vendredi 30 novembre 2012

Domination et émancipation.



Le rendez-vous proposé par la villa Gillet, décentralisé à la MC2, portait comme sous-titre : « pour un renouveau de la critique sociale ».
Volontiers disponible pour ce genre de débats type forum de Libé ou de « La République des idées », j’en étais à regretter des approches plus journalistiques, plus percutantes. Je suis moins familier des manières universitaires.
Philippe Corcuff pourtant engagé dans les mouvements sociaux, est resté trop souvent le nez dans ses textes ainsi que Luc Boltanski sociologue et Nancy Fraser philosophe.
Quand Boltanski demande que la sociologie dépasse son rôle d’expertise et renouvelle son langage, il illustre cette remarque par  sa propre prestation, trop guindée, surtout au début.
« Ne parvenant à modifier la réalité ni vers le bas, ni vers le haut, la critique est devenue un genre littéraire parmi d’autres et même une sorte de discipline universitaire »
Les temps sont à la déploration mais la répétition des constats est stérile.
Oui, « l’asymétrie des revenus » entraine l’obéissance et  certes, l’autonomie permettrait de s’arracher aux dominations.
Mais que de difficultés à exprimer les régressions présentes où les victimes des inégalités sont jugées comme des coupables !
 « Le néo libéralisme et l’état-nation en interaction sont au faite de leur puissance et profondément en crise. »
Les positionnements des acteurs politiques se situent autour du libéralisme qui en oublient les critiques vis-à-vis de l’état.
A la tribune leur ancrage libertaire leur interdit de jeter l’émancipation avec les eaux usées du libéralisme.
 « Parce qu’il pousse de plus en plus férocement à marchandiser la nature et la reproduction sociale, le néolibéralisme érode les bases mêmes sur lesquelles repose le capitalisme »
Boltanski caricature des féministes, des « laïcards » qui se retrouvent avec les xénophobes  en se polarisant contre le voile qui serait même la « cause du déséquilibre de la balance des paiements !» Tous des néo cons’. 
Par contre sa vision des « responsables » qui « sont en charge de tout, mais responsable de rien » rejoint le bon sens populaire. Et  les alternatifs qui espéraient en un grand soir sont également bien passifs.
De l’auditorium bien rempli, vint la remarque que l’état providence apporte d’abord ses aides aux banquiers ; alors, nous sortons des généralités.
Et quand l’animateur finit sur le mot  magique qui réunit pratique et théorie : « praxis »,  après avoir insisté sur le verbe émanciper qui ne peut  prendre réalité que sous sa forme pronominale : s’émanciper, là je le suis.
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jeudi 29 novembre 2012

Philippe Cognée au musée de Grenoble.



Au risque de taquiner le professeur Brunet, notre guide, je n’hésite pas, dès qu’il y a occasion à jeu de mots : « pour la mort de la peinture, avec Cognée vous repasserez ! »
En effet la révélation des œuvres du quinquagénaire natif de Nantes s’effectue après l’application d’un fer à repasser sur un plastique sous lequel les couleurs vont fondre, le fusain s’écraser, donner des effets d’arrachement, de brouillage qui enrichissent la variété des textures.
Les commentaires sur l’art contemporain se contentent parfois de décrire seulement les matériaux, les formats : le plus émouvant des portraits n’est plus qu’une couche d’acrylique.
Cependant c’est intéressant de savoir qu’une certaine utilisation des pigments, des cires, n’est pas étrangère aux séjours en Afrique de l’artiste  qui expose une centaine d‘œuvres jusqu’au 3 février 2013.
Les tableaux dans la série des carcasses qui occupent une salle entière du musée de la place Lavalette sont du même format que Le bœuf écorché de Rembrandt. Cette information illustre la tendance de l’art d’aujourd’hui à se référer au passé avec par ailleurs des retours aux origines du côté de Courbet, Richter.
Le blanc domine et participe à une dématérialisation qui n’aboutit pas à la disparition de la représentation, celle-ci  transfigure le réel, nous interroge et nous séduit.
Les vanités de Cognée, ses têtes de morts aux couleurs flashy ont des allures de papier peint,  mais les références joyeuses au Mexique disparaissent sous nos souvenirs de charniers.
Son regard sur les grands ensembles, les super marchés déserts, les routes vides, ses recherches avec Google Earth nous intéressent, la géométrie a du beau.
Sa Médina est animée,  et il avait aimé le brouhaha qui entourait  la vaste toile au moment de son accrochage au « Bon marché ».
Ce n’est qu’après avoir pris le temps de se mettre  en face d’un autre  grand tableau que les occupants d’un gymnase au moment d’une tornade apparaissent.  
Le peintre se voit en chien et joue  avec les photographies de son quotidien qu’il recouvre de peinture, accumule agréablement les petits formats. 
Quand un congélateur, une baignoire, des baraques de chantier deviennent des objets à regarder,  c’est que l’artiste est fort.
Ses paysages sans perspective sont ceux que l’on croise derrière les vitres du train et ses champs de colza me parlent.
J’ai aimé ses tables après l’anniversaire du père ou ses draps d’un lit défait.
Devant un mur doré, des ordures s’ordonnent comme au théâtre.
Les sachets plastiques dans un arbre en Inde  l’ont appelé alors que souvent il trouve dans la nature  seulement ce qu’il va chercher.
Dans une bibliothèque rouge sang la couleur devient le sujet principal.
Chacune des toiles porte des contradictions : beauté/ laideur, gris/ couleurs, construction/ destruction, désert/ foule, froideur/ émotion, la nature/ la ville, instantané/ toujours, humour/ mort, loin/ près, petit / grand…
Mon plaisir lors de cette présentation excitante, inondée de lumière, fut sans mélange.

