lundi 29 février 2016

Nahid. Ida Panahandeh.

En Iran aussi, les fils de famille monoparentale peuvent être insupportables. La maman ne vient pas à bout de son fils préadolescent, elle se débat en tous sens, accumulant les dettes et les dissimulations dans une société où le mensonge est la règle. Entre un ex junkie et un nouveau « temporaire », elle n’a pas même pas le temps de se poser la question  de choisir entre un rôle de mère ou d’amante ; heureusement sa copine lui permet d’assurer au jour le jour un gite toujours incertain. Nous pouvons apprécier cette énergie féminine, en regrettant de la voir se dévoyer dans l’achat d’un canapé rouge tranchant sur le noir ambiant et entrer dans un engrenage qui est d’avantage un motif dramatique que comique.

dimanche 28 février 2016

Ne me touchez pas. Anne Théron.

Quand au programme de la MC 2 s’est annoncée une pièce de théâtre autour des « Liaisons dangereuses », peu de temps après la performance de la princesse de Clèves http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/la-princesse-de-cleves-magali-montoya.html je pensais me plonger dans des œuvres patrimoniales, mais n’en soupçonnais pas une si vive actualité.
Un tel titre, après les évènements de Cologne, sonnerait comme un  infranchissable commandement, alors qu’avec les siècles écoulés depuis « Les liaisons dangereuses » (1782) dans le genre « pas touche minouche ! » aurait pu être compris comme une rebuffade ambigüe.
De cette époque des lumières qui pointaient alors en Europe, m’émerveille toujours la sophistication des sentiments. Cette liberté portée avec élégance par quelques aristocrates allait accompagner, vivifier, les libertés politiques promulguées par la révolution de 1789.
D’autres, aujourd’hui, ennemis de la complexité, veulent la tuer, la liberté, la tuent.
L’utilisation de mots anglais dans le texte proposé m’a plutôt semblé vulgaire («  game over »)  alors que les dialogues, sans parodier la langue de Pierre Choderlos de Laclos, rendent bien la richesse des relations, les jeux, les drames des deux amants qui ne cessent de parler d’amour et se retrouvent encore plus seuls. Pourtant l’idée de faire évoquer les aventures passées de madame de Merteuil et Valmont avec des mots du cinéma est bienvenue : qui aujourd’hui n’est pas venu au théâtre avec dans la tête Malkowitch, voire Gérard Philippe et Jeanne Moreau?
Le vicomte militaire se serait inspiré de « la chronique scandaleuse de Grenoble où il fut en garnison pendant six ans ».  
Le « Quartett » de Müller qui est une réinterprétation de l’œuvre originale a aussi servi pour cette vision contemporaine qui ne supportait pas la fin tragique des femmes. 
«Cessez de mépriser vos proies, Monsieur, vous me prenez pour une dinde ou toute autre femelle à plumes incapable de distinguer vos manœuvres d’approche…vous rêvez de me fouler aux pieds. Lâchez ma main… ne me touchez pas. »
Le destin des manipulateurs libertins est donc transformé : la dame poitrine nue au départ a gagné en liberté mais la mélancolie supplante bien vite la sensualité, Don Juan est fatigué.
Malgré une certaine froideur, la sincérité, le désir, la révolte, sont toujours là, par le pouvoir de mots qui ne tiennent pas en 140 caractères.
Un troisième personnage, la voix off, est incarné par une actrice, avec une belle présence parmi les miroirs ayant perdu leur éclat, des carrelages défaits, devant une projection vidéo discrète éclairée magnifiquement qui prolonge dans la rêverie un noble décor en voie de désagrégation.
Quel metteur en scène essaiera comme avec la version fleuve telle que Madame de Lafayette avait écrit sa « Princesse », de donner l’intégralité  des « liaisons » par Laclos ?
Quand on lit à la page 379 de l’édition Flammarion :
« Adieu, ma chère et digne amie ; j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l’est encore davantage pour nous en consoler » 
Il n’y a pas besoin de rajouter des « much love» ou des « fuck ».

