jeudi 14 novembre 2024

Biennale art contemporain. 2024. Lyon.

Depuis quelques paires d’années nous visitons les usines désaffectées de Lyon pour aller à la rencontre de nouveautés en matière de création artistique. 
Cette fois nous commençons notre visite par les « Grandes Locos », anciennement lieu de maintenance de la SNCF sur la commune de La Mulatière.
Le thème de cette 17 ° édition, « Voix des fleuves », a été respecté au mieux quand les locaux au bord de l'Yzeron étaient évacués par crainte d’inondation, deux semaines auparavant.
Sinon, il faudrait quelques médiateurs talentueux pour expliquer le lien avec Saône et Rhône de beaucoup des 78 artistes sélectionnés qui nous ont étonnés, émus ou laissé de glace.
Les « Marmites enragées » sifflant l’Internationale nous ont mis de bonne humeur.
L’ample installation d’
Oliver Beer, « Resonance Project: The Cave » qui nous avait été recommandée fait entendre huit chanteurs exprimant leur premier souvenir musical dans des grottes préhistoriques en Dordogne.
Les sons ont laissé de belles traces sur la toile. Quelque peu maniéré mais intéressant.
Les mille magnifiques paysages de Jean Christophe Norman sont effectués sur les pages de l’ouvrage « Le fleuve sans rives » de Hans Henny Jahnn dont il avait retenu une phrase : « Par mer calme le bateau disparut de la surface de la mer ».
Bel hommage aux livres et respect du thème, originalité du propos : le tour de force est impressionnant.
Des costumes liés par une toile sortiront de la grève 
quand des performeurs se glisseront dedans
comme des bouteilles attendent des exécutants pour un moment musical.
Après Joanna Vasconcelos reine des textiles monumentaux, 
« Le Cactus » de Mona Cara ne retient pas particulièrement l’attention,
pas plus que les oiseaux de Chourouk Hriech   
pourtant de belle taille et soigneusement exécutés.
Les squelettes de « La chariotte des malins » de Clément Courgeon en rouge et blanc convoquent l’enfance.
Un long cylindre de bois ou un plateau mobile peuvent divertir aussi ceux qui feront baisser une moyenne d’âge élevée qui inquiète en général les organisateurs d’évènements culturels.
Les toiles du bien nommé  Edi Dubien, se retiennent
plutôt que l’entre soi  de Ludivine Gonthier, « Portrait de groupe revivifié »
ou les anecdotiques évocations de Tirdad Hashemi et Soufia Erfanian « originaires d’Iran et  exilé·e·s en France pour vivre plus librement leurs identités queer » trouvées au MAC. 
 https://blog-de-guy.blogspot.com/2024/06/musee-dart-contemporain-lyon-2024.html
Lorraine de Sagazan
  dans son « Mont de piété » a mis littéralement aux clous des objets qui ont vécu, dérisoires et évocateurs de vie, de séparation.
Robert Gabris
,« rom et queer », vaut plus par ses réalisations pour nous faire apprécier son univers « This Space Is Too Small For Our Bodies » que par des commentaires tellement attendus: « … développant une critique postcoloniale des structures institutionnelles. Par opposition au système capitaliste et patriarcal, il cherche à inventer des espaces inclusifs, sensibles et ouverts, qui célèbrent la diversité du vivant et la variété des émotions. »
Un petit texte suffit pour accompagner les photographies de trousseaux de clefs de maisons détruites à Gaza présentés par Taysir Batniji pour ramener les drames entre nos murs lisses. Il a aussi par frottis relevé des empreintes de chaussure.
Il faut se déchausser pour entrer dans « The Blue Room » de Grace Ndiritu où un côté tape à l’œil contredit une invitation à la méditation.

mercredi 13 novembre 2024

Good road to follow. Quatuor Béla.