mercredi 28 novembre 2012

Bordeaux # 1. Patrimoine.



Venant de Grenoble,  ville «  compagnon de la Libération », j’avais quelque curiosité pour la « belle endormie »de Chaban mais aussi quelque à priori défavorable envers l’agglo de Juppé « droit dans ses bottes », qui ne dit s’intéresser qu’à  sa ville mais accepte volontiers des missions où désormais il apparaît comme un sage.
Sa cité est belle et il n’y est pas pour rien. Celui qui modernisa le plus la métropole girondine n’était pas le plus bondissant.
Pour aborder la capitale de l’ancienne Guyenne, désormais Aquitaine (pays des eaux) nous sommes montés sur la tour gothique Pey Berland.
Haute de 50m, construite au XV° à côté de la cathédrale Saint André par crainte des vibrations d’un bourdon de plus de huit tonnes, elle offre un beau point de vue sur les toits à proximité et sur la tour de la grosse cloche en bordure du territoire médiéval. 
Sur cette porte de la bourgade, seul monument civil datant du moyen âge, d’où était donné le signal des vendanges, un léopard  d’origine anglaise figure en bonne place et témoigne des liens très anciens avec nos meilleurs ennemis rugbystiques.
Difficile d’échapper à la rue Sainte Catherine qui traverse la vieille ville, la plus longue voie commerciale piétonne d’Europe.
Nous ne sommes pas les seuls touristes en route vers la monumentale fontaine érigée place des Quinconces, dédiée aux Girondins victimes de la terreur.
Les chevaux  de bronze enlevés pendant l’occupation réapparaissent à la veille des élections municipales de 1983 : le Routard titre : « Chevaux de retour ».
 A proximité, Le grand théâtre aux airs antiques est construit aux abords du château Trompette dont les canons étaient tournés vers la ville, il a été vite rasé.
 Au centre du triangle d’or qui rassemble les boutiques  de luxe, la place des grands hommes est occupée par une halle moderne.
Ouverte sur la Garonne, La place de la Bourse appelée  auparavant place Royale, place de la Liberté, place impériale, comporte en son centre la statue de trois grâces (l’impératrice Eugénie, la reine Victoria et Isabelle II d’Espagne).C’est un remarquable exemple architectural du XVIII° siècle, genre place Vendôme,  qui se reflète sur un immense miroir d’eau, aménagement original bienvenu en temps de canicule.
Cette œuvre inspirée par la beauté de la Place Saint Marc à Venise quand elle est recouverte d’une eau  où se mirent les monuments, est une réussite mais les incivilités ne l’épargnent pas et le journal Sud Ouest parle de tonnes de verres cassés à ramasser à ses abords.
Pour expliquer l’origine de l’ancien nom de la ville, les interprétations divergent. Les bituriges, dont le nom signifiait « maîtres du monde », fondèrent  Burdigala. Cette appellation viendrait de burd signifiant marais en basque et gala, abri. J’ai aperçu une banderole de supporters de l’équipe de Bègles-Bordeaux qui portait ce nom.
Du II° siècle, reste un pan de l’amphithéâtre dit maintenant palais Gallien, il pouvait contenir 15 000 personnes.
La basilique Saint Seurin datant du XI° recèle des stalles intéressantes : un homme trimbale son ventre dans une brouette,  un chien est déguisé en moine, des langues sont cuites sur une grille. Ces personnages sont sculptés sous une console qui apparaît lorsque le siège est replié et qui permet un appui : c’est une miséricorde ou patience.

mardi 27 novembre 2012

Le château des ruisseaux. Poincelet. Bernière.