samedi 27 février 2016

Dans le grand cercle du monde. Joseph Boyden

Après le chemin des âmes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/10/le-chemin-des-ames-joseph-boyden.html  tant aimé, il faut être à la hauteur quand la presse présente le dernier roman de l’irlando amérindien comme « le premier grand roman canadien du XXI siècle ». Il l’est, grand.
Violent, subtil, palpitant et touchant au plus vif de notre humanité, historique, mystique, politique et intime, exotique, flamboyant, instructif, épique, étourdissant.
Au XVIIème siècle, au Canada, trois narrateurs donnent leur vision d’un monde à découvrir, à évangéliser, à préserver, ce qui évite le manichéisme : bon sauvage contre vilain colonisateur.  
Ce sont, réunis par un destin cruel, « Le Corbeau » : un jésuite breton, « Chutes-de-Neige » : une jeune iroquoise farouche qui vient d’être adoptée par le massacreur de sa famille, « Oiseau », un chef Huron.
Il est grand temps d’enrichir des images enfantines.
Les  sociétés indiennes sont sophistiquées : les « sauvages » cultivent les trois sœurs (maïs, courge, haricot), et vivent dans  des conditions climatiques extrêmes, aggravées par les guerres incessantes entre tribus. Leur rapport à la nature est mythique et leur cruauté ahurissante, le respect de l’ennemi se juge à sa capacité à subir les tortures les plus ignobles.
« Comme lui non plus ne réagit pas au bâton rougi que je lui enfonce dans l’oreille, je réclame une coquille de clam avec laquelle je lui coupe deux doigts, et pour qu’il ne se vide pas de son sang, j’enduis les moignons sanguinolents de poix brûlante. »
Une horloge devient « capitaine de la Journée », poétique et mystificatrice, et nous redécouvrons :
« Il prétend même avoir tâté leurs vêtements qui ne sont pas faits de peau d’animal mais fabriqués par de vieilles sorcières qui, comme les araignées, produisent du fil que d’autres vieilles sorcières tissent. ».
Le courage et la force de la foi se livrent au milieu de la fureur, des puanteurs, de la misère la plus extrême:
« Seigneur, je crois bien que c’est la dernière fois que je verrai le soleil se lever sur cette terre que Vous avez créée, et je prie pour que Vous me donniez la force d’accepter avec dignité et en état de grâce, les souffrances que je suis sur le point d’endurer, car mon corps n’est que le vaisseau de mon âme. Et quand ce vaisseau se brisera, mon âme s’élèvera jusqu’à vous. »

vendredi 26 février 2016

Ski scolaire à Saint Egrève.

Un de mes camarades, qui n’a pas oublié le sens du mot « camarade », m’a fait parvenir un texte pour partager ses inquiétudes sur le devenir du ski pendant le temps scolaire à Saint Egrève.
Cet acquis éducatif de 40 ans d’âge permet, deux ans de suite, à tous les enfants de la commune de faire connaissance avec une pratique en fond et en piste réservée de plus en plus à une minorité. 
Au-delà des vertus du plein air, où se surmontent les appréhensions et s’éprouve le sens de l’équilibre, ce sont des moments fondamentaux de formation qui seraient compromis.
Je me souviens d’une élève, surplombant la pente depuis le télésiège, qui constatait émerveillée : 
« j’ai descendu tout ça ! »
Bien mieux que tant de discours pour expérimenter la confiance et de nouvelles dimensions : c’est de grandir et aimer le monde qu’il s’agit !
A réinvestir dans des domaines quand la lumière est plus chiche et les lunettes de soleil inutiles.
Mais je ne vais pas tartiner sur ces plaisirs aigus qui rougissent les oreilles, révèlent le prix d’un abricot sec en tant que remontant et la valeur d’une première étoile. Je reprochais à mon avertisseur  de faire reluire les cerises abusivement dans un texte exhaustif, en convoquant dans cette affaire de flocons, les traités européens et le qualificatif infamant : « libéralisme économique ». Voilà que je l’imite en rappelant la réflexion, ô combien datée, d’une collègue fière de payer des impôts. Je m’exalte dans des souvenirs d’un Jack London collant à la ferraille d’un forfait et recolore bien vite les pistes où dévalaient les petits.
Ils s’étaient essayés à conter au micro des cars qui nous montaient dans le Vercors, quand la notion de plateau pouvait mieux se comprendre, en promettant de revenir sur les traces des résistants des années 40.
L’affaire est politique, même si je ne formule pas mon désaccord comme ce collègue, retiré lui aussi  des cahiers à corriger,  et toujours résistant qui en appelle aux siècles antérieurs, afin de donner de l’énergie à ceux qui pourraient renoncer avant de combattre :
«  Si les ouvriers s'étaient mis à la place des patrons… il n'y aurait pas eu de conquêtes »
Cette menace d’un abaissement pédagogique est le prix à payer des impôts considérés comme boulets, de la soumission aux temps égoïstes et une des conséquences de la modification des rythmes scolaires, allant de pair avec des évolutions des périmètres d’intervention des collectivités locales. Dégradations bien contemporaines des missions de l’école oublieuse de ses objectifs de démocratisation. Ignorer par ailleurs les raisons des gérants d’une commune serait idiot, comme serait contre-productif  de s’opposer  à de telles mesures d’économie en se  drapant dans quelque drapeau rouge, hors de saison.
Aux instits, aux parents, de valoriser ces expériences indispensables à un développement harmonieux des élèves. Aux élus à faire preuve de pédagogie envers les contribuables pour que le ski scolaire ne soit pas envoyé par le fond.
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Dessin paru dans "Le Point":

jeudi 25 février 2016

Au-delà du cinétisme. Thierry Dufrêne.

