samedi 16 mars 2019

Fête du livre de Bron 2019.

Philippe Descola, anthropologue de haute volée était pleinement dans la thématique de l’année au 33° rendez-vous littéraire à l’hippodrome de Parilly : « La vie sauvage », alors qu’Aitiq Rahimi et François Morel que nous avons eu aussi le plaisir d’écouter avaient d’autres raisons séduisantes d’être là.
Parfois la rencontre avec les écrivains est décevante,
mais cette année nous avons été appâtés par la poésie humaniste de l’un, la confirmation de la sympathie du médiatique « gugusse » et l’exigence intellectuelle d’un savant original.
Atiq Rahimi dans son dernier livre « Les porteurs d’eau » raconte les histoires parallèles d’un exilé à Paris en mode roman et celle d’un homme à Kaboul sous forme de conte, le jour où ont été détruits les deux bouddhas de Bâmihân (9 mars 2001). Passé composé et passé simple, fin d’un côté et naissance d’un amour de l’autre, l’écrivain cinéaste afghan réfugié en France redonne à nos mots de la saveur : « tomber amoureux », » être épris », « être ou ne pas être la question est là, c’est l’amour  qui m’a appris que j’existe », déroulant les citations opportunes avec gourmandise :  
« Dans une dictature, ne pense pas.
Si tu penses, ne dit rien.
Si tu parles, n'écris rien.
Si tu écris, ne signe rien.
Et si tu signes, ne t'étonne plus de rien. »
Il nous prouve que la réalité a besoin d’un récit pour exister et nous amène avec légèreté à nous interroger sur la création artistique dépassant le temps d’une existence humaine, portant la création au dessus de la procréation.
C’est un plaisir plus familier avec François Morel nous régalant de larges extraits de son livre : « C’est aujourd’hui que je vous aime » en éventant d’ailleurs un peu trop le contenu, bien que la BD que Rabaté en a tiré paraisse convenir à ce type de récit.
« Isabelle Samain, Isabelle Samain, Isabelle Samain. Son nom est un refrain, sa beauté, une chanson d’amour ». Les admirateurs étaient nombreux pour le célèbre chroniqueur inspiré par l’observateur-styliste Vialatte et mettant en exergue Albert Cohen : «  J’ai été un enfant, je ne le suis plus et je n’en reviens pas. » Il joue de la malice, de la pudeur, comme Sempé, du sublime et du trivial, des généralités et du particulier, à partager dans la tendresse et l’humour.
Avec Descola, professeur au collège de France, nous sommes appelés à réviser tant de notions que nous nous autorisons à n’en saisir que quelques éléments. Il a dépassé le débat opposant nature et culture car pendant ses séjours chez les Achuar en Equateur, il a saisi le chant que les hommes émettent vers l’âme des non humains, animaux ou plantes. Complétant l’opposition entre animisme et naturalisme, il redéfinit de nouvelles façons d’être au monde avec le totémisme qui agrège tous les êtres vivants aux caractéristiques communes et l’analogisme faisant correspondre des singularités. L’enseignement de l’anthropologie et de l’écologie à l’école sera-t-il suffisant pour repenser les liens qui inverseraient un destin amenant à une terre inhabitable ? L’acceptation de la notion d’ « anthropocène » serait déjà un progrès qui prendrait en compte à l’échelle des temps géologiques les conséquences des activités humaines. Les rappels historiques liant le développement des manufactures et la colonisation sont éclairants comme l’efficacité du droit pour faire reconnaître la personnalité juridique à la rivière Whanganui, en Nouvelle-Zélande.
 « Je suis la rivière et la rivière est moi. »
Comme l’a dit un de ses interlocuteurs l’auteur des « Lances du crépuscule » ne s’était pas fait « réduire la tête » par quelque sauvage comme on ne dit plus, sans toutefois prendre la grosse tête, lui qui écrit pour être compris par sa tante. « C'est à chacun d'entre nous, là où il se trouve, d'inventer et de faire prospérer les modes de conciliation et les types de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, à la fois ouverte à toutes les composantes du monde et respectueuse de certains de leurs particularismes, dans l'espoir de conjurer l'échéance lointaine à laquelle, avec l'extinction de notre espèce, le prix de la passivité serait payé d'une autre manière : en abandonnant au cosmos une nature devenue orpheline de ses rapporteurs parce qu'ils n'avaient pas su lui concéder de véritables moyens d'expression. »

1 commentaire:

  1. Séduisant, l'anthropologue, mais je résiste aux sirènes.
    Je n'ai rien contre la séduction, d'ailleurs.
    Mais je suis très méfiante envers une universalité nouvelle... nous en avons connu d'autres, et nous en sommes toujours revenus de ces universalités...
    avec une énorme gueule de bois, d'ailleurs.
    Là où on pourrait ? devrait ? nous interroger, c'est sur l'opposition...ancienne entre "activité" et "passivité". Là... il y a du pain sur la planche.

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