Plongée dans les groupes de paroles de toxicos qui essayent de décrocher.
La bande dessinée sans cases restitue la fragilité des personnes qui exposent leur expériences douloureuses, avec malgré tout de l’humour, parfois.
La forme tout en délicatesse convient bien à cette autofiction sensible nous plaçant à côté de ces hommes et femmes qui ont cherché une vie plus intense et ont côtoyé le vide suicidaire au bout des vertiges.
A l’issue d’un processus de cure exigeant, juste, humain, ils ne seront que 15% à ne pas retomber.
« Monsieur et madame P’tite goutte ont trois filles. Comment elles s’appellent ?
 Anne, Justine et Corine.
 Anne p’tite goutte, Justine p’tite goutte, Corinne p’tite goutte… »

lundi 26 novembre 2012

Thérèse Desqueyroux. Claude Miller.



Oui, il y a des belles images des Landes, des intérieurs d’entre deux guerres, mais c’est décoratif, je n’ai pas ressenti l’importance de la terre dans ce milieu, ni la complexité de cette femme qui se veut au-delà de  la simplicité. Pas d’étouffement, trop lumineux. Alors que Bovary, c'est nous, les enjeux dans ce film sont lointains. Miller chez Desqueyroux, j'ose: ça change du tout au Tautou.
D’accord Thérèse fume et la forêt est inflammable mais pas de coup de chaud pour moi.
Les critiques parlent d’ambigüité, mais le récit  m’a semblé tellement linéaire, je n’ai pas ressenti de dilemmes, la  relation est plus intéressante entre Thérèse et sa belle sœur qu’avec le mari chasseur, cassant, finalement bon.
Je suis tout de même reconnaissant au réalisateur de distribuer aussi quelques traits antipathiques du côté d’Audrey Tautou, mère impassible, amie peu fiable, elle lit Gide mais le lit est vide.

dimanche 25 novembre 2012

H 3. Bruno Beltrao.



Une rumeur lointaine de la rue accompagne le début du spectacle qui tient  alors davantage de la danse contemporaine que du hip hop.
La virtuosité de cette danse de la rue revue par la capoeira prend de l’ampleur quand les duos passent aux trios puis au grand groupe.
La tension, dans les nerfs de cette danse qui a traversé les océans et commence à prendre de l’âge, parcourt la représentation.
Des reflets sur le parquet  brillant et des effets avec l’obscurité apportent de  jolies nuances à des mouvements qui utilisent, plus que de coutume, le sol.   
La musique que l’on attend apparaitra par bouffées, ainsi que les acrobaties furtives, les brefs  moments d’harmonies.
L’énergie, la vivacité montent en intensité tout au long de l’heure  qui passe vite, le spectacle est intéressant et certaines figures sont originales comme des courses à reculons vigoureuses;  par contre la cambrure des corps à l’arrière m’a plus torturé que séduit.
Depuis ma bonbonnière j’étais plus en recherche de concorde que de violence même si celle-ci a des séductions fulgurantes.

samedi 24 novembre 2012

Crépuscule. Michael Cunningham.



«La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles » 
L’auteur américain joue des variations autour de cette phrase de Flaubert que j’aime ressortir.
J’ai d’autant plus apprécié ce livre que je me suis ennuyé au début dans la frivolité d’un milieu arty newyorkais aux conversations superficielles.
Et je me suis laissé embarquer ensuite pendant 300 pages par les indécisions du personnage que j’ai cru principal,  avec sa décapante lucidité, ses emballements, ses lâchetés, sa recherche sans illusion de la beauté.
Reprendre la quatrième de couverture comme le répercutent tant de sites Internet pourrait laisser croire à une simple accumulation de clichés (la quarantaine fringante).
L’arrivée d’Ethan, surnommé Mizzy, diminutif de « mistake » (erreur),  au milieu d’un couple bobo pourrait ouvrir un dilemme homo conventionnel ; ce jeune gars va  permettre de poser quelques questions essentielles, sans réponse téléphonée.
L’hypocrisie semble bannie entre tous ces gens tellement bien et pourtant, ils se cachent, ont des insomnies, vivent « la mort aux trousses », réfléchissent à la meilleure musique pour leurs funérailles alors que le vin est délicieux, les œuvres si intelligentes, les hommes si beaux.
« Le monde ne s’intéresse pas aux petites silhouettes qui vont et viennent, fantômes qui tremblent et se prosternent, ratissent les sentiers gravillonnés et construisent parfois un jardin de pierres, l’éphèbe de bronze, l’urne martelée destinée à recevoir la neige. »

vendredi 23 novembre 2012

Dépassements.



