nous lassons pas de reconnaître sous un autre angle les bâtiments de la ville dont on comprend l’extension à la couleur des toits.
Passant de tunnels en escaliers jusqu’à la gare d’arrivée du plus ancien téléphérique urbain (1934) nous pouvons partager les paroles de Stendhal « Je n'ai pas la force de décrire la vue admirable et changeant tous les cent pas, que l'on a depuis la Bastille».
La première bastille fut construite par Lesdiguières en 1591, puis l’inévitable Vauban apporta sa pierre aux fortifications qu’Haxo paracheva sous Louis XVIII à l’endroit le plus septentrional du massif de Chartreuse, frontière avec le Royaume de Savoie.
Des cavités creusées dans la roche calcaire dites « grottes de Mandrin » sont en réalité ultérieures à une présence du célèbre contrebandier. Le travail des hommes est impressionnant, sans parler des cimenteries qui s’alimentaient sur ces falaises pour fabriquer du ciment prompt.
La présence de l’armée est encore marquée avec le musée des troupes de montagne et le mémorial du Mont Jalla que l’on atteint après avoir pris le chemin derrière le restaurant du père Gras. Nous nous sommes élevés alors de 400 m.
La descente qui arrive au dessus de l’église Saint Laurent recèle d’autres belles surprises telles des marches monumentales le long d’une alignée spectaculaire de cyprès.

mardi 28 septembre 2021

Journal d’un fantôme. Nicolas De Crécy.

Une forme indéterminée, le fantôme, à la recherche de lui même, voyage au Japon avec son  manager, passe par le Brésil et revient à Paris. 
Le dessin a la parole. « Un concept de dessin en devenir » 
Cette réflexion sur la création artistique permet même de s’interroger sur la Création tout court, bien que ce Dieu là ne soit guère admirable.
La profondeur empreinte de poésie est légère car l’humour est dans chacune des 220 pages.
Nicolas De Crécy, toujours en recherche, est exceptionnel dans ses dessins et dans son récit
Ce pourrait être désincarné, trop métaphysique, c’est aéré, les rêves ne masquent pas une réalité sans cesse interrogée, magnifiquement représentée dans des traits vibrants ou des nuances au brou de noix. 
Beau et simple. Rare.

 

lundi 27 septembre 2021

Drive my car. Ryusuke Hamaguchi.

Un metteur en scène de théâtre en déplacement à  Hiroshima consent à être conduit par une jeune femme de ses lieux de répétition à sa résidence.
Ce film inspiré par une œuvre d’Haruki Murakami est tellement riche que les trois heures de projection passent comme dans un rêve, comme la vie, que cette révision de Tcheckov enrichit avec une interprétation en langue des signes (coréen) époustouflante. 
Le tempo lent mais jamais lassant permet d’aborder le thème du deuil, de la sincérité, de la force des récits, de  la reconstruction, de la construction de soi, et par la grâce d’un scénario limpide récompensé au festival de Cannes, ménageant des silences, nous sommes surpris à tout moment par les personnages.
Une pointe de fantasque vient pimenter un récit qui nous donne un aperçu de la profondeur, de la complexité universelle de l’âme humaine, sans que soient amenuisés les singularités culturelles rendues avec finesse par un réalisateur précieux. 
Il éloigne la peur des grands mots et s’attache à explorer sans forcer l’amour et la vérité.
On sort en se disant « voilà un beau film » sans que jamais il n'ait pris la pose, bien que lors de conclusions multiples, une séquence près d’une sublime maison écroulée soit trop explicative à mon goût.

dimanche 26 septembre 2021

Ballet de l’opéra de Lyon. MC2 2021.

Un petit trait de lumière et le rideau se lève sur un danseur aux bras désobéissants : la saison peut commencer à la MC2. 
Dès que ses trois partenaires entrent, leurs gestes maladroits s’emmêlant, se démêlant, deviennent fascinants par leur précision.
Toute rentrée marque le temps qui passe, alors la souplesse des artistes me parait à chaque fois plus extravagante comme leur capacité à se souvenir de gestes nouveaux sous des cadences endiablées voire dans le silence. 
On entend leurs expirations et alors que souvent les danseurs semblent s’accorder sans se regarder, leurs regards sont expressifs.
Il s’agit de « N.N.N.N» de William Forsythe mais je ne sais pourquoi ces quatre lettres.
En deuxième partie « Solo for Two », du chorégraphe suédois Mats Ek sur des musiques épurées d’Arvo Pärt. Un homme et une femme apparaissent, disparaissent dans les ouvertures du décor, changent de costumes en étant toujours aussi virtuoses. Quelques touches d’humour m’ont plutôt embarrassé, surtout les tressaillements d’un escalier.
Final en beauté avec 8 danseurs solitaires et ensemble pour « Die Grosse Fuge » d’Anne Teresa De Keersmaeker 
reconnue aux premiers gestes quand la danse n’est pas qu'un accompagnement mais rend tangible la musique du quatuor à cordes de Beethoven.
Ardents, tombant, se relevant, vivants, nous vivifiant comme d’habitude.

samedi 25 septembre 2021

Bibliothèque de survie. Frédéric Beigbeder.

