jeudi 3 mars 2022

Bleu et rouge. Serge Legat.

D’emblée le conférencier devant les amis du musée de Grenoble cite Michel Pastoureau, la référence en matière de symbolique des couleurs.
L’homme comme la libellule ou l’abeille voit le monde en couleurs contrairement à la majorité des mammifères. Le rouge apparaît, il y a 15 000 ans, dans la grotte d’Altamira en Espagne
ou à Santa Cruz en Argentine, 7000 ans avant notre ère.
La couleur chaude, plutonienne, centrifuge, figure avec le noir et le blanc sur un vase destiné à conserver des denrées, un Peliké grec (IVe siècle av. J.-C).
Par contre le bleu, premier pigment créé par l’homme apparaît en Egypte du temps des pharaons, il porte bonheur dans l’au-delà avec les ouchebtis serviteurs pour toujours
ou sur la Tombe de Nébamon (1350 av J.C.)
Le bleu centripète, uranien, habille les mâles, mais au temps des chevaliers, les bas de chausse pouvaient être roses. Quand « Vercingetorix jette ses armes aux pieds de Jules César » de Lionel  Royer, il porte la couleur des barbares
venus du Nord, aux yeux inquiétants.
La couleur froide envahit
une enluminure de l’an 1000 représentant le débarquement d'une flotte viking en Angleterre.

Les peuples de la bible préfèrent le saphir alors que les couleurs liturgiques fixées à l’époque carolingienne ne connaissent que le blanc, le vert, le rouge et le noir.
Mais la couleur délaissée passe au premier plan avec le culte marial. La vierge est vêtue de la même couleur sur l
e crucifix de Sant’Eustorgio que le périzonium du Christ, son linge de pudeur.
Bien avant que Marco Polo ait remarqué qu’en Afghanistan, « il est une montagne abritant les plus beaux lapis-lazulis au monde », des mines sont exploitées ; ces pierres précieuses servent à la fabrication des pigments.
Dans La chapelle Scrovegni, Giotto a peint 53 fresques sous une voûte semée d'étoiles d'or sur fond d'azur.
Son baptême du Christ a abandonné le doré symbole au moyen-âge de la puissance divine.
Contrairement aux constructions cisterciennes de saint Bernard refusant les couleurs, l’abbé Suger lorsqu’il reconstruit la basilique de Saint Denis au XII° siècle, l'une des plus anciennes églises gothiques, a voulu des vitraux diffusant la lumière divine.
La Maestà
de Cimabue assise sur un trône, sert de trône à son fils,
dans La Dormition par Duccio Jésus porte l’âme de sa mère.
A partir de Philippe Auguste au XII° siècle, les rois s’habillent en bleu. C'est le cas quand celui-ci reçoit avec Richard Cœur de Lion les clés d’Acre dans une Illumination des grandes chroniques de France.
La demande de cette teinte était alors très forte, des régions firent fortune comme en témoigne l’hôtel d'Assézat à Toulouse, un temps « pays de cocagne » terme dérivé de la « coque », boule de feuilles de pastel.
Le rouge est ambivalent : le calice du sacre à Reims évoque le sang versé du « Sauveur », 
comme dans la crucifixion de Fra Angelico à laquelle assiste Saint Dominique.
Il représente également l’esprit saint dans « La Pentecôte » d’un missel du Pays de Galles (14e siècle)
mais aussi les flammes de l’enfer chez Bouguereau : Dante et Virgile 
ou chez Bosch 
La substance rouge est tirée du murex depuis très longtemps, 2000 ans sur cette coquille où est inscrit le nom de « Rimush, roi de Kish » en Mésopotamie. Quand cette ressource se raréfie, sont utilisés les œufs de cochenille (kermès), la racine de la garance; la brillance est alors le critère des choix.
Les protestants trouvaient cette couleur immorale : La grande prostituée de Babylone, par contre la pourpre peut être cardinalice.
Robert IIII d’Artois, roi maudit  s’habille en rouge et les robes de mariées sont rouges. Depuis le XVI° siècle les hommes préfèrent porter du noir alors que le bleu est devenu la couleur favorite chez les occidentaux.
Les cœurs de Koons sont de la couleur de la passion et des lampes des maisons closes. Le chiffon rouge signale un danger…
Les amoureux de Chagall réunissent bleu et rouge les deux couleurs fondamentales aux significations ambivalentes et complexes ouvrant à la relecture, notre univers.   
« Quand je n'ai pas de bleu, je mets du rouge. » Picasso.

1 commentaire:

  1. Merci pour cette leçon intéressante.
    J'ajoute que souvent, à la Renaissance, on peint la Vierge en rouge ET en bleu. La Vierge réunit les deux couleurs, comme on peut imaginer. Elle participe à la Passion, de sa propre place, et à sa manière... On pourrait se le demander, qu'est-ce qui fait le plus souffrir... mourir, soi, ou voir son enfant agoniser pendant des heures sur une croix. Difficile à dire, il me semble...

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