Pour quelques jours à sourire : « l’UMP a deux papas » (Rue 89, lundi), que de moments de troubles !
Le spectacle de l’amateurisme de l’UMP nous réjouit, mais le ridicule affecte l’ensemble des politiques déjà bien mâchurés et la radicalisation des militants de la droite a de quoi inquiéter.
Sur le plan local, le tram se traine, retardé par des recours de particuliers. En m’étonnant de tant d’égoïsme qui s’exacerbe vraiment ces derniers temps, j’ai l’impression d’être le benêt de service. Et de savoir que des militants de gauche jouent parfois sur ces réflexes là, m’accable.
Comme l’impression d’être dans un train qui démarre alors que c’est l’autre rame qui est en mouvement.
Conférence de presse : Les acteurs ont peur des mots. « Rigueur » se dit peu, quant à « virage » !
Notre Dame des Landes : le questionnement sur le type de développement est sous traité à de folkloriques intermittents.
Médecins : Olivennes, le gynéco, frère de Denis de chez Lagardère, occupa les écrans pour pleurer sur sa condition, alors que les porteurs de micro avaient oublié le déficit de la sécurité sociale de la semaine dernière.
Quand on bute sur des sébiles à tous les coins de rue, ce n’est vraiment pas le moment d’en appeler à la solidarité nationale pour  « permettre d’assurer leur train de vie » à des vautours se parant de plumes de pigeons.
Et de faire valoir leur 15 ans d’études, mais ceux qui traduisent à tous coups tout en coût savent bien que cette chance qui est offerte à leur bénéfice personnel, ils la doivent à la collectivité.
D’indécents dépasseurs d’honoraires se cachent derrière les souffrances bien réelles de travailleurs de la santé qui eux ne comptent pas leur peine au cœur des souffrances ultimes.
Nous connaissons ces habiletés corporatistes lorsqu’une fonctionnaire du rectorat cache ses paresses derrière les désespoirs de profs de collège, mais alors que  l’école comme la santé bénéficient du respect de chacun, la mauvaise foi de quelques pontes a empoigné aux cheveux mes capacités d'indignation.
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 Dans le Canard cette semaine:

jeudi 22 novembre 2012

Dali.



Salvador Dali, né en 1901, est mort en 1903.
Le très célèbre peintre surréaliste, Salvador Dali, fils de Salvador Dali, naquit en 1904.
Il porta toute sa vie le fantôme de son frère mort.
Du temps de sa jeunesse madrilène, il fut l’ami de Buñuel et de Garcia Lorca.
A Paris, il connut Miro et Picasso. Il fut  alors anarchiste et déjà excentrique.
En 1924, il invita à Cadaquès, Magritte, Eluard et sa femme Gala qu’il mariera à son tour.
Elle sera sa muse, sa mère de substitution et son agent.
Christian Loubet dont le titre  de la conférence était « Dali, délires : la peinture contre la paranoïa ? » a mis en évidence cette influence devant Les amis du musée de Grenoble.
L’ambiance méditerranéenne de paysages parfois calcinés, aux tons acides, des nombreux (1640) tableaux du Catalan, installe dans la lumière, les jeux les plus lugubres, les plus choquants, les plus vrais, les plus mensongers : « mentir vrai ».
« Le pervers polymorphe » peint avec une précision fascinante les obsessions les plus secrètes.
Les titres des tableaux sont tout un poème :
L'âne pourri- L'énigme du désir - Ma mère, ma mère, ma mère - Le grand masturbateur - Pain anthropomorphe - Buste de femme rétrospectif - L'Angélus architectonique de Millet - Construction molle avec haricots bouillis, également appelé (toujours le double  je jeu) : Prémonitions de la guerre civile…
Dans de nombreux autoportraits, le moi explose et se rétablit. Son Narcisse va sombrer dans son reflet mais ressuscite dans le travail d’une main.
Il n’y a pas que ses fameuses montres qui soient molles, les corps se déchiquètent, sont visqueux au bord de la liquéfaction ; ces images foisonnantes  sont à mettre en face de sa volonté de puissance, avec la représentation de sexes dressés symboliques ou réalistes.
Sa peinture littéraire enchaine les mots, renvoie au-delà du rêve, se projette dans une relation impossible ou l’intention est vouée à l’échec.
Il aime troubler les sens avec ses images doubles voire triples. Une image peut en cacher d’autres : Voltaire et les religieuses  dans un tableau intitulé Le marché aux esclaves.
Vedette du mouvement surréaliste, il se fâcha avec André Breton qui  a trouvé le  bon mot « Avida Dollars », anagramme de Salvador Dali. Il avait peint un Lénine mou de la fesse dans L'Énigme de Guillaume Tell.
Il se fit sculpteur,  réalisa des bijoux, s’intéressa à la photographie, travailla pour la mode, participa à des projets de théâtre, d’architecture et pas seulement dans le musée où il sera enterré en 1989.
L’œuvre est  colossale.
En Amérique, il travailla avec Disney et Hitchcock, il fut reçu par le pape, rencontra Freud et loua Franco. Il est devenu monarchiste et toujours parano, mégalo, rigolo. 
Vénérant ses maîtres Raphaël, Vélasquez jusqu’à la moustache, il s’intéressa à la physique atomique, rendit  célèbre la gare de Perpignan, se réclama de Meissonnier, fustigeant « les cocus de l’art abstrait ».
Son influence fut  déterminante : Pollock commençant là où il était arrivé ; le provocateur génial avait montré la voie : Warhol  aimant la mise en scène comme lui, ira aussi vers le commerce.
"A trois ans je voulais être cuisinière.
 A cinq ans Napoléon. 
Depuis, mon ambition n'a cessé de croître comme ma folie des grandeurs."
Salvador Dalí

