« Depuis que je
n’y vois plus, je découvre encore chaque jour les beautés du monde,
ses
étrangetés, ses laideurs, sa présence - parce que la littérature ne cesse de me
les apporter. » ?
Sauf que je reste avec un sentiment de défaite lorsqu’elle
parle de « pureté », de « civisme », de « sagesse »
quand
l'école pour laquelle elle plaide est
dédaignée, les savoirs méprisés.
Et pourtant :
« De cet amas de
connaissances que l’on croyait d’abord inutiles et qui peu à peu se sont
effacées, disparaissant de notre conscience les unes après les autres, résulte
donc pour finir la possibilité d’avoir une pensée personnelle, une vie
indépendante et une personnalité autonome. »
Ses références antiques sont à peine aussi démodées que
l’évocation de Gide ou Giraudoux.
« L’élève qui
aura fait ses classes, même modestement, aura ajouté aux souvenirs des contes
qui charmaient son enfance tout l’héritage de l’expérience humaine. Il aura
conquis un empire avec Alexandre ou Napoléon, il aura perdu une fille avec
Victor Hugo, il aura lutté seul sur les mers comme Ulysse ou bien comme Conrad,
il aura vécu l’amour, la révolte, l’exil, la gloire. »
J’emploierai un terme également suranné pour remercier la
« brave » dame de nous consoler des carences de nos mémoires. Elle n’avait
à l’époque sans doute pas vu d’élève de près depuis aussi longtemps que moi.
« Montaigne,
déjà, connaissait bien le risque d'une recherche trop intense; et, se plaignant
de sa mémoire, il écrivait (dans De la Présomption) : « Plus je m'en
défie, plus elle se trouble; elle me sert mieux par rencontre. Il faut que je
la sollicite nonchalamment ; car, si je la presse, elle s'étonne; et depuis
qu'elle a commencé à chanceler, plus je la sonde, plus elle s'empêtre et
embarrasse : elle me sert à son heure, non pas à la mienne. »
Si je partage quelques unes de ses réflexions, je n’ai pas
l’optimisme de l’helléniste militante disparue en 2010.
De jour, nous clignons des yeux devant des paysages asséchés, la nuit, les lumières se font rares.
« Alors que les
littératures anciennes ou classiques
célébraient si volontiers la beauté de la vie humaine, les nobles sentiments et
la douceur de l’existence, la littérature de notre temps exprime presque toujours
une sombre amertume… »
Jacqueline de Romilly est toujours une très grande dame pour moi, et je continue à la lire avec un immense plaisir. Encore une fois, je me dis qu'elle vivait dans un monde où on pouvait accéder à un début ? de sagesse dans et par la littérature, et que l'acquisition de la "science" était moins la visée exclusive de l'instruction. Je ne sais pas si nous avons encore une littérature, non plus si nous aspirons à avoir une littérature. Quand l'image de lui-même que l'Homme trimballe dans sa tête se dégrade trop, je ne sais pas s'il est capable de faire de la littérature à partir de son expérience. Il me semble que le terme "littérature" devrait être réservé à une civilisation qui comprend le rôle nécessaire de l'aristocratie dans les têtes, et oeuvre pour la préserver. En dehors de ces conditions, peut-on encore parler de littérature ?
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