 
L’intitulé de départ: « Les clochards célestes » a changé pour un habituel titre en anglais justifié par l’évocation d’un voyage dans les musiques novatrices venues du Nouveau monde. L’allusion initiale à l’ouvrage de Kérouac exprimait cette recherche d’absolu qu’un des compositeur joué ce dimanche matin, Moon Dog ou le « viking de New York » de son vrai nom, Louis Hardin incarnait parfaitement.
Les trois violonistes et l’expressive violoncelliste tirent les sonorités les plus diverses de leurs instruments sur des partitions inventives, surprenantes, drôles. 
Dans les morceaux choisis aux notes parfois ténues, aux emballements réjouissants, la précision des pizzicati ne contredit pas la fantaisie des propositions. 
Classique, ou d’avant-garde, jazz ou pour cartoon, ce moment musical permet d’avoir une idée de la perfection quand est palpable le plaisir de jouer au bout d’un travail admirable. 
Nous oublions alors, pour un moment,  d’autres énergies humaines consacrées au malheur de leurs semblables.

mardi 12 novembre 2024

Le souffle des femmes. Franck Manguin Cecile Becq.

Plongée dans le monde  des « Ama » (« femme de la mer »)
, qui capturent des ormeaux en apnée. 
« Rappelez-vous ce que les anciennes disaient, si nous pêchons nues c'est pour s'adapter à la nature et lui prendre ce qu'elle peut nous donner. » 
Nous sommes au Japon dans les années soixante quand ces femmes cultivaient les traditions, tout en conservant pudeur des sentiments et affirmation d’une forte personnalité forgée dans la pénibilité de leur profession.
L’arrivée sur l’île de la nièce d’une plongeuse permet de suivre son initiation. 
C’est la fin d’une époque lorsque la ressource se fait rare et que l’isolement, la rudesse du labeur compromettent la transmission de ce savoir-faire.
Le dessin lisse ne traduit guère la difficulté de la tâche bien qu’il rende familières ces étonnantes coutumes. 
Les dialogues dans une langue très contemporaine (« Chuis naze, je vais piquer un petit somme » ) nous éloignent de l’île d’Egura aux coutumes singulières alors que le conflit entre tradition et modernité  concerne tout le monde : 
 «  Tu veux savoir si je suis heureuse d’être Ama ? 
A vrai dire, je me suis jamais posé la question… ! 
Ce que je peux te dire, c’est que c’est dur de vivre de la pêche, ça l’a même toujours  été quoiqu’on en dise…
Mais en même temps je n’ai jamais voulu arrêter… »

lundi 11 novembre 2024

L’histoire de Souleymane. Boris Lojkine.

A l’issue du film, quel spectateur n’accorderait pas ses papiers à l’acteur qui joue le rôle d’un livreur clandestin ?
Nous suivons le jeune Guinéen dans sa course contre le temps entre clients difficiles, patron de restaurant tout puissant, compatriotes quémandeurs ou profiteurs. 
Nous retenons notre souffle dans l’attente d’un entretien d’une grande intensité.
Pas le temps de s’appesantir dans le seul bref moment de détente quand il s’agit de se chambrer avec les ivoiriens pour du foot alors qu’il s’agit de grappiller quelques €uros avant d’attraper le bus de ramassage social vers un toit pour une nuit où il ne trouve même pas le repos. 
La volonté, le calme du héros forcent la sympathie et amènent utilement nos regards vers ceux qui participent à notre confort.
L’acteur travaillant comme mécanicien dans la vraie vie est le plus parisien des parisiens dans la sombre ville lumière, aux rapports humains intraitables, aux rues dangereuses. 
Film violent et doux, fort,  sans que le propos ne soit grossièrement manichéen.

samedi 9 novembre 2024

La symphonie du hasard. Douglas Kennedy.

