vendredi 31 mars 2023

Mettre les pendules à l’heure.

Au clocher d’une l’église sensée siéger au centre du village, bouger les aiguilles du cadran de l’horloge signifie symboliquement la volonté de clarifier les enjeux, de se ressaisir.
Mais pratiquement avancer ou reculer d’une heure ne dépend plus de nous, ordis et fours obéissent à des ordres hors de portée de mains.
L’expression : « remonté comme un coucou suisse » n’évoquera plus grand-chose et les interrogations concernant la course du soleil ne sont plus de saison.
Au-delà du geste ténu envers une montre bientôt aussi obsolète que l’oignon de mon grand-père, lire l’heure en comptant « moins dix » plutôt que «  cinquante » permettait de mieux envisager le temps qui passe.
Par ailleurs, dès la maternelle, jouer à la marchande avant de savoir rendre la monnaie ou peser avec des poids, faisait partie des jeux menant vers la fonction « compter » qui allait avec « lire » et « écrire » au fronton des écoles. On mesurait le prix des choses.
Il est plus courant désormais de voir les petits mimer des dialogues lointains en ignorant l’interlocuteur présent en face d’eux. Les élèves se dispensant de retenir les tables de multiplication étaient les précurseurs de ceux qui ne savent plus compter à l’heure des calculettes.
Il est des américains-ils en sont revenus semble-t-il- qui ont envisagé d’abandonner l’écriture puisque des claviers sont à disposition.
Ils n’ont  pas attendu d’avoir perdu la main s’appliquant à former les lettres pour perdre leur tête. Le niveau ayant baissé, baissera encore, à mesure que l'intelligence artificielle progressera.
Les performances des GPS n’obligent plus à savoir lire une carte mais ne dispensent pas de savoir où on habite.
Philippe Mérieux ne mésestime pas les performances techniques du ChatGPT ni ses séductions, mais dans un article convaincant du «Monde » estime 
« que le robot abolit la dynamique du questionnement et de l’apprentissage. » 
Nous nous rebiffons contre les ordinateurs, grands ordonnateurs, déshumanisants, tout en appelant à plus de sagesse, de rationalité alors que notre fragilité s’abime dans le catastrophisme et le manichéisme. Quand l’apocalypse nucléaire est brandie à nos frontières, les préventions contre la science peuvent se confirmer et aller vers les délires d’une terre plate d’avant les vaccinations. 
De nobles sentiments amplifiaient nos fantasmes romantiques de jadis, ils perdurent parfois jusqu’à des âges avancés et frisent le pathétique avec les désirs pris pour la réalité. On en viendrait à souhaiter des algorithmes pour abolir délires et haines. Mais plus ça va, plus les nuances deviennent obsolètes.
Heureusement dans l’excellent « Franc-Tireur » Raphaël Enthoven revient à Victor Hugo : 
« Quelquefois le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple. » 
Et  j’aurai bien ajouté, dans un article récent où je m’interrogeais sur « les durs de la feuille », cette phrase prise dans un développement qui distingue le peuple et « la foule qui croit défendre la démocratie chaque fois qu’elle agresse un de ses représentant. Et comme elle n’entend que son propre vacarme, la foule est persuadée qu’on est sourd chaque fois qu’on ne lui répond pas. » 
S’il est des riches formules comme celle-ci pêchée je ne sais plus où  
« la retraite peut être vécue comme l’été indien de la vie »
quelques commentateurs rigolos ou pas, ajoutent parfois leur courte-vue à une certaine paresse. Le Président de la République est infiniment plus critiqué que le président du national rassemblement et je n’arrive pas à trouver d’analyse contredisant la fatalité d’une victoire annoncée de l’extrême droite. 
Étrange démocratie où les sondages effaceraient les votes : des élus mal élus ne cessent de remettre en cause la légitimité d’autres élus et ont oublié ce qu’est l’humanisme lorsqu’ils promettent la poubelle à leurs adversaires… voire la guillotine !
La violence de l’extrême gauche profite à la droite extrême et les deux s’excitent quand les flammes prennent. Quel parti avait la flamme comme symbole ? 

jeudi 30 mars 2023

Peintres académiques au XIX° siècle. Eric Mathieu.

