La proposition de cette année, concerne les « Invisibles » de la famille des bien visibles maquillés de fluo.
Juste après la lecture d’une série de portraits de Gilets Jaunes
dans Marianne, je viens d’apprécier au théâtre le récit en 19 tableaux de la
vie d’une quarantaine de personnages vivant
tant bien que mal dans des zones où le bus ne s’arrête plus.
Moins imbibés que les bas fonds russes, nos parkings de
super marché ont leurs dépossédés.
Cette humanité souffrante ne manque pas d’humour et même la
poésie peut s’inviter.
La fraternité n’y est pas mièvre et le mérite est grand de
ne pas voir sanctifier tous ces porteurs de croix : chômeurs, solitaires,
handicapés, inadaptés, abandonnés, gitans, noirs, petits blancs.
« S’il y a un monde
dans lequel il y a de la méchanceté, de l’indifférence, de l’avidité, de
la solitude, c’est le nôtre. S’il y a un monde dans lequel il y a de l’amour,
de la joie, de l’émerveillement, c’est aussi le nôtre. »
J’avais mémorisé comme titre : « Enfin seul ! »
alors que la solitude est aggravante en milieu précaire ou dans les moments
délicats de la vie : sans doute un vieux reste de « l’enfer c’est les
autres » qui allait si bien à nos suffisances adolescentes.
Dans une mise en scène sobre et efficace, la pièce est énergiquement
jouée, foisonnante, parfois un peu trop riche à mon goût, comme avec la performance
d’une conteuse en début de seconde partie, dont la générosité cependant emporte
l’adhésion.
Redécouvrir :
« Du gris, que
l'on prend dans ses doigts
Et qu'on roule
C'est fort, c'est
acre, comme du bois,
Ça vous soûle.
C'est bon et ça vous
laisse un goût
Presque louche
De sang, d'amour et de
dégoût,
Dans la bouche. »
Bien sûr que le soliloque dans son garage du
« cauche » ( coach) exhortant une équipe disparue m’a ému et
confirmé que la métaphore footballistique est féconde pour lire la société. Les
deux amants sous les étoiles sont « incandescents », comme sont
également justes et percutantes les interventions dans un groupe de parole, belles
des fleurs artificielles démesurées, déchirant et joyeux un accouchement par
une sage-femme affolée dans ce noman’s land tellement peuplé.
La bienveillance de l’auteur ne l’a pas conduit à effacer
les aspérités des individus, nous ne pouvons que mieux les aimer ; les
fragiles sont forts qui « n’attendent pas midi à quatorze ans ».
Ce n’est certes pas « tous ensemble tous
ensemble » mais trois heures très vite passées avec les autres, nos
semblables, nos frères, nos camarades, histoire de ne plus confondre les mots
qui conviennent pour accompagner les solitudes.
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