Quels sont les ancêtres des sculptures machines ?
Pour répondre à cette question de la troisième conférence concernant le mouvement dans l’art,  l’intervenant devant les amis du musée de Grenoble projette un extrait du film « Dans la peau de John Malkovich ».
Une marionnette en bois au bout de ses fils, connait le désespoir en se regardant dans un miroir, et lorsqu’elle croise le regard de son créateur, elle peut se demander à qui s’adressent les bravos.
Le poète allemand  Kleist  dans son « Essai sur le théâtre des marionnettes » a mis en scène un danseur face à des « fantoches » innocents et spontanés, pour qu’il apprenne à perdre sa vanité.
Les moteurs ont remplacé les doigts des marionnettistes, déjà le beau canard de cuivre de notre Vaucanson mangeait et digérait.
Thierry Dufrêne par ailleurs commissaire de l’exposition « Persona » au musée des Arts Premiers a incité le public à venir quai Branly à Paris où est exploré dans les civilisations les plus diverses, la question : « comment un objet accède à un statut de personne » ?
L’automate de Stan Wannet, n’a pas de tête, c’est qu’il est en cours de construction. 
La réinterprétation par l’ingénieur et artiste hollandais de l’escamoteur de Bosch peut surprendre comme les oiseaux de Zwanikken, mêlant l’organique et l’artificiel, imitant « Le bon la brute et le truand ».
La frontière entre art majeur et populaire est de plus en plus ténue, dans ce domaine en particulier, depuis les statues de marbre inertes aux œuvres mécaniques en métal ou en bois. Giacometti trouvait plus facilement des regards dans les statues du monde que dans les yeux blancs des bords de la Mer Egée.
Tinguely achetait des tableaux mécaniques au musée des arts forains avec ses musiques entrainantes dont un aperçu incite aussi à la visite et rappelle l’importance du son dans les œuvres d’aujourd’hui. Il avait propulsé à une échelle monumentale une esthétique de l’abstraction, fait rouler Kandinsky :
« L'unique chose stable c'est le mouvement, partout et toujours. »
Et Calder, lui, disait : « Je voudrais faire des Mondrian qui bougent ».
Chris Burden a frôlé la mort à plusieurs reprises, il s’était fait tirer dessus.
Ses machines volantes étaient des rouleaux compresseurs « The Flying Steamroller », et des maquettes de bateaux tournant autour de la tour Eiffel.

Pour ce qui concerne, l’art savant : sous la toile blanche sensuelle de Norio Imai un objet se devine qui pousse. « White Event IV »
Les traces de ratissages dans le sable comme celui d’un jardin sec à la japonaise sont effacées dans le même mouvement. Elle renouvelle  dans « Foyer (« Home »)  le thème des natures mortes sous des éclairages variables en les enfermant derrière des limites qui à la fois dénoncent la place exclusive des femmes à la cuisine, alors que d’autres aimeraient accéder à ces nourritures.
Le terme mímêsis venu de chez Aristote définit l'œuvre d'art comme une imitation du monde alors dans le sombre musée des arts premiers, propice à la survie des âmes, les robots vont-ils  devenir nos fétiches contemporains parmi d’autres fétiches ?  Heureusement la mythologie grecque est toujours pleine de richesses pour nous ressourcer, remonter à nos recherches artistiques tellement humaines, par exemple lorsque « Pygmalion » épouse sa statue. Mais « L’inquiétante étrangeté » se retrouve même chez le guilleret Offenbach: dans ses contes, Hoffmann s’est laissé aveugler : Olympia est une poupée !
Un robot à chapeau melon nommé « Berenson » du nom d’un historien de l’art se promène dans l’exposition parisienne, il est né d’un anthropologue et d’un ingénieur, on lui apprend à aimer les œuvres, alors il met sa bouche en cœur en une admiration statistique il suit les appréciations du public.
Hiroshi Ishiguro apprend à répondre à ses robots dont une dernière version est comme son double recouvert de latex, pour lequel il est question qu’il assure des conférences à la place du concepteur : là nous entrons dans la vallée de l’étrange.
« Lorsque l’objet se met à ressembler trop à l’un d’entre nous, il devient au mieux bizarre au pire totalement effrayant. Si l’on reporte ces observations sur une courbe, on verra celle-ci grimper au fur et à mesure que le degré d'humanité de l’objet augmente. Jusqu’au moment ou la courbe atteint son apogée avant de s’effondrer. C’est ce trou dans le graphe qui constitue la “vallée de l’étrange”. »

mercredi 24 février 2016

Babel. Jean Louis Murat.