Qui redoute le catalogue de la saison des amis du musée de Grenoble quand «  La naissance de Vénus » d’Adolphe Bouguereau annonce une deuxième conférence à propos du triomphe de l’art académique alors que la guerre (des pinceaux) n’a pas eu lieu ?
Le conférencier, ayant été interrompu par une alerte incendie vers la fin de sa précédente intervention concernant les peintres « pompiers », a complété son propos avec deux tableaux de deux régionaux grands prix de Rome. 
« Thésée reconnu par son père »
d’Hyppolyte Flandrin, le lyonnais, où le père brise le sort lancé par Médée, accrochait le goût d’un public qui pouvait faire valoir sa culture de la même façon que de nos jours nous voyons les péplums faisant revivre d’antiques épopées.
« La coupe de Joseph retrouvée dans le sac de Benjamin »
  valut le prix de Rome au cousin de Stendhal, Ernest Hébert, le Tronchois, en 1839 avant son séjour de 5 ans à la villa Médicis à Rome dont Jean-Auguste-Dominique Ingres était le directeur.
Celui-ci était l’auteur de « Thétis suppliant Jupiter », la nymphe avait dépassé la frontière entre l’eau et le ciel sous l’œil de Vénus (Junon). Elle tente de résoudre le conflit entre son fils  Achille et Agamemnon. Elle a le bras long et  le cou étiré.
« Le Vœu de Louis XIII »
réunit la lumière italienne émanant de la Vierge et l’éclairage plus matérialiste réputé français au moment où le culte marial est remis au goût du jour. 
Représentant de l’école classique, il sera décoré tout comme son rival Eugène Delacroix, le romantique, auteur des « Scènes des massacres de Scio : familles grecques attendant la mort ou l'esclavage » avec des victimes épuisées loin de l’héroïsme antique.
« Aucun tableau ne révèle mieux à mon avis l’avenir d’un grand peintre, que celui de M. Delacroix, représentant le « Dante et Virgile aux enfers ». C’est là surtout qu’on peut remarquer ce jet de talent, cet élan de la supériorité naissante qui ranime les espérances un peu découragées par le mérite trop modéré de tout le reste. »
Adolphe Thiers était critique d’art.
« Le Christ sur la mer de Galilée » de Delacroix, protégé de Talleyrand, va vers le sublime dans la tradition anglo-germanique, quand la foi sauve l’homme affronté à la nature.
Édouard Dantan
 « Un coin du salon en 1880 »
Les salons d’exposition des peintures ont souvent déménagé tant les œuvres présentées passant de 324 à 7889 se multiplièrent entre 1785 et 1889, gardant la dénomination «  salon »  même après avoir quitté le Louvre 
pour le palais de l’Industrie, après celui des Tuileries et le palais Royal.
 
« Le Salon de 1787 au Louvre » Pietro Antonio Martini.
« Séance du Jury de peinture des artistes français »
Henri Gervex. Les soupçons de partialité, avec guerre ouverte entre professeurs, dans cette « grande maison close » d’après Baudelaire, prendront fin avec la III°République après que Napoléon III eut favorisé la tenue du fameux salon des refusés de 1863.
« Le Déjeuner sur l'herbe »
Edouard Manet : le scandale est plutôt recherché.
Alors que s’enrichit l’éducation populaire avec Jean Antoine Laurent « Gutenberg inventant l'imprimerie », au Musée de Grenoble, qui donne un visage empourpré d’émotion à l’inventeur assis au bord de sa chaise, au moment décisif.
« Cromwell regardant le cadavre de Charles Ier 
» par Paul Delaroche a appelé de fins commentaires politiques, mais pour la forme on aimera retenir :  
« Il ouvre le cercueil comme on ouvre une tabatière ». 
Son élève, Jean-Léon Gérôme et  ses « Jeunes Grecs faisant battre des coqs » revient en Grèce dans une scène familière aux références archéologiques et non plus mythologiques.
«
 Le Duel après le bal masqué »
entre un député et un futur préfet de police s’inspire de l’actualité d'alors.
Couvert d’honneurs de son vivant le minutieux Ernest Meissonier,  
« 1814, la Campagne de France », « peignait grandement en petit ».
Alexandre Cabanel est aussi puissant avec «  L'Ange déchu » que séduisant avec les chairs nacrées de « La Naissance de Vénus » dont Théophile Gautier, disait :
« 
Ce qu'on admire ici, c'est l'élégance des formes, la correction du dessin, la finesse et la fraîcheur du coloris.
C'est moins nature que « La Perle et la vague » de
Paul Baudry; mais c'est plus purement, plus poétiquement beau

mercredi 29 mars 2023

Saintes.

