mercredi 10 décembre 2008
Français.Faire classe#12
Le cœur battant du métier et il ne faudrait pas s’inquiéter ! Langue hachée menue, lecture en vrille, et l’orthographe: "j’te dis pas". Les ravis du temps moderne de chez moderne qui entrent dans le post moderne trouvent que ceux qui veulent « sauver les lettres » sont des amoureux de crépuscule qui exagèrent ; et pourtant nos négligences, nos lâches accommodements portent leurs fruits amers.
Pour ne pas m’embourber dans la déploration, je vais essayer de faire l’état des équipements que j’embarquais à bord des goélettes C.M. 2.
« Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles. »
José Maria de Heredia
Expression orale
Les sabirs régressifs progressent et nous nageons dans un domaine informel qui échappe aux évaluations incontestables, irréalisables par le seul professeur des établissements scolaires.
Il est une bonne tranche de langue qui nous a ravis : les contes.
Dans cette activité, la prise de parole dépasse les catégories enseignées telles que lecture, expression orale, vocabulaire, conjugaison. Elle développe l’écoute, le respect et l’esprit critique, la connaissance d’un répertoire personnel plus étendu, et la recherche de la précision. Elle conduit à une meilleure entente avec les autres et une image de soi bonifiée.
Citoyenneté et culture.
- Chaque enfant était tenu de conter au moins une fois dans l’année devant ses camarades.
C’est le moment de baisser les stores et d’éteindre les lumières, celui d’honorer le rendez-vous pris la semaine dernière, le moment de se jucher sur le tabouret, d’empoigner le bâton de parole ou simplement de se poser sous les seuls feux de la rampe du tableau. Certains étaient au rendez vous chaque semaine.
- Chacun dispose personnellement d’un livret d’une trentaine de contes et d’un stock conséquent dans le fond de classe et à la « bib » du quartier.
- Ceux qui le souhaitent, en prévenant à l’avance, content au micro dans les cars qui nous conduisent au gymnase, au ski. S’en suivent les critiques, systématiquement.
- Un conteur professionnel assure dans chaque classe des moments de formation (6heures)
Une représentation annuelle pour les plus grands concrétise une démarche qui prend naissance en maternelle : c’est le projet d’école. Fédérateur, il a permis une cohérence dans tout le groupe scolaire, entraîné de belles collaborations avec l’union de quartier, les bibliothèques, les associations telles que celles qui gravitaient autour des « arts du récit ». Quand les enfants conteurs se mêlent aux adultes sous les arbres d’un week-end de printemps, les albums de souvenirs s’enrichissent.
- Le spectacle. Spots de la scène ; papa, maman et petit frère sont venus à la salle de spectacle de la ville : c’est bon pour Narcisse, pour petit frère qui attend son heure. Ce n’est pas qu’une représentation pour quelques lignes dans le journal local, encore qu’il existe un peu d’espace entre le jansénisme au silence butté et le battage creux, à faire valoir les réussites de l’école sans que l’esbroufe ne nous bouffe.
Parfois le conte justifie son image un peu poussiéreuse, compassée, mais la ré appropriation par les mômes leur donne une vie nouvelle. Leur structure immuable permet toutes les libertés, elle constitue l’échafaudage autour duquel tout se bâtit, se colore, se personnalise. Les premiers pas se résument parfois à bien dire une blague : il faut quelques talents pour que cela fonctionne efficacement : évaluation instantanée ! La mémoire est sollicitée mais il faut se défaire de la mécanique, savoir différer la chute, maîtriser le squelette de l’histoire, éviter les passés simples pour mieux entrer dans l’échange avec son public : donner vie, redonner ce qui a été recueilli. Dans les bonheurs de la vie, il y a bien cette place que nous nous gagnons dans les discussions ; se faire entendre, se faire comprendre, se faire aimer. Sans s’en laisser conter.
Tchatche, slam, rap, les « battles » crient, disent, savent que le pouvoir passe bien par ces mises en mots. Politique et équilibre personnel.
Des pédagogues aiment qualifier de philosophiques des débats d’enfants alors que la philo, objet de railleries en terminale, remise en cause pour les plus grands, apparaît comme la panacée… en maternelle. La parole donnée aux élèves : c’est bien ainsi qu’ils construisent efficacement une langue, mais pourquoi la maîtresse doit être silencieuse ?
La parole libre, prioritaire chaque journée où la première demi-heure est consacrée aux présentations (poèmes, contes, expériences, actualité) aux débats (vie scolaire) annonces diverses, se maîtrise derrière le doigt levé. Une drastique obsession impose cette posture caractéristique de l’école, évite le monopole des « grandes gueules » et encourage l’antique précepte qui invite à tourner sept fois sa langue dans sa bouche. Condition de l’apaisement, du débat. Le reste de la journée, il s’en est fallu d’une ancienne élève devenue stagiaire pour me révéler que je passais mon temps à poser des questions. La maïeutique, quoi ! La parole des élèves grossit leur petite pelote, les constitue. Je ne prétendais pas être dans la démarche qui mène à l’autosocioconstruction des savoirs. Pas assez auto, un peu trop téléphoné. Ma monarchie s’est essayée à l’éclairage, elle fut constitutionnelle, absolue parfois, tendant à cette forme supérieure de l’ordre qu’est l’anarchie comme le disait Elisée Reclus.
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