Des admirateurs du poète avaient été plus avisés que moi qui
pensais retrouver la subtilité et la précision d’une langue en voie de
perdition; ils sont peut être restés à lire plutôt que
de passer leur soirée loin de chez eux. Pourtant une comédienne demandait en
conclusion du spectacle d’amener à l’Hexagone quelqu’un qui n’y serait jamais
venu ; au théâtre d’accord, mais pas à une séance de propagande !
La
troupe marseillaise nommée « L’agence de voyages imaginaires » s’est servie
du prestige de l’inspecteur des eaux et forêts pour délivrer ses messages, comme
s’il n’y avait pas une grande variété dans les fables, une telle richesse avec
ses contradictions dans une œuvre qui a traversé le temps, dénaturée quand elle
enfile de trop gros sabots.
Certains sketchs sont pourtant réussis quand ils
collent au texte : « Le héron », « Les deux pigeons ». « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf » par une
mise en scène astucieuse et poétique nous séduit également par sa fantaisie
comme « Le corbeau et le renard » bien rigolos.
Mais le prologue et
les intermèdes où apparaît Gaïa, la terre, en femme à barbe qui ne peut plus
supporter l’homme alourdissent un propos qui se conclut par :
« Vivre sans
tendresse
On ne le pourrait pas
Non, non, non, non
On ne le pourrait pas ».
Qui dirait le contraire ?
Cette gentille
conclusion consensuelle trahit la vigueur, le courage de La Fontaine, ses
dénonciations tellement bien dites de la méchanceté, de l’avidité, de la
couardise, de l’orgueil…
Nous avons du plaisir quand on se rend compte qu’un
auteur aime ses personnages ou qu'un metteur en scène fait partager son admiration, mais ce n'est pas le cas ce soir, même si le droit d’un créateur est aussi d’être
critique. La corporation des comédiens peut bien faire en sorte que la fourmi
soit entrainée dans la danse par la cigale, mais le choix d’un conte grivois
pour en faire ressortir la grossièreté, s’il est dans l’air du temps, était
déplaisant, comme les commentaires inutiles bien peu confiants à l’égard du
texte et du spectateur.
A côté des grands classiques revisités, des découvertes sont
bienvenues :
« Mortellement
atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déplorait sa triste destinée,
Et disait, en souffrant un surcroît de douleur :
Faut-il contribuer à son propre malheur !
Cruels humains ! Vous tirez de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles. »
Philippe Car, le metteur en scène que j’ai placé dans le
titre avant son devancier du XVII° siècle, a choisi son bouc émissaire dans
« Les animaux malades de la peste » : les ministres et le
président, en se dispensant du texte, alors que nous portons encore le masque :
« Ils ne
mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
À chercher le soutien d'une mourante vie »
Il piétine dans la démagogie.
Je lui reste cependant reconnaissant d’avoir rencontré
« Le pouvoir des fables »,
qu'il illustre d'ailleurs dans l’abus des gags et des apartés:
« Le monde est
vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »
..........
Reprise des publications lundi 28 après une semaine au ski avec les petits.