Les mots de Mauriac, exhumés au moment de la disparition de celle qui mis en valeur tant de grands auteurs, rendent bien fade toute autre
appréciation :
« Gréco, ce beau
poisson maigre et noir, n’a pas besoin de sauce pour passer. Gréco fournit
elle-même les câpres ! Noire et blanche, c’est la reine de la nuit. Son
personnage est composé avec une science qui ne doit rien au hasard. Qu’elle est
belle ! Et peut-être était-elle laide au départ. C’est une statue d’ivoire et
de jais. Même les pommettes, on dirait qu’elle les a elle-même modelées. Beaucoup
de chanteuses sont interchangeables. Gréco est le chef-d’œuvre unique de Gréco.
Elle ne sera jamais prise pour une autre et aucune ne pourra jamais l’imiter. »
Et moi qui croyais qu’on ne voyait que Sartre dans les caves
de Saint-Germain-des-Prés, je goûte l’ironie de la conclusion de l’article du « Monde »
extrait du Bloc Notes de celui qui fut un pilier du « Figaro ».
Dans notre mémoire, le Saint-Germain-des-Prés d’antan est
plus présent que l’actuel et si j’ai connu davantage de prés à vaches que La Rhumerie
et autre Magot, j’ai plus de tendresses pour le pont des Arts que pour celui de
Catane. La réalité virtuelle avec ses apprêts a bien des attraits, même si comme
disait Béart: « Il n’y a plus d’après… ».
Ce quartier chic du 6° arrondissement nous appartient comme
Versailles ou « la grande route de Marchiennes à Montsou » * mais je
ne sais dire à la manière d’une jeune chroniqueuse télé: « La » Gréco,
comme si elle était une familière de l’artiste
et de cette époque. J’avais trouvé ce bref hommage entre deux brèves enjouées aussi prévisible
que les RIP (Requiescat In Pace) expéditifs des réseaux sociaux.
La « dame en noir » - il y en avait d’autres- Piaf
et Barbara, était suffisamment appliquée, jusqu’à en apparaître mécanique à la
manière d’un Montand toujours très professionnel.
Mais l’insistance sur le trac qui l’accompagnait à tout coup
parle plus de notre époque burnoutée que de l’angoisse qui accompagne naturellement
ceux qui veulent satisfaire leur public, soucieux simplement de bien faire leur
boulot.
Sa liaison avec Miles Davis a
été plus commentée que la pérennité d’autres relations, entrant dans les
thématiques à la mode, alors qu’elle avait, elle, dérogé courageusement aux
usages d’alors.
On a moins parlé de l’hôtel Lutécia où l'interprète de "Sous le ciel de Paris" donnait ses
rendez-vous depuis qu'elle avait retrouvé, là, sa mère et sa sœur après leur libération
du camp de Ravensbrück.
Les retours vers le passé n’échappent pas aux effets de l’actualité,
aux manières actuelles, aux évolutions de nos sensibilités.
Si dans ma
jeunesse, « J’arrive » de Brel ne me plaisait guère, alors que
j’adulais le fort en gueule, le rappel que Gréco la chanta, rendent ces paroles adaptées aux circonstances.
« De
chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les hommes pleurent, les femmes pleuvent
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois traîner mes os
Jusqu'au soleil jusqu'à l'été
Jusqu'au printemps, jusqu'à demain
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois voir si le fleuve
Est encore fleuve, voir si le port
Est encore port, m'y voir encore
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant
Pourquoi déjà et où aller?
J'arrive bien sûr, j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver?
De chrysanthèmes en
chrysanthèmes
A chaque fois plus solitaire
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois surnuméraire
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bien
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui es en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver? »
………………..
* au début de Germinal : « Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité
et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de
Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les
champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il
n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de
mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues
de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé
se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des
ténèbres. »