Parfois la rencontre avec les écrivains est décevante,
mais cette année nous avons été appâtés par la poésie
humaniste de l’un, la confirmation de la sympathie du médiatique « gugusse »
et l’exigence intellectuelle d’un savant original.
Atiq Rahimi dans son dernier livre « Les porteurs
d’eau » raconte les histoires parallèles d’un exilé à Paris en mode roman
et celle d’un homme à Kaboul sous forme de conte, le jour où ont été détruits
les deux bouddhas de Bâmihân (9 mars 2001). Passé composé et passé simple, fin
d’un côté et naissance d’un amour de l’autre, l’écrivain cinéaste afghan
réfugié en France redonne à nos mots de la saveur : « tomber
amoureux », » être épris », « être
ou ne pas être la question est là, c’est l’amour qui m’a appris que j’existe », déroulant
les citations opportunes avec gourmandise :
« Dans une
dictature, ne pense pas.
Si tu penses, ne dit
rien.
Si tu parles, n'écris rien.
Si tu écris, ne signe rien.
Et si tu signes, ne t'étonne plus de rien. »
Si tu parles, n'écris rien.
Si tu écris, ne signe rien.
Et si tu signes, ne t'étonne plus de rien. »
Il nous prouve que la réalité a besoin d’un récit pour
exister et nous amène avec légèreté à nous interroger sur la création
artistique dépassant le temps d’une existence humaine, portant la création au
dessus de la procréation.
C’est un plaisir plus familier avec François Morel nous régalant de
larges extraits de son livre : « C’est aujourd’hui que je vous
aime » en éventant d’ailleurs un peu trop le contenu, bien que la BD que
Rabaté en a tiré paraisse convenir à ce type de récit.
« Isabelle
Samain, Isabelle Samain, Isabelle Samain. Son nom est un refrain, sa beauté,
une chanson d’amour ». Les admirateurs étaient nombreux pour le
célèbre chroniqueur inspiré par l’observateur-styliste Vialatte et mettant en
exergue Albert Cohen : « J’ai
été un enfant, je ne le suis plus et je n’en reviens pas. » Il joue de
la malice, de la pudeur, comme Sempé, du sublime et du trivial, des généralités
et du particulier, à partager dans la tendresse et l’humour.
Avec Descola, professeur au collège de France, nous
sommes appelés à réviser tant de notions que nous nous autorisons à n’en
saisir que quelques éléments. Il a dépassé le débat opposant nature et culture car
pendant ses séjours chez les Achuar en Equateur, il a saisi le chant que les
hommes émettent vers l’âme des non humains, animaux ou plantes. Complétant l’opposition entre animisme et
naturalisme, il redéfinit
de nouvelles façons d’être au monde avec le totémisme qui agrège tous les êtres vivants aux
caractéristiques communes et l’analogisme faisant correspondre des
singularités. L’enseignement de l’anthropologie et de l’écologie à l’école
sera-t-il suffisant pour repenser les liens qui inverseraient un destin amenant
à une terre inhabitable ? L’acceptation de la notion d’ « anthropocène »
serait déjà un progrès qui prendrait en compte à l’échelle des temps
géologiques les conséquences des activités humaines. Les rappels historiques
liant le développement des manufactures et la colonisation sont éclairants
comme l’efficacité du droit pour faire reconnaître la personnalité juridique à
la rivière Whanganui, en Nouvelle-Zélande.
« Je suis la rivière et la rivière est
moi. »
Comme l’a dit un de ses interlocuteurs l’auteur des
« Lances du crépuscule » ne s’était pas fait « réduire la
tête » par quelque sauvage comme on ne dit plus, sans toutefois prendre la
grosse tête, lui qui écrit pour être compris par sa tante. « C'est à chacun d'entre nous, là où il se
trouve, d'inventer et de faire prospérer les modes de conciliation et les types
de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, à la fois ouverte
à toutes les composantes du monde et respectueuse de certains de leurs
particularismes, dans l'espoir de conjurer l'échéance lointaine à laquelle,
avec l'extinction de notre espèce, le prix de la passivité serait payé d'une
autre manière : en abandonnant au cosmos une nature devenue orpheline de ses
rapporteurs parce qu'ils n'avaient pas su lui concéder de véritables moyens
d'expression. »
Séduisant, l'anthropologue, mais je résiste aux sirènes.
RépondreSupprimerJe n'ai rien contre la séduction, d'ailleurs.
Mais je suis très méfiante envers une universalité nouvelle... nous en avons connu d'autres, et nous en sommes toujours revenus de ces universalités...
avec une énorme gueule de bois, d'ailleurs.
Là où on pourrait ? devrait ? nous interroger, c'est sur l'opposition...ancienne entre "activité" et "passivité". Là... il y a du pain sur la planche.