mercredi 21 novembre 2012

L’Entre deux mers.



L’Entre deux mers est  une région située entre Garonne et Dordogne avant que les fleuves se rejoignent pour former l’estuaire de la Gironde, la région est couverte de vignes aux vins blancs réputés.
« Saumur, Entre-deux-mers, Beaujolais, Marsala,
Toute la fine fleur de la vigne était là
Pour offrir à l'ancêtre, en signe d'affection,
En guis' de viatique, une ultime libation.»
Brassens. L’ancêtre.
Nous avons loué un gîte à proximité de la belle bastide de Cadillac dominée par le  château des ducs d’Epernon. Avec des plafonds à la française et de belles cheminées, son architecture XVII° a des airs renaissance et annonce le style classique. L’ancien mignon d’Henri III fut encouragé par Henry IV à dépenser sa fortune dans ce colossal bâtiment loin de Paris, transformé en prison pour femmes puis  en centre d’éducation surveillée jusque dans les années 1950.
Le village comporte un établissement psychiatrique qui innove en matière de prise en charge des patients.  Quelques croix métalliques subsistent dans le « cimetière des oubliés »  qui recueillait les sépultures des "mutilés du cerveau" en particulier des anciens combattants de la  première guerre, et les aliénés morts de famine pendant la seconde guerre.
Sur le chemin de Compostelle, l’abbaye de Sauve-Majeure (Selva major, grande forêt)  mêlant roman et gothique est en ruines mais quelques ouvertures encadrent joliment le ciel ou la campagne environnante et des chapiteaux sculptés monumentaux ont gardé toute leur originalité.
La ferme- parc « Oh ! Légumes oubliés » à Sadirac élève des aurochs (voir Brassens encore) et offre à l’heure du goûter des quiches à l’ortie, des boissons au verjus, des confitures au sureau, des confits  de nèfles-oignons, des raisins sans pépin…Le jardin joliment entretenu est un conservatoire des légumes oubliés.
Le mois d’août est  avec septembre le meilleur moment pour assister au phénomène du Mascaret et Vayre sur la Dordogne est l’endroit le plus recherché des surfeurs qui accompagnent la marée montante formant des vagues impressionnantes quand elle est contrariée par le courant du fleuve. Au moment des marées d’équinoxe le mascaret se manifeste jusqu’à 200 km à l’intérieur des terres.
Nous sommes vraiment au cœur d’une civilisation du vin où pas un arpent de terre n’est laissé à d’autres culture que la vigne. Et lorsque nous irons visiter les lieux où vécurent les « trois M » : Mauriac, Montesquieu, Montaigne, chaque boutique  présente des bouteilles à côté des livres sans que cela soit artificiel, chacun des écrivains avait affaire avec les blancs et les rouges. Dans la maison du vin de Cadillac quand un vigneron nous parle de son travail, c’est tout un art qui est mis en valeur comme dans la boutique l’Oenolimit  à Bordeaux qui nous a bien conseillé  avec un cépage nommé verdot.

mardi 20 novembre 2012

Trois Allumettes. Chauvel Boivin.



BD policière, deux femmes en cavale, un inspecteur spectateur.
Le procédé narratif qui nous amène à reconstituer l’histoire convient bien à la description d’existences qui essayent d’échapper à de mornes trajectoires.
Le graphisme noir  et nerveux sans ostentation, genre Baudouin, ajoute à l’efficacité de la chronique à forte teneur sociale.
On a envie d’avancer rapidement et il convient de revenir apprécier le travail bien rythmé qui saisit  une certaine poésie dans des zones où elle n’est pas évidente.

lundi 19 novembre 2012

Broken. Rufus Norris.



Dans ce lotissement anglais, l’accumulation des malheurs, des fatalités, des méchancetés, des solitudes, arrive à faire perdre de la force à une exposition pessimiste des rapports dans une société qui esquinte ses enfants. Le présent est déprimant, le futur s’annonce encore plus difficile.
Pourtant certains portraits sont réussis et les relations entre un père et sa fille diabétique qui entre dans l’adolescence sont émouvants et justes.

dimanche 18 novembre 2012

Racheter la mort des gestes. Gallotta.



