Parfois je me dis cette phrase, pendant une insomnie. Je me démène sous ma couverture. Je me sens grise comme un soldat avant la bataille. Je veille, armée.
Ces jours où je me dis que ce que je sais est devenu inutile, ces jours-là, j’ai peur. J’ai peur d’être trop vivante, constat inouï, angoissant.
J’ai peur de me lever, j’ai peur du jour nouveau qui pointe, j’ai peur des minuscules prisons des habitudes, ces petits cercueils.
Alors je reste gisante sous la couverture.
Des couvertures, j’en ai à foison. Des bleues, des roses et des noires. Des unies et des chamarrées, des laineuses, des cotonneuses, des soyeuses, des écossaises, la somptueuse en mohair, si légère.
A l’abri sous mes couvertures, je me répète ce que je sais, je me raconte mes vies : je vis à l’étouffé. Je tricote entre les vieilles images et les récentes des contes improbables. Etais-je heureuse dans ce champ où le photographe m’a surprise endormie dans la plénitude de mes trente ans ? Etais-je malheureuse sur cette plage où je ne souris pas, où je regarde des enfants qui s’éclaboussent.
Oui, je me raconte ce que je sais de ma vie, ces bribes, comme fibres végétales palpitant doucement dans le vent de la mémoire. Souvenirs fugaces, instables, insaisissables, du sable.
Tout ce que je crois savoir de moi et qui ne me sert à rien. Des écrans, des enveloppes, des tchadors. Je sue, le souffle en suspend, lasse comme un poisson pris dans la vase d’une mare desséchée.
Et puis je me lève, je rejette le linceul tissé par l’insomnie. Je retrouve l’eau froide, puis les vaisseaux bleus du Vercors défiant l’espace, le ciel et la vallée. Les premiers pas du matin sont chaque jour les premiers pas de la vie. Hier n’est que fumée et demain dans la brume. Un merle siffle sans vergogne sur la gouttière, la lumière brise les fenêtres. Le monde est terrible, vivre est terrible, être soi est une terrible énigme.
Il est des nuits merveilleuses où je brûle toutes mes couvertures. Le sommeil m’emporte comme une mère. Mes rêves me disent que je suis une inconnue, que la seule tâche, la seule qui vaille la peine qu’on s’y livre, c’est d’accepter de se perdre en cette inconnue corps et biens. Alors je ne peux me dire guérie, mais il arrive que je m’espère sauvée.
Philomène
J.B.Pontalis est un écrivain contemporain édité chez Gallimard.
Son œuvre est marquée par son travail de psychanalyste, mais c’est une empreinte légère, pudique, modeste.
Je n’ai lu de lui que des œuvres faites de fragments par exemple, « Fenêtres », « Perdre de vue », « l’enfant des limbes »
J.B. Pontalis m’étonne au vieux sens de se prendre la foudre.
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