A 9h sonnante, nous quittons Angoulême et passons par Ruelle devant les fonderies, nous continuons sur une route quasi déserte en pleine période d’exode estivale jusqu’à JARNAC.
Sans l’aide du GPS, il est difficile de dénicher le cimetière qu’aucun panneau n’indique. Pourtant, il doit sa renommée à la présence de la sépulture du président F. Mitterrand. A l’entrée une simple et discrète flèche en bois dirige les gens qui souhaitent se recueillir devant sa tombe. Le caveau, sous forme d’un petit édifice avec murs et toit, ne diffère pas de ses voisins. Il n’affiche pas le nom de Mitterrand mais celui  de Lorrain. A l’intérieur, seule  une plaque commémorative au milieu  de fausses fleurs fanées porte son nom et ses dates de naissance et de mort, elle confirme la présence de sa dépouille. Par contre, nulle part ne figure la moindre allusion à ses fonctions, sa célébrité ou ses titres. Le monument, somme toute très modeste, semble peu entretenu à part deux rosiers encadrant l’entrée à l’extérieur.Nous gagnons le centre-ville en voiture, et découvrons une charmante petite  ville, des ruelles étroites bordées de bâtiments en pierres blanches d’un ou deux étages.
Au café animé sur la place, appelé "Le domino", les hommes parlent fort comme dans les Sud et se saluent « salut président! », ils sont fiers de l’enfant du pays, dont le buste en bronze illustre discrètement la place.
Nous avions remarqué, déjà avant d’arriver à Jarnac, l’abondance de vignes destinées à la fabrication de  Cognac et de Pineau.
Courvoisier,  l’une des  maisons  les plus célèbres, propose par affichage en plein air des visites de ses installations. Tout près du cimetière aussi, un autre producteur  exploite ces produits du terroir, et nous avons pu observer de près les façades noircies par les émanations d’alcool.
Lorsque nous reprenons la voiture, le paysage se résume quasiment  à des vignes s’étendant à perte de vue jusqu’à COGNAC.
Nous faisons étape dans cette jolie commune prospère, égayée par des de compositions florales suspendues au-dessus des rues piétonnes.
Lors de notre promenade, nous tombons sur deux bancs modernes en métal volontairement rouillé avec les traces de mains et de pieds de musiciens venus participer au festival de blues. Nous débouchons sur les halles couvertes et à structure métallique dans lesquelles, bien qu’il soit dimanche, des étals d’ostréiculteurs vendent leurs huitres à consommer sur place tandis que le stand de dégustation du viticulteur ne désemplit pas.
Plus loin, l’église ouvre ses portes sur la rue : de là  nous parviennent  la voix grave et belle du meneur de chant  et celles des fidèles nombreux, actifs, qui répliquent sans retenue, preuve inattendue d’une religion bien vivante. En continuant notre cheminement, nous trouvons les propriétés et châteaux ostentatoires des marques célèbres Martell et Monnet et leur invitation à visiter leurs entreprises.Nous passerons outre pour continuer notre route vers SAINTES.
La ville est nous semble plus importante que Cognac, peut être aussi à cause du gros marché fréquenté qui s’y déroule en ce jour.
Nous garons la voiture à proximité, continuons à pied vers la Charente  surmontée d’un pont où s’élève la statue de Bernard Palissy. Il nous permet d’accéder à la vieille ville constituée de maisons en pierres blanches le long de ruelles étroites. Une église accueille tellement de fidèles que quelques- uns doivent prier à l’extérieur, certains avec ferveur et genoux à terre.
Nous nous glissons le plus discrètement possible et trouvons la montée piétonne bien indiquée menant jusqu’à l’amphithéâtre antique.
Le monument malheureusement comme beaucoup d’autres, fut dépouillé de ses pierres dès le moyen âge, pour servir à d’autres constructions plus nécessaires  à l’époque. Au XIX° siècle, ce site en ruine plut aux romantiques et devint une promenade tout à fait dans l’esprit de ce courant artistique. Aujourd’hui, des travaux tentent de préserver ces vestiges. Nous pénétrons dans une maison abritant la billetterie,  où deux affiches placées au-dessus d’une maquette instruisent avec une pédagogie simple sur les pratiques du lieu :
- nous apprenons ainsi que les Etrusques à l’origine des jeux les pratiquaient comme  rites funéraires, et que les Romains les adaptèrent ensuite pour le divertissement, pour le plaisir, se repaissant de leur parfois très grande  violence.
- Autre découverte, il existait des femmes gladiateurs, comme aujourd’hui des footballeuses ou des rugbywomen.
- Ces spectacles connaissaient un grand succès populaire, justifiaient des paris, pouvaient durer toute la journée et à midi, heure du repas, les condamnés à mort étaient livrés aux bêtes ou exécutés. 
Nous déambulons dans le site en travaux, l’herbe et la terre recouvrent la surface de l’amphithéâtre dont subsiste la forme de base.
La rénovation s’applique à quelques gradins remontés et à la grande porte, la sortie des vivants, sous échafaudages. Face à elle, la sortie des morts sombre et fraîche  se présente comme une grotte voutée  avec encore ses parois en pierres travaillées.
N’ayant pas le temps de visiter l’église saint Eutrope près des ruines,  pourtant recommandé pour ses richesses et curiosités romanes (crypte), nous redescendons rapidement  vers l’église Saint Pierre et la mairie à la recherche d’un restau.
Le repaire des artistes 15 rue Désiles retient notre attention car sa carte propose des plats charentais : notre choix se porte sur  des mogettes/ confit de canard,
et sur un parmentier de cagouilles, cuisinés et servis par trois filles fort sympathiques. 
Leur local héberge aussi une  galerie nommée la galerie Instant Art.
Nous digérons en douceur en nous promenant sur les rives de la Charente, à la rencontre de l’Arc de Germanicus et du musée lapidaire logé dans un ancien abattoir.
Tous deux règnent au milieu de « Saintes Plage », dans un décor de sable et dunettes, des pots de graminées  enfoncés dans de petits monticules, d’arbres exotiques, palmiers, brumisateurs, de transats et sièges en bois.
L’ensemble s’harmonise parfaitement et offre un dépaysement agréable très réussi.
Nous quittons la ville de Rocheteau et Guillautin, ville étape appréciée sur notre route de ROYAN