Je trouvais l’Auvergnat quelque peu déplaisant et n’étais jamais entré dans son univers.
Avec 20 chansons de ce 29° album, nous en avons pour nos sous.
Sa voix nasillarde m’a même convenu.
«Le jour se lève sur Chamablanc :
Ce matin Bozat est encore blanc
Les enfants dorment
C’est l’été dans le pays où je suis né »
Je suis chez moi dans ces espaces : Le Mont-Dore, Le Crest, le Col de Diane, le Chambon, les Vergnes, les Ferrandaises… pas loin de mes terres.
«  Le facteur n’est pas encore passé
 Je veux voir les avis de décès
C’est à 9 heures pour le Fernand
Il faudra tous y aller nom de nom.»
 Et je m’inscris dans ce temps où les campagnes disparaissent dans les brouillards.
« C’T’y pas Henriette
Là-bas au loin
Qui nous fait
Signe de la main »
Les musiques variées s’accordent aux paroles douces ou âpres, nostalgiques ou vigoureuses et même parfois ludiques dans un « camping à la ferme » joyeux :
« Le paysan vient en tracteur
nous chercher je te jure
C’est vraiment la folie
Des gens charmants qui vous
accueillent dans leur famille
Devine pour quoi, pour qui
Cool, super cool (voix d’enfants) »
 Pourtant la mort rôde même s’ « il ne faut pas faire de mal aux petits quand il neige au Sancy »
 «  Que vas-tu faire
 À minuit
 Seul dans la forêt ?»
La consolation, habite ces lieux de pierre et de jonquilles, comme l’amitié, les amours et même les rêves de voyages :
« Et chaque nuit
Manger la proie
Et l’ombre »

mardi 23 février 2016

Pablo. Julie Birmant Clément Oubrerie.

Ce premier tome sous titré « Max Jacob » débute une série de 4 albums consacrée à Picasso, phare du XX° siècle.
Le jeune catalan arrive à Paris avec son ami Casagemas au moment de l’exposition universelle de 1900 et c’est le récit de deux ans de sa vie à Montmartre, au Bateau-Lavoir.
Les prémisses d’un destin hors du commun sont esquissés avec vivacité.
Oubrerie a déjà travaillé sur Aya de Yopougong et Django Reinhardt
et son trait très décontracté convient parfaitement  pour décrire ces années intenses avec poètes, artistes et modèles dans les cafés et les mansardes ouvrant sur les toits de Paris au carrefour des libertés.
Picasso a connu le succès très tôt, puis l‘incompréhension, quand seul le poète Max Jacob, le suivait, l’hébergeait.
Il apprenait le français :
« Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! »
Rimbaud
Cet épisode chargé en joie de vivre et jeux de mort, se clôt sur la rencontre de vies habillement croisées de Fernande et Pablo, que nous pouvons être impatients de retrouver dans les chapitres suivants.

lundi 22 février 2016

Les Huit Salopards. Quentin Tarantino.

Pan pan tue tue !  La musique est excellente(Morricone) et la neige du Wyoming  bien belle, qui passe à travers les planches de la cabane, où se retrouvent tous ces salauds caricaturaux que les acteurs se plaisent à camper avec talent, mais c’est de l’excessif, du gerbant qui explose enfin, après une attente bavarde. Huit : un de plus que la jauge habituelle de ce genre d’individus.
C’est coloré, bien fichu, d’un humour noir roboratif, mais je ne peux m’empêcher de revenir à un thème aujourd’hui dépassé par la réalité : tant de rigolarde complaisance dans la violence ne produit-elle pas de l’indifférence, de la déshumanisation? Quand se font dessouder tant de personnages avec tant d’allégresse, que pourra-t-on dire des jeux ultra-violents et de passages à l’acte quand la mort fait rire?
Nous sommes dans un huis-clôt : à chaque passage de la porte il faut la reclouer.
Si le politiquement correct m’irrite souvent, je ne comprends pas que nos prêcheurs en général plus véloces ne se soient guère exprimés à l’égard du cinéaste qui me séduisit pourtant  jadis. Les ligues de vertu féministes n’ont pas été gênées par les rires qui éclatent dans la salle à chaque fois que la seule salope du film s’en prend plein la gueule, il est vrai qu’avec son cocard de comédie, on ne va pas la plaindre quand elle dégouline de ketchup ou autre hémoglobine factice.
La bande de lancement était attirante mais aurait presque suffi, car 2h 48mn plus tard, cette « tarantinade » mot venu d’ailleurs que je partage volontiers est bien longue, la lettre de Lincoln ridicule, les  références à Agatha Christie plutôt en faveur de la vieille anglaise coincée que du pétaradant résident de la côte Ouest.

dimanche 14 février 2016

Le canard sauvage. Ibsen, Braunschweig.