Le titre un peu énigmatique pour un spectacle limpide est extrait d’un article d’Hervé Guibert « Qui est le chorégraphe, sinon ce grand fada sacré que la société semble payer pour le rachat de la mort des gestes ? ».
Je  sais que je suis vieux : « mes copains s’appellent Jean-Claude ».
Notre plus grand grenoblois vibrant nous livre  en 25 tableaux la chronique du temps qui  a passé.
Et comme il a « de bons rapports avec les souvenirs » comme avec la fragilité ou les textes des autres, il nous livre un spectacle réjouissant, salutaire, poétique, politique, drôle, émouvant, inventif et reconnaissable.
En entendant un extrait plus complet du discours de Sarkozy sur l’africain sans histoire, avec la danse en premier plan, j’ai vraiment ressenti l’obscénité de ce discours de Dakar écrit par Guaino.
Les mots de Deleuze stimulent, ceux de Baschung remuent.
Un enfant danse avec un vieux monsieur, un homme et une femme en fauteuil, des anciens danseurs, des novices, des professionnels magnifiques.
J’ai tout aimé : Laurence d’Arabie, Les travaux d’Hercule, Calmat qui monte interminablement l’escalier qui mène à la vasque olympique en 68, le tramway qui passe en fond de scène, celle qui crie : « maman », les danses.

samedi 17 novembre 2012

Nous autres. Stéphane Audeguy.



« Il se répète qu’il est en Afrique, il sait bien qu’il n’existe rien qui soit vraiment l’Afrique, il sait bien que l’Afrique n’existe pas ... ».
Hé bien, ce roman vient contredire la réflexion du fils au sortir de la morgue où il vient de voir son père : l’écriture intense rend compte des contradictions du continent noir. Ses richesses, sa pauvreté, ses rapports intimes avec la nature et ses servilités.
Le fil narratif est documenté : nous assistons à la construction d’une ligne de chemin de fer avec tous les porteurs anonymes disparus, à l’installation de cultures horticoles.
Il y a des paléontologues,  un planteur d’acacias, une championne de marathon, des touristes, des prostituées ; le fils est photographe, le père était écrivain public.
Un fatalisme bien de là bas s’est emparé du récit qui se construit sur le choix de donner une sépulture conforme à l’empathie du père à l’égard des kenyans. Ce pays dont nous assistons , par des chapitres nerveux, à la construction, à l’indépendance, nous apparaît dans toute sa vigueur avec une présence des ancêtres qui donne une profondeur palpitante aux 250 pages. 
L’écriture est sèche et poétique, tragique mais se dispensant de toute psychologie.
Ce père sacrifiant son confort de blanc pour aider les plus déshérités s’est bien peu préoccupé de son fils durant sa vie.
« L'animal enroué ne peut plus braire. Il essaie cependant, la respiration qui soulève imperceptiblement ses côtes lui arrache chaque fois un braiment avorté, grotesque, et nous qui connaissons la mort autant qu'il est possible de la connaître, nous savons qu'il n'est pire chose au monde que cette mort sans langage, l'âne s'enfonce dans une nuit plus sombre que la plus sombre nuit …»

vendredi 16 novembre 2012

J’accuse… ! et autres grands articles. Patrick Eveno.



En visitant la maison de Mauriac à Malagar, j’ai découvert des engagements de l’écrivain journaliste du Figaro et de l’Express que j’ignorais. J’ai acheté là bas ce recueil où l’article retenu de l’auteur des blocs-notes n’est pas le plus fort, bien que ciselé, abordant la distinction journalisme/littérature.
Le générique rassemble écrivains, reporters, politiques : Condorcet, Sand, Sue, Vallès, Hugo, Leroux, Londres, Kessel, Cendrars, Saint Exupéry, Giroud, Beuve Mery, Pleynel…
Zola et son « j’accuse », dont le titre a été trouvé par Clémenceau, sert d’accroche aux 330 pages réunissant  58 articles de Théophraste Renaudot à Annick Cojean. 
Dans  le célèbre plaidoyer très précis en faveur de Dreyfus, les détails concernant les protagonistes s’étirent un peu, alors que le portrait de l’Iran en jeune femme de Marc Kravetz est vraiment original  et puissant.
Des thèmes datant des origines sont toujours d’actualité : indépendance de la presse, censure, les people, le peuple, les faits divers, « le manifeste des 121 », l’engagement, la pudeur... Monsieur Bertin dont on voit l’œil acéré dans un portrait d’Ingres écrivit « Les nouveaux barbares » qui ressemblent aux nôtres.
Hébert parle de l’exécution de Marie Antoinette comme la plus grande de toutes les joies.
Clémenceau  dans le Paris  du petit matin « au ciel ardoisé, moutonnant, d’une transparence blême » raconte la guillotine pour l’anarchiste Emile Henry : l’horreur blanche.
« L’un des valets du bourreau est son fils. On a soupé en famille, et puis on est parti bravement pour le travail, jetant un coup d’œil plein de caresses aux petits qui dorment, embrassant un la mère, l’autre sa femme ou sa fille, qui lui font des recommandations affectueuses, en crainte du froid de la nuit. »
…………..