mardi 28 mars 2023

Autopsie d’un imposteur. Thomas Campi Vincent Zabus.

Le titre promet d’aller dans la machinerie de l’ascenseur social, dans l’intimité d'un transfuge de classe. 
Hélas !  Bien peu de nuances, de surprises. Dans les années 50, un étudiant en droit porte sur lui l’odeur de la pauvreté et sa voisine d’en face, prostituée ne le fait pas payer. Elle l’entrainera dans des réseaux qui vont lui permettre de payer ses dettes.
Le maquereau cite Shakespeare : 
« Le temps est le souverain des hommes
car il est leur créateur, comme il est leur tombeau
et il leur octroie ce qu’il veut non ce qu’ils demandent. » 
Malgré quelques cadavres, le dialogue entre un narrateur et le personnage principal, attrait principal de ces 78 pages, donne à cet album une dominante ironique à défaut d’être subtile.
Les dessins agréables facilitent la lecture de ce destin sans surprise, où les masques collent à la peau quand les apparences structurent la société bruxelloise d’avant l’exposition universelle.

lundi 27 mars 2023

Le retour des hirondelles. Li Ruijun.

En Chine, un homme et une femme après un mariage arrangé se construisent un destin commun. 
Seul un âne les aide dans leurs travaux mais par exemple les images du blé vanné comme au moyen-âge n’insistent pas dans le pittoresque. 
La poésie des saisons prometteuses est bien là dans une atmosphère paisible bien que la misère la plus mordante soit aggravée par des personnages sans scrupules.
Mais les deux héros déshérités sont d’une telle intégrité que la maison qu’ils construisent brique à brique, œuvre d’une vie, semble un palais où un œuf est un trésor et l’empreinte de cinq grains de blé, un bijou d’amour pour l’éternité.
Même si certaines scènes sont parfois insistantes, ce voyage aux confins de la mondialisation, par ailleurs titré «Return to Dust», constitue un beau témoignage de dignité humaine.

dimanche 26 mars 2023

Un soir de gala. Vincent Dedienne.

