La guerre en 2022 se déroule derrière nos écrans et il faut ces
feuillets de 1934 pour nous dire avec force, la folie des hommes et la douleur
d’un des leurs.
« C’est écœurant
quand on a vu pendant des mois les convois d’homme et de tous les uniformes
défiler dans les rues comme des bancs de saucisses, kakis, réserves, horizons,
vert pomme, soutenus par des roulettes qui poussent tout le hachis vers le gros
pilon pour cons. »
La fluidité de la lecture n’est troublée que par l’admiration
d’un tel style qui appelle sans cesse la citation. Dans la même librairie,
j’avais acheté « Un dernier ballon pour la route » précédé d’une
flatteuse critique. Ses sales descriptions et un vert vocabulaire m’ont paru
tellement artificiels que je ne l’ai même pas terminé, pressé d’en venir à un
écrivain au dessus du panier.
« J’ai appris à
faire de la musique, du sommeil, du pardon et, vous le voyez, de la belle
littérature aussi, avec des petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui
n’en finira jamais. »
Sa précision, son originalité malgré les nombreux plagiaires
depuis cent ans, excellent dans la description du malheur humain:
« Je m’étais
divisé en parties tout le corps. La partie mouillée, la partie qu’était saoule,
la partie du bras qu’était atroce, la partie de l’oreille qu’était abominable,
la partie de l’amitié pour l’Anglais qu’était bien consolante, la partie du
genou qui s’en barrait comme au hasard, la partie du passé déjà qui cherchait,
je m’en souviens bien, à s’accrocher au présent et qui pouvait plus – et puis
alors l’avenir qui me faisait plus peur que tout le reste, enfin une drôle de
partie qui voulait par-dessus les autres me raconter une histoire. »
Les rares moments de joie en prennent une intensité
extraordinaire.
« On me veut du
bien de tous les côtés. On se bafouille tous les trois dans la chaleur en se
caressant les épaules et c'est l'affection de la belle amitié. Moi c'est devenu
facile et naturel de bégayer, que j'ai l'air bien saoul. J'ai qu'à me laisser
porter par mes phénomènes et mes petits souvenirs personnels, ça va tout seul.
Je suis transposé en moins [de] deux dans le surréel avec mon torrent de
musique à pression. »
Pourtant :
« Faut se méfier.
C'est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie. Il prend des petites mélodies
en route qu'on lui demandait pas. Il vous revient tout maquillé de pleurs et de
repentirs en vadrouillant. C'est pas sérieux. »Gravures d'Otto Dix
On a eu cette discussion hier, à table, à plusieurs : le fait de faire la guerre suffit-il pour qualifier un homme de "fou" ?
RépondreSupprimerAutour de moi je ne peux que constater l'extension du champ du mot "fou". Bien entendu, celui qui voit la folie partout ne la voit pas chez lui, d'après mon expérience. Une vieille histoire de... paille et de poutre, peut-être ?
Quand on veut se laver toujours plus blanc, tous les moyens sont bons. C'est vieux comme le monde, il me semble.