Dans Politis.

jeudi 15 novembre 2012

Sophie Calle. « Pour la première et pour la dernière fois. »



Comme je connaissais un peu l’artiste, je pensais que c’était « sa » dernière exposition tant elle nous a habitué à se mettre en scène bousculant toujours plus loin les frontières de l’intime, la délimitation entre l’art et la vie.
Dans la chapelle Saint Martin du Méjan (le milieu),  à Arles, à côté des éditions Actes Sud, la chercheuse inventive nous livre une exposition poignante à partir de deux idées élémentaires.
A Istanbul, elle a filmé d’abord de dos, puis se retournant, des habitants de la ville qui voient la mer pour la première fois.
Toujours dans la même ville, elle recueille les témoignages de personnes aveugles qui décrivent leur dernière vue.  
Au terme d’une journée consacrée à une orgie d’images lors  des rencontres photographiques, nous en prenons plein la face.
Le dispositif est sans chichi : une photographie de la personne, ses paroles brèves mais incandescentes, et la représentation de la chose vue : un arrière d’autobus flou, le médecin qui a opéré sans succès, l’ampoule d’une chambre, pour l’aveugle de naissance, son rêve : une voiture décapotable…noire.
Simple et puissant.

mercredi 14 novembre 2012

Narbonne.



La ville au pied des Corbières a beau avoir donné son nom à la partie romaine de la Gaule, ne subsiste de cette époque qu’un lambeau de la voie domitienne passant devant l’hôtel de ville.
Pas plus de trace de l’occupation arabe dont la ville fut  le «  point extrême conquis par les musulmans sur le pays des Francs ».
Des lieux de culte catholiques se sont succédés depuis le IV°siècle, mais des incendies, des épidémies, l' opposition entre les consuls et le chapitre ont compromis l'achèvement de la cathédrale Saint Just et Violet le Duc ne persistera pas dans la restauration.
L’ambition  de cette architecture venue du Nord se retrouve dans les dimensions impressionnantes sous des voûtes à 40 m, son caractère inaccompli en fait tout le charme. 
En 1907 la révolte des vignerons a des accents occitans et la répression commandée par Clémenceau va tuer 6 manifestants, malgré les foules immenses et l’appui de tous les élus de la région en particulier du maire « médecin des pauvres » Albert Ferroul.
« … les barons de l'industrie du Nord nous ont envahis et ruinés. Nous ne voulons pas les supporter davantage. En avant ! Debout pour les repousser, eux et leurs complices. Parlez plus fort, unissez vos voix, votre prière prendra le ton d'un commandement ».
La ville de tradition SFIO, avait  offert ses suffrages à la droite ses dernières années ; aux présidentielles Hollande est arrivé en tête.
Charles Trenet y est né et les mémoires ont retenu les maillots orange que revêtirent les frères Spanghero  l’homme de fer du rugby des années 60 et aussi Didier Codorniou, le petit Prince.


mardi 13 novembre 2012

Qui a mangé Zidane ? Sylvain Ricard. Didier Maheva.



Quelle idée d’appeler son lapin Zidane, du nom d'un publiciste, en 2012 ? Zlatan alors?
Je croyais revisiter la fin des années 90 avec une BD sociale, eh non ! 
Ce numéro 1 d’une trilogie de l’éditeur « 6 pieds sous terre » est sorti récemment, mais pour moi cet opuscule alignant les clichés sonne faux.
Le manager  du fast food où travaille Vincent s’appelle Jean Eude et  comme il ne veut pas se rappeler du prénom de celui qui s’occupe des poubelles, il le nomme Mouloud.
Le père est gras et  picole devant la télé, il ne veut pas de « pédé » à la maison,
la mère qui pourrait être belle, distribue des torgnoles à ses enfants.
Le lapin consolateur finira mal fatalement, tout était si mal parti.
Je n’apprécie guère l’eau de rose, mais on ne peut croire à tant de noir complaisamment répandu. 
Mince album inactuel où ne perce aucun enjeu qui taraude nos grands ensembles où l’on se retrouve d'ailleurs si peu ensemble.

lundi 12 novembre 2012

Amour. Haneke.