Il fut un temps où c’était la honte, dans mon milieu pas centriste alors, d’être surpris à lire le Figaro, magazine de surcroit, et me voilà à chroniquer les livres d’un des marqueurs de la droite qui ne crèche plus seulement à Neuilly.
C’est que le muscadin est moins sectaire que bien des prescripteurs de l’autre rive du Rubicon.
Son choix de 50 livres est varié, de Molière à Virginie Despentes,de Colette citée en épigraphe :
« Etre libre ! … Je parle tout haut pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d’aile sauvage et de forêt. »
à Philippe Lançon
où même les dessins du New Yorker figurent en bonne place 
avec exhumation de Ravalec qui me surprit jadis
et Linhart Virginie que je ne m’attendais pas à voir figurer en si bonne compagnie, 
alors que tant d’autres me sont inconnus : Rinkel, Manteau Tison…
Il va chercher chez les plus grands : 
« Molière a besoin de ridiculiser, Kundera d'ironiser, Wilde cultive l'arrogance, Huysmans et Dostoïevski la misanthropie, Fitzgerald le désespoir chic, Kafka la paranoïa et Roth a raconté la cancel culture depuis La tâche en 2000. » 
Le titre un peu outré est trompeur, il ne s’agit que de littérature et de légèreté qui dit mieux la gravité que tant de pompeux écrits : 
« Les meilleurs livres sont souvent salaces, répugnants, couverts de crachats, obscènes, ils exploitent ce qu’il y a de plus voyeur en nous, ils exposent ce que la société voudrait masquer, ils révèlent la face obscure de notre humanité, ils fabriquent du beau avec du pervers, ils explorent les limites, dépassent les bornes, enfreignent les interdits. Mais surtout: ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas. »

vendredi 24 septembre 2021

Blop blop dans le bocal.

Depuis nos écrans, entre petite et grande focale, local et global, nos yeux et nos têtes vrillent. 
« Pisser sous la douche ne suffira pas » comme dit l’affiche de «  Time for the planet » mais ce réchauffement de la planète venu du fond des temps, qu’y pouvons-nous encore?
Pour des périodes à portée d’entendement ici et maintenant, autant « OK boomer » m’agace autant je suis accablé par les inopérants : « c’était mieux avant ! » 
Mâle blanc, donc pas vraiment du côté du bien, j’ai bien d’autres culpabilités à assumer que celle de l’éternel colonisateur et de l’aveugle pollueur. Invité à ne plus bouger même le petit doigt, des fourmis me viennent aux mains quand elles s’approchent du clavier.
A défaut d’être en phase, quelques phrases peuvent rassurer et la lumière de certains phares pourraient nous réjouir de leur lucidité, mais c’est quand même depuis 1957 qu’ils clignotent, désespérément: 
«Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui nous détruire mais ne savent plus convaincre… » Camus.
Je n’ai pas oublié le slogan que je répétais jadis : « Le monde change, changeons l’école » même si j’en suis à lister désormais tous les bouleversements que je ne comprends plus.
Vieux à la peau lisse, je me suis fait à l’idée de tatouages envahissants pour l’éternité quelques épidermes voués à la précarité tout en me fondant dans la foule aux écrans sacrés. Pour préserver quelques critères qui pourraient s’approcher de la notion relative de beauté, les icônes toutes petites de nos phones ne suffiront pas à nous consoler d’immeubles griffés de grafs et de rues balisées de godes en plastique rongés par des chiens de combat.
Autour des écoles « Pas de vague » des mamans dissimulent leur visage, d’autres, monoparentes (une famille sur quatre), n’attendent pas leurs petits à la sortie. La FCPE et l’UNEF ont déserté le camp laïque.
Avant que les vaches aient déserté nos collines, les pelouses bien taillées deviennent inconvenantes, mais les herbes folles des trottoirs luttent-elles contre l’amoindrissement de la bio diversité ? A Grenoble, certaines publicités ont été bannies mais des messages bavards se multiplient jusque dans le moindre bac, rempli de mégots et de canettes, pour en attendant quelque plan de basilic salvateur, poser en défenseur de la planète.
Les donneurs de leçons n’officient plus dans les écoles, mais tiennent le crachoir, frontalement.
Les soignants qui se sont mis en congé maladie pour échapper à la vaccination participent à l‘érosion de la crédibilité des rédacteurs de certificats médicaux, comme l’absentéisme dans la fonction publique favorise le privé. La disparition du doute accompagnant toute démarche scientifique est plus inquiétante que l’ignorance de certaines connaissances, les péremptoires claironnent quand tant d’incertitudes nous assaillent et creusent les paradoxes.
Les policiers portent des armures, ils sont sur la défensive, leur allure impressionne et leur donne l’illusion d’un pouvoir qu’ils n’ont guère.
Le service public oublie parfois les mots «  service » et « public ».
En évitant de stationner dans des lieux communs où les formules se ramassent à la pelle : « tout a un prix », «  la mort fait partie de la vie », je ne comprends toujours pas quand des écolos s’opposent au train après avoir combattu avec succès la liaison par un canal à grand gabarit allant du Rhin au Rhône. On ne jure plus que par la voiture électrique (sans bornes) alors que l’opposition au nucléaire perdure et celle aux éoliennes gagne du terrain.
A la moindre inspiration nous prélevons de l’oxygène et nous expirons du CO2. 
A moins d’être pour le réchauffement de la planète, il serait temps de comprendre que le beau temps n’est pas synonyme de soleil en permanence, la pluie était salutaire quand passaient les saisons en pays tempérés.  
« C'est inutile de reprocher aux anglais de nous avoir colonisés. Je ne hais pas les anglais. Ce ne sont que des branleurs. Nous sommes colonisés par des branleurs. On n'a même pas été capables de trouver une civilisation saine, radieuse, honnête pour nous envahir. Pas du tout. Nous sommes gouvernés par des trous du cul décadents. Et qu'est-ce que ça fait de nous ? Les plus minables des minables, la lie de la terre. Les plus misérables, les plus serviles, les plus lamentables, les plus pathétiques déchets que la Création ait jamais produits. Je ne hais pas les Anglais. Ils font ce qu'ils peuvent avec leur propre merde. Je hais les Écossais. » 
 Film « Trainspotting »