En revoyant la date de création de la pièce : 1885, et sa modernité, je mettrai Ibsen dans son domaine aussi haut que Picasso qui toujours étonne.
L’originalité de l’approche est bien mise en valeur par le metteur en scène qui cette fois,
met la sobriété au service de la profondeur tout en ménageant la part de la folie et du rêve.
Le mensonge est-il préférable à la transparence ?
En ces temps où le politiquement correct poursuit son chemin d’autruche face à la barbarie la plus primaire, l’exploration de nos passions contradictoires n’est pas du luxe.
Malgré le titre et les métaphores concernant la nature, je n’ai pas perçu la centralité de l’aspect forêt primaire, bien que la symbolique soit forte : lorsqu’ils sont blessés, les canards sauvages préfèrent plonger et s’accrocher aux herbes du fond plutôt que de survivre.
J’ai vu plutôt ce qui figure dans le livret d’accompagnement substantiel distribué à la MC 2, l’illustration de Nietzsche :
« L’Européen se travestit avec la morale parce qu’il est devenu un animal malade, infirme, estropié, qui a de bonnes raisons pour être « apprivoisé », puisqu’il est presque un avorton, quelque chose d’imparfait, de faible et de gauche… Ce n’est pas la férocité de la bête de proie qui éprouve le besoin d’un travestissement moral, mais la bête du troupeau, avec sa médiocrité profonde, la peur et l’ennui qu’elle se cause à elle-même. »
Les acteurs sont excellents, et je regrette que le médecin dont les interventions sont irradiantes ne soit pas plus présent. Le photographe causeur, qui vit de l’argent du père d’un ancien ami se rachetant de ses faiblesses, est veule à souhait, cet ami pathétique, les femmes ne sont pas dupes.
Pas de pathos, la distance est maintenue, sans froideur : les éléments d’un mélo qui touille secrets de famille, enfant du péché et affaire d’argent, s’installent sans trompette pendant 2h 30 indispensables.
Les allusions autour des images retouchées nous emmènent, au-delà des photochoperies, vers  nos arrangements avec la vérité pour continuer à vivre.
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 Après une semaine de pause, je reprends la publication quotidienne de mes articles lundi 22 février.

samedi 13 février 2016

XXI. Hiver 2016.

Marie Desplechin dans les dernières pages du trimestriel a rédigé un article amusant, clair, original, bien vu, sur le lien entre journalisme et littérature.
Plutôt que d’imaginer le journalisme dans un placard sous l’escalier d’une maison où le roman occuperait la salle à manger et la poésie le salon, elle lui donne volontiers la place dans le jardin :
« ce serait bien, le parc et les jardins, ouverts aux pluies, au soleil et aux vents. »
Voilà comme d’habitude
210 pages riches en portraits de femmes magnifiques :
la punk Birgitta Jónsdóttir promise au poste de premier ministre en Islande,
la maire de Madrid, l’incorruptible Manuela Carmerna,
et « Mutti » Angela Merkel.
Il faut bien de ces femmes fortes pour ne pas désespérer du monde,
quand on suit l’échec d’un groupe de citoyens mexicains pour ne pas subir la loi des cartels,
la fragilité d’une station d’observation dans l’Amazonie équatorienne,
les difficultés d’un SDF qui depuis un passage à la télévision fut embauché dans une entreprise qui s’est révélée un cauchemar,
la vie d’une municipalité FN à Hayange.
En Dordogne, un village a accueilli des Syriens, et comme toujours le reportage qui prend son temps présente plusieurs points de vue.
Le travail de réseaux permettant  la libération d’otages de Daech est impressionnant,
comme est bienvenu le témoignage d’une journaliste qui a suivi des trains de réfugiés dans les Balkans. 
Du coup l’entretien avec un médecin concernant la souffrance au travail apparait assez habituel,
comme est folklorique le festival de Black rock, ville éphémère dans le désert du Nevada où chaque année est  brûlé « Man ».

vendredi 12 février 2016

Réveil, agenda, rythmes scolaires et trous dans les murs.

