Dans la même semaine, j'ai vu le film « Le boléro » puis lu le
livre sorti en 2006, peut être que j’aurai dû intervertir l'ordre.
« Mozart était
tellement précoce qu'à 15 ans il avait déjà composé le Boléro de Ravel »
Pierre Desproges
Mais on peut accorder toute confiance à l’écrivain que le
réalisateur avait sûrement lu.
Nous sommes tout de suite à la fin des années 20, il y a
cent ans :
« En arrivant au
bout de la rue de la pépinière on aperçoit ainsi, s'engouffrant dans la rue de
Rome, une longue Salmson VAL3, bicolore et profilée comme un escarpin de
souteneur. »
Le portrait de l’auteur du Boléro est riche bien que centré
sur les dix dernières de sa vie.
« Il a toujours été fragile de toute
façon. De péritonite en tuberculose et de grippe espagnole en bronchite
chronique, son corps fatigué n'a jamais été vaillant même s'il se tient droit
comme un i sanglé dans ses costumes ajustés. Et son esprit non plus, noyé dans
la tristesse et l'ennui bien qu'il n'en laisse rien paraître, sans jamais
pouvoir s'oublier dans un sommeil interdit de séjour. »
Il n’y a pas que le Boléro !
« Cet objet sans
espoir connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde à commencer par son
auteur. Il est vrai qu'à la fin d'une des premières exécutions, une vieille
dame dans la salle crie au fou, mais Ravel hoche la tête : En voilà au moins
une qui a compris, dit-il juste à son frère. »
Plutôt que l’illusion
de percer des secrets de fabrication de succès planétaires, nous partageons
les affres d’un créateur exigeant, perdant ses mots et sa musique jusqu’à sa
trépanation. Avant ses souffrances ultimes, quelques notations permettent de
sourire, lors de son voyage en Amérique :
« …on fait trois brefs
discours auxquels il n’entend rien, n’ayant aucune oreille pour les langues
étrangères à l’exception du basque. »
Le génie reconnu, applaudi reste terriblement seul. La
compréhension de ses œuvres parait parfois difficile, même pour « Le concerto
pour la main gauche », écrit pour un pianiste ayant perdu son bras droit à
la guerre, le frère du philosophe Wittgenstein, qui avait trop arrangé, ornementé, la
partition du maître :
« Quand
Wittgenstein, vexé, lui écrit en retour que les interprètes ne doivent pas être
des esclaves, Ravel lui répond en cinq mots. Les interprètes sont des esclaves. »
Très intéressant, ce débat : les interprètes doivent-ils être des esclaves ? Juste pour nuancer un peu, je sais que Brahms a écrit son unique concerto pour violon avec le concours de Joachim, grand violiniste de l'époque. Je ne sais pas combien Brahms a connu le violon, mais il est.. UTILE, OUI UTILE, qu'un compositeur connaisse les possibilités, les forts et faibles d'un instrument pour composer pour cet instrument. A moins de considérer que la musique est une pure abstraction, ce que je ne cautionnerai pas. Ravel croyait-il que la musique fut une pure abstraction ? Le vieux (ou jeune...) Bach, croyait-il que la musique fut une pure abstraction, lui qui n'hésitait pas à changer les orchestrations, à employer un instrument pour un autre dans ses instruments ? Je ne crois pas du tout que Bach croyait que la musique fut une pure abstraction. Ravel ? tendait-il vers cette vision. Ce serait dommage, mais surtout pour lui. On se souviendra que la chair est éternellement destinée à rester... faible, mais que même les mots ne sont pas éternels. Oui, même les mots.
RépondreSupprimerPour revenir au débat initial, je crois que les interprètes doivent être au service de... l'oeuvre ? le compositeur ? PLUTOT L'OEUVRE, en considérant qu'une fois que le compositeur a PONDU sa création, elle ne lui appartient plus ; elle vit par et pour elle-même, quelque chose que notre époque a du mal à comprendre, avec nos putains de "DROITS de propriété" qui envahissent (et gâchent) tout.
Et là, s'ouvre un encore plus vaste débat...