Comme j’ai écrit concernant le dernier James Bond, « ça, c’est du cinéma ! »
pour ce film, je vais éviter  de paraphraser les commentaires déjà fournis,
ou tartiner sur ce qui est soulevé fatalement dans nos destins perso :
« ça, c’est la vie ! » violente.
Le film est  juste, pudique et obscène.
L’amour en tant que soin palliatif est étouffant.

dimanche 11 novembre 2012

Camille à la MC 2. Ilo Veyou.



J’avais apprécié « Prendre ta douleur »
« Je vais prendre ta douleur
Mais c'est qui cette incrustée,
cet orage avant l'été,
sale chipie de petite sœur ?
Je vais tout lui confisquer:
Ses fléchettes et son sifflet,
je vais lui donner la fessée,
(prendre ta douleur,
je vais prendre ta douleur)
la virer de la récré.»
Mais je craignais de l’artificialité dans les échos d’une voix trop travaillée, trop sophistiquée.
Et en spectacle, avec l’humour, la variété, le tempérament de l’artiste, son univers original, j’ai été convaincu que son succès était mérité.
En entrée des accents d’Anne Sylvestre pour son enfant qui vient de naître, mais avant tout de l’inventivité qui  surprend à chaque séquence le spectateur, même celui qui aurait tendance à devenir blasé.
Une reprise du « Que je t’aime » de Johnny au rappel avec des arrangements subtils valait le détour, ainsi qu’un « Grre !...noble » dans une sarabande terminale pleine de légèreté qui clôturait une  excellente soirée.
Des chansons dynamiques,
« allez allez allons
à chaque coup de crosse
prends l'écorce du colosse
et du canasson »
des balades,
« Sale décembre
comme il est lourd le ciel
sais-tu que les statues de sel
ont cessé de t'attendre ? »
Bien sûr des inventions avec la voix : du murmure au cri, à cappella souvent
« J'ai tout dit
J'ai rompu le charme
J'ai tout dit
Maintenant je vous regarde »
et des pizzicati.

samedi 10 novembre 2012

Les lisières. Olivier Adam.



La quatrième de couverture « Roman qui embrasse dans un même souffle le destin d’un homme et le portrait d’une certaine France, à la périphérie d’elle-même ». J’achète.
Le « roman de la rentrée » a proclamé la critique. Je vais nager dans le « main stream ».
Et ses oiseaux « qui gueulaient comme s’ils craignaient que la nuit les emporte » m’avaient attrapé au début, mais arrivé au bout des 450 pages, je suis ressorti déçu.
L’écrivain de gauche au dessus de ses contemporains n’est qu’un fantôme. 
Ne suis-je pas sorti  encore des épreuves de la fracture sociale, culturelle ? 
Je l’ai trouvé surplombant, sans estime pour ses personnages. La divulgation d’un secret de famille fait flop.
Personne n’est sympathique dans ce pavé sans surprise, surtout pas le narrateur qui dresse un portrait  conventionnel de la banlieue et de ses habitants. Il ne trouve pas sa place à Paris non plus, ni en Finistère où le seul remède à son spleen est de se plonger dans l’eau froide.
Ses parents froids  et taiseux sont responsables de sa maladie, mais lui qui vient de se faire jeter par sa femme est bien insuffisant avec ses propres enfants qu’il étouffe d’étreintes et oublie évidemment de leur faire faire leurs devoirs.
Il ne cesse de geindre et de le regretter et de se vautrer dans l’échec.
« … petits fonctionnaires de l'écriture comme j’en étais un moi-même n'est-ce pas, me levant le matin pour me mettre sagement à mon bureau, vivant la même vie que les autres avec la maison le garage, les courses, des enfants, les factures, tous ces petits fonctionnaires le cul sur leur chaise dans leurs maisons, leurs appartements qui se prenaient pour Hemingway ou London mais ne sortaient jamais de chez eux que pour boire des cocktails entre gens de la même espèce. . .
Je l'ai laissé dérouler son fil. Je n'avais rien à lui opposer.
Il martelait que mes livres lui avaient fait du mal, beaucoup de mal. Non pas parce que j'en étais l'auteur mais du fait de leur contenu. Mes livres et ceux de mes confrères n’aidaient nullement les gens, au contraire, ils enfonçaient les plus fragiles, les plus inaptes, ils les confortaient dans leurs humeurs les plus noires, leur maintenaient la tête sous l'eau, dans l'étang poisseux de la dépression, la vase verdâtre de la mélancolie. lls glorifiaient la tristesse et les éclopés, la défaite la désillusion, la fuite et la désertion, comme s'il était plus noble d'être de ce côté-là que de celui de la vie et de la lumière. »
C’est cela, oui.
Et dire que pendant ce temps je ne suis  toujours pas venu à  bout de « L’homme sans qualité » de Musil.