Comme une pierre qui délimite un champ, ce livre témoigne
pour moi des étapes d’une vie qui se superposerait volontiers à l’histoire
d’une époque voire à celle de notre condition humaine.
« On est peu à
peu arrivé à ce temps où l’hiver s’amollit comme un fruit malade. Jusqu’à
présent, il était dur et vert et bien acide, et puis d’un coup le voilà
tendre. »
Adolescent, je fus emporté par le style foisonnant du
résident de Manosque, puis gavé de trop d’adjectifs, je pris mes distances avec
« la terre qui ne ment pas ».
Je retrouve sur le tard cet ouvrage
fort, autant par la manière que par le fond : un chasseur-cueilleur
redevient agriculteur prenant le chemin inverse de ceux qui prônent en ce
siècle 2.0, un retour au paléolithique d’avant la propriété capitaliste.
« Ça a changé
depuis la tombée du jour : une force souple et parfumée court dans la
nuit. On dirait une jeune bête bien reposée. C’est tiède comme la vie sous le
poil des bêtes, ça sent amer. Il renifle. Un peu comme l’aubépine. Ça vient du
sud par bonds et on entend toute la terre qui en parle.Le vent du
printemps ! »
Un hymne à la nature et à l’homme tellement évident qu’il
n’est pas besoin de surcharger de précautions oratoires ou d’allusions à
d’anecdotiques verts vaseux.
Il suffit de reprendre des bribes pour dire le bonheur de la
lecture à chaque phrase :
« Les bords
transparents du ciel s’appuient de tous les côtés dans l’herbe »
« Un grand silence
craquant comme une pastèque »…
Les parfums de la Provence, les rudesses d’un temps passé,
la confiance en la vie, jaillissent de chacune des 177 pages que l’on aurait
envie de lancer comme grains de blé en bout de « geste auguste du
semeur ».
« Il a des
chansons qui sont là, entassées dans sa gorge à presser ses dents. Et il serre
les lèvres. C'est une joie dont il veut mâcher toute l'odeur et saliver
longtemps le jus comme un mouton qui mange la saladelle du soir sur les
collines. Il va, comme ça, jusqu'au moment où le beau silence s'est épaissi en
lui, et autour de lui comme un pré. »
Magnifique écriture, celle de Giono, et tu lui rends justice dans cette prose qui nous présente "Regain", et qui donne envie de croquer cette lecture. Merci.
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