Merci jeune homme pour ce moment suspendu au dessus des criailleries, des petitesses pour ce moment de tendresse où se rappellent les douceurs de l’enfance et la sagesse de la vieillesse. 
Rire de tout à en pleurer, entre chagrin et aigreur : « chagreur ».
La chanson d’Aznavour chantée par une autre nous poursuit : 
« Lorsque l'on tient
Entre ses mains
Cette richesse
Avoir vingt ans, des lendemains
Pleins de promesses
Quand l'amour sur nous se penche
Pour nous offrir ses nuits blanches
Lorsque l'on voit
Loin devant soi
Rire la vie
Brodée d'espoir, riche de joie
Et de folie
II faut boire jusqu'à l'ivresse
Sa jeunesse »
 
Le comédien est virtuose lorsqu’il nuance Stendhal :  
« Au bout de chaque rue une montagne »  
adaptant son spectacle au lieu, sans démagogie, dans un sourire, des centaines de sourires. Tous les personnages évoqués dont on aime se rappeler à la sortie pour prolonger le plaisir : le journaliste speedé, la vedette pontifiante plaçant ses produits, l’organisateur de voyages, la chorégraphe, la maîtresse de maison et sa bonne, l’animateur en EHPAD, le vieux qui court les enterrements de stars, discours de mariage et d’incinération… sont drôles, poétiques, justes et absurdes. 
Les transitions sous forme de confidences installent d’emblée une complicité où « l’humoriste efféminé qui fait croire qu’il a besoin d’un piano » peut tout se permettre tant son humour gentil nous répare de toutes les abaissements habituels.
Un seul en scène toujours aussi bon.
 

samedi 25 mars 2023

Entendre.

Le temps de l’écriture joue avec le temps et suspend sa plume pour caractériser l’humeur d’un instant, au risque de paraître hors de propos à la relecture, ne serait-ce qu’une semaine après.
Cette position en retrait, en retraite, permet de jouer avec les mots, espérant faire coller la juste expression à une réalité fuyante, sous pression.
Quoique, à force de se regarder pédaler, de se saouler d’informations, de couac en clash, la tentation est grande de se soustraire. 
«Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ; tous les mensonges sont bons à entendre. » Antoine de Rivarol
Les cris effraient et les accusations réciproques de ne pas entendre, l'Europe d'un côté, Français en selfie de l'autre, met en évidence un enfermement  de chacun dans sa tour où on aime grimper au moindre bruit : bras d’honneur et insultes. 
« Il n’est pire sourd… »
Les manifestants scandent :  « on lâche rien » en exigeant que le gouvernement lâche plus.
Les débats s’éloignent du champ politique et économique pour jouer sur l'intimité des personnes et juger des intentions en les traitant de pervers voire d’assassins.
La méprisante Rousseau gémit de se sentir méprisée.
Mais persister dans ce registre, «du celui qui dit qui est», ce serait se complaire dans la marmite déjà bien remplie des victimisés.
Je ne fais pas à Ruffin et Bardella le procès de l’aveuglement, il s’agit d’une stratégie que je caractériserais de populiste, bien que le terme ait disparu ou presque.Tout profiterait à l’extrême droite comme le disent certains commentateurs se dispensant d’en analyser les causes. Ceux ci n’ont anticipé ni les gilets jaunes ni la montée de la droite extrême observée dans le monde entier. Ils ne veulent pas voir que cette victoire annoncée comme fatale pointe son groin quand par contraste les héritiers de Le Pen jouent le légalisme sans proposition aux côté d'une concurrence éructante. Cravates le jour et nuits aux flambeaux. 
La haine de l’autre a commencé par la haine de soi quand par exemple, à la question Facebook : « qui devrait disparaître de la surface de la planète ? » Certains qui se pensent humanistes ont répondu : l’homme !
Ceux qui se dispensent de voter et jouissent devant les caméras en mettant le feu à des palettes, de qui font-ils le jeu ? Ces jeunes là, ne font que porter à l’incandescence le mépris du bien commun, depuis les soupes éclaboussant Van Gogh jusqu’aux saccages de mairies ou de permanences parlementaires. 
Dans quelle société sommes- nous quand les représentants du peuple doivent être sous protection policière ?
Dans la plupart des journaux médiapartisés que je m’obstine à lire encore : face à dix sociologues pour qui la violence policière est systémique, seul un entrefilet signalera le nombre de membres des forces de l’ordre blessés.
Au moment où la poussière prend la place des flots dans le lit de la rivière, il est trop tard : l’assèchement vient d’amont et d’avant, quand de surcroit le beau temps de la pluie n’est pas venu. Des civilisations savaient-elles au moment où elles s’écroulaient, qu’elles s’écroulaient ?
Pour ces poubelles mises en feu, on avait appris à trier papiers et cartons. Et nos prêches civiques avaient pris du temps sur les analyses grammaticales. Quand nous insistions sur les dangers du nazisme, nous ne savions pas que déjà la parole de l’école n’était plus magistrale et que même ça excitait quelque collectionneur de croix. Alors que le récit des cocardes devant les moulins de Valmy, où se fit la nation, passaient par-dessus bien des têtes, je veux croire encore qu’un parfum de la passion de transmettre a pu effleurer quelques têtes qui savaient ce qu’étaient le printemps et les promesses d’un bel avenir. 
Au refrain : et maintenant plus grand monde veut enseigner, prêcher, soigner, conduire, bâtir pour son prochain.
N’y a-t-il plus que désert, épidémies, guerre, à déplorer chez les vieux pomponnés et les fragiles jeunes cocoonés?
« Lorsqu'on commence à s'expliquer, c'est qu'on a fini de s'entendre. »
Berthe Hamelin-Rousseau, une canadienne. 