Lève tôt.
Dans le genre information anodine, j’avais retenu que d’après un sondage, les républicains américains se levaient plus tôt que les démocrates qui seraient plutôt du soir (grand).  
Si l’on peut constater chaque jour combien la société se droitise, sur ce plan là au moins, la gauche a gagné, auprès des jeunes en particulier. 
Pour renforcer le schéma qui voit des hordes de retraités piétiner avant l’ouverture des grands magasins, je suis de ceux qui grognent sur les retards systématiques dans toute réunion, voire aux spectacles et  me désole des fatigues ostentatoires qui s’affichent sur les bancs effondrés des collèges. Et ce n’est pas le surmenage scolaire qui les met à bas !
Pourtant experts en tous genres, branlant du genre, vont venir au secours de ces pauvres petits, pardon de ces adolescents… je ne sais  quel mot employer quand je vois une enfant de onze ans qualifiée d’ « ado » à la télé, car « enfant » serait péjoratif, quand « jeune » se voit affublé illico d’une capuche.
Stress.
Ainsi dans l’assentiment général des adultes qui n’assument pas leur rôle, fut mise en place, la néfaste refonte des rythmes scolaires qui conjugua la perte d’influence de l’école et de l’état, prolongée par la réforme du collège qui entérine le peu de foi que l’on porte envers l’étude en voulant transformer les formateurs en animateurs. Jeu du Bac pour tous et chômage pour trop.
Ceux qui saturent les emplois du temps de leur progéniture, dénoncent le stress scolaire. Ils rêvent d’école Montessori et frisent Stakhanov hors des murs de la communale. Et côté enseignants dont quelques bribes d’autorité tiendraient aux notes, rencontrant les tendances à monétiser des élèves, il conviendrait que les 13/20 soient simplement un moyen de vérification inscrit dans le processus d’apprentissage : action/correction/action. Pour que l’erreur soit formatrice, il faudrait encore qu’on cesse d’être aux taquets, sur la défensive, à demander sans cesse des comptes. Se « choper une bulle » n’a jamais tué personne.
Adultes.
Quand les majeurs démissionnent, de petits caïds prennent la place et les enfants soumis à des choix prématurés ploient sous la charge psychique.  
Les dysfonctionnants dans les classes attirent toutes les attentions ; les éternels dociles s’y feront. Les grandes personnes malheureuses de leur âge qu’elles camouflent, se taisent, ne colmatent même plus les béances trop voyantes. Pourvu que les élèves soient gardés.
Ah ! Les adulescents gèrent et les politiques les flattent, les profs-parents désemparés parent au plus pressé : au conseil d’administration, les représentants des familles participeront au choix des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Alors qu’à une époque les militants parents d’élèves passaient à la politique de la même façon que les syndicalistes étudiants entraient dans la carrière, aujourd’hui les politiques qui ne savent plus après qui courir, ont des clientèles à flatter ; fini le temps des instits barbus qui faisaient la loi à l’assemblée en 81.. Désormais maman a bobo et l’état nounou lui tartine son Nutella, les petits feront dodo quand ils pourront. De quoi en perdre son accent circonspect.
Accents.
Pour avoir réagi au rythme affolant des réseaux sociaux, je suis tombé, où vont de plus en plus mes penchants nostalgiques, du côté des regretteurs du facétieux accent circonflexe qui pourtant me posa problème. Et puis à prendre connaissance des modifications proposées nous pouvons nous apercevoir qu’il s’agit de modifications anodines et datées d’une vingtaine d’années. Merci à « L’instit humeur » au blog  recommandé ci contre.
« Ce n’est pas l’orthographe de nénuphar qui est un problème au collège » François Bayrou.
Petit retour sur un autre temps qui percute le nôtre : Defferre, le mari d’Edmonde Charles-Roux, avait installé FO à la mairie de Marseille contre la CGT à l’époque de la guerre froide, ce syndicat tient désormais les élus dans la deuxième ville de France qui a des écoles dans un si lamentable état que nos débats qualitatifs sont renvoyés par le fond. Mais pourquoi avoir attendu tant de temps pour que ce scandale vienne au jour ? 