Illustration de l’épigraphe de Malraux :  
« La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache. » 
Il faut  bien 402 pages pour un premier volume d’une histoire comportant trois tomes, autour d’une famille américaine pendant les années Nixon. 
« Sachant que, derrière toute loyauté familiale, se cache une bonne dose de culpabilité. »
 Au-delà des formules, la façon de typer les personnages du brillant conteur, facilite la lecture.
« Comme le disait mon entraîneur : “Avoir du talent, ça demande du talent.” »
« Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas faire, enseignent » 
A travers toutes sortes de fumées, la narratrice, Alice, au pays des contrastes, parfois naïve porte un regard lucide sur sa condition : 
« Deux parents nés dans l'abondance des années folles, avant la dégringolade vers les épreuves et l'abattement national. Trois enfants nés plus tard, dans la paix et la prospérité du milieu du siècle. Un quintette d'Américains issus des sommets de la classe moyenne ; cinq brillants exemples-chacun à sa manière- du gâchis que tant d'entre nous font de leur vie. » 
La vélocité de l’écriture, dont la décontraction met en valeur la force des personnages,  s’essouffle quelque peu quand apparaissent comme des archétypes par exemple la mère d’origine juive possessive et le père tellement irlandais mêlé de près à l’histoire en train de se faire au Chili au moment de la chute d’Allende, à la façon d’un McEvan.
« Même ceux qui proclament : « Je n’ai pas besoin de vos bandes, de l’approbation de vos cliques, ni de faire partie de votre petit club », même ceux-là, viscéralement attachés à leur condition de loups solitaires, s’avouent parfois dans un élan de lucidité que chacun, à sa manière, n’a qu’un rêve : se sentir appartenir à quelque chose. »

vendredi 8 novembre 2024

Pas beau.

La notion de « beauté » » ne se cantonne pas aux musées, mais l’opprobre que fait naître ce mot, bien au-delà de certains milieux déconstucteurs, enlaidit un peu plus notre présent.
Dans les rues barbouillées aux herbes folles, les silhouettes s’emmaillotent de noir. Quand un brin de peau se dévoile, apparaissent souvent des tatouages grimaçants plus inaltérables que quelques cheveux bleus dont les mamies ont abandonné l'exclusivité. 
« Le sculpteur du futur aime la beauté brisée. » José Artur.
Je rejoins sur le tard un de mes amis qui regrettait que l’on ne s’habille plus pour aller au spectacle. Sans endosser un habit pour escalier d’opéra, comment accompagner le côté exceptionnel d’une soirée ? Dans le domaine vestimentaire, je me confonds avec les murailles et si les sapeurs me réjouissent, les fashion victims me désolent, même si une belle tenue permet de se tenir dans le monde.
Le fluo s’impose sur les routes, mais bien qu'agrémenté de sandales sur chaussettes me parait dispensable au théâtre quand bien même des gravats joncheraient le plateau.
Il ne nous reste plus qu’à regarder dans le rétroviseur pour goûter encore aux élégances.
La séduction, soin de soi et des autres, n’est plus de mise, alors que les jambes de certaines chanteuses en promotion prennent plus la lumière que leurs textes.
Dans mon village d’enfance, les familles attentives à l’avis des autres fleurissent joliment le cimetière. Le conformisme social constitue aussi du lien comme le sentiment de culpabilité que les indifférents voudraient ignorer. Les civilités superficielles appartiennent à la famille du civisme.
La simple politesse devrait revenir pour remplacer le mot « bienveillance » mis à toutes les sauces fadasses.
Elles ne sont pas belles belles, les attitudes peu reluisantes des députés ayant abandonné tout sens commun. Les grossiers les plus épais donnent le ton depuis l’assemblée nationale devenue le temple de la « bordélisation ». Cette image déplaisante de la vie parlementaire déconsidère un système démocratique déjà bien fragilisé.
Quand une proportion importante des habitants notre pays libre ne reconnaît pas le message des suffrages, il y a de quoi s’inquiéter. 
Meloni a été élue, Maduro aussi, Trump réélu, l’extrême populisme n’a même pas besoin de ses nervis ni de truquer les urnes pour progresser de partout.
Des valeurs morales s’affichent encore mais leur reniement les fait disparaître.
On se bouche le nez pour Elisa Martin, Hugo Prevost, pourtant leurs supporters sans odorat continuent à plastronner et déroulent le tapis évidemment rouge à leurs comparses démagogues à l’autre bout du champ.
Le déshonneur est d’autant plus féroce qu’il touche ceux qui ne cessent de vouloir punir les autres. La distance entre vertus publiques et vices privés ajoute du discrédit envers tous ceux qui s’engagent pour le bien public. Confiance, légitimité, autorité se périment vite pour laisser place aux ressentiments, à l’animosité, aux pulsions sans réflexion.
Les grandes gueules qui tapaient sur des casseroles en ont quelques bruyantes à leurs basques. 
Il n’y a pas qu’en Dauphiné que les proclamés héritiers de "l’incorruptible" Robespierre contreviennent à la loi. Comme leurs actes n’ont pas suscité de campagne à l'instar d’un ministre contraint de démissionner pour avoir mis du homard au menu, je reprends les informations concernant le député Andy Kerbrat, surpris lors d’un achat de drogue qu’il faut préciser de synthèse, car pour de l’herbe, il n’y aurait rien de notoire à signaler. Ce fait présenté comme banal  disparaitra derrière un autre, ancien candidat insoumis mis en examen, accusé d'avoir abusé d'une fillette de 4 ans en situation de handicap. 
Tous les LFI ne sont pas des malhonnêtes, comme tous les hommes ne sont pas des violeurs en puissance.
« La beauté intérieure c’est important mais, 
en boîte de nuit, si t’as pas la beauté extérieure, tu bois tout seul ! » 
Michèle Bernier.