vendredi 24 mars 2023

Zadig .N° 15. Automne 2022.

La question essentielle: « Que demande le peuple ? » en première page de ma revue trimestrielle préférée 
ne suscite pas des éclaircissements décisifs en dehors des demandes rituelles de participation à la vie démocratique, démenties par des taux d’abstention élevés.
Peut-on oser répondre : « Le peuple désire la paix et la tranquillité » ? 
Ce serait aller contre l’idée que se font bien des journalistes ne voyant essentiellement que des masses misérables toujours au bord de la révolte, depuis qu’ils n’ont pas vu venir les gilets jaunes.
Finalement c’est en marge de ce dossier de 60 pages que certains témoignages m’ont paru plus porteurs de sens.
Les gars qui « tiennent les murs » dans une cité de Strasbourg, objets d’une autre enquête, m’ont paru représentatifs de la passivité ambiante qui ne sait que nourrir les récriminations : 
«  Leur truc de réinsertion ça ne sert à rien, wallah ! Moi j’ai passé le Caces (permis pour conduire des engins de manutention) en détention… la vie de ma mère ! Je ne m’en suis jamais servi. C’est juste pour les remises de peine qu’on y va. »
Le contre-champ optimiste est offert par les carnets dessinés de Mathieu Sapin décrivant la journée très chargée du maire admirable de Clichy sous Bois ou par l’accompagnement de bénévoles du Secours catholique venant en aide aux migrants à Calais.
La photographe qui a suivi une jeune boxeuse du côté de Roubaix rend bien l’énergie de l’adolescente et celui qui a créé un site permettant aux aveugles de circuler dans le métro sans aide extérieure est étonnant. 
Amélie Nothomb, lors d’un entretien approfondi, livre des réflexions intéressantes sur notre pays : sa complexité administrative et notre culte du conflit, 
alors que Leïla Slimani revient sur le racisme. 
Les paroles d’Abd Al Malick me semblent tellement banalement conformes à l’air du temps que je comprends son succès, sans l'apprécier,
par contre est passionnante la vie du mécène Albert Kahn qui a financé  au début du XX° siècle des photographes afin de constituer « Les archives de la planète » en couleurs. Jaenada raconte quelques histoires incroyables 
et Benacquista son déménagement. 
Un portfolio essaye de saisir l’image d’un loup dans le Massif Central 
et le récit de la mort d’un ancien photographe spécialisé dans le flamenco nous glace : il est resté allongé sur le trottoir à Paris, rue de Turbigo, pendant 9 heures avant qu’une SDF appelle les secours, trop tard.
La page consacrée à l’étymologie des mots explique la filiation entre « grammaire », « grimoire » et « glamour ». 

jeudi 23 mars 2023

Peinture académique au XIX° siècle. Eric Mathieu.