jeudi 11 février 2016

Art cinétique 2. Itzhak Goldberg

Avant d’assurer la révision d’une conférence précédente pour l’auditoire des amis du musée de Grenoble,  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/02/les-precurseurs-de-lart-du-mouvement.html
le nouveau conférencier a placé son exposé sous le titre « Idée de mouvement ».
Une annonciation de la Renaissance amorce un récit et si celle-ci ne fait pas de bruit, un mouvement est suggéré, dans « L'Adoration des Rois mages » de Gentille da Fabriano : Gaspard, Melchior et Balthazar sont représentés trois fois.
Avec « La Grève » d ’Adler ou la promenade à Argenteuil de Monet, déplacements il y a, il y aura, par la matière et les touches décomposées, les contours particuliers, surtout chez l’impressionniste.
« La chaîne majestueuse de l’image fixe sur deux dimensions se déroule de Lascaux aux abstraits… » Vasarely
Les chronophotographies de Marey ou de Muybridge, l’australien, serviront les futuristes qui annoncent leur programme dans Le Figaro : « ce qui compte c’est le mouvement ».
La modernité passe par le choix des sujets et pas seulement par le style : motocyclettes et bicyclettes, automobiles, avions… 
Russolo : « Dynamisme d'une automobile »
Combien de tableaux portent dans leur titre : « dynamique » ?
L’art alors évite horizontales et verticales statiques, joue de la simultanéité et du flou artistique, des transparences et des chevauchements ; dans les sculptures, le vide est aussi important que le plein. La science est belle. 
« La femme cueillant des fleurs » de Kupka se déployant comme un éventail a des airs abstraits, elle est moins robotique que « Le nu descendant l’escalier » de Duchamp.
Chez les Delaunay, « Hommage à Blériot », les hélices, objets géométriques parfaits, font vrombir les formes, rythment les couleurs  et chassent les sujets.
Le « Nijinski » de Rodin illustre sa volonté de ne pas penser à la ressemblance mais à la vraisemblance, le mensonge donnera alors l’idée du mouvement.
Calder « Object with Red Discs » n’est pas tombé du ciel, lui qui avait son petit cirque dans des valises,  en vrai, c’est au dessus de la piste que l’espace se transforme avec les prouesses des corps.
L’américain équilibre ses cercles, demi cercles, fait entrer le spectateur dans la danse légère des formes poétiques, les ombres bougent.
Edgar Degas, lui, avait vu « Miss Lala au cirque Fernando ».
«… L’avenir nous réserve le bonheur en la nouvelle beauté plastique mouvante et émouvante. » Victor Vasarely "Vega Nor"
Oui, nous avons beaucoup vu ces images dans les années soixante mais le op’ art qui joue sur l’instabilité des perceptions explorait lui aussi des pistes nouvelles.
Dans l’art cinétique, l'œuvre est animée par des moteurs, comme avec Tinguely,  ingénieur de l’inutile,  « Baluba 3 ».
Après Julio Le Parc et ses « Continuel lumière avec formes en contorsion »,

« La salade entre 2 blocs de granit » d’Anselmo va jouer sur des rythmes plus lents,
et Brancusi avec son «Oiseau dans l'espace » donne à la fois l’objet et l’idée attachée à l’objet : « oiseau vole ».

mercredi 10 février 2016

La terre et l’ombre. Cesar Augusto Arcevedo.

La terra y la sombra.
Une maison aux volets fermés au milieu des champs de canne à sucre boliviens.
Le rythme lent convient bien pour accompagner la fin de vie d’un travailleur épuisé par le travail.
Son père revient l’assister, lui qui est parti loin depuis des années.
Sous ses allures de macho latino, il va à l’encontre du cliché et se fait tout doux avec son ancienne épouse, restée sur ses terres et avec son petit fils qu’il initie aux chants d’oiseaux.
L’entreprise qui emploie aussi cette vieille  femme et sa belle fille est intraitable et surexploite les coupeurs de canne.
Etouffant et fort.

mardi 9 février 2016

Où sont passés les grands jours ? Jim & Alex Tefenkgi.


Est ce que le deuxième volume d’une histoire au titre séduisant sauverait une première partie décevante ? http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/06/ou-sont-passes-les-grands-jours-jim.html
Les amis entrant dans l’âge adulte sont toujours aussi immatures et agaçants. La mort d’un des leurs étant un prétexte qui dure pour justifier en particulier Hugo, le personnage principal, tragiquement puéril.
Il vient de mettre enceinte sa maîtresse et continue d’harceler sa légitime, mère de sa fille. 
L’histoire qui met en scène beaucoup de personnages irresponsables, nous présente des  aspects  dominants de notre société. 
Le jeune papa veut montrer les étoiles à sa fille, comme c’est romantique! Il dégomme alors les ampoules de l’éclairage public au lance-pierres.
Tant d’intensité, sans véritable distance prise pour se maîtriser, avec par exemple la mère d’un âge avancé et ses recherches sur Meetic, est typique de notre humanité, pathétique, hystérique,  où s’affrontent les solitudes  entre deux coups d’affects.
Intéressant, malgré des défauts persistants, un trait conventionnel avec pourtant des notations justes par ci par là qui ne gagnent rien à se placer sous la formule ronflante et banale :
« C’est l’histoire de la vie. La vie plus forte que tout »

lundi 8 février 2016

No land’s song. Ayat Najafi.