jeudi 7 novembre 2024

Art contemporain. 5 artistes, 5 provenances, 5 techniques.

La formule permettant de découvrir des artistes aux regards différents a été reconduite par les amis du musée de Grenoble. 
Les photographies du Newyorkais Gregory Crewdson (62 ans) souvent « Sans titre » mettent en scène avec minutie les solitudes d’une Amérique des banlieues en marge, tout en laissant chacun inventer un scénario.
De la banalité peut naître l’étrange. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2023/09/les-rencontres-photographiques-arles.html
L’intensité des désarrois est saisie par ce fils de psychanalyste laissant deviner des parcelles d’intimité dans ses photographies d’intérieur.
Son studio emploie des équipes conséquentes où les productions doivent beaucoup à l’univers cinématographique de Lynch,
aux ambigüités parfaitement éclairées de Hopper. « Cape Cod Morning ».
Les lavis élémentaires de Marlène Dumas (71 ans) née en Afrique du Sud, 
sont violemment beaux.
« La peintre »
 
« La honte »
 
Elle présente souvent des séries sur des supports fragiles
« Sang mêlé »
« Jésus serein » et quand elle peint sur toile elle en revient à un revival de l’expressionnisme allemand des années 80. 
Subodh Gupta
(60 ans) a commencé par le théâtre avant de devenir plasticien. 
A la monnaie de Paris, il a exposé « Deux vaches à lait »,
et à la Bourse du commerce, « Un dieu très affamé » composé d’ustensiles du quotidien. Préoccupé par les problèmes de l’eau,
il multiple les accumulations de récipients « Ali Baba »,  
et au Bon marché propose « Sangam »  du nom d’un lieu sacré de son pays natal, le Bihar.
Avec «  Ce n’est pas une fontaine » le clin d’œil arty touche aussi à l’essentiel, à l’urgence.
Youri Cansell
(37 ans) signe sous le pseudonyme de Mantra, « Eléphant au Kenya » comme il est d’usage dans le milieu du street art. L’autodidacte lorrain est demandé dans le monde entier. Les couleurs de ses papillons recouvrent plus de 300 murs
 
à Bogota, en Suède, à Saragosse, à Boulogne sur mer.
Le duo néerlandais Ralph Nauta et Lonneke Gordijn forme Studio Drift depuis 2006. Virtuoses des hautes technologies, avec leurs drônes, ils se veulent « chorégraphes du futur », à Venise « Social Sacrifice »,
à Rotterdam « Franchise Freedom » , inspiré par le vol des étourneaux. 
« Tout peut être simulé dans l’animation et la réalité virtuelle, mais nous pensons qu’il est important de créer de vraies expériences que vous pouvez ressentir et voir de vos propres yeux dans le monde réel, pas seulement à travers un écran ».
A la fin du festival « Burning man » dans le désert du Nevada, il ne doit plus rester aucune trace. Devant 80 000 personnes le Studio a multiplié les figures avec 1000 drones.