« Paolo et Francesca »
d’Auguste-Dominique Ingres figurait dans le catalogue des Amis du Musée  de Grenoble pour annoncer la conférence. Cette œuvre caractéristique de la peinture « Troubadour » illustrait un épisode de l’Enfer dans la Divine Comédie de Dante : 
« Nous lisions un jour, dans un doux loisir, comment l’amour vainquit Lancelot. J’étais seule avec mon amant, et nous étions sans défiance : plus d’une fois nos visages pâlirent et nos yeux troublés se rencontrèrent ; mais un seul instant nous perdit tous deux. Lorsqu’enfin l’heureux Lancelot cueille le baiser désiré alors celui qui ne me sera plus ravi colla sur ma bouche ses lèvres tremblantes et nous laissâmes s’échapper ce livre par qui nous fut révélé le mystère d’amour. » 
Le plafond de l’Opéra « Le triomphe de la beauté, charmée par la musique, au milieu des heures du jour et de la nuit » de Jules-Eugène Lenepveu disparut du temps de Malraux sous la fresque de Chagall.
Nous mesurons la relativité de la notoriété des artistes académiques dit « pompiers », très célèbres dans leur siècle qui pouvaient vendre leurs tableaux 400 fois plus chers qu’un Monnet. 
Léonidas aux Thermopyles de Jacques-Louis David  aurait inspiré une réplique comique :  « Ah ! c'te bêtise ! Ils se battent tout nus !… Ah ! Non ; ils ont des casques… c'est peut-être des pompiers qui se couchent… » 
Manet reconnaissait la supériorité de Cabanel issu de l’école des Beaux arts, créatrice de créateurs et surtout performante pour former les meilleurs artistes officiels qui allaient célébrer les institutions nationales sous les rois, les empereurs, et les Républiques, ils animaient les salons et décoraient les églises. « La cour vitrée du Palais des Études »
Fille de l’académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648, suspendue en 1792, l’école des Beaux arts reprend ses activités en 1793 au cœur du quartier Saint Germain dans un ensemble de bâtiments autour de la chapelle du couvent des petits augustins.
Elle réunit peinture, sculpture et architecture.
Les deux bustes de Nicolas Poussin et de Pierre Puget encadrent l’entrée de l’école.
« Arrivée du nouveau »
Alexis Lemaistre. Les élèves de toutes conditions et de toutes provenances devaient être recommandés, une sélection sévère assurait une certaine égalité à laquelle n’accédaient pas les femmes. Cézanne n’était même pas parvenu à la position d’aspirant.
Les peintres académiques viennent … de l’académie,  formés à la peinture d’histoire, de nus (masculins), dans l’imitation des anciens avec primauté du dessin, ils ont suivi des cours d’anatomie et de trigonométrie (perspective). Les professeurs se relayaient pour conseiller les élèves inscrits par ailleurs dans des ateliers en ville.
« La mélancolie »
de Léon François Bénouville a « les yeux dans la graisse de beans » selon l’expression québécoise pour le concours d’ « expression de tête » dont les modèles devaient être pris « dans l’âge de la jeunesse ».
Remporter le concours de la « Demi-figure peinte » rapportait 300 F, ainsi celle du célèbre Bouguereau qui gagnait tous les prix.
Il lui fallait une solide culture pour réussir à interpréter le sujet imposé du prix de Rome : « Zénobie retrouvée par les bergers sur les bords de l'Araxe », récompense suprême, après avoir passé 12 h en loge pour une esquisse envers laquelle devait être fidèle la toile nécessitant 72 h d’exécution au format de 1,13 X 1,46, exposée au public, aux journalistes puis au jury.
Eugène Delacroix ne put obtenir le prix de Rome, alors que Thomas Couture s’y repris sept années de suite avant d’obtenir un deuxième prix. « Romains de la décadence »
Jacques Louis David tenta de se suicider après un échec, mais le médecin « Érasistrate découvrant la cause de la maladie d’Antiochius » amoureux de sa belle-mère, le sauva, lui aussi.
Les monômes suivant les concours étaient spectaculaires.
« 1889 : monôme des étudiants en architecture des Beaux-Arts sortant de loges, dans la Cour d'Honneur de l'École »
Le concours de paysage historique se déroulait tous les quatre ans, et les critiques étaient pointilleux en se demandant « pourquoi Dieu avait attendu toute la nuit » pour « Adam et Eve chassés du paradis terrestre » de Félix-Hippolyte Lanoüe, mais entre les académiques et les refusés triomphant au XX° siècle, n’y aurait-il pas « que des avantages à substituer à un jugement global de réprobation, héritage des vieilles batailles, une curiosité tranquille et objective. » ? A. Chastel