Une jeune iranienne compositrice à l’énergie  communicative essaye d’organiser un concert international avec Jeanne Cherhal entre autres, où des femmes chanteraient pour un public mixte.
Mais ce n’est pas normal aux yeux des décideurs mâles qui ne regardent pas leur interlocutrice en face. Des femmes fortes, intelligentes qui au-delà de l’irrévérence à chanter en solo en reviennent aux fondamentaux de la liberté, de la dignité.
Quand tant de volonté, d’opiniâtreté sont dépensées pour des motifs qui semblent dérisoires, ces petites victoires paraissent grandioses.
Film utile où la production permet l’avancement de projets, comme avec « Benda Bilili », la troupe d’handicapés passés des rues de Kinshasa à une tournée européenne,

dimanche 7 février 2016

Origines. Baptiste Lecaplain.

Merci aux programmateurs de La Vence Scène à Saint Egrève qui après
Proust Gaspard
et le Comte de Bouderbala
ont permis à une salle comble d’assister au début de la tournée de celui qui doubla un gladiateur dans « Astérix, le domaine des Dieux » et appartient désormais à l’équipe de Ruquier dans « Les grosses têtes » sur RTL ; pas vraiment non plus le perdreau de l’année que j’imaginais.
Il joue sur son ancienne timidité avec ce qu’il faut d’improvisations pour vivifier un spectacle de deux heures, bien écrit, où se retrouvent un canard à qui il ne faut pas donner du pain, le revers de la main de son père et la clope de la mère.
Autobiographie tendre et drôle où le jeu périlleux avec les blagues nulles est parfaitement réussi et des références tellement contemporaines que je n’ai pas tout saisi : haschtag plus-dans-le -coup.  Il regrette le temps ou tout petit on le couchait sur deux chaises et il se réveillait en pyjama dans son lit ; devenu adulte cette situation est plus problématique.
Comme le stand up est pétillant, rythmé, on peut excuser l’ancien enfant roi devenu papa, pour le cliché des sempiternelles flûtes des cours de musique dont seul un cobra peut saisir les nuances, ou les affres déjà bien parcourues du romantique qui ne conclura qu’à 23 ans.
Il s’accompagne de toute une série de personnages intermittents, retrouvés avec plaisir : chiens et chats, taupe ou kangourou livreur de pizza chez des végétaliens qui le récusent car ils n’acceptent pas ce qui vient d’un animal. 

samedi 6 février 2016

Un printemps 76. Vincent Duluc.

Pour avoir souhaité en ces années, être nommé du côté de Vienne parce que c’était plus près de Saint Etienne … pour du foot, je me retrouve mot à mot dans ces 213 pages qui savent de quelle couleur furent ces années : vertes !
Je voulais reprendre une formule : « Qui n'a pas vécu dans les années… »  et je m’aperçois  qu’elle est de Talleyrand : «… voisines de 1789 ne sait pas ce que c'est que le plaisir de vivre.»
J’ai connu ces chants, cette communion avec les foules folles de Geoffroy Guichard.
Quand les élèves de polytechnique à la mi-temps faisaient la parade : « A la mine ! »
Ce livre qui revient sur les années adolescentes, à Bourg-en-Bresse, du responsable de la rubrique football de « L’Equipe », se lit d’un trait :
 « Francis Perrin s’arrêtait à un carrefour, se tournait vers sa passagère, et lançait cette réplique immédiatement entrée dans l’histoire du cinéma : Alors Bourg-en- Bresse ou les Bahamas ? »
Bien sûr, pour qui Herbin ne dit rien, ni Curkovic, ni même Rocheteau, passez votre chemin.  Parce que cet échange dans le vestiaire vous sera étranger, quand le président Rocher se plaint auprès des équipiers de Larqué :
« Vous vous rendez compte, votre capitaine refuse le contrat que je lui propose pour jouer avec vous ! Même ma femme n’en dort pas »
Larqué répond : «  Ne mêlez pas votre femme à l’affaire. Germaine est une sainte femme… »
Les femmes allaient au paradis et les agents réglaient la circulation.
Bien sûr, l’écriture fait du style, trop dribbleuse, mais je manque de gadins pour lui lancer des pierres. Et cela va bien à ma nostalgie, bien qu’il n’en fasse pas des tonnes et trouve les mots justes pour parler de ce stade, ce qui lui avait valu des remontrances d’un maire qui  aurait voulu que Saint E soit la ville du design. Sans se mettre en surplomb, il parle bien du devenir de ces hommes qui furent au cœur du chaudron, et ont vieilli  si vite, en allant chercher ce qui fonde une équipe et forge des individualités.
Et ça, ce n’est pas que l’histoire de onze manchots qui courent après leur enfance.